Aimer Israël, soutenir la Palestine – Nir Avishai Cohen – trad. Bertrand Bloch – l’Harmattan

 APRES LE  7 OCTOBRE … 

Depuis le 7 Octobre, l’actualité s’impose avec des images très douloureuses. Grâce à Facebook, j’obtiens des documents, au jour le jour, sur la page de LA PAIX MAINTENANT, la Newsletter de +972,. Je guette les prises de parole des écrivains israéliens que je suis depuis longtemps. Après la stupeur, les voix ont mis du temps à se faire entendre : David Grossman et sa tribune dans La Repubblica, Dror Mishani, Au ras du sol. Les paroles prémonitoires d’Amos Oz.  Et récemment, de nombreux officiers. 

Aimer Israël, soutenir la Palestine est un court essai de 212 pages, écrit et publié à compte d’auteur en 2022, traduit récemment par Bertrand Bloch avec un addendum rédigé après le 7 Octobre.

En 12 chapitres, Nir Avishaï Cohen présente son soutien à la solution à deux états et une analyse très pointue de la situation politique en Israël. Cet essai est très agréable à lire parce qu’il se lit comme un roman. Nir Avishai Cohen se raconte depuis son enfance dans un moshav, puis son service militaire, ses périodes de réserve, et son engagement politique au sein du parti Meretz et dans « Breaking the silence » organisation d’anciens militaires témoignant de l’action des militaires dans les Territoires occupés. 

Bien qu’il ait été vilipendé, traité de traitre, même insulté de kapo, Nir Avishai Cohen se présente comme un patriote, un combattant, un officier de Tsahal qu’il ne renie jamais.

« Oui, c’est comme ça aujourd’hui dans de nombreux endroits en Israël: si vous ne faites pas partie du courant dominant, vous êtes automatiquement quelqu’un qui hait les Juifs et un ennemi de votre pays. »

Il raconte comment il a pris conscience des aspects négatifs de la colonisation au fil de son histoire personnelle et de ses faits d’armes. Jeune recrue, il n’a pas eu conscience tout de suite des conséquences de ses actions, au Liban d’abord puis dans les territoires :

« au plus profond de moi que les deux valeurs fondamentales dans lesquelles j’avais grandi, l’amour de la terre et l’amour de l’autre, étaient bafouées. Ces valeurs n’étaient pas prises en compte à Jénine en 2002. Mes actions militaires n’avaient rien à voir avec cet amour de la terre et mon respect de l’autre. »
Cette prise de conscience n’a pas été immédiate du fait du lavage de cerveau que tous subissent.
C’est un véritable lavage de cerveau orienté à droite, qui glorifie les colonies, et maintient ces jeunes dans une ignorance certaine. Moins ces garçons et ces filles en savent, plus le système peut introduire dans leur cerveau le mantra “Les Arabes sont mauvais et les Juifs sont bons”.
Ajouter à ceci qu’il n’est pas souhaitable de douter ou de discuter. Un militaire agit d’abord et réfléchit (peut-être) après….
Il découvre finalement un véritable apartheid. Son sens moral, et ses conviction démocratiques, ne sont pas les seuls arguments. Selon lui, défendre les colonies est aussi une très mauvaise stratégie pour la défense d’Israël :
de plus, les colonies nuisent à la sécurité du pays puisque leurs positions rendent impossible le tracé d’une frontière solide entre les Palestiniens et l’État d’Israël.
Les colonies constituent aussi un véritable obstacle, probablement le seul, à un traité de paix entre Israël et les Palestiniens
Le lecteur suit le cheminement de la pensée dans ces témoignages criants qui débouchent sur l’action militante. Une voix discordante porteuse d’optimisme quand même.
J’aime mon pays, mais je n’en suis pas fier. J’aspire à ce moment où je serai fier d’Israël, où je pourrai parcourir le monde et dire fièrement que je suis Israélien. Je crois que ce jour viendra; le bien finira par prévaloir.
d’avoir présenté cet ouvrage illustré d’une belle carte.

La Fissure – Carlos Spottorno – Guillermo Abril – Gallimard bandes dessinées

Classé BD Doc., je l’ai emprunté à la médiathèque sans l’ouvrir. Format BD bros album de 170 pages. Une claque!

J’attendais une bande dessinée, point de dessins : des photos. Soigneusement encadrées de noir, disposées comme les vignettes d’une bande dessinée. Si le sujet n’était pas aussi grave, on penserait à un roman-photo. Plutôt un photo-reportage. Très belles photos, très travaillées. Noir et blanc ou sépia avec des plages colorisées. Le gris domine ou le marron, avec des personnages colorés, des plages vertes de l’herbe parfois….Et le thème récurrent des hommes en route, des barbelés, des miradors.

Publié en Espagnol en 2016, ce reportage glaçant est prémonitoire. Il annonce les guerres actuelles, les faiblesses de l’Europe, ses fissures.

« Cela fait quelques temps que nous y réfléchissons. En suivant la frontière extérieure, la grande fissure, nous avons trouvé des dizaines d’entailles  dans le rêve européen. C’est l’immense faille des réfugiés, les brèches du nationalisme, la fermeture des frontières et l’ombre du Brexit ; le populisme et l’islamophobie, la crise qui a opposé le Nord et le sud, la f^lère d’un bloc de l’Est qui considère Bruxelles comme la nouvelle Moscou, les cassures de la Syrie, de l’Orak, fr la Lybie. Et puis il y a la Russie, une énorme crevasse sur laquelle nous voulons à présent nous pencher »

Le livre rassemble plusieurs reportages des journalistes espagnols, Carlos Spottorno, photographe et Guillermo Abril, grand reporter pour El Pais Semanal en divers points brûlants des frontières de l’Europe : Mellila et sa haute barrière que les Africains sautent. Passages de Syriens de Turquie en Europe, à Lesbos, en Thrace et en Bulgarie.

Lampedusa : ils rapportent un reportage de l’Opération mare nostrum sauvetage en Méditerranée de bateau de migrants. (2014)

Ils suivent les colonnes de migrants à travers la Hongrie, la Serbie, la Croatie, toujours des barbelés à franchir!

La deuxième partie de l’ouvrage les conduit plus au Nord et plus à l’Est : Pologne, Lituanie, Estonie, Finlande aux frontières de la Russie alors que la première guerre d’Ukraine fait rage au Dombass, avec l’annexion de la Crimée et l’intervention de Poutine en Syrie. La  présence des réfugiés est toujours là mais la menace se fait plus précise : Kaliningrad, Narva et même au delà du cercle polaire.

Les fissures dans la glace de la banquise symboliseraient elles  ces cassures   préfigurant les conflits d’aujourd’hui?

La Basilique Saint Denis : tombeaux des rois et des reines

TOURISTE DANS MA VILLE

Gisants Pépin le bref et Berthe au grand pied

Pourquoi n’ai-je jamais fait cette visite?

Depuis les Jeux Olympiques, j’ai découvert que Saint Denis était tout à fait accessible (RER D, métro ligne 13 et 14).  Aucune excuse. Comme je suis un peu perdue dans les Mérovingiens, Carolingiens, les Capétiens, Valois et Bourbons, j’ai opté pour une visite guidée de Explore Paris. 

La visite commence devant une maquette de la ville, de nombreux édifices ont disparu, la Basilique avait deux tours dont une de 90 m, la Tour nord qui, fissurée, fut démontée en 1846. Elle est cette année en cours de reconstruction dans un chantier-école. Autre édifice disparu : la Rotonde des Valois qui devait abriter le mausolée de Henri II  et Catherine de Medicis. 

Porche gothique et rosace

Notre conférencier insiste sur le caractère complexe de l’édifice, construit par petits bouts sur une église mérovingienne, puis romane, enfin gothique. Ce serait la première manifestation du gothique dans le monde .

Chœur gothique

L’abbé Suger (1081 -1151), abbé de Saint Denis reconstruit de 1140 à 1144 le chevet lumineux avec ses merveilleux vitraux. Aérien, les murs ont presque disparu la lumière inonde l’église.

Constructions, destructions aussi. La Révolution a pris la Basilique pour cible : symbole de la Royauté et de l’Eglise. Au XIX ème siècle, Viollet-le-duc, entreprend la restauration avec le démontage de la tour nord, la restauration de la crypte. Il veut faire de Saint Denis un musée et réarrange les gisants. Ils sont le plus souvent sculptés dans le marbre blanc, idéalisés porteur de la couronne royale et du sceptre, reposant parfois sur une plaque de marbre noir de Tournai. Aucune ressemblance pour ceux qui ont été sculptés des siècles après la disparition. Les gisants de  Pépin le bref (708)et Berthe au Grand Pied (790) ont été commandés par Louis IX (1226-1270) donc 5 siècles plus tard, inutile de chercher des ressemblances! De m^me pour Clovis mort en 511 dont le gisant date de 1230.  Peut être plus réalistes, Charles V et Jeanne de Bourbon à ses côtés, Duguesclin est proche. A Saint Denis on trouve les rois, les reines mais aussi des nobles. Si le marbre blanc est immaculé actuellement, les gisants à l’origine étaient peints, sur le gisant de Philippe Dagobert (1222 -1235), on retrouve quelques couleurs, bleu et fleurs de lys dorées. Plus étonnant le tout petit gisant de Jean 1er le Posthume, fils de Louis X le Hutin ,qui a régné (et vécu) 5 jours. en 1316. 

Je me perds un peu dans tous ces capétiens, leurs reines et enfants…

mausolée de François 1er

Plus spectaculaires, les mausolées Renaissance  de François 1er et de Henri II . les gisants décharnés reposent sur les tombeaux sous l’arche alors qu’ils sont représentés en prière au sommet du monument. 

la bataille de Marignan

A la base : la Bataille de Marignan

Encore plus fastueux : le mausolée de louis XII  et Anne de Bretagne entouré des Vertus cardinales aux quatre coins et des douze apôtres en marbre de Carrare

mausolée Louis XII

Un peu plus loin, les gisants de Henri II (1547-1559) et Catherine de Medicis sont habillés en costume du sacre de tissu prestigieux où figure le monogramme de Henri II qui comporte aussi les initiales de Diane de Poitiers, la maîtresse du roi, honorée jusque dans l’éternité. Son mausolée a été commandé par Catherine de Medicis  d’après les plans de Primatice. Il était destinée à être exposé dans la Rotonde des Valois qui a disparu. 

Crypte romane et pierres tombales en hommage aux Bourbons

On descend dans la Crypte avec un joli chevet roman autour de la relique de Saint Denis. les pierres tombales noires sont aux noms de Louis XVI, Louis XVIII, Charles X. A la Révolution le plomb des tombes  des rois a été fondu et les restes se trouvent dans l’ossuaire. On peut voir le cœur de Louis XVII . 

Nécropole mérovingienne

sous la crypte : la nécropole mérovingienne. Nombreux étaient ceux qui voulaient alors être inhumés à proximité des relique de Saint Denis.

 Denis  premier évêque de Paris, alors Lutèce était venu évangéliser la Gaule. Ayant déplu aux autorités romaines il est arrêté, supplicié, condamné à mort et décapité à Montmartre (mont des Martyrs) . Denis prend alors sa tête dans sa main, la porte contre sa poitrine et s’écroule à Saint Denis. Ce n’est pas le seul saint céphalophore. Cette légende est une manière de créer un pèlerinage dont l’importance économique permet à l’abbaye de se développer. Cette dévotion aux reliques et le potentiel économique des pèlerinages a poussé à partitionner les corps des saints et distribuer les reliques dans différentes église. 

Après deux heures je sors un peu ahurie de cette promenade  dans l’histoire de France, visitée dans le désordre. Il me faut consulter Wikipédia pour les dates et la vérification de mes notes griffonnées.

 

Les Naufragés du Cap Vert – Laurence Benveniste

BOOKTRIP EN MER/ CAP VERT

 

Proposé par les algorithmes d’Amazon, ce livre semblait cocher toutes les cases de mes lectures de l’été : le Booktrip en mer, La Révolution française (à la suite des Onze), lhistoire des Juifs . Plaisir de retourner au Cap Vert répondre à cette interrogation lors de notre voyage au Cap Vert : le lieu-dit Synagoga CLICm’avait étonnée, je comptais sur cette lecture pour lever  ce mystère.

A bord de la « Jolie Nanette » voguant vers la toute jeune république américaine se retrouvent David, Esther et son fils Momo,  Juifs du Comtat Venaissin, Marie la fiancée de David, Hemings le cuisinier de Jefferson, esclave mulâtre, Dalayrac un violoniste qui a joué à la cour, Liquier fils d’un armateur bordelais négrier, Camboulas vétéran des guerres d’Indépendance américaine. Bonne compagnie musiciens, lettrés « honnêtes hommes » ayant le goût de la conversation et de la musique. La cuisine de Hemings apporte une touche gastronomique à ce voyage qui s’annonce très agréable.

Tout d’abord, échanges de très haute volée où Voltaire, Olympe de  Gouges, Lessing sont cités. La Fayette, Mirabeau, Robespierre et les révolutionnaires, sujets d’actualité. La présence de Heming, fin cuisinier, violoniste, mais esclave de Jefferson, introduit une réflexion sur l’esclavage. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, n’implique-t-elle pas l’Abolition de l’esclavage? La situation des Juifs et des Noirs, également opprimés est sujet de leurs discussions. Bien sûr, la place des femmes n’est pas oubliée. Passionnants ces débats? Un peu longs et scolaires. Laurence Benveniste ne laisse rien de côté, développe les idées, creuse son sujet. Tant d’érudition finit par lasser.

La croisière se gâte, mort suspecte du Capitaine qui est remplacé par un personnage très antipathique, mort du Coq…aménagements suspects en cale. Mutinerie…les passagers deviennent otages, le navire change de destination. L’heure n’est plus aux discussions philosophiques ni aux concerts de violon. Suspens haletant. Ma foi, fort bien mené. Arriveront ils au Cap Vert? (on se doute que oui d’après le titre) et après….ils passeront par Synagoga, bien sûr!

Très bien documenté, mais la lecture de ces 391 pages est  un peu laborieuse. .

Les Onze – Pierre Michon – Verdier

REVOLUTION  FRANCAISE, 1793

Pierre Michon, dans son style époustouflant nous emmène au Louvre découvrir le célèbre tableau Les Onze peint par François-Elie Corentin représentant les onze membres du Comité de Salut Public. Roman historique faisant revivre la Terreur .

«Vous les voyez, Monsieur ? Tous les onze, de gauche à droite : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Invariables et droits. Les Commissaires. Le Grand Comité de la Grande Terreur. Quatre mètres virgule trente sur trois, un peu moins de trois. Le tableau de ventôse.» 

Connaissez-vous le grand peintre François-Elie Corentin ? 

Il convient de le présenter  sa généalogie,  ses origines. Né en 1730 à Combleux, où des bataillons de Limousins ont remué la terre boueuse de la Loire pour creuser le canal d’Orléans à Montargis pour l’enrichissement du grand-père du peintre, Corentin-La Marche Ingénieur des turcies et levées de Loire. Enfant, il a rêvé devant les paysages, les hérons de la Loire….

Avant de revenir aux Onze, faisons un détour dans la peinture par l’Italie, Véronèse et Tiepolo qui ont inspiré François-Elie qu’on a surnommé « le Tiepolo de la Terreur ». Pierre Michon nous éblouit dans la description d’un magnifique Tiepolo

C’est toute l’Italie mythologique qui vous regarde de son haut, toutes les trois marches. C’est large
comme un boulevard pour monter à ce ciel que Tiepolo peint mais qu’il n’a pas inventé : le projet, le
canevas mental, deux savants jésuites le lui ont versé dans le creux de l’oreille, deux Germains de Rome.
Le page qui monte quatre à quatre ce boulevard céleste vient de France, le page irrésistible qui deviendra
ce peintre que nous savons.
[…]
Tiepolo là-haut riait en jurant que Dieu est un chien, Dio cane, comme jurent les Vénitiens, ce qui en l’
occurrence était une façon de dire, évidemment ; car que peut-on demander de plus à Dieu que cela, des
contrats et des devis célestes entre peintres de très haute stature et princes nains, les uns toutes couleurs
et mythologie, les autres tout sequins – qui étaient peut-être des thalers dans ce fond de Germanie, ou
des guinées –, mais les peintres dans les formes rendant hommage aux autres, les Monseigneurs, avec de
la révérence : les princes n’ont pas besoin d’être grands, ils n’exercent pas et jouissent. Dio cane. Vous
imaginez cela, Monsieur ?

Pierre Michon nous étourdit avec son style ;  il anéantit notre sens critique. Et si tout était une fiction, le tableau et le peintre?

Ce tableau que je n’ai jamais vu au Louvre est une commande :

« un piège en forme de peinture, un joker politique« 

« Tu vas donc nous représenter. Prends garde à toi Citoyen-Peintre, on ne représente pas à la légère les Représentants »

Et on y croit! On le visualise. On est piégé.

 

 

Cézembre – Hélène Gestern

UN ROMAN DE SAINT MALO

Cézembre vu du ferry

Ce gros roman (650 p en Poche) m’a accompagnée pendant ces vacances en bord de Manche. Il a guidé mes rêveries en passant devant les rochers, les îlots et les îles, flux et reflux des marées…

Cézembre est une île en face de Saint Malo. Une île chauve, un caillou, une île martyr dont l’histoire est tragique. Fortifiée par les Allemands, elle a subi un pilonnage monstrueux de la part des Alliés. Elle exerce une fascination pour le héros du roman

« J’ai toujours aimé la beauté des ruines ; mais celles-ci, sous leur vêtement de graminées, de mousses et de
lichens, ne s’étaient pas tout à fait départies de leur violence originelle. À Cézembre, la nature n’avait pas
éteint le souvenir de la bataille sans merci qui s’y était livrée : elle en avait simplement apaisé l’horreur. »

Yann de Kérambrun, le narrateur, est historien. Il enseigne à la Sorbonne et rédige une thèse sur les pirates de la Méditerranée du temps de l’Empire Romain. En instance de divorce, il vient de perdre son père. Son fils part en Allemagne. Il demande un congé sans solde et s’installe dans la maison familiale Les Couërons sur le Sillon à Saint Malo. Il y trouve un véritable trésor : les archives de la Société de propulsion nautique malouine créée en 1905 par son aïeul Octave. Cette société les « vedettes bleues » assuraient les traversées entre les Îles anglo-normandes et Saint Malo. Octave avait pour associés un homme d’affaire de Jersey et un avocat Sainte Croix, très actif dans la politique locale. 

Parmi les divers dossiers, il retrouve plusieurs dizaines de carnets des « livres de raison » comptes journaliers, mais pas que. L’historien qui sait déchiffrer de telles archives se lance dans une entreprise au long cours : reconstituer la saga familiale de cette famille d’armateurs malouins. A première vue, l’entreprise s’est transmise de père en fils et a prospéré, Octave a fait construire une belle maison de maître qui est restée dans la famille. Mais des secrets de famille le troublent. Entre temps, on retrouve un squelette à Cézembre, l’entreprise familiale est elle mêlée ? Yann se livre à une  enquête minutieuse qui va mobiliser les cousins éloignés qu’il avait perdu de vue. je retrouve les mêmes ressorts qui m’avaient tenue en haleine dans 555, le manuscrit de Scarlatti. 

Entrelacées avec l’histoire familiale, les tragédies qui se sont déroulées sur l’île : avant d’être occupée par l’armée allemande, Cézembre fut une colonie pénitentiaire. C’est aussi un site idéal pour la contrebande. Pouvait-on s’échapper de Cézembre à la nage?

Yann se lance le défi de faire la traversée à la nage.

Mais je rêve de plus en plus souvent à cette traversée, que je voudrais réussir en solitaire. Comme si
atteindre l’île par mes seuls moyens pouvait me permettre de replonger dans ces époques lointaines
dont nous parlait Étienne, lorsque la géométrie des terres et des sables était si différente que les îles
Anglo-Normandes n’étaient qu’une péninsule. Je m’imagine, marcheur gagnant le couvent des Récollets,
traversant une forêt de chênes baignée par le vent maritime. Ceux que la marée avait saisis, couchés,
minéralisés, chassant au fil des siècles la sève et la fibre du bois pour y loger son sel, son fer, sa silice.

Le livre est aussi traversé par l’histoire de la joggeuse mystérieuse, la femme au K-Way turquoise, Rebecca,  dont Yann va tomber amoureux. Pas la partie que j’ai préférée.

Et toujours la présence de la mer, de sa puissance, de naufrages comme d’entrainements à la nage. Saint Malo et ses légendes. J’ai adoré la légende de la forêt de Scissy, forêt enfouie sous le rivage depuis des millénaires, fossilisée

On a retrouvé des arbres fossilisés, enfouis dans le sol inondé, qui datent du néolithique. On appelle ça des
couërons. — C’est de là que vient le nom de la maison ? — Sans aucun doute. On les reconnaît parce qu’ils
sont couchés à l’horizontale, avec des racines qui forment un angle à quarante-cinq degrés avec le tronc.
Ce qui veut dire que ces arbres ont commencé à pousser avant la submersion,
[…]
À l’emplacement du Sillon, il n’y avait pas une forêt qui allait jusqu’à Cézembre ? Étienne a souri. — Ah,
la fameuse forêt de Scissy ! Ou Querckelonde selon d’autres sources. Hugo l’appelait la « forêt druidique »
… Elle aussi, elle fait partie de la légende.

Roman de la mer, saga des armateurs malouin, histoire du XXème siècle, de la guerre…Aussi relation père-fils. Les thèmes abordés sont nombreux et ce roman  est décidément très riche.

J’ai eu  le plaisir de rencontrer Hélène Gestern à la manifestation littéraire, Créteil en poche. Je lui ai dit tout le bien que je pensais de son livre. Mais comme je n’ai pas l’esprit d’à-propos, je ne lui ai pas demandé de photo. Quand je suis revenue, elle avait disparu!

Claude-François Denecourt (1788-1875) « L’amant de la forêt de Fontainebleau » Jean-Claude Polton

MASSE CRITIQUE BABELIO

Théodore Rousseau : intérieur de la forêt, le grand dormoir

Toutes les randonneuses connaissent les sentiers Denecourt balisés en Forêt de Fontainebleau, la Tour Dénécourt et les petites fabriques, fontaines ou médaillons, étapes des randonnées en forêt. 

J’ai attendu avec impatience l’arrivée du livre de J.C Polton dans ma boite aux lettres dans le cadre de la Masse Critique de Babélio que je remercie ainsi que l’éditeur les Editions du Sabot Rouge pour cet envoi. 

Denecourt est un personnage singulier dont la vie a traversé presque un siècle, de la Révolution de 1789, aux Campagnes napoléoniennes, à la Restauration, Révolutions de 1830, 1848, Second Empire, jusqu’à la IIIème République. Pour la lectrice, une leçon d’histoire! L’enfant Franc-Comtois a été élevé dans les légendes villageoises mais aussi dans une famille favorisée par la Révolution . Il gardera des idées hostiles à l’Ancien Régime, aux tyrans même s’il était très jeune quand les troupes patriotiques défendant la Patrie en danger sont passées dans Luxeuil.

A 20 ans,  en 1809, il s’enrôle dans les régiments de Napoléon en Autriche puis en Espagne. Blessé en 1812, démobilisé, il s’engage à nouveau en 1813. Son passé de grognard de Napoléon va le suivre.

Court apprentissage chez un bijoutier à Paris. A la faveur des Cent jours, Denecourt retrouve sa cocarde tricolore et se porte au devant du Petit Caporal. Ses états de service militaires lui procurent une place de portier concierge qu’il va perdre puis retrouver.

A Versailles, le portier-concierge va faire des affaires, il vend du vin aux militaires de la caserne, s’enrichit, devient même prêteur. Personnage balzacien (j’ai téléchargé  César Birotteau à l’occasion).Le jeune voiturier quasiment illettré s’instruit. Il gère son commerce mais il fréquente aussi les bibliothèques publiques et les cabinets de lecture . Il découvre la politique s’engage dans la propagande libérale

En 1832, il s’installe à Fontainebleau, toujours portier-concierge, mais perd son emploi à cause de la répression.  Rentier ayant réussi à faire fructifier ses affaires, il va découvrir une nouvelle entreprise : il se passionne pour la forêt de Fontainebleau. Il va baliser des promenades et mettre sur pied une véritable entreprise touristique en relation avec son gendre qui a des calèches. Non seulement il balise les chemins avec les petites flèches bleues qu’on suit encore, mais il publie des guides pour les promeneurs, s’édite lui-même, collabore avec des artistes pour les illustrations, aménage les curiosités, engage des carriers pour sécuriser grottes et rochers, construit un observatoire….En 1849, le train arrive à Avon. Ces trains de plaisir correspondent tout à fait à l’entreprise de tourisme que Denecourt a mis en place.

Promoteur de tourisme, il se veut aussi écrivain. Fréquente des artistes, des hommes de lettre. Gagne le surnom de Sylvain  que lui donne Théophile Gautier.

Toute la suite de sa  vie est une recherche de reconnaissance : le jeune illettré est maintenant respecté, fêté même. Il ambitionne la Légion d’Honneur. Et, enfin la IIIème République consacre ses idéaux démocratiques….

Le personnage très original m’a donc beaucoup intéressée.

 

Mais le récit très détaillé, très documenté comporte des longueurs pour qui ne connait pas les subtilités de l’histoire locale bellifontaine. Les rivalités, les jalousies de personnages oubliés maintenant, polygraphes ou concurrents, prennent beaucoup de place. En revanche j’aurai voulu en apprendre plus sur l’Ecole de Barbizon, les initiatives des artistes, de George Sand, Théodore Rousseau dont je me souvient de la très belle exposition au Petit Palais.

 

 

Mamelouks (1250 – 1517) au Louvre

Exposition Temporaire jusqu’au 28 juillet 2025

Brûle parfum

De 1250 à 1517, les sultans mamelouks régnèrent sur l’Egypte, la Syrie. 1260 – ils arrêtent l’avancée des Mongols, 1291, prennent Acre et mirent fin au Royaume Croisé de Jérusalem, 1400 arrêtent Tamerlan jusqu’en 1517 où il furent défait par l’armée ottomane de Sélim 1er.

Caparaçon

Les mamelouks étaient des esclaves militaires, enfants ou adolescents achetés ou enlevés dans les plaines de Russie puis dans le Caucase. Cavaliers d’élite, ils formaient un e caste militaire parlant turc. Cet honneur n’était pas héréditaire, les fils des mamelouks devaient intégrer un autre corps ou se lacer dans une carrière civile.

Clé de la Kaaba au nom du sultan Faraj (1399-1412)

Protecteurs des lieux saints, à la Mecque et Médine les sultans possédaient la clé de la Kaaba. –

La visite commence au Caire dans le Complexe de Qalawun (1284-1285) comprenant une madrasa, un hôpital et le mausolée de Qalawun. Projetées sur trois murs, les images et les zooms nous offrent toute la variété des décors, stucs, marbres, colonnes antiques, géométries élaborées….

Lampe au nom de l’émir

De magnifiques objets accompagnent les images, brûle-parfum, bassins, coupes et chandeliers  en métal cuivreux, incrusté d’or et d’argent finement ciselé. Ouvrages à décor géométrique, ou arabesques ou portant des écritures calligraphiées et même des scènes de chasse ou équestres

Bassin orné de scènes de chasse

De petits encarts présentent les sultans les plus fameux :

Baybars, (1260_1277) le fondateur

Qaytbay (1468-1496) « la force tranquille » (1501-1516)

Qansawa Al Ghawri (1501 – 1516)

Ainsi que d’autres personnages  :

Muhammad ibn Khalil Al-Samadi qui aurait vécu à Damas et aurait soutenu les troupes mamlouks de son tambour soufi.

Qawsun, grand émir et favori, arrivé en Egypte en 1320 comme marchand. Séduit par sa beauté, le sultan l’achète, le fait émir et lui donne sa fille pour épouse.

l’épouse de Qaytbay, Khawand Fatima, « sultane d’affaire »

Si les objets, d’une grande sophistication, sont toujours un peu les mêmes, cette présentation des mamelouks est passionnante.

Coran monumental

De nombreux manuscrits sont exposés, des Corans monumentaux fastueusement enluminés d’or et de couleurs. Des encyclopédies contiennent toutes les connaissances scientifiques de l’époque. Des manuels de chasse ou de technique militaire représentent des mamlouks à l’exercice, en effet la Furusiya ou art équestre est à la base de la culture de ces cavaliers.

Furusiya : exercices à la lance

Cavaliers turcophones dans un environnement composite où coexistent diverses cultures et religions

Certificat de pèlerinage à la Mecque Hajj

mais aussi certificat juif de pèlerinage sous forme de rouleau dessiné figurant la route du sud du Caire jusqu’au Liban à travers la Terre Sainte, annoté en italien et en hébreu

Rouleau de pèlerinage juif

ou bois sculpté des églises Coptes du Vieux Caire

Eglise copte du Caire

La littérature est présente, elle a même traversé les siècles et est parvenue à nous à travers les contes qui animent encore les cafés traditionnels ou avec les théâtres d’ombre. Influences persanes, et même indiennes comme dans ce livre

Conte indien avec un éléphant et un lion

Au centre des réseaux de commerce avec Venise, la Perse et même la Chine, plus étonnant les vases africains ashanti. Commerce maritime et de caravanes.

Grand gobelet aux oiseaux 1330-1350

Travail du métal ciselé, travail du bois et marqueterie de toute beauté, tapis témoignent du raffinement de cette civilisation.

Baptistère de Saint Louis;

La visite se termine autour d’un chef d’œuvre étonnant : le Baptistère de Saint Louis signé Muhammad ibn al Zayn arrivé au château royal de Vincennes au XVème siècle et qui a servi au baptême de Louis XIII puis à celui d’Henri d’Artois en  1821 et à celui du prince Napoléon Eugène en 1856. on pourrait rester des heures à détailler les personnages dans les médaillons, mamelouks à la chasse, les frises d’animaux, éléphants et félins, oiseaux étranges…..

mamelouks à la chasse

 

 

Un drame en Livonie – Jules Verne

 

 

Escale dans les Pays Baltes : la Livonie regroupe l’Estonie et la Lettonie.

Comme souvent chez Jules Verne il y a une poursuite haletante dans la forêt russe, un fuyard tente de franchir la frontière, et  échapper à ses poursuivants, aux loups et à la débâcle des fleuves…comment va-t-il s’en sortir?

Autre voyage, en malle-poste de Riga à Pernau (actuellement Pärnu). Les voyages sont des aventures, la malle-poste est accidentée; les voyageurs sont contraints de passer la nuit dans une auberge isolée. L’un d’eux est assassiné. Le roman d’aventures devient roman policier

On était en 1876. Cette idée de russifier les provinces Baltiques datait déjà d’un siècle. Catherine II songeait à cette réforme toute nationale.

L’intrigue se joue dans le contexte de tension politiques entre les Allemands, nobles et grands  bourgeois qui détiennent le pouvoir et les Slaves (les Lettons et les Estes, populations autochtones, paysans), ne rentrent pas en ligne de compte dans ces luttes de pouvoir. Justement, des élections se profilent et le suspect est le prétendant slave aux élections.

Il porta sur l’état des esprits à Riga, le même, d’ailleurs, qui régnait dans les principales villes des
provinces Baltiques. Cette lutte des deux éléments germanique et slave passionnait les plus indifférents.
Avec l’accentuation des énergies politiques, on pouvait prévoir que la bataille serait chaude, 

Qui a donc tué Poch?

On ne s’ennuie pas avec Jules Verne.

Bien sûr, il faut compter avec les préjugés et le vocabulaire de l’époque, les mots « races » ou « aryen » ne sont pas acceptables au XXIème siècle, ils étaient courants à la fin du XIXème. De même, les fiancées parfaites et soumises ne sont plus de mise. Voyages dans l’espace mais aussi dans le temps;

Banlieues Chéries – Musée de l’histoire de l’Immigration -Porte Dorée

AU-DELA DU PERIPHERIQUE

Nanterre : Laurent Kronental « les yeux es Tours »

Banlieues chéries tente de donner une image positive de la « Banlieue« 

pour commencer, définissons ce concept de banlieue : historiquement  « à une lieue du ban » , un espace mis sous la protection de la ville »

Chronologiquement, Banlieues douces-amères, commence du temps de Zola qui décrit la Banlieue comme une campagne où les Parisiens viennent  s’amuser dans les guinguettes, canoter sur la Seine. Ces banlieues douces sont illustrées par deux tableaux de Monet et un de Jongkind à Argenteuil. En vis-à-vis un film Le Croissant de Feu (2021) de Rayane Mcirdi ICIfilmé à Asnières dans le quartier des Mourinoux à l’occasion de la destruction de la barre d’immeuble Les Gentianes.

Atget

Entre la campagne et les rénovations urbaines, un siècle et demi d’histoire : La Zone : bande inconstructible, zone de tir à canon, devant les fortifications, est occupée par des « zoniards » ou des « zoniers » vivant dans la précarité aux portes de Paris. Cette Zone fut immortalisé par les photographies d’Atget (1913 1927), de Chifflot. Puis l’habitat précaire s’est étendu en immenses bidonvilles comme celui de Nanterre dans les années 1960 clichés de Pottier et Monique Hervo

Bidonville de Nanterre

De nombreuses photographies en Noir et Blanc présentent aussi les habitants  dans une salle s’intitulant De l’intime à l’Esprit de Quartier

Des familles posent :devant l’objectif de Patrick Zachmann camerounais, russes ou ukrainiens, grecs ou vietnamiens. En face de cette exposition de photos de famille, des intérieurs souvent coquets sont reconstitués avec des meubles vernis, de douillettes chambres à coucher…

Banlieues engagées

les banlieues rouges des les années 20, des pavillons se construisent sans conforts, et les communistes prirent la défense des « mal lotis ». De ces années 1924 -1925 , l’exposition présente les croquis de Le Corbusier, de quartiers de maisons individuelles toutes identiques modulaires . 

maquette de Nanterre

Les maquettes m’ont beaucoup intéressée, j’aurais même aimé en voir plus! La Cité de la Soie à Vaulx-en-Velin et surtout les maquettes de Nanterre. Ces tours-nuages ou Tours Aillaud ont également inspiré Laurent Kronental 

Jurg Kreienbühl : Cimetière de Nanterre

Au chapitre, Les luttes en héritage une chronologie des luttes sociales est illustrée par des affiches

Police personne ne bouge

1979, grève au foyer Sonacotra de Garges les Gonesse

année 80 : âge d’or du rock

1983 marche contre le racisme

1990 : le rap rythme les émeutes urbaines

2000 émeutes de Clichy Montfermeil (Zyed et Bouna)

Les plasticiens de banlieue colorent leurs images. Ils s’approprient la ville et se représentent . Je retrouve des artistes que j’ai rencontré par ailleurs Mohamed Bourouissa (photos) et les broderies de Cindy Bannani qui ont pour thème la Marche de l’égalité de 1983 également présentées au Palais de Tokyo, ici elle sont installée sur la trame de keffieh .

Cindy Bannani

l’Exposition part aussi dans l’analyse des déplacements (RER B) et de la rénovation urbaine.

Beaucoup de thèmes  sont abordés. Beaucoup d’œuvres intéressantes, surtout les photos. Cependant la scénographie est plutôt confuse, je peine dans l’accumulation. J’aurais préféré moins d’informations mais plus d’œuvres marquantes. Peut être la plage de temps aurait dû être réduite, ou peut être aurait-on plutôt du choisir un thème moins vaste?