Benny Ziffer – nous autres levantins

VOYAGE EN ORIENT 

benny ziffer

Benny Ziffer est un journaliste israélien. Il se revendique aussi comme « levantin » – d’un Levant qui s’étendait d’Athènes au Caire, Istanbul pour métropole, le Français pour lingua franca, la littérature, le cinéma et la peinture pour valeurs.

Ses carnets de voyage nous emmènent successivement au Caire, à Amman et ses environs, à Jérusalem, sur les pas de Mark Twain en Galilée, à Istanbul, à Athènes et même à Paris.

Peu d’attractions touristiques, les touristes sont plutôt considérés avec commisération. Au lieu de visiter les sites et les musées, Ziffer flâne dans les marchés avec une prédilection particulière pour les bouquinistes qui vendent à même le trottoir les livres en français  à l’Ezbeqieh  ou les suspendent avec des pinces à linge près de Beyazit. Il traîne dans les cafés et les lieux nocturnes du Caire en compagnie de son acolyte Niemand – personne – un Ulysse poète juif qui reviendrait à Ithaque/le Caire- improbable personnage, double imaginaire de l’auteur. Il passe une soirée avec Mahfouz. Nous emmène au cinéma….

A Alexandrie il rencontre le sosie de Cavafy, mais il faut se méfier des histoires qu’on colporte sur Alexandrie. J’en ai fait l’expérience personnelle!

C’est sur la piste d’une phrase de Flaubert qu’il traverse la Jordanie et nous en apprendrons plus sur le verre peint d’Hébron vendu par un arménien que sur le musée d’Amman.

J’ai été étonnée de la porosité des frontières. Ziffer ne se cache nullement d’être israélien. Au contraire, sa carte de presse lui ouvre certaines portes fermées.

Chaque fois, il souligne les parentés, les ressemblances entre les Levantins. Quant aux religions, elles offrent de surprenantes découvertes, Ziffer va à la synagogue au Caire et dans un monastère à Jérusalem. C’est en Israël, qu’il assiste à une cérémonie mystique soufie de derviches tourneurs.

Son récit à Istanbul est plus personnel, il touche de près ses origines familiales, la maison de ses parents, leurs amis. Plus politique aussi, le rapport au sionisme, politique turque aussi.

Et si le Moyen Orient oubliait ses différences pour ne vivre que ce qui rassemble?

http://www.turquieeuropeenne.eu/5627-Voulez-vous-des-nouvelles-du-chat-d-Erol-Guney.html

lire aussi cet interview de Benny Ziffer

Podcast de France Inter

L’institutrice – film israélien de Nadav Lapid

CINEMA ISRAELIEN

l'instutrice affiche

 

Pour le plaisir de l’hébreu, je n’aurais pas raté ce film qui a de bonnes critiques.

J’en sors perplexe.

Est-ce un bon film?

Un bon film raconte une histoire. Certes, l’histoire est originale, le rythme de la narration accroche et je ne m’y suis pas ennuyée malgré la durée(c’est la mode en ce moment les films de 2h!).  Un bon film offre de belles images, des points de vue inattendus, presque : la pluie  « à hauteur de chat », les arbres du quartier de la balançoire, rien d’exceptionnel. Un bon film défend une idée, ici, c’est la poésie. De la poésie dans un monde de soldats, c’est une bonne idée, encore faut-il de la bonne poésie…

l'institutrice yoav

 

Et là, je suis moins convaincue. Craquant avec son zozotement enfantin. Mozart de la poésie comme le présente Nira,? Sûrement pas. Comment a-t-il eu l’idée de la corrida, et ses transports amoureux? J’aurais aimé y croire, le lion orange, pourquoi pas? Mais le reste….

Ambigu, malsain, le rapport de l’institutrice à l’enfant. Que cherche-t-elle? A faire s’épanouir le don? En le malmenant pendant la sieste, alors qu’il ne songe qu’à dormir, en l’effrayant avec une fourmi. Cherche-t-elle à s’approprier ses poèmes en les lisant à son club de poésie comme si elle en était l’auteur? Manipulatrice. Jalouse,  quand elle évince la belle nurse qui utilise, elle aussi les créations de Yoav.

L'institutrice nira Ce n’est pourtant pas une femme en mal d’enfant, elle est mère d’un brillant officier et d’une lycéenne sympathique. Ses rapports avec les hommes sont aussi empreints de séduction. Dans la première scène, on voit le pied de son mari, regardant une émission vulgaire, on l’imaginerait méprisé,  non pas, leurs rapports sont tendres et érotiques.  Que cherche-t-elle avec l’oncle de Yoav, le journaliste poète, avec le père, restaurateur pour VIP, le professeur de poésie., dans la boîte de nuit?

Perplexe, je reste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ana Arabia – Amos Gitaï

TOILES NOMADES

ana arabia2le titre Ana Arabia, « je suis arabe »  me laissait imaginer autre chose. Ana Arabia est tirée d’une histoire vraie, une rescapée d’Auschwitz se convertit à l’Islam pour se marier avec un arabe. Après son décès, Yaël, jeune journaliste, veut raconter son histoire. Nous suivons ses pas dans un labyrinthe de cours, ruelles et jardins, le domaine de la famille de Youssouf, le mari et de ses amis.

Film tout en douceur, l’hôte est sacré, tous font bon accueil à la jeune femme, hésitante d’abord. On lui présente Miriam, la fille, Sara, la belle-fille, un fils pêcheur reconverti dans la vente des légumes, les voisins, les animaux, le cheval, les poules….

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Chacun est attaché à ce lieu bien délabré qu’il considère comme un paradis. leur paradis, depuis combien de temps? peut être 300 ans. Ici, ont vécu ensemble juifs et arabes. En 1948, une famille arabe a laissé à une femme juive un bébé qu’elle a élevé….Ici, on se préoccupe de la mer polluée, des plantes. Miriam préfère laisser les mauvaises herbes, ses grenades et citronniers poussent mieux avec

Chacun a une histoire émouvante, simple.

ana arabiaLes femmes parlent entre elles d’amour, de cet amour extraordinaire d’Hanna/Siam qui a duré malgré tout. De l’amour triste de Sara …qui plie le linge, trie les lentilles…

 

Un film envoûtant. Et finalement optimiste.

 

Gett : le Procès de Viviane Amsalem – Ronit et Shlomi Elkabetz

TOILES NOMADES

Procès de viviane amsale2

 Ronit Elkabetz est une magnifique tragédienne, avec sa présence, son physique d’héroïne antique; sa chevelure noire et son visage sans apprêt. Je me souviens d’une Pénélope au théâtre des Amandiers, mais aussi de son rôle dans Jaffa. C’est aussi une réalisatrice de talent qui met en scène un procès pour divorce devant un tribunal rabbinique.

Procès de viviane amsalem

Il n’existe pas de mariage civil en Israël, ni de divorce. Ce sont les autorités religieuses les seules compétentes. Viviane Amsalem se retrouve seule femme face à trois rabbins, un greffier, son avocat Carmel prendra la parole tandis que son mari Elisha est représenté par son beau-frère. Des voisins viendront témoigner. Paroles d’hommes contre celle d’une femme. D’hommes religieux, profondément. De ces hommes simples de la communauté marocaine. Que cherche donc Viviane? Le divorce. Mais pourquoi donc. Tous s’accordent pour louer Elisha, le mari. Un mari modèle, même libéral, selon certains. Pieux, modeste,  il a toujours bien nourri sa famille, il n’a jamais trompé sa femme, bon père aussi….Aucune cause de divorce. Ils ont vécu 20ans ensemble, ont eu 4 enfants. Mais que veut donc Viviane? Pourquoi a-t-elle quitté, il y a déjà 3 ans le domicile conjugal? Personne ne s’en soucie. Quand Viviane s’emporte contre son mari, contre le tribunal, le juge la remet à sa place parce que la place d’une femme est auprès de son mari et nulle part ailleurs. Qui voudrait d’une divorcée? Qui se soucie de son bonheur, seul compte l’honneur des hommes. A-t-elle trompé son mari? A-t-elle rencontré d’autres homme. Oui, son avocat!

le procès de viviane amsalem

Dans ce monde d’homme on a quand même convoqué quelques femmes, la sœur et la belle-sœur tentent de s’expliquer, mais comme elles sont maladroites devant les arguments des rabbins…La voisine n’ose pas parler en l’absence de son mari. Effacée soumise, pourtant c’est elle qui dévoilera les disputes violentes.

Elisha ne veut pas donner le gett, il ne divorcera pas. Acculé par 5 ans de procédures et de confrontation, même après un séjour en prison, il ne pourra pas prononcer la formule traditionnelle de répudiation la rendant libre à tout homme. Son entêtement irrite la Cour qui perd la maîtrise du jeu, mais personne ne peut le contraindre à répudier sa femme. Abkarian  joue un rôle subtil, tyran il paraît victime. Et puis, il « aime » sa femme. qu’est-ce qu’aimer, sinon posséder?

On pourrait aussi faire une critique esthétique. Raconter la sobriété.Le noir et blanc des costumes, et flamboyante, une seule fois, la robe rouge. Répétition des audiences qui se succèdent mais jamais ennui, une tension toujours prenante. L’explosion aussi et l’exaspération.

Que veut donc Viviane Amsalem? Exister. Etre libre.

lire aussi le blog d’Aifelle

Théra Zeruya Shalev

LITTÉRATURE ISRAÉLIENNE

En partance pour Santorin, j’imaginais que l’héroïne, archéologue faisant des recherches sur l’éruption du volcan aurait peut être des choses à me raconter. Très peu!l La plupart des allusions antiques à la civilisation minoenne disparue dans la catastrophe viennent de Knossos en Crète. L’hypothèse de ses conséquences en Égypte sur les Plaies d’Égypte et l’Exode ne sont  ni neuves ni documentées par des données archéologiques.
L’éruption cataclysmique, c’est la séparation du couple formé par Ella et Amnon. Séparation envisagée sereinement par Ella qui voit une ouverture dans sa vie une liberté nouvelle, mais qui tourne mal.
Avec la précision de l’archéologue, ou de l’entomologiste, l’auteure décortique les sentiments, les réactions, les tactiques, de la femme désemparée, du mari abandonné, des parents très critiques du divorce et même de ses amies,et bien sur,  de Gili, son fils de six ans. Ella s’enfonce dans la dépression.
Puis, tombe amoureuse d’un père de deux enfants. Une famille recomposée emménage dans un nouvel appartement. Nouvelles difficultés, réaction des parents, des enfants…
C’est une lecture assez pénible.
Tout ce processus est très bien analysé, on suit pas à pas Ella et ses  proches.
Peu de distance vis à vis de la famille qui est l’institution centrale. Peu de critique envers « l’instinct maternel ». Ella est une mère modèle. Les pères sont aussi très dévoués à leur progéniture. L’école cimente ces  « familles ».
Société bien conservatrice!

 

Jérusalem – La biographie de Montefiore et l’opéra de Jordi Savall

JÉRUSALEM

Vu sur Mezzo, par hasard, Jérusalem de Jordi Savall,  sous-titré Opéra!

Premières vues, je ne reconnais pas Jérusalem mais Fès, que les images de la médina sont belles!

Opéra bâti sur le canevas chronologique : le chofar annonce la ville juive antique. Puis je reconnais du Grec, hellénistique ou byzantine? Les très anciennes mélodies arméniennes succèdent. Arrivent les Croisades. Espagnol, Catalan ou occitan? Les airs andalous sont aussi bien arabes que juifs ou espagnols. Une mélodie bosniaque, paroles en Ladino. parenté de ces musiques du pourtour méditerranéen, culture voisine. Le joueur d’oud est-il juif ou arabe? peut être est-il catalan. Jordi Savall a des airs de poète, de juif errant, de pâtre grec… on ne sent pas l’autorité du chef, seulement le plaisir partagé de la belle ouvrage.Pas seulement pour le plaisir : le chant des morts d’Auschwitz, Treblinka, Maïdanek, me donne des frissons. Quelle musique pourra lui succéder? Les plaintes arméniennes sur la ville d’Ani détruite…

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3000ans d’histoire, vu de Jérusalem qui fut juive, grecque, romaine, chrétienne, byzantine, arabe, croisée, mamelouke, ottomane, britannique, jordanienne et israélienne….
Ville du roi David, de Salomon, mais aussi d’Hérode,  Godefroi de Bouillon, de Saladin, même de Frédéric II et de Baibars, de Soliman le « second Salomon », puis des Familles palestiniennes Husseini ou Nusseibeh…des mystiques, Messies et faux Messies
Ville du temple détruit par Nabuchodonosor, par Titus, ville de Jésus, d’où Mahomet s’est élevé.

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De Jérusalem on peut raconter l’histoire des Perses, d’Alexandre, de Rome ou de Constantinople, celle de l’Egypte des Abassides, aux Fatimides, des Croisades, l’épopée de Bonaparte, celle de Lawrence d’Arabie, les intrigues britanniques de la Première ou de la Seconde Guerre Mondiale; la naissance d’Israël…
Montefiore est très bien placé pour raconter Jérusalem : un quartier de la ville porte le nom de son ancêtre.
J’ai eu du mal à accrocher au début, mythe et histoire tellement mêlés que je ne m’y retrouvais pas. mieux vaut relire la Bible, ai-je pensé, ou Flavius Josèphe.
Dès la deuxième partie, je me suis laissé emporter. j’ai beaucoup aimé la galerie de personnages. j’ai découvert des Reines alors que je n’attendais que des héros : Hélène, la première archéologue, mais aussi Eudoxie que j’ignorais, Théodora

Theodora à Ravenne
Theodora à Ravenne

que j’avais vue à Ravenne, et des Reines Croisées que je ne soupçonnais même pas. J’ai adoré les chevaleresques Richard Coeur de Lion et Saladin, le Roi lépreux…

Richar visite saladinJ’ai aimé rencontrer des érudits comme Maimonides ou le Rambam, Ibn Khaldoun, moins connu Evliya le derviche conteur, des aventuriers. Des missionnaires.
Une époque particulièrement vivante et bien racontée est celle de la Jérusalem cosmopolite, arabe, chrétienne, russe, britannique et juive, mondaine drôle opposée à celle mystique des pèlerins des trois religions.
Bien analysée, la politique britannique, parfois religieuse, parfois très cynique.

Un livre passionnant que j’ai dévoré.

Destins croisés – Israéliens Palestiniens, l’histoire en partage – Michel Warschawski

ISRAEL/PALESTINE

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A travers les sagas familiales de deux familles, l’une palestinienne, l’autre juive polonaise, l’auteur raconte le 20ème siècle.

Roman historique? L‘auteur s’en défend. Ce n’est pas un  roman c’est un livre d’Histoire ou plutôt un livre d’histoires destiné aux élèves et aux enseignants presque un manuel scolaire comme le préface Avraham Burg – Ancien Président de la Knesset. Je ne suis pas sûre que le meilleur moyen d’enseigner l’Histoire soit de raconter des anecdotes. Travailler sur de réels documents est tout aussi vivant. J’ai souvent besoin, d’un bibliographie et d’un corpus de notes pour me sentir en confiance.

Même si j’ai des réserves sur le « roman » dont les personnages trop nombreux et peu étoffés, que j’ai eu du mal à identifier au cours de la lecture, ou pour le style parfois un peu négligé, j’ai été passionnée par la somme d’informations bien amenées.

Les pionniers de Degania et du mouvement ouvrier ont toujours été glorifiés (et chantés) de la tour d’Ezra aux chansons de l‘Hashomer, je n’aurais jamais imaginé les actions de destruction des produits maraîchers arabes sur les marchés. L’auteur qualifie d’apartheid la politique de la Histadrout vis à vis de l’embauche prioritaire juive. De même, j’ignorais tout des mouvements politiques palestiniens pendant le Mandat britannique. Cet éclairage est nouveau pour moi.

Trois pages après la liste des victimes de la Shoah dans la famille Friedman Waraschawski raconte la Catastrophe , la Nakba qui a dispersé la famille palestinienne, terrorisme juif du groupe Stern, opérations militaires et finalement exode…

J’avais oublié Karameh et Septembre noir.

Beaufort et la guerre au Liban sont racontés du point de vue des deux protagonistes.

L’espoir des accords d’Oslo, bouffée d’enthousiasme.

Et pour terminer Rachel, écrasée par un bulldozer pour avoir tenté de protéger des oliviers.

 

Jérusalem 1900 – Vincent Lemire

jérusalem couverture

Il est banal d’affirmer que la question de Jérusalem est un des obstacles majeurs aux négociations de paix,  que nul n’est prêt à renoncer à la ville sainte pour capitale, et que le partage de la ville, retour à la situation d’avant 1967 serait impossible .

Pourtant, l’auteur l’affirme, Jérusalem n’a pas toujours été le champ de bataille où s’affrontent Juifs et Palestiniens. Une autre histoire, oubliée, s’est déroulée à l’orée du XXème siècle:« Jérusalem 1900 – la ville sainte à l’âge des possibles ». Au tournant du siècle, une municipalité réunissait musulmans, chrétiens et juifs  sous l’empire ottoman la cité, pour gérer les adductions d’eau, la voirie, la santé publique, pour moderniser l’urbanisme d’une ville en expansion qui voyait sa population quitter les murailles de Soliman et s’étendre dans les quartiers de la ville nouvelle. La population, toutes confessions confondues, se massait à l’inauguration de la gare, ou d’une fontaine publique, ou de la Tour de l’Horloge. Il y eut même une révolution en 1908 avec le rétablissement de la constitution ottomane, « on s’appelle frère, on s’embrasse, on jure fidélité à la devise jeune-turque « Liberté, égalité, justice, fraternité ».

jérusalemJérusalem n’était donc nullement « une province reculée sans loi ni administration. La vie s’y déroulait, dans le carcan de la tradition et au rythme du chameau » comme l’a écrit Tom Segev,  distingué historien israélien.

Pourquoi cette histoire a-t-elle été occultée? C’est le propos de l’ouvrage de Vincent Lemire qui administre une magistrale leçon d’histoire.

Il commence par commenter les cartes de Jérusalem communément présentées avec une ville divisée en quatre quartiers correspondant chacun à une communauté: Musulmans, Chrétiens, Arméniens et Juifs. Dans le premier chapitre « Le dessous des cartes » il démontre que ces cartes ne correspondent aucunement au peuplement réel de la ville. Elles seraient plutôt des « cartes touristiques » destinées au pèlerins cherchant les lieux saints dans la vieille ville. Les autochtones utilisaient une toponymie tout à fait différente de celle que présente ces cartes aux 4 quartiers. L’analyse des recensements montre au contraire une grande mixité dans chacun de ces quartiers. Il compare cette utilisation des cartes à celle des plans que les offices de tourisme distribuent aux touristes Chinois ou Japonais à Paris. Le manque de sérieux correspond-il à un présupposé idéologique privilégiant la séparation des communautés?

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Le 2ème chapitre montre comment s’est construite la ville-musée  à destination des pèlerins au cours du19ème siècle. Étrange invention d’une tombe du jardin – Saint Sépulcre-bis par les Protestants, privés de garde dans le vrai. Archéologie approximative : dans les fouilles du prétoire ou de la via Dolorosa, des monnaies du 2ème siècle après JC trouvées sous les dalles ne troublant pas la foi des croyants.

Ce chapitre reprend les écrits des écrivains-voyageurs. Il s’ouvre sur une citation de Pierre Loti qui « tourne le dos à la ville moderne » qu’il a découverte du chemin de fer. le réflexe folklorisant chez les pèlerins, les touristes et les écrivains n’a rien d’étonnant. Ils viennent chercher les Lieux saints qu’ils connaissent ou croient connaître. Déjà Chateaubriand en 1811 a ce regard empreint de préjugés, vision morbide quand il décrit ce boucher arabe :«  à l’air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés, vous croiriez qu’il vient plutôt de tuer son semblable que d’immoler un agneau », cette scène renvoie à l’idée d’une cité-déicide.

Reconstruire l’histoire de Jérusalem à la lecture des écrivains romantiques est certes plus facile que de consulter les archives écrites en ottoman – graphie et même langue qui a disparu depuis Kémal Atatürk. La perception de l’histoire de Jérusalem doit beaucoup à ces préjugés. L’historien qui s’attache aux sources fiables fait des découvertes très différentes. Même quand il s’agit des lieux saints d’hybridation entre les différentes confessions est courante. L’enchevêtrement entre les traditions religieuses culmine quand il s’agit de la Tombe de David au sommet du Mont Sion, où les Franciscains sont expulsés en 1624 ; leur église est remplacée pour une mosquée entretenant le souvenir de Nebi Daoud, le « prophète juif ». Étrange homophonie entre le nom du Roi Salomon et de Suleyman l’ottoman qui conquit la ville!

Il est aussi important de situer l’histoire de la ville dans le contexte de l’empire ottoman, qui n’était peut être pas aussi décadent qu’on a bien voulu l’affirmer « l’homme malade » . La Palestine était loin d’être « une terre sans peuple » et sans administration. « Orientalisme occidental, sionisme et nationalisme arabe se sont paradoxalement donné la main pour enterrer l’histoire de la Palestine et de la Jérusalem ottomane sous une « légende noire » qu’il est aujourd’hui urgent de revisiter.

L’auteur livre une galerie de portraits d’administrateurs compétents, polyglottes, modernes qui contraste avec les préjugés. Il détaille l’action municipale. Quoi de plus symbolique que cette horloge de 25m construite hors les murs en face de la Mairie neuve qui devait donner l’heure universelle alors qu’autrefois le muezzin, les cloches ou le chofar réglaient les prières des fidèles des confessions diverses!

Un livre passionnant, peut être un pas vers une histoire partagée, et une autre vision politique?

 

Le dernier Berlinois – Yoram Kaniuk

LITTÉRATURE ISRAÉLIENNE

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Incipit :

« Mon premier voyage en Allemagne n’a pas été un voyage à proprement parler, mais plutôt une traversée de l’Allemagne. En  hiver 1984, après une semaine passée à Copenhague, à la veille de mon retour en Israël, je fis un rêve […]une violente envie de partir à la rencontre des fameux livres de mon père m’assaillait  ou, pour reprendre les arguments publicitaires pour les produits allégés : manger sans grossir. Aller en Allemagne sans y être »

Le Dernier Berlinois, commence comme un journal de voyages d’un Israélien à travers l’Allemagne sur les traces de son père et de la culture allemande.

Le premier voyage n’en est pas un, c’est une traversée de nuit en train, de Copenhague en Hollande dans un compartiment bloqué…traversée tellement symbolique.

Pour le second, en 1986 il est l’invité officiel du cabinet du président allemand. D’autres suivront, conférences ou rencontres d’écrivains. …
Point de tourisme!
Yoram Kaniuk connaît sans doute mieux l’Allemagne que les personnages qu’il croise. Son père lui a lu Goethe, Heine ou Thomas Mann, Son Allemagne est littéraire et juive.
Au début, il va à la rencontre des Allemands avec beaucoup de préjugés et de provocation. Il croit rencontrer des anciens nazis qui n’en sont pas et raconte ses erreurs avec humour.
Par la suite la relation de voyage fait place à une galerie de personnages, certains sympathiques d’autres pas. Je pense à » La Fin de L’Homme Rouge »  pour  les récits de parcours individuels d’Allemands ou de Juifs allemands et même d’Israéliens vivant en Allemagne.
Il est venu régler ses comptes avec l’Allemagne, avec les Allemands indissociables des Juifs. Il veut rendre compte de l’absence.
Solder les comptes de la Shoah est impensable. Réfléchir aux procès de Nuremberg et d’Eichmann est envisageable.
Rencontre avec des écrivains, ses pairs, avec Heirich Böll et Gunther Grass et d’autres. Avec eux il va pouvoir discuter, du moins le croit-il parce que la guerre d’Irak place une partie des intellectuels allemands en opposition à Israël. La réflexion des rapports entre les Allemands et Israel rend Le Dernier Berlinois plus actuel.

Yishaï Sarid – Le Poète de Gaza

LIRE POUR ISRAËL


Tout d’abord, il n’est question  ni de poésie, ni de Gaza. L’action se déroule pour part à Tel Aviv, et pour part dans les sous-sols de la Sécurité à Jérusalem, avec deux excursions, l’une sur les bords de la Mer Morte, l’autre à Limassol, Chypre.

Thriller très noir. Un officier des renseignements israélien, chargé d’interroger des Palestiniens pour éviter des attentats-suicides peut-il agir selon les procédures légales ? Peut-il rester humain et non pas une brute ? La réponse est claire :  les procédures légales ne donnent rien. Le narrateur, officier, recruté pour sa culture, son ouverture d’esprit, pour avoir des résultats, va déraper jusqu’à la bavure – il étrangle un témoin, pas même suspect. Son supérieur, figure paternelle, bienveillant, d’un calme étrange, trouve dans la religion la sérénité. Comment être serein ? Il protège le héros, tente de lui faire garder l’équilibre, alors que, même après le drame, ce dernier revient aux interrogatoires, comme un drogué à sa came.

Une autre mission se déroule en marge. Le policier doit se faire passer pour un écrivain débutant pour approcher une romancière, Dafna amie d’un poète gazaoui dont le fils est un chef de réseau terroriste. Le poète atteint d’un cancer en phase terminale doit être soigné en Israël et s’installe chez Dafna. Une curieuse intimité s’établit entre le poète et l’officier, presque de l’amitié. Jusqu’où le conduira cette mission ? …Bien sûr, pas question de dévoiler la fin.