Lettre au père – Franz Kafka

FEUILLES ALLEMANDES

Très cher père,

Tu m’as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d’habitude, je n’ai rien su répondre, en partie à cause de la peur que tu m’inspires, en partie parce que la motivation de cette peur comporte trop de détails pour pouvoir être exposée oralement….

1919, Kafka âgé de 36 ans adresse cette lettre d’une centaine de pages qui ne sera publiée qu’en 1952. Ce texte livre une histoire de sa vie, de sa famille, de ses tentatives de mariage. Je le lis après avoir visionné le film de Agnieszka Holland , Franz K. CLIC Cette lecture m’éclaire pour les scènes qui m’avaient étonnées comme celle de la cabine de bains, ou la rupture des fiançailles à Berlin;

« Tu ne peux traiter un enfant que selon ta nature, c’est-à-dire en recourant a la force, au bruit, à la colère,
ce qui, par-dessus le marché, te paraissait tout à fait approprié dans mon cas, puisque tu voulais faire de
moi un garçon plein de force et de courage. »

La première moitié adresse des reproches au père, elle analyse avec beaucoup d’insistance les rapports de force que le père a instauré:

« s’ensuivit que le monde se trouva partagé en trois parties : l’une, celle où je vivais en esclave, soumis à
des lois qui n’avaient été inventées que pour moi et auxquelles par-dessus le marché je ne pouvais jamais
satisfaire entièrement, sans savoir pourquoi ; une autre, qui m’était infiniment lointaine, dans laquelle
tu vivais, occupé à gouverner, à donner des ordres, et à t’irriter parce qu’ils n’étaient pas suivis ; une
troisième, enfin, où le reste des gens vivait heureux, exempt d’ordres et d’obéissance »

Il revient longuement sur ce thème de l’obéissance et des ordres iniques qui l’ont complètement inhibé.

« par ta faute, j’avais perdu toute confiance en moi, j’avais gagné en échange un infini sentiment de
culpabilité (en souvenir de cette infinité, j’ai écrit fort justement un jour au sujet de quelqu’un : « Il craint
que la honte ne lui survive »

La deuxième moitié de la lettre m’a beaucoup plus intéressée. Il s’interroge sur sa position vis à vis du judaïsme, du judaïsme de son père et du sien. Avec beaucoup d’humour il associe l’ennui éprouvé à la synagogue et celui au cours de danse.

 « Je passais donc à bâiller et à rêvasser ces heures interminables (je ne me suis autant ennuyé, je crois, que plus tard, pendant les leçons de danse) et j’essayais de tirer le plus de plaisir possible des quelques petites
diversions qui s’offraient, comme l’ouverture de l’arche d’alliance, laquelle me rappelait toujours ces
baraques de tir, à la foire, où l’on voyait également une boîte s’ouvrir quand on faisait mouche, sauf que
c’était toujours quelque chose d’amusant qui sortait… »

Il évoque aussi son activité littéraire, non pas tant l’acte d’écrire que la réception de ses œuvres par son père. Dans cette lettre, il analyse les raisons de sa recherche d’émancipation dans le mariage mais aussi les raisons des échecs. Il évoque aussi ses études, mais toujours dans la même optique de la peur de l’échec, même s’il passait sans difficultés dans la classe supérieure.

Ce texte permet de mieux connaître l’écrivain qui se livre de manière très intime parfois très douloureuse comme cette métaphore du ver de terre

« Là, je m’étais effectivement éloigné de toi tout seul sur un bout de chemin, encore que ce fût un peu à la
manière du ver qui, le derrière écrasé par un pied, s’aide du devant de son corps pour se dégager et se
traîner à l’écart. »

En surfant sur Internet j’ai trouvé plusieurs podcasts ICI ou vidéo-youtube de lecture de la Lettre au père, et je compte bien les écouter en me promenant. Kafka ne me lâche pas en ce moment!

J’irai chercher Kafka : une enquête littéraire – Léa Veinstein

FEUILLES ALLEMANDES

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Un grand coup de cœur!

Certes, l’auteure est française, le livre écrit en français, mais Kafka est un grand littérateur de langue allemande, je pense que ce livre a sa place dans les Feuilles Allemandes!

Lu d’une traite, ou presque, à la sortie du film Franz K. d’Agnieszka Holland.  La figure de Kafka rôde, présence en filigrane, référence familière. Figure très floue parfois quand j’ai vu Les Deux Procureurs de Loznitsa qui m’a rappelé Le Procès avec ces couloirs, ces portes fermées, ces gardiens énigmatiques, mais attention les procès staliniens sont datés de 1937 alors que Franz Kafka est décédé  en 1924. Référence intemporelle. 

« Kafka est un mort-vivant : il était mort de son vivant, il vivra après sa mort.  » (p41)

 

J’irai chercher Kafka de Léa Veinstein est une enquête littéraire. L’écrivaine, qui a  consacré sa thèse à Kafka, part, en Israëlà la sortie du confinement, voir les manuscrits et enquêter sur les manuscrits de Kafka. 

Car, suivre ces morceaux de papier c’est se plonger dans un espace où le réel piège la fiction, la moque ; c’est se plonger dans un temps à la fois précis et éternellement retardé, divisé, un temps élastique comme celui des Mille et Une Nuits. Ces manuscrits vont connaître les autodafés nazis, se cacher dans une valise pour fuir Prague vers Tel-Aviv, être revendus à une bibliothèque en Allemagne, être scellés dans des coffres-forts en Suisse. Et comme pour défier les nuances, ils vont se retrouver au cœur d’un procès long de presque cinquante ans, un procès dont le verdict citera le Talmud et concédera que le tribunal est incapable de répondre à la seule question qu’il aura eu le mérite de poser : à qui appartient Kafka ? (p.21)

Ces manuscrits ne devrait pas exister : Max Brod a désobéi à l’ordre de Kafka de tout brûler après sa mort. Non seulement il  a collecté, réuni, lettes, notes, manuscrits de roman, mais il les a sauvés, a traversé l’Europe pour les emmener en Palestine loin des autodafés nazis. Et même arrivés à Tel Aviv, l’histoire ne s’arrête pas. C’est cette histoire que raconte le livre. 

pourquoi suis-je là, pourquoi suis-je persuadée de venir ici rencontrer Kafka alors qu’il n’a jamais que
posé son doigt sur la carte à l’endroit de ce pays qui n’existait pas encore au moment où il est mort

8 jours passés à Tel Aviv et Jérusalem, très chargés d’émotion que l’écrivaine nous fait partager. A travers des prétextes très triviaux, Kafka surgit quand on s’y attend le moins. Un choucas perché, mais c’est Kafka bien sûr!

Le nom de famille Kafka, écrit avec un -v-, signifie choucas en tchèque, et Franz a plusieurs fois signifié
qu’il prenait cette descendance très au sérieux. Dans les Conversations avec Gustave Janouch, on trouve
cet échange : – Je suis un oiseau tout à fait impossible, dit Kafka. Je suis un choucas – un « kavka ».

Un chauffeur de taxi rend un faux billet de Monopoly : méditation sur authenticité posée par Kafka

Et si Kafka continuait à me provoquer? Tu veux jouer? Au Monopoly maintenant? Alors jouons. (p.35)

Un rat pendu dans une exposition d’Annette Messager, encore une rencontre kafkaïenne!

Au cours du voyage Lé Veinstein fit référence  à Valérie Zenatti , écrivaine que j’aime beaucoup,  Nicole Krausse et son livre Forêt Obscure dont je note le titre, une poétesse israélienne Michal Govrin…

Le Procès des manuscrits de Kafka est l’objet du voyage, Léa Veinstein rencontre les avocats qui ont plaidé, l’un Eva Hoffe, l’héritière de Max Brod,  qui compte disposer des manuscrits comme elle le souhaite, les vendre aux enchères, y compris à un musée allemand. L’autre pour la Bibliothèque d’Israël, et derrière la Bibliothèque il y a l’Etat d’Israël  qui considère que Kafka lui appartient. 

En 2011, avant que le premier verdict ait été rendu, la philosophe américaine Judith Butler signait un
texte important dans la London Review of Books, intitulé « Who Owns Kafka ? »

Et cette controverse va très loin

l’idée est de rassembler tout le judaïsme en Israël, pas seulement les personnes physiques. Ils ont «
récupéré » des tableaux de Chagall à Paris, ou encore des fresques peintes par Bruno Schulz, rapportées
ici par des agents du Mossad. C’est un projet politique et symbolique. Or Kafka fait partie de cet
héritage. Il devait physiquement être amené ici.  (p.240)

Le Procès, tout à fait kafkaïen, Léa Veinstein l’écrit avec une majuscule, ou plutôt les procès puisque ils iront jusqu’à la Cour Suprême , vont durer jusqu’en 2018. Deux ans après le verdict, les documents sont à la Bibliothèque nationale à Jérusalem.

Et Kafka dans cette histoire? L’écrivaine est très nuancée là-dessus.  d’ailleurs la volonté de Kafka étaient que les manuscrits soient brûlés.

Kandinsky La Musique des Couleurs à la Philharmonie

Exposition temporaire jusqu’au 1er février 2026

..Composition

Avant tout, équipez vous de l’audioguide qui se déclenchera au moment opportun devant chaque œuvre! Mais une fois que j’ai eu l’audioguide et le smartphone dans l’autre main pour les photos, je n’ai pas pu prendre de notes comme à l’accoutumée. Je vais donc illustrer la B.O. !

La B.O.

• Richard Wagner, Prélude de l’opéra Lohengrin, 1850

le plus russe des œuvres présentées?

• We praise Thee (chant russe orthodoxe)

Toussaint

• Arnold Schönberg, Trois pièces pour piano opus 11. Mässige (modéré), 1909

Arnold Schoenberg

• Arnold Schönberg, Quatuor à cordes en fa dièse mineur opus 10. Mässig (modéré), 1907-1908

Le Concert avec le piano de Schoenberg

• Alexandre Scriabine, Poème de l’extase opus 54, 1907

• Modeste Moussorgski, Tableaux d’une exposition, 1874

• Johann Sebastian Bach/Anton Webern, Ricercata (Fugue à six voix), extrait de L’Offrande musicale BWV 1079, 1935

Fugue

• Hanns Eisler, 8 Klavierstücke opus 8, n° 7 andante, 1925

• Alban Berg, Concerto « À la mémoire d’un ange », 1935

..

 

La visite se déroule donc en musique. En plus des tableaux sont présentées aussi des études, des dessins, et de grandes animations en musique projetées sur de grands écrans, il semble qu’on voit le tableau se construire en rythme, des triangles, des cercles bougent, dansent, changent de place. Les Tableaux d’une expositions ont été mis en scène à Dessau à l’école du Bauhaus. Curieuse mise en abyme d’une exposition de peinture que Moussorgski met en musique et qui inspire Kandinsky pour une nouvelle mise en peinture, couleurs synesthésiques? formes dansantes? Architecture. Une autre projection XXL sur un écran : le Salon de musique (1931) conçu pour l’exposition d’architecture de Berlin . 

Composition X (1939) écoute : à la mémoire d’un ange – Alban Berg

Erasme -Grandeur et décadence d’une idée – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES 

Les Feuilles Allemandes marquent un rendez-vous avec Stefan Zweig dont l’œuvre est inépuisable. 

Courte biographie (185 pages) publiée en 1935, Zweig se trouve à Londres et ses allusions au fanatisme, à l’intolérance, aux forces obscures de l’Allemagne résonnent avec la situation politique de l’époque de Zweig. 

Erasme, champion de l’Humanisme, de la tolérance, intellectuel européen est cher au cœur de Zweig, j’y ai presque vu un double. 

Bosch : La nef des fous

Evidemment je connaissais Erasme de Rotterdam de nom et l’Eloge de la Folie citée à l’Exposition, Le Fou, au Louvre cet hiver.

Zweig me fait découvrir le personnage : enfant illégitime, confié au monastère des Augustins en 1487, ordonné prêtre en 1492. Latiniste hors pair, il trouve l’occasion de quitter le couvent pour servir de secrétaire à l’évêque de Cambrai. Il ne retournera pas à la vie monastique, étudie à Paris au triste collège du Montaigu « collège vinaigre », y conçoit une horreur incurable pour la scolastique et mènera une vie indépendante en donnant des leçons de latin à de riches étudiants allemands ou anglais, en rédigeant lettres et pamphlets, se contentant d’emploi de correcteur d’imprimerie à Bâle ou à Venise. Il voyage à travers l’Europe, se trouve très bien en Angleterre. A côté de l’Eloge de la folie, il rédige un Manuel du Chrétien militant, compile des citations latines et surtout traduit les Ecritures du grec en 1516. Ses écrits lui valent l’estime de toute l’Europe, il reçoit des propositions de nombreux souverains mais ne veut pas aliéner son indépendance. Zweig compare sa gloire à celle de Voltaire ou de Goethe, plus célèbre que Dürer ou Léonard de Vinci « doctor universalis » « Prince des sciences », lumière du monde ». 

A vrai dire, toute cette admiration, presque hagiographique m’ennuie un peu. Zweig ennuyeux? Impossible: le texte s’anime quand il évoque la Folie « Stultitia »  A la Folie, on peut prêter des propos séditieux, des critiques de l’Eglise, du luxe de Rome, du commerce des indulgences. Ces critiques préfigurent La Réforme mais elles sont bien reçues, écrites en latin raffiné, entre lettrés, avec toujours bienveillance. Erasme concilie la Sagesse antique, les philosophes et l’Evangile en un Humanisme de bon aloi. Il transcende les frontières, s’exprime en latin, imagine une Europe chrétienne pacifiée où fleurissent les arts de la Renaissance, où afflue déjà les richesses du Nouveau Monde. 

Le drame va éclater quand Luther placarde ses quatre vingt quinze propositions à la porte de la chapelle de Wittenberg. Tout oppose Luther et Erasme aussi bien le physique que le caractère. A la finesse, la diplomatie s’oppose la grossièreté, la brutalité et la colère. Luther est soutenu par les Allemands 

« esprit de conciliation contre fanatisme, raison contre passion, culture contre force primitive, internationalisme contre nationalisme, évolution contre révolution » (p.102)

La deuxième partie du livre va analyser cette opposition de plus en plus véhémente. On devine les prémisses des Guerres de Religion. Erasme  refuse de s’engager et évite à plusieurs reprises la confrontation. Il rejette l’offre d’alliance avec Luther. Il ne relève pas les occasions de réconciliation que les princes allemands tentent à la Diète de Worms.

le Chef de la Chrétienté et ses évêques, les maîtres du monde : Henri VII? Charles Quint et François1er, Ferdinand d’Autriche, le duc de Bourgogne, les chefs de la Réforme allemande, d’autre part, tous sont devant Erasme, comme autrefois les héros d’Homère devant la tente du bouillant Achille, le pressant, le suppliant de sortir de sa neutralité et d’entrer en lice.

La scène est grandiose ; rarement dans l’Histoire les puissants de ce monde se sont donné autant de peine pour obtenir un mot d’un intellectuel, rarement la puissance de l’esprit a affirmé une suprématie aussi éclatante. 

La fin de la vie d’Erasme sera une vie d’errance : il quitte Louvain, trop catholique, pour Bâle neutre mais qui deviendra protestante, puis Fribourg.

Et la lectrice ne s’ennuie plus du tout!

En conclusion : la publication du Prince de Machiavel signera la décadence de l’Humanisme et la défaite de l’Humanisme devant la force. 

Anima – Kapka Kassabova – Marchialy

LIRE POUR LA BULGARIE

Anima

A l’ arrivée dans ma boîte aux lettres de  Anima, j’ai chaussé mes chaussures de randonnée, pris le bâton télescopique pour suivre Kapka Kassabova  dans ses montagnes bulgares du Pirin sauvages, avec un enthousiasme renouvelé après la lecture de Lisière, Elixir et de l’Echo du Lac qui se déroule un peu plus loin. 

J’ai lu récemment Les Cent frères de Manol dAnton Dontchev et malgré le grand saut chronologique j’ai retrouvé l’univers des bergers et Anima m’a éclairée sur les différents bergers, bulgares ou Yörüks déjà présents au XVI ème siècle. Il me semble d’ailleurs que leur mode de vie a peu changé.

Anima raconte la vie pastorale dans ces montagnes des Balkans. Vie pastorale où le nomadisme est encore très prégnant : nomadisme des origines, nomadisme des Roms, et tout simplement transhumance annuelle à la recherche des pâturages d’estive. L’autrice situe les différentes tribus nomades dans cette mosaïque de populations qui constitue les Balkans. Bulgares, mais aussi turcophones, hellénophones. En filigrane, le souvenir des tapis, des yourtes venus d’Asie Centrale ou d’Anatolie. 

Anima raconte la relation très forte aux animaux. Ovins, caprins et bien sûr les chiens nécessaires à la protection des troupeaux. Chevaux presque sauvages pour le portage  du matériel là où les jeeps et 4×4 ne peuvent accéder. Prédateurs : loups et ours, invisibles, mais bien présents. Les animaux domestiques sont de races locales, adaptées aux conditions difficiles de la haute montagne :  karakachan que la modernité a fait presque disparaître au profit de races standardisées peut être plus productives mais que des passionnés tentent de maintenir au nom de la biodiversité génétique, richesse du vivant. Les animaux ont une très forte individualité, surtout les chiens. Chaque chien a sa place dans la meute et le troupeau, son caractère, son nom. D’ailleurs, au début du livre je n’ai pas toujours fait la différence entre les noms humains et canins. Même les brebis, les béliers, les agneaux sont individualisés. Je me suis attachée à ces personnages-animaux comme aux personnages humains.

Le titre Anima fait-il référence à ces animaux? Pas sûr, parce que animaserait aussi l’âme, le souffle, l’essence de la vie. Dans la solitude de la montagne les bergers deviennent-ils philosophes? l’autrice rêve de symboles vivants « je suis animus » faisant référence à la psychologie jungienne, à une psyché collective. Je suis très ignorante de Jung. En revanche, je suis réceptive au dialogue entre civilisés et nature sauvage personnifiée p.366 par l’apparition de 4 chamois  sur un épaulement, ou de « dix chèvres alignées, tels des démons barbus aux yeux jaunes »

Anima raconte le quotidien des hommes dans la situation extrême de la transhumance, quand le berger est seul face au troupeaux et aux éléments, tempêtes ou brouillard. L’entraide nécessaire entre les bergers, la relation biaisée au patron, à l’éleveur qui apporte avec les vivres, les croquettes pour les chiens, la rakia, l’alcool que les bergers vont consommer à l’excès. Relation très forte entre les partenaires que l’alcool va abimer. Histoire d’amour ou d’amitié qui ne résistera pas à l’addiction. 

J’en ai déjà trop écrit, à vous de lire Anima, de vous dépayser, de découvrir toutes les richesses cachées du livre.

P.S. J’ajoute que l’objet-livre, comme les précédents, est très beau, belle couverture, beau papier, composition originale.

Andreï Makine – L’ami arménien

RUSSIE

incipit :

« il m’a appris à être celui que je n’étais pas »

Je m’étais promise de lire Makine et je l’avais laissé de côté : quelle erreur. 

L’Ami Arménien est une véritable découverte. Un court roman (188 p.) qui se lit d’un trait. Tout en finesse et en délicatesse.

Roman d’apprentissage. Roman d’amitié entre ces deux adolescents 13 ou 14 ans qui, du fond de la Sibérie, découvrent le monde, l’amitié, la violence, les prisons et la tragédie du génocide arménien. Cette énumération suggère une lecture sombre. Pas du tout, malgré les tragédies qui les entourent, les deux garçons découvrent la légèreté de l’air qui compose les nuages, les étoiles en plein jour, l’étreinte d’un couple d’amoureux, et la beauté du « Royaume d’Arménie » que les exilés ont emporté avec eux en Sibérie au « Bout du Diable ».

« tu veux que je touche le ciel? Comme ça avec mes doigts… »[…] »Là , à notre hauteur, c’est le même air qu’au milieu des nuages, n’est-ce pas? Donc, le ciel commence à partir d’ici, et même plus bas, tout près de la terre – en fait , sous nos semelles »

 

Un point de vue très décalé. Une leçon de vie. Vous allez découvrir des surprises.

Théodoros – Mircea Cartarescu

LITTERATURE ROUMAINE

C’est avec beaucoup de curiosité et d’enthousiasme que j’ai commencé ce gros livre de près de 700 pages. J’aime bien pavés, promesse de longues lectures. Mais Cartarescu m’a perdue dès le premier chapitre entre les Cyclades et l’Ethiopie, la Valachie, mer Egée, Mer Rouge. Entre la Reine de Saba et la Reine Victoria qui envoie son général Napier. Je ne sais où donner de la tête.

Tu n’es pas devenu maître du monde et pantocrator, parce que cette mission était déjà confiée a ton époque, au Christ dans les cieux et à la reine Victoria sur la terre;

Et comme je suis une lectrice têtue, j’ai persisté et je me suis retrouvée en pleine guerre coloniale britannique.

Troisième chapitre, nouveau personnage Kassa, éthiopien, je commence à me repérer quand intervient Sofiana, la mère de Theodoros(dans les Cyclades) alias Tewodoros en Ethiopie, alias Tudor en  Roumanie.

C’est sans doute ainsi que l’Ovide de l’Antiquité, exilé sur les rives de la Grande Mer qui bordait la Valachie, dut supporter le vent scythe et la barbarie des mœurs et ceux auprès desquels il avait été jeté pour périr de froid et de tristesse. Enroulé dans sa toge qui ne parvenait pas à réchauffer le vieux poète…

Les histoires s’enchaînent, sans rapport les unes avec les autres, qui nous mènent jusqu’à San Francisco chez un original qui se voulait aussi empereur. Le livre ressemble à un recueil des Mille et Unes Nuits, contes qui s’empilent plutôt qu’ils ne se suivent. Entre Alexandre et les héros d’Homère et les textes saints. La visite de la Reine de Saba à Salomon, fondatrice pour les éthiopiens qui en tirent leur héritage, est racontée avec force détails. Il y a aussi une série d’histoire en Roumanie.

Souvent les allusions à la religion orthodoxe, version grecque ou éthiopienne, me paraissent totalement incompréhensibles; il est question d’hérésies, d’interprétations des textes saints…

J’ai de plus en plus de mal à faire la liaison entre toutes ces histoires. Après 300 pages de lecture laborieuse, je prends un autre livre, j’alterne roman policier et chapitre de Théodoros pour l’abandonner finalement. Je n’en suis pas fière. L’abandon est la défaite de la lectrice. Si le livre est mauvais, il est justifié . Ce n’est pas le cas de Theodoros, il est simplement trop copieux, j’ai perdu l’appétit.

 

Les Cent Frères de Manol – Anton Dontchev

LIRE POUR LA BULGARIE

Merci à Claudialucia ICI pour ce challenge qui m’a donné l’occasion de retourner en Bulgarie .

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce gros livre (471p.), roman historique retraçant l’islamisation forcée de la  vallée d’Elindenya  dans le Rhodope en 1668, alors que se déroulait le siège  de Candie (Héraklion, Crète).

Deux témoins racontent les faits : le pope Aligorko et un noble français. Ce dernier, capturé pendant le siège de Candie, est devenu l’esclave de Karaïbrahim, envoyé par le sultan Mehmet IV  convertir les Bulgares de la vallée, appelé « Le Vénitien » ou Abdullah, il a été aussi converti à l’Islam. Leurs deux récits alternent et se fondent si bien qu’au début le lecteur doit fournir un certain effort pour attribuer les paroles à l’un ou l’autre des narrateurs.

Cette vallée enclavée vit surtout de l’élevage, les hommes sont bergers . L’aga Süleyman de son konak règne sur le village avec une justice sévère, il possède un cheptel important et il est respecté des bergers. La vallée a  été islamisée précédemment, mais il reste une église et des villageois orthodoxes, Istanbul est loin, l’autorité du sultan ne pèse pas trop. En revanche, les enlèvements d’enfants, pour faire des janissaires se sont répétés si bien que les villageois redoutent de voir leurs enfants, frères dans les troupes du sultan. 

Manol fut un enfant trouvé, allaité par cent mères. Les Cent Frères sont les bergers. Frères de lait peut-être, mais surtout solidaires,  ces rudes montagnards  respectent son autorité naturelle. Quand Karaïbrahim vient dévaster la vallée, Manol a un fils adulte Momtchil et un autre plus jeune Mirtcho.

La montagne, le Rhodope avec ses forêts protectrices, ses gouffres, ses grottes est le sujet central de l’ouvrage. Je me souviens des descriptions de Kapka Kassabova dans Lisière et Elixir . J’ai été fascinée par la succession des saisons, les incendies, l’arrivée de l’automne et c’est sûrement l’aspect qui m’a le plus plu dans le livre. Et en filigrane, le mythe d’Orphée. 

Récit terrible des souffrances infligées et des tortures sophistiquées. Sans la présence des éléments naturels j’aurais peut-être calé à la lecture de tous ces supplices. Après une résistance héroïque, de nombreux  villageois se soumettent et abjurent, à leur tête, le pope préfère la vie et ne voit qu’un seul Dieu, qu’on le nomme Jésus ou Allah.

J’ai aimé ces personnages nombreux, ces contes, ces mythes, tragédie  sans  cesse recommencée. J’ai aimé ce récit complexe loin du manichéisme où même le pire tortionnaire révèle son humanité et les héros, leurs faiblesses.

Vierge jurée – Rene Karabash

BULGARIE

par les ruelles de Rehove

« Ostaïnitsa – une vierge jurée, femme qui fait serment de virginité selon le Kanun de Lekë Dukagjini et commence à mener une vie d’homme et de chef de famille dans des sociétés patriarcales au nord de l’Albanie, au Kosovo, en Macédoine, Serbie, en Croatie en Bosnie. C’est un changement de sexe constitutionnellement admis par un serment qui, une fois prononcé permet à la femme d’acquérir des droit d’un homme dont les femmes sont privées dans ces contrées. »

J’ai déjà rencontré une histoire de Vierge jurée dans Le courage qu’il faut aux rivières d’Emmanuelle Favier ICI

 Le livre de Rene Karabash est traduit du bulgare. L’histoire est contemporaine bien que cette tradition est en voie d’extinction.   Bekia, née fille, alors que son père, Mourash, désirait un garçon, à la veille de son mariage avec un homme qu’elle ne connait pas et n’aime pas, décide de devenir Vierge jurée. Les noces n’auront pas lieu mais la rupture de la parole donnée va entrainer une vendetta selon le kanun. Bekia devenue Matia après la mort de son père va se retrouver seule avec sa vache. 

Cette histoire est racontée en 159 pages, courts chapitres de quelques pages, parfois quelques lignes. Courts textes, parfois en prose, ignorant les majuscules et la ponctuation, parfois en vers libres. Il  faudra remettre les anecdotes dans l’ordre. Ces textes un peu étranges  se lisent cependant facilement. On ne comprend pas tout au début, il faut attendre la fin pour que le puzzle se remette en place. Cela ne fait rien, ce livre a beaucoup de charme avec son étrangéité

Un drame en Livonie – Jules Verne

 

 

Escale dans les Pays Baltes : la Livonie regroupe l’Estonie et la Lettonie.

Comme souvent chez Jules Verne il y a une poursuite haletante dans la forêt russe, un fuyard tente de franchir la frontière, et  échapper à ses poursuivants, aux loups et à la débâcle des fleuves…comment va-t-il s’en sortir?

Autre voyage, en malle-poste de Riga à Pernau (actuellement Pärnu). Les voyages sont des aventures, la malle-poste est accidentée; les voyageurs sont contraints de passer la nuit dans une auberge isolée. L’un d’eux est assassiné. Le roman d’aventures devient roman policier

On était en 1876. Cette idée de russifier les provinces Baltiques datait déjà d’un siècle. Catherine II songeait à cette réforme toute nationale.

L’intrigue se joue dans le contexte de tension politiques entre les Allemands, nobles et grands  bourgeois qui détiennent le pouvoir et les Slaves (les Lettons et les Estes, populations autochtones, paysans), ne rentrent pas en ligne de compte dans ces luttes de pouvoir. Justement, des élections se profilent et le suspect est le prétendant slave aux élections.

Il porta sur l’état des esprits à Riga, le même, d’ailleurs, qui régnait dans les principales villes des
provinces Baltiques. Cette lutte des deux éléments germanique et slave passionnait les plus indifférents.
Avec l’accentuation des énergies politiques, on pouvait prévoir que la bataille serait chaude, 

Qui a donc tué Poch?

On ne s’ennuie pas avec Jules Verne.

Bien sûr, il faut compter avec les préjugés et le vocabulaire de l’époque, les mots « races » ou « aryen » ne sont pas acceptables au XXIème siècle, ils étaient courants à la fin du XIXème. De même, les fiancées parfaites et soumises ne sont plus de mise. Voyages dans l’espace mais aussi dans le temps;