Frantz Fanon – un film de Abdenour Zahzah – un podcast de France Culture

Frantz Fanon (1925 – 1961) A l’occasion du centenaire de sa naissance, deux films sont sortis sur les écrans. En avril, distribué confidentiellement, le biopic Fanon de Claude Barny (que j’ai raté) et, en septembre, le film d’Abdenour Zahzah qui se concentre sur les 3 années (1953-1956) où Fanon a exercé sa profession de psychiatre à l’hôpital de Blida-Joinville. Tourné en noir et blanc, il ressemble plus à un documentaire qu’à un biopic. Il se déroule exclusivement dans l’enceinte de l’hôpital. Quand Fanon prend ses fonctions le système est fermé, presque carcéral, quatre divisions, femmes européennes dont Fanon s’occupera en premier, femmes musulmanes (on ne verra rien), hommes européens et hommes indigènes que Fanon va soigner. Ségrégation sociale qui reproduit la société algérienne de l’époque. Sa première initiative sera d’ouverture dans ce grand enfermement. Avant d’arriver en Algérie, Fanon est passé par Saint-Alban, où s’exerce la psychiatrie institutionnelle. Sa pratique d’ouverture s’exerce vis à vis des malades mais aussi vis à vis du personnel infirmier qu’on avait réduit à la fonction de gardiennage. Il se rapproche aussi des militants du FLN, des victimes de cette guerre qui ne dit pas son nom. Le glissement entre l’aliénation coloniale et l’aliénation des patients apparait comme une évidence.

Le livre Les Damnés de la Terre publié par Maspéro en 1961, préfacé alors par Sartre, que j’avais acheté en 1968, à la Librairie Maspéro est un de mes grands souvenirs soixante-huitard. J’en ai gardé l’impression d’un texte politique théorique. Quand j’ai lu Peau Noire Masques blancs CLIC  J’ai été surprise de découvrir qu’il s’agissait d’une thèse de médecine avec un langage scientifique très pointu si bien que je n’ai pas tout compris. J’ignorais alors que Fanon que je connaissais comme figure de la décolonisation, combattant de l’Indépendance de l’Algérie était psychiatre. 

Après avoir vu le film de Zahzah j’ai podcasté la série Fanon l’Indocile dans Les Grandes Traversées de France Culture CLIC

Et cette écoute m’a accompagnée pendant mes promenade pendant une bonne semaine : 5 épisodes de 109 minutes avec des lectures, de nombreux intervenants. Etude approfondie des différents aspects de son histoire, de sa personnalité.

Fanon qui était pour moi une icone de la décolonisation, mort jeune comme Che Guevara. Il est toujours présent soit aux Antilles, soit aux Etats Unis précurseur des Black Panthers ou de Black lives matter , plus récemment. Ce long podcast nous le présente beaucoup plus nuancé, plus humaniste aussi. Ambigu parfois, dans l’appel à la lutte violente décoloniale. Il faudra que je relise les Damnés de la Terre que j’emprunterai à la Médiathèque puisque j’ai perdu mon joli exemplaire coloré de la Petite collection Maspéro. 

 

 

Présences arabes – Art moderne et décolonisation ( 1908 – 1980) Au MAM de la Ville de Paris

 Exposition temporaire jusqu’au 25 Aout 2024

Hamed Abdalla – Egypte 1956 – Conscience du sol

1908-1980

1908 : arrivée de Gibran Khalil Gibran – 1980 reconnaissance de l’immigration arabe dans les musées parisiens. Huit décennies, une très longue période!

Présence arabe : du Maghreb à l’Irak, si on inclue aussi la Turquie, c’est un vaste domaine . Et si on inclue les artistes juifs mais de culture orientale, cela fait encore plus de monde! Si on ajoute les français militant pour l’indépendance de l’Algérie, cela en fait encore d’autres….

les mosquées de Mogador 1965 Ahmed Louardiri

Donc, une exposition au long cours, dans le temps comme dans l’espace, beaucoup d’œuvres et en regard, des photos et des affiches rappelant le contexte, des publications de revues…Très riche, trop riche, je me suis un peu perdue.

Il sera question de décolonisationloin de l’Orientalisme du XIX ème siècle. pas besoin de faire appel à Edward Saïd que j’attendais un peu pour sa critique de l’Orientalisme. Tout simplement parce que les plasticiens sont orientaux, tandis que les Orientalistes ont un regard occidental sur l’Orient idéalisé ou fantasmé. 

1.l’Orientalisme arabe ou l’Orient rêvé par lui-même

En revanche je n’attendais pas Khalil Gibran peintre. Je connaissais l’écrivain. Il a suivi l’enseignement de l’Académie Julian. 

La fiancée du Nil – Mahmoud Mokhtar 1929

Avec Nahda en Egypte on assiste à l’essor d’une pensée libérale. Le sculpteur égyptien Mahmoud Mokhtar conçoit le monument à la Nahda.

maternités arabes 1920 Georges Hanna Sabbagh

L’alexandrin Georges Sabbagh a étudié à l’académie Ranson en 1910. On voit donc la porosité entre les plasticiens orientaux et les nabis et peintres français.

Prière au soleil -1928 – Abdelazziz Gorgi Tunisie

De Tunisie, proviennent des images variées comme cette prière au soleil et la Synagogue de Tunis de Maurice Bismouth (1930)

Les années 30 sont celles des Expositions Coloniale (1931) et Internationale des Arts et techniques (1937). Un mur est dédié à l’exposition coloniale avec les affiches « Ne visitez pas l’Exposition Coloniale », protestation des communistes. On y voit les pavillon de l’Egypte et de la Tunisie

2. Adieu à l’Orientalisme : les avant-gardes attaquent

Femme kabyle combattante Rabah Mellal

 

Les premières indépendances Liban (1943), Syrie (1946), Egypte (1953) et Irak (1958) 

Le groupe surréaliste égyptien expose à Paris ainsi que l’algérienne Baya. Des artistes rejoignent les ateliers de Fernand Léger et de Lhote. je retrouve avec plaisir la Kahena peinte par Atlan figure de la reine rebelle témoignant de l’engagement anticolonial du peintre qui fut un résistant.

Atlan La Kahena (1958)

j’ai aussi retrouvé les dessins de Mireille Miailhe et de Senac. Tour un mur est couvert d’affiches sur la Guerre d’Algérie, le référendum de De Gaulle, une accusation de Massu et de la torture. 

les larmes de Francis Hamburger

3. L’art en lutte : de la cause palestinienne à l’Apocalypse arabe

la Famine dans le Tiers monde année 50 El Meki

Un autre mur de photos et d’affiche montre Nasser et la nationalisation du Canal de Suez,et la construction du Barrage d’Assouan ; un autre est consacré à la Palestine. La guerre au Liban n’est pas oubliée avec l’illustration d’Etel Adnan, poétesse et plasticienne : des bandes en accordéon aquarellées sont accompagnées d’une bande-son. 

L’arbre amoureux Mahmoud Darwich d’après Mona Saudi (1979)

Peau noire, masques blancs – Frantz Fanon

CARNET DES ANTILLES

Après des lectures antillaises, esclavage, décolonisation . Simone Schwarz-Bart, Maryse Condé, Chamoiseau, Glissant, Césaire. Après la visite à l’exposition Senghor au Quai Branly. Avec toutes les polémiques autour du mouvement « woke »(pas « wokisme » qui est un concept d’extrême droite). Après un demi-siècle qui nous sépare de l’esprit de 68. J’ai eu envie de revenir à Fanon que j’ai lu en découvrant la Librairie Maspéro, rendez-vous des soixante-huitards. J’ai perdu le joli volume de la petite collection Maspéro. Je me souviens des Damnés de la Terre, de la Révolution Africaine. A l’époque c’était plutôt la décolonisation, la suite de l’indépendance de l’Algérie. Je tenais Fanon pour un politique.

Aujourd’hui que reste-t-il de ses écrits?

J’ai donc téléchargé Peau noire, masques blancs que je n’avais pas lu autrefois.

« C’est un fait : des Blancs s’estiment supérieurs aux Noirs.

C’est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l’égale puissance de leur esprit. »

Première surprise : je ne savais pas que Fanon était médecin, psychiatre, psychanalyste et que cet essai était son mémoire de thèse. J’ai été désarçonnée par ce vocabulaire spécifique auquel je suis bien étrangère.

« Cet ouvrage est une étude clinique. Ceux qui s’y reconnaîtront auront, je crois, avancé d’un pas. Je veux
vraiment amener mon frère. Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des
siècles d’incompréhension. »

Peau noire, masques blancs est donc un ouvrage se référant à la psychanalyse, analysant des cas cliniques, le rapport au langage, la culture

« Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du faitde la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine. »

C’est un livre très sérieux bourré de références à Sartre, Hegel, Adler, Jung. 

Il fait une analyse de romans mettant en scène des couples mixtes Blanc/Noire comme Mayotte Capecia ou les travaux anthropologiques d’O. Manonni à Madagascar. Il faut s’accrocher même si certaines lignes ne manquent pas d’humour : 

« Il y a une trentaine d’années, un Noir du plus beau teint, en plein coït avec une blonde « incendiaire », au moment de l’orgasme s’écria : « Vive Schœlcher ! »

Son analyse du racisme fait beaucoup appel à Sartre et à la Question Juive ainsi que son Orphée Noir. 

Effet miroir de ma lecture récente d’André Schwarz-Bart en  empathie pour les Antillais, Fanon, martiniquais, écrit à propos de l’antisémitisme:

« L’antisémitisme me touche en pleine chair, je m’émeus, une contestation effroyable m’anémie, on me refuse la possibilité d’être un homme. Je ne puis me désolidariser du sort réservé à mon frère. »

j’ai soutenu l’effort, sachant que je ne comprenais pas tout, j’ai terminé cet ouvrage. Les pages que j’ai préférées cependant ne sont pas de Fanon mais de Césaire dont les poèmes illustrent ses propos. 

Difficile de répondre à la question initiale : ces écrits sont-ils encore d’actualité, après les Indépendances, Black lives matter? En tout cas les théories de Marie Bonaparte sur les phantasmes de viol et les éventrations sont illisibles après Meetoo! 

Terminons par cette affirmation toujours actuelle :

« Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une
tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. »

 

 

 

Baya – Femmes en leur jardin – à l’IMA

Exposition temporaire à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 26 mars 2023

Grande frise 1949

Baya jeune paysanne kabyle qui travaillait dans une ferme horticole, a rencontré en 1942 un couple arrivé en Algérie, fuyant l’occupation allemande. Marguerite Caminat qui a reconnu ses dons lui donne ses chances en lui permettant de peindre, d’apprendre à lire. 

illustration des contes

Elle illustre des contes qu’elle a entendu auprès des femmes kabyles. Si ses premiers dessins sont enfantins (elle a 14 ans) rapidement elle développe son style personnel qui séduira les personnalités reconnues comme André Breton, Dubuffet ou Picasso.

 

Baya 16ans

En novembre 1947 la Galerie Maeght lui offre une exposition, Baya a 16 ans.

Baya refuse de se laisser classer peintre surréaliste ou de l’Art Brut. Elle reste elle-même. En 1948, séjour à Vallauris, elle sculpte la terre

La fraîcheur des couleurs séduit

Elle peint le plus souvent des femmes, des animaux et des végétaux.

en 1953, elle se marie à un musicien, lui donne 6 enfants et cesse de peindre. mais après l’indépendance de l’Algérie, le Musée d’Alger expose ses tableaux ce qui la motive à recommencer .

Elle peint des paysages, des natures mortes avec des instruments de musique et toujours des oiseaux, des poissons et des femmes …