Fuori film de Mario Martone – L’Université de Rebibbia Goliarda Sapienza

UN FILM/UN LIVRE

Portrait de Goliarda Sapienza, l’autrice de L’Art de la Joie. Martone a choisi la période suivant sa sortie de Reb. ibbia, la prison de Rome où l’écrivaine fut incarcérée pour un vol de bijoux. Goliarda ( Valeria Golino)déclassée, a perdu son aura et ses relations mondaines , elle cherche n’importe quel travail pour assurer sa subsistance.  Rendez-vous avec Roberta, une ancienne codétenue (Matilda de Angelis) mystérieuse et fantasque, promenades dans Rome pour notre grand plaisir. Joyeuse sororité, amitié amoureuse et souvenirs de Rebibbia. A la sortie du film j’ai chroniqué « à chaud » .CLIC dans mon blog Toiles Nomades. Et j’ai téléchargé le livre en rentrant.

L’Université de Rebibbia 

Entre ces murs, sans en avoir conscience, on est en train d’essayer quelque chose de vraiment nouveau : la fusion de l’expérience et de l’utopie grâce à la rencontre entre les quelques vieux qui ont su comprendre leur propre vie et les jeunes qui aspirent à apprendre, la formation d’un cercle biologique qui rassemble passé et présent sans fracture, sans mort.

Antidote aux pleurnicheries de Sarkozy ! Un livre joyeux, d’une liberté folle. Récit du séjour à la prison des femmes de Rebibbia en 1980. Après le traumatisme de l’enfermement , l’écrivaine vit son incarcération comme une expérience enrichissante. Elle décrit les impressions, les sensations de son corps dans la cellule  d’isolement, la perception du dehors quand, à sa première promenade, elle voit le ciel, sent le soleil.

La surprise du peu de temps écoulé(il faudrait une étude de plusieurs années et des centaines de pages rien que pour étudier à fond le “temps carcéral”) me bloque, tout le corps en alerte. Le ciel est là, exactement du bleu d’avant, avec ses nuages élégamment distants les uns des autres, trompeurs : je ne dois pas les regarder,
ces formes, elles ne sont que le travestissement momentané des sirènes carcérales. Me bouchant les
oreilles à leur chant, au lieu de me jeter dans le mouvement – mes muscles piaffent exactement comme
ceux d’une jument – je m’avance lentement en regardant pour commencer où est assise la femme de tout à l’heure et quelle est son intention, la guerre ou la paix.

Apprivoiser le mode de vie en prison, rencontrer des femmes qu’elle n’aurait jamais croisées, mais toujours avec la finesse d’analyse et le regard de l’écrivaine. Des images surgissent, une femme en robe à motifs de marguerites devient une prairie fleurie, une gardienne sicilienne a un regard de lave…une Marilyn vieillie, une James Dean qui se la raconte….Des personnages très vivants et pittoresque peuplent le récit. Humour et bienveillance. Et toujours, la classe. Elle est une dame. Quand elle utilise le dialecte, on lui reproche gentiment : cela ne lui va pas!

L’impatience est une ennemie en prison comme sur les bateaux,

Je note avec quelle impatience, justement, la gardienne a rouvert la porte, et c’est comme un coup de
poing dans l’estomac pour moi : elle vit à moitié dehors à moitié dedans, et par conséquent l’impatience
qu’elle apporte avec elle du dehors nous blesse, nous qui avons déjà pris un rythme hors du temps.

Transférée dans les coursives des cellules collectives, elle doit s’imposer apprendre les codes et les coutumes. Elle se fera respecter, devra prouver qu’elle n’est pas une moucharde. Et gagnera l’affection de ses camarades de cellule. Intellectuelle, elle analyse les rapports de classe, les rapports de force. Bienveillante, elle apprécie la sororité, la solidarité de ces femmes, la chaleur humaine et fait de l’emprisonnement une expérience de liberté

Je me suis depuis si peu de temps échappée de l’immense colonie pénitentiaire qui sévit dehors, bagne
social découpé en sections rigides de professions, de classes, d’âges, que cette façon de pouvoir
brusquement être ensemble – citoyennes de tous milieux sociaux, cultures, nationalités – ne peut que m’
apparaître comme une liberté folle, insoupçonnée.

En 1980, juste après les années de plomb, les politiques sont nombreuses dans les prisons italiennes. Goliarda se revendique voleuse, prisonnière de droit commun mais elle est vite repérée par les politiques. Et encore sujet de critique :

Seul le prisonnier politique s’attarde à raconter la prison, mais la raison pour laquelle il y est allé est trop
honorable pour pouvoir donner la mesure de la véritable prison : celle des voleurs, des assassins, pour
parler clairement : des maudits. Le politique en sort renforcé dans son orgueil et son récit est faussé par
ce qu’il a d’épique

Analyse féministe aussi. Les prisonnières ne réagissent pas comme les hommes.

Le fait est, Goliarda, que nous les femmes nous supportons mieux le système carcéral. Évidemment, ça
nous est possible parce que nous avons un passé de coercition et ici, au fond, nous retrouvons une
situation qui n’est pas nouvelle pour nous
[…]
Mais je dis : est-ce que nous avons raison, nous les femmes, d’enterrer toutes les qualités que des siècles d’
esclavage ont développées en nous ?

Ne croyez surtout pas que ce texte soit ennuyeux. Je me suis vraiment amusée à le lire. Tant d’anecdotes sont drôles et si bien racontées. Je ne l’ai pas lâché. Aussi addictif qu’un thriller. Et une formidable leçon d’optimisme

De fait, quand on met le pied sur le rivage du “tout est perdu”, n’est-ce pas justement alors que surgit la
liberté absolue
Page

PS le livre qui aurait plutôt correspondu au film ne serait-il pas Les Certitudes du doute? 

 

Berthe Weill 1865 – 1951 -La petite galeriste des grands artistes – Marianne Le Morvan

EN REVENANT DE L’EXPO DE L’ORANGERIE

J’ai parfois un gros coup de cœur pour un personnage découvert lors d’une exposition. Une découverte! Je n’avais jamais entendu parler de la galériste. Et je n’avais plus envie de la quitter sans mieux la connaître.

Disponible sur Kindle, j’ai téléchargé la biographie que lui a consacré Marianne Le Morvan. Elle est la Directrice et fondatrice des archives de Berthe Weill, elle a aussi été une des commissaires de l’exposition de l’Orangerie. La moitié du livre contient des annexes, bibliographie, liste  et chronologie des expositions que Berthe Weill a organisé, préfaciers des catalogues etc… Du sérieux, une mine pour les chercheurs en histoire de l’art (que j’ai zappé). 

Donc courte biographie qui se lit très vite et avec beaucoup de plaisir.

Kars Portrait de Mademoiselle Berthe

Des illustrations, Montmartre 1900, bals masqués, dessin de Picasso. Des correspondances : lettres  de Dufy qui l’a surnommée « La petite mère Weill »(la petite merveille), lettres de Berthe Weill à Picasso, des extraits de textes très amusants de Berthe Weill dans diverses occasions. Et plein de détails sur la vie des artistes à leurs débuts, à Montmartre.

Elle répond aussi à mes interrogations : comment a-t-elle pu être oubliée? Pourquoi ne s’est-elle pas enrichie?

Maintenant, il ne me reste plus que de lire Pan!… dans l’Oeil que la Galériste a publié en 1933. 

Vous pouvez aussi écouter les podcasts de RadioFrance : CLIC

Et CLIC

Berthe Weill, Galeriste d’avant-garde à l’Orangerie

Exposition temporaire jusqu’au 26 janvier 2026

Georges Kars : Portrait de Berthe Weill (1933)

Deux bonnes raisons d’aller à l’Orangerie voir cette exposition :

  • voir de la belle peinture, : toute une rétrospective des meilleurs artistes de la première moitié du XXème siècle : de Picasso à Chagall, en passant par Dufy, Derain, Modigliani et j’en oublie…
  • Dufy – Trente ans ou la Vie en Rose. A l’occasion des 30 ans de la Galerie B Weill

Faire une très belle rencontre avec une personnalité très originale de l’histoire de l’Art : une femme  juive d’origine modeste qui a eu l’audace d’ouvrir une galerie de peinture sans fortune ni grand nom et dès 1898, d’exposer le tableau Zola aux outrages de De groux. Elle a eu le flair de découvrir Picasso à son arrivée à Paris et être la première à vendre ses tableaux, qui a organisé une rétrospective Modigliani en 1917, la seule avant la mort de l’artiste. Elle  a exposé des styles aussi différents que les Fauves, les Cubistes, les peintres cosmopolites de l’Ecole de Paris. Féministe, elle a défendu des femmes que les critiques hommes faisaient mine d’ignorer, entre autres Suzanne Valadon.

J’achète les trois premiers Picasso

Picasso : La Chambre bleue(1901)

les Picasso sont en très bonne compagnie avec une nature morte de  Matisse et la clownesse de Toulouse-Lautrec. 

Meta Vaux Warrick Fuller
Les Malheurs

Je découvre la sculptrice Meta Vaux Warrick Fuller afro-américaine venue compléter sa formation à Paris qui subit de retour aux Etats Unis de nombreux rejets du fait des préjudices raciaux. Autre découverte pour moi Paco Durrio avec de très beaux bijoux en métal : boucle de ceinture, broche…

Notre Dame des Fauves

La seconde salle montre côte à côte un beau Metzinger – Champ de pavots à côté du paysage aux vaches de Delaunay. Voisinent aussi des Marquet et Dufy, ainsi que le magnifique Pont de Charing Cross de Derain

Delaunay : Le Paysage aux vaches

j’ai aussi bien aimé le cultivateur de De Vlaminck et le Restaurant de la machine à Bougival éclatant de couleurs

De Vlaminck – Le cultivateur

Moins connu Béla Czobel qu’elle expose en 1908

 

Bélà Czobel – L’homme au chapeau de paille.

Deux tableaux spectaculaires de Raoul de Mathan rappellent encore l’Affaire Dreyfus =. le peintre a assisté en 1899 au procès et peint deux toiles en écho : La cour d’Assise et le Cirque

Raoul de Mathan – La cour D’Assise

« Le cubisme soulève les passions » 

André Lhote – Port de Bordeaux.

Sa galerie les expose : Gleizes, Metzinger, Fernand Léger, Lhote. J’ai aimé aussi la tour Eiffel de Diego Rivera (mais je ne peux pas tout montrer). 

« mais qu’ont-ils donc ces nus? »

Modigliani – Nu au collier de corail

Quatre nus de Modigliani font scandale, le commissaire de police demande de les retirer à cause des poils pubiens pour « outrage à la pudeur ».

Groupe plus éclectique

Montre des artistes cosmopolites comme Pascin

Pascin – Portrait de Madame Pascin (Hermine David)

Sans oublier que Madame Pascin était aussi une artiste reconnue, dont quatre dessins sont exposés. Chagall, avec une cage à oiseaux. 

Féministe?

Berthe Weill peinte par Emilie Charmy

Berthe Weill découvre Emilie Charmy en 1905. Leur amitié perdurera à travers les années et c’est cette dernière qui abritera Berthe pendant les persécutions antisémites nazie et prendra la galerie à son nom quand il sera interdit aux juifs de tenir des commerces. 

Portrait d’Emilie Charmy par Pierre Girieud

 

la Petite Dernière – le livre de Fatima Daas – et le film de Hafsia Herzi

UN LIVRE/UN FILM

aux Cinémas du Palais en avant-première

Hafsia Herzi est venue présenter son film La Petite Dernière aux Cinémas du Palais à Créteil la veille de la sortie en salles. Je n’aurais voulu rater  cette occasion de rencontrer la réalisatrice que j’admire beaucoup. Surtout qu’elle n’est pas venue seule, elle était accompagnée de Nadia Meliti et de l’actrice qui joue la mère. 

j’ai beaucoup aimé ce film qui semblait jouer très juste. Sujet délicat: l’homophobie est très présente dans les quartiers mais pas dans le film. Les garçons tolèrent très bien cette fille « garçon-manqué », cela m’a étonné. Côté Paris, bars lesbiens et Gay Pride, très belles images quand Fatima porte sa copine dans le défilé. j’ai consigné mes impressions, sortie de salle, dans mon autre blog Toiles Nomades CLIC

Bien sûr, j’ai voulu lire le livre.

« Ca raconte l’histoire d’une fille qui n’est pas vraiment une fille, qui n’est ni algérienne ni française, ni
clichoise ni parisienne, une musulmane je crois, mais pas une bonne musulmane, une lesbienne avec
une homophobie intégrée. Quoi d’autre ? Je pense très

fort. »

J’ai été surprise par la forme. Roman en prose ou vers libres? Chants murmuré en confidence ou chanté avec l’affirmation « Je m’appelle Fatima Daas. », comme un refrain.  Elle décline ses identités multiples, sa place dans la fratrie, son asthme, les origines de son prénom Fatima la plus jeune fille du prophète, la « petite chamelle sevrée ». 

Je m’appelle Fatima

Je suis une petite chamelle sevrée.

je suis mazoziya, la dernière

Avant moi, il y a trois filles

Mon père espérait que je serais un garçon

Son destin dès sa naissance, ses origines algériennes, et sa religion très assumée, très importante. Sa ville Clichy. Mais aussi son dilemme

Je m’appelle Fatima Daas

Je suis une menteuse

Je suis une pécheresse. 

Je lis d’un trait ce chant.

Je n’y retrouve pas tout à fait la Fatima du film. Et je trouve cela très bien. Les adaptations trop littérales affadissent le texte et l’histoire. La réalisatrice a choisi une période courte dans la vie de l’héroïne : la dernière année au lycée et ses premières expériences d’étudiante à Paris avec la découverte de la sexualité, de l’amour, du milieu lesbien. Elle  fait de Fatima une sportive, fan de foot. Ce n’était pas dans le texte et pourtant c’est très bien. Elle a montré la jeune fille faire ses prières, une visite à la mosquée mais n’a pas donné à la religion toute la place qu’elle tient dans le livre. Peut être plus difficile à mettre en scène.

j’ai aimé les deux, le film et le livre et j’ai apprécié qu’ils ne soient pas identiques. Quoique fidèle.

Agnès Thurnauer – Correspondances – Musée Cognac Jay

 marie Thérèse de SavoieExposition temporaire jusqu’au 8 février 2026

Emmanuelle Kant « Portrait Grandeur Nature « et Angelica Kauffmann Autoportrait en bacchante

Le Musée Cognac Jay réunit les collections XVIIIème siècle des fondateurs de la Samaritaine.  Rue Elzevir, non loin de Carnavalet dans un joli hôtel particulier, l’hôtel Donon. Les pièces d’exposition sont particulièrement soignées avec des boiseries d’époque. Les tableaux et bibelots sont présentés avec des meubles précieux . Même hors exposition la visite des collections permanentes vaut la visite. 

Salon Boucher une des plus belles pièces du musée

Dans Correspondances, Agnès Thurnauer projette un éclairage contemporain sur l’art du 18ème siècle et plus particulièrement sur cette période-clé où les femmes peintres, comme Vigée-Lebrun, savantes La marquise de Chatelet ou Madame de Staël ont su s’imposer dans un monde masculin. Deux « Portraits Grandeur Nature » EMMANUELLE KANT et FRANCOISE BOUCHER  gros badges comme des pins monstrueux donnent le la. Exposition radicalement féministe. 

Un merveilleux Canaletto est accompagné de 7 petits tableaux de nuages avec l’inscription NOW.  Commentaire de  Agnès Thurnauer :

« une œuvre est plus contemporaine du regard que l’on pose sur elle que de l’époque où elle a été produite »

La plasticienne va orienter le regard du visiteur, établir des Correspondances entre les œuvres du 18ème S. et son travail exposé. 

La salle suivante aura pour thème : Le Corps à l’Œuvre 

Sleepwalker – Vénus de Poncet et au sol matrices de lettres

 Il faut aussi confronter cet ensemble à l‘Odalisque de Boucher où le corps de la femme est livré comme objet de désir. Sleepwalker accumule les mots de l’artiste acrylique … académique … composition… dyptique… et par dessus le texte, le corps de l’artiste, nue de dos apparait sujet et non pas objet . L’artiste s’affirme créatrice et n’a pas peur à se représenter nue. 

Perrette et le pot au lait (détail)

Performance au féminin occupe la salle suivante .

La figure centrale est Perrette et le Pot au Lait de Fragonard présenté ainsi par les Frères Goncourt

« La laitière du pot au lait montre ses jambes et pleure comme une naïade sur son urne brisée »

Regard masculin érotisé. Perrette pleure-t-elle ses rêves de fortune ou sa vertu perdue?

Agnès Thurnauer : Le Corps à l’œuvre

Ce n’est plus une petite fille éplorée mais une femme puissante dont les seins gonflés rappellent le lait perdu. Elle montre ses jambes bien campées au sol. Seules les couleurs sont celles de Perrette!

Lire, Ecrire, Se Représenter

Emilie e Breteuil Marquise du Châtelet

Cette salle met à l’honneur des femmes majeures du Siècle des Lumières. la figure centrale est Emilie de Breteuil, marquise du Châtelet, mathématicienne, physicienne, traductrice de Newton, représentée ici avec un compas. 

Madame de Staël citée sur la cimaise :

Les femmes : « tantôt elle sont tout, tantôt elle ne sont rien. Leur destinée ressemble à quelques égard à celles des affranchis chez les empereurs, si elles ont du pouvoir, on leur rappelle, si elles sont esclave on opprime leur destinée… »

Prédelles entourant Marie Thérèse de Savoie

Agnès Thurnauer expose les portraits d’autres femmes savantes intercalés entre ses Prédelles noter l’homophonie prédelle/près d’elles.

Le Goût du 18ème siècle

Bonheur du jour

nous entrons dans les collections permanentes avec toutes sortes de bibelots, tableautins, médailles, porcelaine de Meissen. Coup de cœur pour les meubles marquetés et surtout les joli Bonheur du Jour. 

Il faudrait aussi montrer les statuettes, les tableaux d’Hubert Robert, de Boucher, Fragonard…..Je ne pouvais pas fair l’impasse sur l’âne de Balaam de Rembrandt

Rembrandt Ane de Balaam

 

Si je n’ai pas été convaincue par toutes les œuvres d’Agnès Thurnauer abusant de procédés répétitifs avec les lettres, en revanche le regard féministe décalé en fait une merveilleuse pédagogue. Elle guide notre regard, nous apprend à interpréter une œuvre. C’est aussi une féministe résolue qui met en avant des artistes un peu oubliées. 

Alice Guy – Catel&Boquet – Casterman

LES CLANDESTINES DE L’HISTOIRE

J’ai découvert cette série de romans graphiques avec Olympe de Gouge puis Anita Conti qui ont été des coups de cœur, j’ai aimé Joséphine Baker, un peu moins le personnage de Kiki de Montparnasse. Dès que j’ai trouvé Alice Guy à la médiathèque je me suis précipitée. 

Je connaissais le nom d‘Alice Guy, mais juste son nom, ni ses films ni sa vie. 

J’ai donc découvert sa biographie dans le gros roman graphique de Catel&Boquet qui retrace l’histoire du cinéma, avec les essais, les tâtonnements, les machines aux noms savants à racines grecques Chronophotographe,  Biographe, Bioscope, Phonoscope, et j’en passe. Chacun brevetant un appareil soi-disant original, avec querelles menant au tribunal. Intéressante rivalité entre les scientifiques perfectionnant la technique et les créateurs. Après les premiers films des Frères Lumière, Alice Guy, la première à imaginer des fictions à embaucher des scénaristes et avec Léon Gaumont à envisager la production à grande échelle, la construction de studios de tournage aux Buttes Chaumont. Comme toujours Catel et Boquet contextualisent leur biographie dans les décors précis et soignés, nous racontent l’Exposition Universelle de 1900, ou l’incendie du Bazar de la Charité. 

Comment une personnalité aussi originale et importante a disparu de l’Histoire du Cinéma alors qu’on se souvient des Frères Lumière ou de Méliès? Sa déconfiture financière à son retour des Etats Unis explique peut-être cet oubli?

Histoire du Cinéma, mais aussi Histoire des Femmes. A toutes les étapes de sa vie Alice Guy a été confrontée au machisme. On imaginerait Meetoo quand jeune secrétaire, elle fait face à des personnages grossiers. on imagine la force de caractère pour s’imposer dans ce milieu masculin sans jamais faire de concession. C’est beaucoup plus tard, aux USA, mariée, mère de famille que le patriarcat la rattrape quand son mari fait mauvais usage de sa fortune et la trompe. Rentrée en France, elle ne retrouve pas sa position d’avant son départ en Amérique

Histoire passionnante, accompagnée comme toujours dans cette collection de chronologie et de fiches biographiques des personnages secondaire. Si c’est peut être moins un coup de coeur que pour les deux premiers ouvrages, c’est peut-être seulement parce que l’effet de surprise s’est émoussé. Peut être aussi parce que la longue introduction : enfance ballottée de France au Chili, en Suisse et les études dans différents couvents m’a paru un peu longue. On entre dans le vif du sujet uniquement après 90 pages. J’aurai préféré un plan resserré sur l’enfance et plus de détails sur la dernière partie de la vie d’Alice.

Indiana – George Sand

« C’était une créature toute petite, toute mignonne, toute déliée; une beauté de salon que la lueur vive des bougies rendait féerique et qu’un rayon de soleil eût ternie. En dansant, elle était si légère, qu’un souffle eût suffi pour l’enlever; mais elle était légère sans vivacité, sans plaisir. Assise, elle se courbait comme si son corps trop souple n’eût pas eu la force de se soutenir; et, quand elle parlait, elle souriait et avait l’air triste. »

Indiana, jeune créole de l’Île Bourbon a suivi son vieux mari, colonel de l’armée de Napoléon, industriel dans le domaine de Lagny à proximité de Melun.

Elle n’aima pas son mari, par la seule raison peut-être qu’on lui faisait un devoir de l’aimer, et que
résister mentalement à toute espèce de contrainte morale était devenu chez elle une seconde nature, un
principe de conduite, une loi de conscience.

Premier roman publié sous le nom George Sand en 1832 après des publications en collaboration avec Jules Sandeau.  

Indiana, est entourée par sa servante créole, Noun, et son cousin Ralph, personnage falot. Elle tombe amoureuse de Raymon de Ramière, son voisin, jeune homme brillant, qui la séduit facilement mais à qui elle résiste longtemps,. Pieuse et vertueuse, elle a des scrupules à tromper son mari, que par ailleurs elle craint, jaloux et violent. L’amourette traîne jusqu’à ce que la belle cède. Après la conquête, Raymon ne ressent plus l’intérêt de ce qui va devenir un scandale. Il se lasse et la chasse. C’est bien écrit, finement analysé, mais je m’ennuie . Indiana est bien naïve. Le dénouement est prévisible. 

Indiana, oie blanche, ne m’enchante pas . En revanche la charge très spirituelle contre l’ « honnête homme » son contemporain est passionnante. On voit toutes les ruses, les faiblesses des séducteurs.

Savez-vous ce qu’en province on appelle un honnête homme ? C’est celui qui n’empiète pas sur le champ
de son voisin, qui n’exige pas de ses débiteurs un sou de plus qu’ils ne lui doivent, qui ôte son chapeau à
tout individu qui le salue; c’est celui qui ne viole pas les filles sur la voie publique, qui ne met le feu à la
grange de personne, qui ne détrousse pas les passants au coin de son parc. Pourvu qu’il respecte
religieusement la vie et la bourse de ses concitoyens, on ne lui demande pas compte d’autre chose. Il peut
battre sa femme, maltraiter ses gens, ruiner ses enfants, cela regarde personne. La société ne condamne
que les actes qui lui sont nuisibles; la vie privée n’est pas de son ressort.

La fortune tourne, Le Colonel Delmare est ruiné . Il va tenter sa chance à La Réunion (Île Bourbon). Indiana suit son mari mais aime toujours Raymon… 

Cette deuxième partie de livre est plus aventureuse avec des rebondissements inattendus.  J’ai aussi aimé l’évocation de la nature dans ce décor exotique et je me suis laissé emporter par cette lecture avec plaisir. 

Podcast : Et si vous voulez approfondir, ou au contraire découvrir George Sand , un podcast passionnant qui parle d’Indiana https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/george-sand-vie-singuliere-d-une-auteure-majuscule/masculin-feminin-l-invention-de-soi-3698852

Jamais d’autre que toi – Rupert Thomson

“Masculin, féminin, tout ça je peux faire. Mais neutre – c’est là que je me sens à l’aise. Je ne me laisserai pas enfermer dans un rôle ni mettre en boîte. Jamais. J’aurai toujours le choix.”

J’ai « rencontré » Claude Cahun la première fois à l’Exposition Pionnières CLICau musée du Luxembourg. Une deuxième fois sur un podcast de RadioFrance qui raconte la Résistance surréaliste de Claude Cahun et de Suzanne Malherbe, sa compagne sur l’île de Jersey CLIC contre l’occupant nazi. Dernièrement, un documentaire sur Arte leur est consacré.

Avant notre départ pour Guernesey j’ai cherché un livre pour nous accompagner. Certes, l’action se déroule à Paris et à Jersey, île voisine. Mais l’occupation allemande sur Jersey et Guernesey ont marqué l’histoire de ces deux îles jusqu’aujourd’hui encore. 

Jamais d’autre que toi raconte l’histoire d’amour de Lucie Schwob et Suzanne Malherbe qui commença à l’adolescence, à Nantes pour durer toute leur vie. La narratrice est Suzanne. 

« Je ne nous considère pas comme des lesbiennes, dit-elle. Nous sommes simplement deux personnes – deux personnes dont il se trouve qu’elles s’aiment. — Nous sommes des femmes dont il se trouve qu’ elles s’aiment, dis-je. — Le genre n’a rien à voir. Je t’aimerais quoi que tu sois. Homme, femme, hermaphrodite…” 

Au tout début du XXème siècle, l’homosexualité féminine était complètement ignorée et non pas réprouvée comme l’homosexualité masculine. C’est donc en toute bonne foi que le père de Lucie Schwob confie Lucie, anorexique et dépressive, à la garde de Suzanne Malherbe de deux ans plus âgée. Les deux jeunes filles partent ensemble en vacances et partagent leur quotidien sans problème. Elle seront encore plus proches, demi-soeurs quand la mère de Suzanne épouse le père de Lucie. 

Artistes toutes les deux, Lucie est poète, Suzanne plasticienne. Elles inventent leur vie, se créent des identités, changent de nom Lucie devient Claude, Suzanne, Marcel. Elles jouent avec les apparences physiques

. Claude se rase le crâne, adore être prise pour un homme. Toutes deux se photographient dans des mises en scène androgynes ou carrément surréalistes.

Signé Moore

Elles fréquentent les surréalistes :

« André Breton, Robert Desnos, Philippe Soupault… C’est plus tard seulement que j’ai pris conscience de ce que signifiait ce dont j’avais été témoin ce soir-là – non de la naissance du surréalisme, sans doute, mais d’un aperçu du mouvement dans sa petite enfance. »

Nous ne fîmes néanmoins aucune tentative pour nous joindre à eux. […] il nous semblait que le mouvement était dominé par des hommes apparemment peu disposés à prendre les femmes au sérieux, ou incapables de le faire, et qui considéraient l’homosexualité avec méfiance, voire dégoût. En outre, nous n’étions pas réellement intéressées par l’affiliation.

Jamais d’autre que toi est un roman historique racontant la vie artistique et littéraire à Paris , on croise aussi Michaux, Gertrud Stein, Marguerite Moreno et des acteurs de théâtre un peu oubliés, Foujita, Dali…

A l’approche de la Seconde Guerre mondiale, Lucie qui a déjà souffert de l’antisémitisme pendant son enfance pressent le drame qui se noue et les deux femmes vont chercher un refuge à Jersey. 

. Nous allions partir à Jersey, avec ses plages idylliques, ses vallons et ravins verdoyants, son délicieux isolement. Des amis viendraient de temps en temps nous rendre visite, mais nous aurions l’intimité et la paix. Notre vie serait tranquille, nous ferions des photographies. Nous nous aimerions

La paix? c’était sans compter l’invasion des îles anglo-normandes par les nazis qui les fortifièrent en les transformant en véritable bastion. Et les deux femmes deviennent un réseau de Résistance à elles toutes seules.

Plus tard, j’appris que les Allemands avaient un nom pour les gens comme nous, qui refusaient de reconnaître leur présence. Ils nous appelaient les “fantômes”. Comme il était curieux, me disais-je, qu’ils aient pensé à inverser ainsi les choses. Nous les traitions comme s’ils n’existaient pas et pourtant, d’une certaine façon, c’étaient nous qui étions devenus invisibles.

Elles agissent avec leurs talents : les mots et les dessins, rédigeant des tracts illustrés très impertinents dans un allemand parfait que possède Suzanne. Elle font croire que des séditieux sont infiltrés dans les troupes allemandes. Elles collent leurs tracts dans les endroits judicieux jusque dans les poches et les chaussures des officiers allemands. Elles vont même jusqu’à afficher une banderole dans le cimetière autour de l’église comparant la grandeur de Jésus à celle de Hitler. Provocations dans le plus pur surréalisme!

Dénoncées, elles sont incarcérées en 1944 et condamnées à mort. Un suicide raté leur sauvera la vie, leur épargnant la déportation.

Claude Cahun photographiée  par Suzanne avec l’aigle nazi dans la bouche.

Des personnalités remarquables, une histoire passionnante.

A lire, même si vous ne vous embarquez pas pour Jersey!

Le voyage à Paimpol – Dorothée Letessier

« J’étouffe, je vais prendre un bol d’air. À bientôt, je t’embrasse. Maryvonne. »

Maryvonne, ouvrière à Saint Brieuc, mariée, mère d’un petit garçon, à la faveur d’un arrêt maladie, décide de s’offrir des vacances. Elle prend le car pour Paimpol. Ce n’est pas bien loin : 45 kilomètres.

« On arrive à Paimpol. C’est drôle. C’est là que j’ai voulu aller. Paimpol, cela ne fait pas sérieux, c’est un
nom d’opérette, Paim-pol, Paim-Paul, Pain-Pôle, Pin-Paule, Paimpol, un nom tout rond, impossible à
chuchoter. La Paimpolaise… Paimpol et sa falaise… des relents de folklore bouffon me font sourire toute
seule. »

Nous partons en vacances à Port-Blanc, nous irons à Paimpol chercher la falaise. J’ai téléchargé le roman pour nous accompagner en Bretagne. Titre trompeur : pas du tout de la littérature de voyage. Du Paimpol de Maryvonne, nous ne connaîtrons qu’une chambre d’hôtel avec une belle salle de bain, un salon de coiffure et l’aventure se terminera à Monoprix. Sans voir la falaise. 

Ce roman féministe est paru en 1980 .  Gallimard l’a ressorti en mai 2025  Il est augmenté de deux préfaces de Maylis de Kerangal et de Rebecca Zlotowski. Très bien écrites ces préfaces, mais redondantes, disproportionnées, pour un court livre qui se suffit à lui-même et que j’aurais préféré découvrir par moi-même.

Roman féministe, roman social. Maryvonne et son mari travaillent à l’usine Chaffauteaux  qui comptait  2200 ouvriersdans les années 80.La grosse usine de métallurgie a fermé en 2009 ICI  Ce livre est un témoignage du travail en usine, des grèves menées. Maryvonne, déléguée syndicale a été une des porte-paroles des grévistes. Erosion de son couple, ennui de la vie de mère de famille étouffante. Elle décide de partir quelques jours, de vivre un rêve, de bouleverser le quotidien.

Sans valise ni alliance, je me grise de cette bolée de liberté. À l’heure qu’il est, je devrais être au boulot

Mais que faire de cette aventure? La vie d’usine, le ménage occupent son esprit. Ce n’est pas facile de s’inventer une vie. Alors Maryvonne achète un flacon de bain moussant .

Elle se  fantasme en Marilyn dans la baignoire de l’hôtel :

Marilyn vaporeuse. Marilyn voluptueuse. Marilyn pulpeuse, langoureuse. Marilyn amollie, abolie. Marilyn jouit […] Marilyn a du poil aux pattes. Marilyn a de gros genoux. Marilyn travaille à la chaîne. Marilyn s’appelle
Maryvonne. Et Maryvonne a les seins qui tombent.

Pas facile d’affronter le regard des autres, de la gérante de l’hôtel, des clientes habillée avec quatre fois le salaire mensuel de Maryvonne.

Toujours d’actualité presque un demi-siècle plus tard? Sûrement pour le quotidien de la mère de famille. Mais l’usine a été délocalisée!

Femme Vie Liberté sous la Direction de Marjane Satrapi

BD ET PLUS…..

Ce gros album(271 pages)m’a tout de suite interpellée. Dans le fracas et les bruits de bottes et de bombes sur Gaza, l’Ukraine on oublie d’autres guerres, d’autres révolutions. Ce livre est un épais dossier sur la lutte des Femmes iraniennes et des hommes .

Nous connaissons tous Marjane Satrapi et Persepolis publié entre 2000 et 2003 puis adapté au cinéma. Dans Femme Vie Liberté elle a plutôt un rôle d’éditrice réunissant 22 auteurs, dessinateurs, journalistes, historiens pour raconter la révolution à la suite de la mort de Mahsa Amini dans un dossier très complet. 

Comme souvent dans les Bandes Dessinées ou les Romans Graphiques, les auteurs travaillent par paire. Et nous retrouvons des noms bien connus comme Catel, Coco, Joann Sfar collaborant avec des iraniens, politologues, historiens,  dessinateurs, journalistes spécialistes de l’Iran. C’est donc un dossier très bien documenté qui replace la révolution « femme vie liberté » dans un contexte historique ou sociologique. Il prend en compte les évènements dans la vie quotidienne iranienne, retrace des faits tragiques comme les pendaisons des opposants, les tortures, l’empoisonnement des écolières. Sans oublier la diaspora iranienne  puisque l’exil est souvent la seule solution de survie pour nombreux opposants. 

Plaisir des illustrations très variées, Noir et Blanc, mais aussi couleur. Rouge sang des pages d’introduction de chaque chapitre.

C’est Ramadan, tu jeûnes ou non?

Nous entrons dans la vie quotidienne d’iraniens et d’iraniennes beaucoup plus contemporains que nous pourrions l’imaginer qui vont skier à la montagne, et au stade supporter les matches de foot. Il faut imaginer le maquillage comme un acte de résistance. C’est fou les risques que les jeunes prennent!

Tout un chapitre illustre l’hymne de la Révolte : Barâyé , chanson « pour » en persan publiée par Shervin Hajipour sur Instagramm qui a fait le tour du monde…

Et le chapitre de la fin (ou presque) est offert par Yoann Sfar qui déclare avec son humour si spécial

« Ils arrivent, deux chercheurs iraniens et un journaliste. Des fleurs en main pour Marjane. Deux femmes sont les éditrices de l’ouvrage.  En BD, maintenant, ils font des « collections sciences humaines ». Ils ont des éditrices universitaires. Houlala, au secours. Ca risque de devenir quelque chose, la BD. »