Reconnaitre l’étranger – Isabella Hammad – Tracts (N°70) Gallimard

PALESTINE

Isabella Haddad est une romancière Anglo-Palestinienne. Son roman Enter Ghost vient d’être traduit en Français et figure à la Rentrée Littéraire 2025. Je l’ai lu avec grand intérêt et grand plaisir. Les images catastrophiques qui parviennent sur nos écrans de télévisions ne permettent pas de faire connaissance avec les Palestiniens présentés soit comme terroristes, soit comme victimes de guerre mais rarement comme individus. 

Où est notre humanité? L’absence d’empathie pour les victimes et les otages du  7 Octobre, et plus tard, vis à vis de la population de Gaza, affamée et bombardée. Sommes nous encore des êtres humains capables de reconnaître l’étranger comme être humain? Vivons nous sur terre ou dans des bulles étanches, bulles de vengeance, de religion, d’idéologie?

Après le Tract N°60 d’Eva Illouz – le 8-octobre Généalogie d’une haine vertueuse. J’étais très curieuse du tract d’Isabella Haddad qui me semblait lui répondre. Attention : Reconnaître l’étranger est composé de plusieurs textes : une conférence tenue en septembre 2023 consacrée à Edward Said (donc juste avant les évènements), puis d’une postface Gaza novembre 2023, enfin, un Post-scriptum, mai 2025. 

Communément considéré comme une figure radicale aux États-Unis, Said a d’abord et surtout été un
théoricien de la littérature. Le rapport entre les représentations traditionnelles de l’Europe, en matière
de littérature notamment, et les conquêtes du pouvoir impérialiste est l’objet d’étude sur lequel il a
choisi de braquer notre regard. Il n’en reste pas moins que le roman demeurait son sujet, un sujet de
prédilection.

l’Orientalisme CLIC m’a impressionnée mais que j’aurais plutôt classé dans la catégorie Essais que Roman. Isabella Hammad est romancière, elle expose ici les clés de sa propre création littéraire, l’une d’elle est la Construction de scènes de Reconnaissance ou moments d’anagnorisis  concept hérité d’Aristote. Elle explicite de terme savant en l’illustrant d’exemples universels comme le mythe d’Œdipe

il a nommé anagnorisis l’instant où la vérité se fait jour pour un personnage, cet instant qui aimante l’
intrigue, ce noeud de tous les mystères. Dans le schéma classique où l’action culmine avant de retomber
avec le dénouement, c’est bien au sommet, au moment du retournement tragique, que l’anagnorisis se
produit en général.

Soudain, les diverses prédictions de la pièce s’imbriquent, la vérité éclate, Œdipe a d’ores et déjà tué son père et épousé sa mère. C’est l’instant de la reconnaissance

 Cet épisode de la reconnaissance est aussi à la base du roman de Ghassan Kanafani, Retour à Haïfa, (malheureusement indisponible en français) où deux réfugiés de la Nakba retournent dans leur maison de Haïfa où ils avaient abandonné leur bébé, Khaldoun, lors de leur fuite.  Khaldoun devenu Dov refuse de les suivre. 

Telle est l’histoire du roman de Ghassan Kanafani Retour à Haïfa,

Comme celle de l’histoire d’Œdipe, cette intrigue repose sur des retrouvailles familiales perverties. […]
Dans ces cas-là, il s’agit de l’identité de tel ou tel : celui qu’on prenait pour un étranger fait partie de la
famille.
[…]
Dans la tragédie, comme dans le roman, comme dans la vie, les forces humaines ne font pas le poids face à celles du destin, des circonstances ou du hasard »

Reconnaissance dans la tragédie familiale mais aussi reconnaissance de l’autre comme humain dans la tragédie politique

J’ai autrefois entendu Omar Barghouti, activiste palestinien et cofondateur du mouvement BDS,
Boycott, Désinvestissement et Sanctions, parler d’un « instant mes yeux s’ouvrent », que j’appellerai
pour ma part, vous l’aurez compris, l’instant de reconnaissance. Il parlait plus précisément du tournant
dans l’action où l’Israélien réalise que le Palestinien est un être humain au même titre que lui.

L’autrice raconte l’écriture d’une nouvelle inspirée par la rencontre avec un soldat déserteur. Elle « fait intervenir l’idée d’épiphanie »

« l’instant épiphanique n’est pas tant l’instant où l’on comprend que celui où s’introduit un changement
de perspective.
Le problème, avec le soldat israélien de Barghouti et celui de ma nouvelle, c’est qu’on prend pour sujet de
l’épiphanie un non-Palestinien, qui se décentre et reconnaît brutalement l’humanité du Palestinien. »

Isabella Hammad évoque un premier roman biographique racontant son grand père (pas traduit en français). Elle se réfère à la littérature mondiale : entre autres L’amie prodigieuse .

A l’inverse de la Reconnaissance, le Déni

 » Le déni, c’est, pourrait-on dire, le contraire absolu de la reconnaissance. Pourtant, le déni lui-même
repose sur un mode de savoir. C’est une façon de se détourner délibérément, par peur peut-être, d’un
savoir potentiellement destructeur. Ainsi de Khaldoun-Dov, qui renie ses parents enfin de retour à
Haïfa. Ainsi de Pierre reniant le Christ. Ainsi des climatosceptiques. Ainsi des propriétaires d’esclaves et
économistes du XIXe siècle affirmant que mettre fin à la servitude des hommes n’est pas viable
économiquement »

Les deux postfaces sont des constats terribles des ravages de la guerre et une affirmation ferme de l’identité palestinienne. Des constats terribles  qui n’apportent que peu d’ouvertures pour la paix.

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

5 réflexions sur « Reconnaitre l’étranger – Isabella Hammad – Tracts (N°70) Gallimard »

  1. J’ai le même ressenti que toi quand tu écris : « Où est notre humanité? L’absence d’empathie pour les victimes et les otages du 7 Octobre, et plus tard, vis à vis de la population de Gaza, affamée et bombardée. » Cette impression qu’au nom d’une idéologie, d’une religion, d’un nationalisme, d’intérêts financiers, on justifie l’inacceptable. Et c’est vrai dans tous les domaines. Il semble que l’on ait perdu toute valeur, que l’on accepte le crime, la violence, le vol, la malhonnêteté, le mensonge… si celui qui le commet est de votre bord.

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