UN FILM/UN LIVRE

Portrait de Goliarda Sapienza, l’autrice de L’Art de la Joie. Martone a choisi la période suivant sa sortie de Reb. ibbia, la prison de Rome où l’écrivaine fut incarcérée pour un vol de bijoux. Goliarda ( Valeria Golino)déclassée, a perdu son aura et ses relations mondaines , elle cherche n’importe quel travail pour assurer sa subsistance. Rendez-vous avec Roberta, une ancienne codétenue (Matilda de Angelis) mystérieuse et fantasque, promenades dans Rome pour notre grand plaisir. Joyeuse sororité, amitié amoureuse et souvenirs de Rebibbia. A la sortie du film j’ai chroniqué « à chaud » .CLIC dans mon blog Toiles Nomades. Et j’ai téléchargé le livre en rentrant.
L’Université de Rebibbia

Entre ces murs, sans en avoir conscience, on est en train d’essayer quelque chose de vraiment nouveau : la fusion de l’expérience et de l’utopie grâce à la rencontre entre les quelques vieux qui ont su comprendre leur propre vie et les jeunes qui aspirent à apprendre, la formation d’un cercle biologique qui rassemble passé et présent sans fracture, sans mort.
Antidote aux pleurnicheries de Sarkozy ! Un livre joyeux, d’une liberté folle. Récit du séjour à la prison des femmes de Rebibbia en 1980. Après le traumatisme de l’enfermement , l’écrivaine vit son incarcération comme une expérience enrichissante. Elle décrit les impressions, les sensations de son corps dans la cellule d’isolement, la perception du dehors quand, à sa première promenade, elle voit le ciel, sent le soleil.
La surprise du peu de temps écoulé(il faudrait une étude de plusieurs années et des centaines de pages rien que pour étudier à fond le “temps carcéral”) me bloque, tout le corps en alerte. Le ciel est là, exactement du bleu d’avant, avec ses nuages élégamment distants les uns des autres, trompeurs : je ne dois pas les regarder,
ces formes, elles ne sont que le travestissement momentané des sirènes carcérales. Me bouchant les
oreilles à leur chant, au lieu de me jeter dans le mouvement – mes muscles piaffent exactement comme
ceux d’une jument – je m’avance lentement en regardant pour commencer où est assise la femme de tout à l’heure et quelle est son intention, la guerre ou la paix.
Apprivoiser le mode de vie en prison, rencontrer des femmes qu’elle n’aurait jamais croisées, mais toujours avec la finesse d’analyse et le regard de l’écrivaine. Des images surgissent, une femme en robe à motifs de marguerites devient une prairie fleurie, une gardienne sicilienne a un regard de lave…une Marilyn vieillie, une James Dean qui se la raconte….Des personnages très vivants et pittoresque peuplent le récit. Humour et bienveillance. Et toujours, la classe. Elle est une dame. Quand elle utilise le dialecte, on lui reproche gentiment : cela ne lui va pas!
L’impatience est une ennemie en prison comme sur les bateaux,
Je note avec quelle impatience, justement, la gardienne a rouvert la porte, et c’est comme un coup de
poing dans l’estomac pour moi : elle vit à moitié dehors à moitié dedans, et par conséquent l’impatience
qu’elle apporte avec elle du dehors nous blesse, nous qui avons déjà pris un rythme hors du temps.
Transférée dans les coursives des cellules collectives, elle doit s’imposer apprendre les codes et les coutumes. Elle se fera respecter, devra prouver qu’elle n’est pas une moucharde. Et gagnera l’affection de ses camarades de cellule. Intellectuelle, elle analyse les rapports de classe, les rapports de force. Bienveillante, elle apprécie la sororité, la solidarité de ces femmes, la chaleur humaine et fait de l’emprisonnement une expérience de liberté
Je me suis depuis si peu de temps échappée de l’immense colonie pénitentiaire qui sévit dehors, bagne
social découpé en sections rigides de professions, de classes, d’âges, que cette façon de pouvoir
brusquement être ensemble – citoyennes de tous milieux sociaux, cultures, nationalités – ne peut que m’
apparaître comme une liberté folle, insoupçonnée.
En 1980, juste après les années de plomb, les politiques sont nombreuses dans les prisons italiennes. Goliarda se revendique voleuse, prisonnière de droit commun mais elle est vite repérée par les politiques. Et encore sujet de critique :
Seul le prisonnier politique s’attarde à raconter la prison, mais la raison pour laquelle il y est allé est trop
honorable pour pouvoir donner la mesure de la véritable prison : celle des voleurs, des assassins, pour
parler clairement : des maudits. Le politique en sort renforcé dans son orgueil et son récit est faussé par
ce qu’il a d’épique
Analyse féministe aussi. Les prisonnières ne réagissent pas comme les hommes.
Le fait est, Goliarda, que nous les femmes nous supportons mieux le système carcéral. Évidemment, ça
nous est possible parce que nous avons un passé de coercition et ici, au fond, nous retrouvons une
situation qui n’est pas nouvelle pour nous
[…]
Mais je dis : est-ce que nous avons raison, nous les femmes, d’enterrer toutes les qualités que des siècles d’
esclavage ont développées en nous ?
Ne croyez surtout pas que ce texte soit ennuyeux. Je me suis vraiment amusée à le lire. Tant d’anecdotes sont drôles et si bien racontées. Je ne l’ai pas lâché. Aussi addictif qu’un thriller. Et une formidable leçon d’optimisme
De fait, quand on met le pied sur le rivage du “tout est perdu”, n’est-ce pas justement alors que surgit la
liberté absolue
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PS le livre qui aurait plutôt correspondu au film ne serait-il pas Les Certitudes du doute?



































