UN ROMAN DE SAINT MALO

Ce gros roman (650 p en Poche) m’a accompagnée pendant ces vacances en bord de Manche. Il a guidé mes rêveries en passant devant les rochers, les îlots et les îles, flux et reflux des marées…
Cézembre est une île en face de Saint Malo. Une île chauve, un caillou, une île martyr dont l’histoire est tragique. Fortifiée par les Allemands, elle a subi un pilonnage monstrueux de la part des Alliés. Elle exerce une fascination pour le héros du roman
« J’ai toujours aimé la beauté des ruines ; mais celles-ci, sous leur vêtement de graminées, de mousses et de
lichens, ne s’étaient pas tout à fait départies de leur violence originelle. À Cézembre, la nature n’avait pas
éteint le souvenir de la bataille sans merci qui s’y était livrée : elle en avait simplement apaisé l’horreur. »
Yann de Kérambrun, le narrateur, est historien. Il enseigne à la Sorbonne et rédige une thèse sur les pirates de la Méditerranée du temps de l’Empire Romain. En instance de divorce, il vient de perdre son père. Son fils part en Allemagne. Il demande un congé sans solde et s’installe dans la maison familiale Les Couërons sur le Sillon à Saint Malo. Il y trouve un véritable trésor : les archives de la Société de propulsion nautique malouine créée en 1905 par son aïeul Octave. Cette société les « vedettes bleues » assuraient les traversées entre les Îles anglo-normandes et Saint Malo. Octave avait pour associés un homme d’affaire de Jersey et un avocat Sainte Croix, très actif dans la politique locale.
Parmi les divers dossiers, il retrouve plusieurs dizaines de carnets des « livres de raison » comptes journaliers, mais pas que. L’historien qui sait déchiffrer de telles archives se lance dans une entreprise au long cours : reconstituer la saga familiale de cette famille d’armateurs malouins. A première vue, l’entreprise s’est transmise de père en fils et a prospéré, Octave a fait construire une belle maison de maître qui est restée dans la famille. Mais des secrets de famille le troublent. Entre temps, on retrouve un squelette à Cézembre, l’entreprise familiale est elle mêlée ? Yann se livre à une enquête minutieuse qui va mobiliser les cousins éloignés qu’il avait perdu de vue. je retrouve les mêmes ressorts qui m’avaient tenue en haleine dans 555, le manuscrit de Scarlatti.
Entrelacées avec l’histoire familiale, les tragédies qui se sont déroulées sur l’île : avant d’être occupée par l’armée allemande, Cézembre fut une colonie pénitentiaire. C’est aussi un site idéal pour la contrebande. Pouvait-on s’échapper de Cézembre à la nage?
Yann se lance le défi de faire la traversée à la nage.
Mais je rêve de plus en plus souvent à cette traversée, que je voudrais réussir en solitaire. Comme si
atteindre l’île par mes seuls moyens pouvait me permettre de replonger dans ces époques lointaines
dont nous parlait Étienne, lorsque la géométrie des terres et des sables était si différente que les îles
Anglo-Normandes n’étaient qu’une péninsule. Je m’imagine, marcheur gagnant le couvent des Récollets,
traversant une forêt de chênes baignée par le vent maritime. Ceux que la marée avait saisis, couchés,
minéralisés, chassant au fil des siècles la sève et la fibre du bois pour y loger son sel, son fer, sa silice.
Le livre est aussi traversé par l’histoire de la joggeuse mystérieuse, la femme au K-Way turquoise, Rebecca, dont Yann va tomber amoureux. Pas la partie que j’ai préférée.
Et toujours la présence de la mer, de sa puissance, de naufrages comme d’entrainements à la nage. Saint Malo et ses légendes. J’ai adoré la légende de la forêt de Scissy, forêt enfouie sous le rivage depuis des millénaires, fossilisée
On a retrouvé des arbres fossilisés, enfouis dans le sol inondé, qui datent du néolithique. On appelle ça des
couërons. — C’est de là que vient le nom de la maison ? — Sans aucun doute. On les reconnaît parce qu’ils
sont couchés à l’horizontale, avec des racines qui forment un angle à quarante-cinq degrés avec le tronc.
Ce qui veut dire que ces arbres ont commencé à pousser avant la submersion,
[…]
À l’emplacement du Sillon, il n’y avait pas une forêt qui allait jusqu’à Cézembre ? Étienne a souri. — Ah,
la fameuse forêt de Scissy ! Ou Querckelonde selon d’autres sources. Hugo l’appelait la « forêt druidique »
… Elle aussi, elle fait partie de la légende.
Roman de la mer, saga des armateurs malouin, histoire du XXème siècle, de la guerre…Aussi relation père-fils. Les thèmes abordés sont nombreux et ce roman est décidément très riche.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Hélène Gestern à la manifestation littéraire, Créteil en poche. Je lui ai dit tout le bien que je pensais de son livre. Mais comme je n’ai pas l’esprit d’à-propos, je ne lui ai pas demandé de photo. Quand je suis revenue, elle avait disparu!





















































