Desorientale – Négar Djavadi

TÉHÉRAN/PARIS

 

desorientale

Désorientale : quel beau titre! Orient comme exotisme, désorientée comme exilée, désorientée dans ses identités de fillette persane qui quitte sa tribu pour Paris à 11 ans, qui cherche son identité sexuelle, alors qu’en Iran elle est assignée, promise à une vie d’épouse et de mère, désorientée dans ce service de Procréation Médicalement assistée où elle attend enfin une insémination artificielle….

Le titre m’a tout de suite accrochée.

C’est un roman passionnant abordant de nombreux  thèmes . L’histoire contemporaine de l’Iran au cours de tout le 20ème siècle est racontée avec la saga des Sadr, famille aisée, cultivée et francophone. On voit vivre à l’iranienne cette grande famille où les oncles sont si nombreux que les enfants les nomment par leur numéro dans la fratrie.

On voit aussi le couple que forment les parents de la narratrice, couple de militants, d’opposants qu’elle compare même à Bonnie & Clyde, tant l’action politique est plus forte même que la prudence.

Roman de l’exil, du douloureux voyage, de la réception bien décevante des autorités françaises, alors que la France et sa culture étaient idéalisées…. les réactions des parents et des trois sœurs sont variées. L’exilée peut choisir de vivre dans un Iran rêvé ou de s’intégrer complètement, une option est aussi le cosmopolitisme…

Roman de la maternité, renoncer à faire des enfants paraît impensable à l’héroïne, même lesbienne. Récit détaillé des procédures et du protocole que doivent subir les candidats à la Five…

Ce roman est donc très riche et complexe. L’auteure a compliqué à plaisir le récit avec des flash-backs, retours en arrière dans le temps et l’espace, tournant autour de l’EVENEMENT qu’elle n’ose pas aborder de face.

Les romans compliqués ne me posent pas de problème. Le style, oui. Il manque un je ne sais quoi pour me convaincre et me séduire pleinement. Témoignage ou roman? Fiction sans doute largement autobiographique.

 

L’ombre d’Hannibal – Paolo Rumiz

VOYAGER POUR LIRE? LIRE POUR VOYAGER?

Hannibal au Musée du Capitole
Hannibal au Musée du Capitole

Rumiz s’attache aux pas d’Hannibal pour un voyage qui commence aux cols des Alpes, au passage des fameux éléphants, en introduction. De Sardaigne à Sant’Antioco, cité punique, à Carthage, bien sûr, à Carthagène, logiquement, il traverse l’Espagne, les Pyrénées, le Rhône, il hésite (Durance ou Savoie?), Piémont (où il hésite encore devant la Trébie). Il trouve à Bologne « l’homme qui se prenait pour Hannibal » avec qui il cheminera jusqu’aux champs de bataille célèbres du Lac Trasimène, à Cannes, goûtera au délices de Capoue….Campanie, Sicile, et retour en Tunisie, pour suivre Hannibal en exil jusqu’en Arménie et en Turquie.

Voyage dans l’espace et aussi dans le temps. Hannibal n’a laissé que peu de traces tangibles, et pourtant la toponymie garde son souvenir, Rumiz cherche donc les « ponts d’Hannibal« , les « fontaines d’Hannibal », ou les noms « barca » dérivés du nom du conquérant.

« tu crois qu’on est fou? [….]Si l’on poursuit un mythe, c’est normal de s’égarer » [….] »mais aujourd’hui, le mythe n’existe plus. Personne ne le cherche.Et, lui La mort du mythe est le phénomène le plus obscène des temps modernes. C’est la fin de l’enchantement  de l’imagination, du désir »

Ils partent à l’aventure avec Polybe et Tite-Live en guise de guides touristiques – heureux érudits qui peuvent les lire dans le texte – et que la lecture des anciens transporte en l’absence de toute évidence du passage d’Hannibal.

Confrontation  entre le monde moderne où ils circulent (en voiture, pas d’éléphant) et le monde antique. Voyage à la limite des souvenirs des anciens qui s’estompent dans la modernité du 21ème siècle, plutôt qu’une carte ou un GPS, il interroge les paysans.

« vingt deux siècle, ce n’est qu’un souffle dans l’histoire humaine. Je repense à ce que me racontaient mes grands-parents et je m’aperçois qu’il existe encore un fil rouge qui me relie à l’Antiquité. Je ne sais pas si mes fils pourront en dire autant, dans cette société qui tue le temps avec l’hypervélocité télématique ».

Interrogation sur le temps qui passe,  interrogation aussi sur l’irrésistible conquête du monde méditerranéen par Rome, qu’il compare aux Américains. Comment Rome, battue par le grand chef de guerre, non seulement n’a pas reconnu sa défaite et s’est retrouvée vainqueur?

Rumiz, L’écrivain voyageur que j’avais découvert dans son voyage Aux frontières de l’Europe nous offre encore un voyage passionnant.

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L’amie prodigieuse – Elena Ferrante

LIRE POUR L’ITALIE (NAPLES)

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C’est l’histoire d’une amitié entre deux fillettes, scellée dramatiquement en jetant mutuellement la poupée chérie dans le soupirail de la cave.

« Ce fut même cette occasion qui me convainquit que rien ne pouvait l’arrêter, et que chancune de ses désobéissances débouchait sur des prodiges à couper le souffle. « 

Fillettes terribles et même méchantes! Dans un quartier pauvre de Naples des années 50 où règne la violence. Fillette qui se battent avec les garçons.

« Bien sûr, j’aurais aimé avoir les manières courtoises que prêchaient la maîtresse et le curé, mais je sentais qu’elles n’étaient pas adaptées à notre quartier, même pour les filles. »

« Les violences de père n’étaient que peu de chose par rapport à la violence diffuse dans notre quartier. Au bar Solara, quand il faisait chaud entre les pertes au jeu et les ivresses mauvaises, on arrivait souvent au des espoir(un mot qui, en dialecte, voulait dire avoir perdu tout espoir, amis aussi être sans le sou). »

Amitié de deux gamines qui lisent ensemble les Quatre filles du Docteur March et rêvent d’écrire un roman qui les rendra riches! Bonnes élèves à l’école, malgré l’insistance de leur institutrice, seule Elena ira au collège. Lila ne renonce pas pour autant au Latin et au Grec. Leur amitié est aussi la conquête de la réussite scolaire d’Elena.

Elena Ferrante fait surgir du passé un monde d’avant la voiture, d’avant la télé, d’avant la consommation. L’histoire des deux amies est aussi celle de la transformation de ce monde qui va de pair avec leur transformation à l’adolescence. Pour aller au collège puis au lycée, Elena découvrira la ville, puis plus tard les vacances à la mer tandis que Lila sera courtisée par tous les garçons du quartier.

Pasquale, l’ouvrier communiste  expliquera le monde d’avant et Lila enrichira ce savoir avec des livres empruntés à la bibliothèque

« ainsi donna-t-elle des motivations concrètes et des visages familiers au climat de tension abstraite que, depuis notre enfance, nous avions respiré dans notre quartier. Le fascisme, le nazisme, la guerre, les Alliés, la monarchie et la république, elle transforma tout en rues, immeubles et visages, don Achille et le marché noir, Peluso et le communisme, le grand-père Solara qui était camorriste, le père Silvio qui était un fasciste…. »

Les jeunes filles fréquentent. Le premier livre de la série se termine par le mariage de Lila…

Et je suis impatiente de lire la suite qui vient tout juste de sortir en français.

 

 

La Fête du siècle – Niccolo Ammaniti

LE MOIS ITALIEN D’EIMELLE

la fête du siècle

 

 

Le Mois Italien d’Eimelle et les critiques des blogueurs(ses) m’ont incitée de lire  la Fête du siècle. 

 

Niccolo Ammaniti raconte une bouffonnerie : une fête donnée par un magnat du bâtiment, (mafieux?) dans la Villa Ada à Rome où toute la jet set, des journalistes aux footballeurs, est conviée pour de grotesques safaris et un concert de Larita, une chanteuse à la mode. Le thème de la fête a été monté par le cinéma italien, par Fellini ou Pasolini, et récemment par Sorrentino …Récemment, les funérailles kitsch de Casamonica en Août dernier à Rome s’apparente à cette culture de la fête.

funérailles rome

Je me suis bien ennuyée pendant la première partie Genèse , prologue à la fête. Fabrizio Ciba, l’écrivain à la mode,  a écrit un best-seller mais il semble plus préoccupé de sa tenue négligée, étudiée de ses vêtements de lin froissés, ne pense qu’à sauter toutes les femmes qui passent sur son chemin, bimbo ou intellectuelle, Saverio, minable vendeur de meuble est sataniste. Je ne ressens aucune sympathie pour ces deux héros, surtout aucun intérêt pour ces mondanités ou pour les sacrifices et les déguisements infantiles. l’action se traîne. Mortel ennui!

Dans la fête, on s’amuse plus, certaines scènes sont cocasses. J’ai bien ri quand les éléphants excités par la star du football sèment la panique.  La chanteuse Larita qui préfère aller vacciner les enfants africains à des vacances aux Maldives est bien gentille. L’intervention des troglodytes, la catastrophe finale,  sont réussies.

Finalement, sans être un chef d’oeuvre, ce roman est divertissant, à condition de lire en diagonale la première partie.

logo eimelle, le mois italien

 

Les cavaliers – Joseph Kessel

LA ROUTE DE LA SOIE

cavaliers 

« …Il parlait de Zarathoustra comme s’il avait été son disciple, d’Iskander, comme s’il l’avait suivi de conquête en conquête, de Balkh la mère des villes, comme s’il en avait été citoyen; et des carnages de Gengis Khan comme s’il avait trempé dans le sange des peuples massacrés et enseveli sous les cendres et les ruines des forteresses… »

Quel merveilleux conteur que Kessel !

Il entraîne le lecteur sur les sommets de l’Hindou Koush et dans la steppe dans des aventures haletantes à la suite d’un  cavalier, de son merveilleux cheval Jehol et de son palefrenier. Parti jouer pour le roi à Kaboul le bouzkhachi – jeu équestre afghan – Ourouz, le champion est blessé et rentre par  des pistes vertigineuses. De tchaïkhana en bivouac ou sous la yourte, ils font des rencontres hallucinées avec  des princes ou des nomades, en transhumance, avec une djat, une gitane et son singe,ou dans un incroyable cimetière… L’épopée tourne mal.

Et je les suis, fascinée dans ce récit hors du temps même si camions et automobilistes me rappellent qu’il se déroule au 20ème siècle tandis que ces cavaliers auraient pu être ceux Tamerlan.

Récit viril. Pendant le premier tiers du roman nous ne croisons qu’une seule femme : l’infirmière étrangère qui a soigné Ourouz à l’hôpital et dont l’intervention déclenche l’aventure d’Ourouz et du palefrenier Mokkhi. Puis dans un bivouac, une vieille gitane, à moitié sorcière, qui entraîne son singe – apparition fugitive. La tragédie se nouera avec la rencontre de Mokkhi et de la petite nomade Zéré. Histoire d’amour ou d’intérêt?

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On ne sait ce que pense l’auteur

« ...Alors il était juste, il était bon que Zéré fût dehors comme une chienne assoiffée, affamée, tandis que eux, les hommes…?Non pas Zéré…Mais pourquoi elle seule? Mokkhi derrière celle qu’il aimait aperçut la file sans fin de ses soeurs déshérités et se sentit coupable d’une faute dont il ne savait rien saur qu’elle avait la moitié de la race humaine pour victime... »

Dénonce-t-il l’injustice faite aux femmes? Pas sûr.

Le rôle de Zéré est d’introduire le trouble dans le monde des hommes, pas seulement le désordre,  de pervertir le naïf Mokkhi, de le pousser jusqu’au meurtre. Chez les hommes règnent l’ordre, et  la coutume faite de hiérarchie, d’honneur et de dignité. De violence aussi. 

« Dans un jeu – et celui-là était le jeu essentiel, mortel de la dignité et de l’honneur – la vraisemblance ne comptait point, pourvu que fusse respectées la règle et la coutume. « 

C’est un monde violent, un monde d’hommes et de chevaux, de combats de chameaux, de béliers, de paris. Un monde où la cravache peut blesser sans remords le visage d’un enfant, tuer un étalon. Où le sexe se traduit par un viol. Seule l’extrême vieillesse apporte une note apaisée. 

La nature, les montagnes, les lacs, les étendues de la steppe sont magnifiquement décrits.

« C’était la steppe dans son élan sans limite et son fleuve d’herbes qui ondulait aussi loin que portait la vue, et son soleil plus large et plus fier, et son ciel plus haut et plus vaste qu’ils n l’étaient ailleurs dans le monde et ses nuages ailés qui filaient sous le vent, et son parfum, son parfum surtout, la fleur de l’absinthe amère et d’une liberté merveilleuse et sauvage. « 

Meursault, contre-enquête – KAMEL DAOUD

LECTURE EN MIROIR/JEU LITTÉRAIRE

« je vais te résumer l’histoire avant de te la raconter ; un homme qui sait écrire tue un Arabe qui n’a même pas de nom ce jour-là – comme s’il l’avait laissé à un clou en entrant dans le décor – puis se met à expliquer que c’est la faute de Dieu qui n’existe pas et à cause de ce qu’il vient de comprendre sous le soleil et parce que le sel de la mer l’oblige à fermer les yeux »

Haroun, le narrateur explique ensuite que le livre, il le sait par cœur comme le Coran. 

Il m’a semblé donc indispensable de relire l’Etranger avant de poursuivre plus avant ma lecture de la contre-enquête. Ce fut presque une redécouverte. J’avais lu Camus pendant mes années-lycée, il y a donc bien longtemps….

J’ai poursuivi la Contre-enquête dans la foulée – lecture miroir – recherchant les images, les expressions symétriques, analogies ou opposées, comme un jeu oulipien et je me me suis régalée. 

Incipit :

« Aujourd’hui, M’ma est encore vivante.

Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses. »

L’Arabe tué en 1942 sur la plage est son frère Moussa. Moussa/Meursault, accompagné de Larbi/L’Arabe, n’ont laissé aucune trace dans l’enquête ou le procès de Meursault, condamné pour n’avoir pas pleuré sa mère plus que pour avoir tué un Arabe anonyme qui n’a intéressé personne. tout juste deux coupures de journal que la mère de Moussa a conservé pour faire son deuil alors que le corps de la victime n’a même pas été présenté à la famille.

L’enfance du narrateur a été occupé par ce deuil et la contre-enquête, la recherche du corps, du lieu du crime, de témoins…Fuyant Alger la mère et le fils s’installent justement à Hadjout/Marengo, le village où était l’asile de la mère de Meursault.

1962, aux premiers jours de l’Indépendance, Haroun devient, comme Meursault, meurtrier. Il tue un Français, sans bien savoir pourquoi. Ce meurtre, à deux heures, comme celui de la plage, mais sous la lune, est le reflet de celui de 1942. il met un point final à la rage de la mère, à sa recherche, comme une vengeance.

 

« La mort, aux premiers jours de l’Indépendance était aussi gratuite, absurde et inattendue qu’elle l’avait été sur une plage ensoleillée de 1942″

Haroun, lui aussi, sera emprisonné. lui-aussi pour de mauvaises raisons. Pourquoi a-t-il tué après l’Indépendance et non pas avant?

Comme Meursault a eu une amie Marie, Haroun rencontre Meriem. C’est même elle qui lui fait lire l’Etranger. Comme Meursault hait les dimanches, Haroun déteste les vendredis. Comme le premier repousse le prêtre, le second fait un scandale à la mosquée….

Je pourrais poursuivre encore la chasse aux analogies, reflets ou oppositions…

«  »Cet homme, ton écrivain, semblait m’avoir volé mon jumeau, Zoudj, mon portrait et même les détails de ma vie et les souvenirs de mon interrogatoire! Je l’ai lu presque toute la nuit, mot à mot, laborieusement. C’était une plaisanterie. j’y cherchais des traces de mon frère, j’y retrouvais mon reflet, me découvrant presque sosie du meurtrier… »

Au delà du jeu littéraire, de l’exégèse de l‘Etranger , une autre lecture est intéressante : lecture politique, de la Colonisation et de l’Indépendance , du choix du français par l’auteur. Et bien sûr les implications philosophiques.

Il m’est bien difficile de dissocier Meursault la contre-enquête de l’Etranger. Peut il se lire sans l’autre?

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Patrick Leigh Fermor : The Broken Road

LE VOYAGE EN ORIENT

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Une nouvelle édition rassemblant les trois récits du voyage de Fermor de Londres à Istanbul vient de paraître!
J’ai lu le Temps des Offrandes et  Entre Fleuve et Forêt il y a bien longtemps. j’attendais la suite depuis des années.

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Patrick Fermor – 18 ans – est parti de Londres en décembre 1933 à pied vers Constantinople.
Fermor est décédé en 2011.

Surprise : en 2013, la fin du voyage est enfin parue : The Broken Road

J’ai choisi de la télécharger en anglais sur ma liseuse. Je préfère lire en VO, même si le texte est littéraire et comporte tout un vocabulaire choisi que je ne possède pas. Magie de la liseuse : je clique et les dictionnaires m’aident.
c’est donc une lecture, lente, savoureuse, jubilatoire.

Fermor quitte la Serbie et les Portes de Fer, arrive à Sofia.

Rila
Rila

Au monastère de Rila il fait connaissance avec une étudiante de son âge qui l’invite à Plovdiv. Puis, il  marche dans la campagne, entre dans une épicerie à Tarnovo, le fils est étudiant également, ils sympathisent. De Routschouk – ville natale de Canetti – il traverse à nouveau le Danube et rejoint Bucarest où il est reçu dans la meilleure société…puis longe la Mer Noire et arrive pour la nouvelle année à Istanbul, dont nous n’apprenons presque rien.
Le périple n’est pas terminé puisqu’il se poursuit au Mont Athos.
C’est un livre de randonnées, Fermor raconte ses aventures. il raconte surtout ses rencontres.
De la haute société de Bucarest, francophone, proustienne et snob il passe à une grotte occupée par des pêcheurs grecs et des bergers bulgares avec leurs troupeaux avec le même bonheur – et pour le nôtre! Nous ferons enfin connaissance avec des moines russes, bulgares ou grecs…

 

Les Mémoires d’Hadrien – Marguerite Yourcenar

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Lu il y a bien longtemps, je conserve de cette première lecture, le souvenir d’Antinoüs. L’histoire romaine, de Nerva à Trajan, des guerres Daces et Parthes, était alors bien confuse dans mon esprit.

Bulgarie, ville fondée par Trajan
Nicolpolis ad Istrum, Bulgarie, ville fondée par Trajan

Cette relecture, après de nombreux voyages dans le monde gréco-latin, est un enchantement.

J’ai pourtant failli abandonner : la première partie, Hadrien se sentant proche de la mort, raconte sa vie à Marc-Aurèle son « petit fils » – choisissant Antonin pour successeur il l’a adopté, et fait adopter Arc Aurèle par Antonin – filiation choisie.  Le vieillard pontifie, philosophe, son ton est celui d’un  raseur. Sans doute s’exprime-t-on ainsi quand on est empereur et qu’on désire édifier son successeur ?

coucher de soleil à Siwa
coucher de soleil à Siwa

La suite est passionnante. La vie d’Hadrien s’est déroulée de l’Espagne aux confins de l’Arménie et de la Perse, de la Pannonie à l’Egypte, de la Germanie à la Syrie… Depuis ma première lecture, j’ai eu la chance de visiter la plupart des lieux cités dans le livre. Je pourrais l’illustrer  avec mes photos d’Italica (près de Séville), d’Aquincum en Hongrie, des bords du delta du Danube ou des rives du Nil près d’Alexandrie, j’imagine la chasse au lion à Siwa, les forêts de Thrace. J’ai suivi avec grand intérêt la l’accession aux sommets du pouvoir dans l’ombre de Nerva puis de Trajan, les luttes des factions, les complots, les alliances.

Delta du Danube
Delta du Danube

L’évolution des idées politiques et religieuses est également intéressante. Après les conquêtes de Trajan, Hadrien veut consolider la paix, établir des frontières sûres. Qui ne connait le Mur d’Hadrien ? Avec les roitelets orientaux il préfère la diplomatie et le compromis plutôt que la guerre. En Alexandrie, il tente de concilier les factions, Grecs et Juifs en rivalité. Pourtant vers la fin de son règne, il ne saura éviter les Guerres juives meurtrières avec Bar Kochba et Akiva. C’est pendant le siège de Bethar qu’il sentira les premières alertes du déclin de sa vigueur et de sa santé.

Italica - Andalousie - ville de la naissance d'Hadrien
Italica – Andalousie – ville de la naissance d’Hadrien

Un seul regret, l’absence de notes en bas de pages. Cet ouvrage est tout d’abord un roman. J’aurais aussi aimé des références historiques.

 

 

 

AU SOLEIL – Naissance de la Méditerranée estivale – Jean-Didier Urbain

urbain-au-soleil-couvLa Méditerranée comme personnage de cet essai.

Jean- Didier Urbain, ethnologue, bouscule les idées reçues.

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Non! la Méditerranée n’a pas toujours été la « Grande bleue », elle a gagné ce surnom en 1868, en 1887, fut inventée  la Côte d’Azur. La couleur bleue n’a pas toujours été celle de la mer, plutôt verte, selon Monet, ou grise.  Urbain raconte un siècle de l’histoire  du tourisme en Méditerranée: des voyages romantiques au tourisme de masse et au Club Méditerranée, de1868 à 1968  » sous les pavés la plage« .

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Maniant le paradoxe, il affirme que la plage n’a pas toujours été à la mer, plutôt en rivière, que le tourisme estival en Méditerranée n’allait pas du tout de soi, que l’ombre était privilégiée au soleil et que les 3 S  n’ont pas toujours été Sea, Sex and Sun encore moins Sea Sand and Sun mais plutôt Santé Sexe et Saint-Sépulcre.

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Il conte la saga de la Dame Bleue, au triple visage : La fille, la mère et la Grand mère, l’Orient, l’Azur et l’Hellénie, ou la Putain, l’Infirmière et la Maman triple identité figurant les 3 aspects du voyage en Méditerranée : l’Orient mystérieux des harems et des maisons closes, des bordels orientaux et du sexe libéré, l’Azur des hivers tempérés où on tentait de recouvrer la santé, l’Hellénie symbolisant les ruines antiques visitées lors du Grand tour ou les pèlerinages organisés par Thomas  Cook, l’inventeur du tourisme .

affiche hyers

Tourisme et villegiature, cet essai met en scène les différents acteurs de la migration saisonnière. A la Belle Epoque,  riches Anglais ou Princes russes fuyaient les rigueurs de l’hiver au nord. De riches navigateurs snobaient les rivages et se contentant d’admirer de loin les côtes des îles sans s’y attarder, tandis que d’autres s’encanaillaient dans les bordels d’Alger, du Caire et de Constantinople. Vinrent ensuite les naturistes aux îles d’Hyères, et enfin le Club Méditerranée, mais Urbain, n’étant pas à un paradoxe près, le qualifie de polynésien.

J’ai lu avec grand plaisir cet essai,. j’ai surtout aimé les références aux peintres – Matisse, Derain et tant d’autres, et aux écrivains, de Flaubert, Théophile Gauthier, Pierre Loti ….. J’ ai appris que le premier bain de soleil de la littérature se trouve dans l’Immoraliste de Gide, de lire les poèmes naïfs glorifiant la côte d’Azur. Les analyses des affiches m’on aussi amusée. Bien sûr, il y a quelques longueurs parce J-D Urbain enfonce le clou dans ses démonstrations, cite ses sources, comme dans tout livre sérieux.

 

 

 

Le dernier seigneur de Marsad – Charif Madjali

LIRE POUR LE LIBAN

Majdalani

La guerre en Syrie, la situation politique volatile – depuis longtemps – n’incitent pas au voyage touristique.

Reste la lecture!

Dernièrement j’ai été comblée:  Anima de Wajdi Mouawad et les Désorientés de Maalouf parus l’an passé, mais aussi le Voyage en Orient de Nerval et celui de Lamartine m’ont transportée sur cette rive de la Méditerranée.

Le Dernier seigneur de Marsad raconte la chronique familiale des Khattar, clan grec-orthodoxe originaire de Marsad, faubourg de Beyrouth, des années 1870 aux années 1980. Ascension  sociale de  cette famille de menuisiers qui sut profiter de la Première Guerre mondiale pour spéculer, des alliances avec des notables chrétiens, de l’acquisition de terres et d’un domaine dans la montagne. Chakib, le dernier seigneur, règne sur son quartier, son usine de marbre, le village de Kfar Issa avec une autorité quasi-féodale. Il distribue ses largesses à ses vassaux campagnards, est entouré d’une véritable cours en ville, fait et défait des élections et veille à maintenir son influence jusque dans les soubresauts de la guerre civile, quand Marsad se vide des chrétiens qui rejoignent Beyrouth-Est et que les musulmans réfugiés investissent les demeures restées vides.

C’est en seigneur que Chakib règne. Son souci est la transmission de son patrimoine, son usine, son domaine, son prestige. Son fils aîné, dépensier, volage et superficiel n’est pas capable de lui succéder. Il a bien des gendres, mais ils ne valent pas mieux. Le plus jeune fils Elias, serait brillant. Intellectuel, il épouse la cause des Palestiniens et des communistes et ne saurait prendre la direction de l’usine…

En lisant cette saga, on assiste aux mutations du Liban pendant un siècle, on découvre les rivalités,  les subtilités des équilibres de pouvoir entre les clans, les communautés, les alliances parfois contre nature. La guerre  s’installe à Marsad, respectant d’abord l’autorité du notable puis s’enfonçant dans  la destruction, le chaos, et la spéculation foncière.

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