L’Homme qui aimait les chiens – Leonardo Padura

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Qui était »l’Homme qui aimait les chiens« ?

 

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Dans ce gros roman, les hommes qui aimaient les chiens sont nombreux: cet homme mystérieux qui promène ses deux barzoïs sur une plage de la Havane, cet écrivain cubain devenu vétérinaire, mais aussi  Lev Davidovitch Trotski, qu’on découvre au début de son errance en exil à Alma Ata avec Maya lévrier sibérien.

 

Trois histoires s’entremêlent donc : celle de Trotski, celle de Ramon Mercader son meurtrier et celle d‘Ivan l’écrivain cubain. Toutes trois sont les facettes de l’histoire socialiste, vues de l’intérieur. La Guerre d’Espagne, les persécutions staliniennes indissociables de l’odyssée de Trotski de Turquie au Mexique en passant par la France et la Norvège et plus récemment l’histoire et la vie quotidienne à La Havane.

barzoi

Une grande leçon d’Histoire, venue du bloc socialiste, histoire différente de celle qu’on raconte en Occident. Leçon de cynisme et de manipulations. La Guerre d’Espagne perd un  de son héroïsme quand l’auteur montre que les combattants staliniens étaient plus occupés à défaire les anarchistes et le POUM qu’à vaincre les fascistes. Le Pacte Germano- soviétique devient plus compréhensible quand il explique que l’état major soviétique décimé par Staline n’est pas prêt pour la confrontation avec les nazis.

« Tout était organisé comme une partie d’échecs (une de plus!)dans laquelle tant de gens – cet individu que j’allais justement baptiser « l’homme qui aimait les chiens » et moi, entre autres – n’étaient que des pièces livrées au hasard, aux caprices de la vie ou aux conjonctions inévitables du destin? Téléologie… »

Padura, auteur de romans policiers, sait faire durer le mystère, sait aussi écrire un thriller dans la plus grande tradition des romans d’espionnage. Il joue aussi avec l’empathie du lecteur qui ne sait plus démêler les identités ou les fidélités. Evidemment, on connait le dénouement pour Lev Davidovitch, on sait qu’il mourra au Mexique, mais comment Mercader réussira-t-il? Et qui est vraiment Mercader? Les noms changent, les identité se forgent, se transforment,les personnalités sont modelées par les services stalinien, l’amour pour les chiens fait aussi partie de la manipulation.

frida kalho affiche

Que dire aussi du plaisir de croiser Frida Kalho, André Breton à Mexico « terre d’élection du surréalisme ».

 

Une autre lecture est aussi possible, la difficulté d’écrire à Cuba, l’autocensure, rejoignant l’argument du Retour à Ithaque – film de  Cantet mais scénario de Padura. C’est en revenant du cinéma que j’ai téléchargé L’homme qui aimait les chiens.

Retour à Ithaque
Retour à Ithaque

 

 

Intempérie

LITTÉRATURE ESPAGNOLE 

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« De son trou argileux, il entendit ‘écho des voix qui ‘appelaient et essaya de localiser chacun des hommes dans les limites de l’oliveraie, comme s’il s’agissait de grillons. Beuglement pareil à des cistes calcinés. Recroquevillé en chien de fusil, son corps s’encastrait dans la cavité sans lui laisser le moindre espace pour bouger…. »

Pourquoi cette fugue éperdue de l’enfant? Une lubie de gamin, un désir d’ailleurs, ou une tragédie?

« Lui avait bien dû faire quelque chose pour mériter ses brûlures, sa faim, sa famille. « quelque chose de mal » lui rappelait son père à chaque instant »

Pourquoi l‘Alguazil s’acharne-t-il tant sur lui?

Ce roman retrace donc la fuite de l’enfant poursuivi mais aussi raconte la terre meurtrie par une terrible sécheresse. C’est d’ailleurs à cela – probablement – que fait référence le titre du livre. Terrible sécheresse :

« Sur les terres qu’ils traversaient, les traces de sillons et d’aires de battage leur parlait de désolation. Billons au lavis sur lesquels ondulait une croûte de boue cuite que seul l’âne chargé écrasait. Ancienne terres irriguées, à présent pareilles à des planches à laver le ligne parsemées de petits silex aux bords tranchants et à l’aspect cireux détaché des traîneaux à repiquer »

Car la terre  est le personnage principal de Intempérie . De l’enfant ou du chevrier nous ne saurons ni le nom, ni l’âge, ni les traits physiques. Tandis que de la terre, nous connaîtrons les odeurs, le relief, la végétation et les tristes ravages de la catastrophe. C’est le roman de la soif. Des rivières asséchées, des mares qui ont disparu, des puits où l’eau est devenue mauvaise. Des chèvres qui donnent si peu de lait et qu’il faut faire boire. Catastrophe écologique du réchauffement climatique ou manque de pluie récurrent dans  cette région d’Espagne? Roman intemporel. Seule la moto de l’alguazil permet de situer l’action aux temps modernes.  Le pastoralisme et la transhumance pourrait aussi bien venir du fond des temps.

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Roman de la soif. Sécheresse aussi et économie de paroles. L’enfant ne dit rien de sa fuite, ni le vieux de sa vie.Violence aussi.  . Humanité réduite aux rites funéraires. On tue pour survivre mais les hommes ont droit à une sépulture. Pudeur des gestes réduits au strict nécessaire.

J’ai dévoré ce livre dans l’avion qui me ramenait de Fuerteventura, île sèche et déserte où l’eau précieuse des campagnes est puisée grâce aux éoliennes et gardée par des levées de terres, des terrasse. Où l’eau de pluie est parcimonieusement conservée dans l’aljibe, la citerne qui se trouve dans chaque cour. Où on donnera plus volontiers un verre de vin qu’un verre d’eau au passant.

Que fait donc le mouton sur la couverture du livre? des hommes, un enfant, un âne, un chien, des chèvres, un corbeau, un rat apparaissent dans l’histoire. De mouton , nenni.

Pas Pleurer – Lydie Salvayre

LIRE POUR L’ESPAGNE 

guernica-Picasso

As-tu comprendi qui étaient les nationaux?[…]il me semble que je commence à savoir que le mot national porte en  lui le malheur.

En ce temps présent où les démons se réveillent, où on nomme « décomplexés » ceux qui brandissent les étendards nationaux où l’on ose affirmer que Dieu est avec nous, il est peut être temps de revenir à la Guerre d’Espagne, triste prélude de la conflagration générale qui a embrasé l’Europe et le monde entier.

Alors que je croyais que l’Europe était le rempart contre les nationalismes (qu’on a rebaptisé souverainisme pour ne pas effrayer) puis qu’on affirme haut et fort – décomplexé, vous dis-je, je vois l’idée européenne ne plus séduire, l’Internationalisme passer au rang de vieille lune, et les égoïsmes nationaux resurgir.  Ecouter la parole de ceux qui bientôt ne pourront plus témoigner.

La parole de Montse,  la mère, se mêlent à celles de Lydie la fille

« Ne persiste en sa mémoire que cet été 36; où la vie et l’amour la prirent à bras-le-corps; cet été où elle eut l’impression d’exister pleinement et en accord avec le monde, cet été de jeunesse totale comme eût dit Pasolini et à l’ombre duquel elle vécut peut-être le restant d ses jours… »

Ces paroles trouvent un écho, en miroir avec le récit de Bernanos :

« Tandis que le récit de ma mère sur l’expérience libertaire de 36 se lève en mon cœur je ne sais quel émerveillement, je ne sais quelle joie enfantine, le récit des atrocités décrites par Bernanos, confronté à la nuit des hommes, à leurs haines et à leurs fureurs, vient raviver mon appréhension de voir quelques salauds renouer aujourd’hui avec ces idées infectes que je pensais depuis longtemps dormantes. » 

CNT-FAI-1937

En plus de l’aspect historique, Pas pleurer est un beau roman, une histoire touchante avec des personnages variés. C’est aussi un ton original. Un style qui mêle le français et l’Espagnol de la mère. Je l’ai lu aux Canaries, entendant la musique de la langue espagnole autour de moi. Et j’ai trouvé ce mélange naturel et charmant. 

Qu’écrire de plus après les excellents billets de Claudialucia, d’Aifelle, dasola  qui, comme moi, ont aimé cet ouvrage?