Hiver au Proche-Orient – Anne-Marie Schwarzenbach – Payot Rivages

VOYAGE EN ORIENT

Encore une écrivaine-voyageuse! Une exploratrice dans le cortège des Gertrud Bell, Alexandra David-Neel, Ella Maillart, Agatha Christie…et tant d’autres. J’ai rencontré Anne-Marie Schwarzbach en compagnie d‘Ella Maillart dans La voie cruelle, les deux voyageuses, à bord d’une automobile sur la Route de la Soie, jusqu’en Afghanistan. Le podcast Vies de Voyages : Annemarie Schwarzenbach : « l’ange inconsolable » (1908-1942)  CLICm’a donné envie de télécharger ce récit de voyage.

Annemarie Schwarzenbach est née à Zurich. Amie de Klaus et Erik Mann elle fuit l’Europe à la prise de pouvoir par les nazis et passe l’hiver 33/34 au Proche -Orient. Journaliste, photographe, elle accompagne des archéologues à travers la Turquie, la Syrie, le Liban, la Palestine, l’Irak et la Perse. 

C’est ici que l’on rassemble des peuples venus des plaines d’Orient pour les jeter à l’assaut de l’Europe ;
des religions naissent, se scindent et se figent en idolâtrie dorée. Ici des flottes accostent, d’humbles
croisés deviennent des usurpateurs et des seigneurs orientaux, Hellènes et Barbares se succèdent, et l’
individu, fût-il porphyrogénète1, n’est rien.

La première partie se déroule en Turquie, Istanbul, Ankara, la nouvelle capitale , Kayseri, capitale de la Cappadoce. J’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver les villages d’Urgüp et de Göreme et Konya que nous avons visitées autrefois.

Puis nous nous rendîmes par des chemins creux dans la mystérieuse vallée de Göreme. Le paysage
lunaire s’étendait à nos pieds, noyé dans des ondulations de brouillard et de raies de lumière jaune pâle, totalement irréelles, au milieu d’une forêt pétrifiée composée de cônes, de tours, d’aiguilles et de
pyramides

La deuxième partie  : la Syrie nous conduira à Alep, Damas bien sûr mais aussi à Baghras que je ne connaissais pas du tout sur les trace des Croisés

On raconte qu’en l’an de grâce 968 l’empereur byzantin Nicéphore Phocas2 et ses soldats victorieux
campèrent au pied de ses murailles. Il emmenait avec lui cent mille enfants païens, filles et garçons, tous
destinés au marché aux esclaves de Byzance.
[…]
est bien peu d’événements historiques qui nous troublent autant que les croisades et qui nous paraissent aussi difficiles à comprendre.
[…]
personne n’arrive à y discerner la part qui revient à l’Europe féodale – par exemple la splendeur tardive
de la cour de Bourgogne –, la part d’effervescence chrétienne et catholique contrainte de s’exprimer

A Beyrouth : soleil sur la côte méditerranéenne et neiges dans les montagnes et même du ski dans les vignobles. 

« le voyage de Beyrouth à Jérusalem fut extraordinaire »

note-t-elle, et l’arrivée à Jérusalem comme je l’imaginais.

La Troisième partie : Irak m’a énormément plu. De l’Irak, je ne connaissais presque rien en dehors des Antiquités Orientales du Louvre, la lecture récente de Mesopotamia d’Olivier Guedj a excité ma curiosité. En compagnie d’Annemarie Schwarzenbach et des archéologues le lecture découvre les sites antiques d‘Ur, Uruk et Babylone 

Lion de Babylone

« J’étais revenue vendredi soir de Babylone avec le professeur Jordan. Quel dommage que ces ruines soient
devenues si facilement accessibles ! Des foules de promeneurs, munis de leurs paniers pique-nique et
papotant en anglais, arpentent Babel et foulent sans le moindre respect le pavage de la voie
processionnelle de Nabuchodonosor. Ils sont tout heureux de reconnaître sur l’ancienne porte d’Ishtar
ces magnifiques animaux fabuleux à la démarche si noble, modestes cousins des émaux bleus plus
tardifs que l’on a vus auparavant au musée de Bagdad ; et le lion que Miss Bell a placé sur un socle pour
qu’on puisse le photographier plus facilement résiste avec patience à l’assaut quotidien des Kodak et des
Leica. « 

On marche sur les pas d’Abraham et de ses troupeaux, les nomades qui vivent encore ont peut être gardé les mêmes modes de vie. Ziggurat, Tour de Babbel,  palais antiques,  canal d’Hammourabi  cela me fait rêver.

Tello Hommes barbus

A côté des ruines antiques Annemarie Schwarzenbach n’oublie pas de visiter les villes saintes des Chiites Kadhimyia, Kerbela, Nadjaf. kerbela avec ses convois funéraires de pèlerins est bien funèbre. Elle présente une version bien sinistre des moeurs et processions chiites. Occasion de faire connaissance avec les tragédie d’Ali, Hussein. De croiser des pèlerins persans « blèmes, sinistres avec leurs barbes noires » sous l’influence de l’opium. A propos d’opium, justement, une anecdote ancienne :

Haroun al-Rachid envoya un peu de cet opium à Charlemagne : étrange cadeau, mais qui prouve en
quelle haute et confiante estime était tenue la drogue, puisque même à la Cour elle avait droit de cité

D’Irak  ils passent en Perse au début du printemps dès que les cols se libèrent de la neige. Le voyage continue en Iran

nous suivîmes alors la route des armées perses parties jadis faire campagne contre la Grèce.

Routes de montagne, Portes Caspiennes, nous rencontrons les Mongols nous approchons de la Russie. Dans la Caspienne on pêche l’esturgeon pour le caviar. Encore un autre monde à découvrir!

Un voyage passionnant pour découvrir une région aux traditions si variées et à l’histoire millénaire

PS. un autre podcast RadioFrance : la conversation littéraire : Sur les routes du monde, les reportages d’Annemarie Schwarzenbach CLIC

Sous les cyprès d’Eyoub – Philippe Khatchadourian

ARMENIE/NORMANDIE

Dans les vieilles rues de Gümri . Alexandropol?

J’ai eu envie de suivre Passage à l’Est dans le Caucase, les algorithmes de ma Kindle m’ont proposé Sous les cyprès d’Eyoub et j’ai sauté sur l’occasion. J’ai fait autrefois la promenade sur la Corne d’Or à Istanbul jusqu’au cimetière d’Eyoub, j’y retournerais volontiers. Le patronyme de l’auteur en –ian, me laissait entendre qu’on parlerait des Arméniens et de l’Arménie…. Il ne m’en fait pas plus pour télécharger un livre!

De Gümri alors appelée Alexandropol, à Granville dans le Cotentin. De chapitre en chapitre nous sautons de 2014, au décès du père du narrateur, en 1914 à la veille de la Révolution quand l’Empire Russe s’étendait jusqu’au Caucase. Grandes traversées dans l’histoire et la géographie. Avec des escales à Constantinople, Bolis, la Ville, et à Venise – la promenade dans Venise est particulièrement agréable. 

C’est la quête des racines et de l’histoire familiale du narrateur, Alexis, natif de Granville, de parents normands qui enquête sur son grand-père arménien qu’on lui a interdit de fréquenter. Que cache cet ostracisme familial?  C’est l’histoire de trois générations de combattants dans la première Guerre mondiale et les armées blanches, dans la seconde et la guerre d’Algérie. Patriotisme et héroïsme guerrier : pas forcément ma tasse de thé. En filigrane, des femmes au caractère bien trempé.

Une histoire très romanesque, agréable lecture mais le côté historique reste un peu superficiel.

Bilan lectures 2024 – Statistiques – Et si on pensait à la parité ?

Avec l’aide de Babélio, mes statistiques sont vite faites : 

102 livres au 21/12, j’ai dépassé de 2 le défi de 100 fixé pour l’année.

43 livres écrits par des écrivaines / 102 livres.  (et encore j’ai compté comme livre écrit par une femme les BD de Catel&Boquet) très limite…..

Certains livres entrent dans plusieurs catégories. J’ai adopté un code couleur. Est-ce vraiment pertinent?

A PROPOS D’UN VOYAGE AU MAROC :

5 écrits par des écrivaines, 5 par des hommes

Leila Slimani : Regardez-nous danser (t2)

Meryem Alaoui : La vérité sort de la bouche du cheval

Zineb Mekouar : La Poule et son cumin, souviens-toi des abeilles

Samira El Ayachi : : Le ventre des hommes 

 

Fouad Laraoui :  Les tribulations du dernier Sijilmassi

Mohamed Nedali : Le Poète de Safi

Edmond Amran El Maleh :Parcours immobile

Soufiane Khaloua : La Vallée de Lazhars

Ruben Barrouk : Tout le bruit du Guéliz

A PROPOS D’UN VOYAGE A MARSEILLE

Pour la parité, peut nettement mieux faire!

Jean Claude Izzo : Total Khéops, Chourmo, Solea, le soleil des mourants, Les marins perdus

Albert Cohen :Ô vous frères humains

Christophe Gavat : Cap Canaille

Marcel Pagnol : Le temps des amours

Albert Londres : Marseille porte du sud

Anna Seghers : Transit

 

A PROPOS DU 7 OCTOBRE, des Juifs, Israël, 

Delphine Horvilleur : comment ça va pas? Conversations après le 7 Octobre, il n’y a pas d’Ajar

Albret Londres : Le Juif errant est arrivé

Rebecca Benhamou : L’horizon a pour elle dénoué sa ceinture

Eva Illouz : le 8 octobre : Généalogie d’une haine

Rosie Pinhas-Delpuech : Naviguer à l’oreille

Valérie Zenatti : Qui-vive

Laure Hoffmann : A l’Orient désorienté

Nathan Davidoff : Le Juif qui voulait sauver le Tsar

Edmund de Waal : Le Lièvre aux yeux d’ambre

A PROPOS D’UN VOYAGE EN CORSE

Marie Ferranti : La fuite aux Agriates, La passion de Maria Gentile

Jérôme Ferrari : Balco Atlantico, Nord-Sentinelle

jean Marc Graziani : De nos ombres

Jean-Claude Rogliano : Les mille et unes vies de Théodore, roi de Corse

WG Sebald : Campo Santo

LISONS MARYSE CONDE et littérature caraïbe

Maryse Condé :  Le Cœur à rire et à pleurer, La vie sans fard, Segou, la belle Créole, L’Evangile du Nouveau Monde

Estelle-Sarah Bulle : Basses Terres

Raphaël Confiant : L’Hôtel du bon plaisir

Alejo Carpentier : La harpe et l’ombre

LISONS KADARE : Le Général de l’Armée morte; le Dîner de trop

FEUILLES ALLEMANDES

Andréa Wulf : Les Rebelles magnifiques : les premiers romantiques et l’invention du Moi

Anna Seghers: Transit, La Septième Croix

Christa Wolf : Trame d’Enfance

Nino Haratischwilli : Le Chat, le Général et la Corneille

Joseph Roth : Job, roman d’un homme simple

Franz Werfel : une écriture bleu pâle

Catalin Dorian Florescu : L’Homme qui apporte le bonheur

LITTERATURE FRANCAISE

Hélène Gestern : 555

Leila Slimani : Le parfum des fleurs la nuit

Lola Lafon : Quand tu écouteras cette chanson, La petite communiste qui ne souriait jamais

Maylis Kerangal : Jour de Ressac

Laure Murat : Proust roman familial

Anita Conti : Racleurs d’océan

Evelyne Bloch-Dano :Madame Zola

Anne Vantal : Pondichéry ou le rivage des ombres

Olivier Guez : Mesopotamia

Gérard Lefondeur : les enquêtes d’Anatole Le Braz;

Bernard Clavel : Cargo pour l’Enfer

Simon Berger : Laisse aller ton serviteur

Jules Verne : Les forceurs de blocus

Balzac : les secrets de la princesse de Cadignan

Marcel Proust : A la Recherche du Temps perdu

Romain  Gary : Chien Blanc

Pierre Assouline : Albert Londres : vie et mort d’un grand reporter

DIVERS, dans l’ordre chronologique

David Bainbridge : Paléontologie, une histoire illustrée

Kapka Kassabova : Elixir

Robert McAlmon : Mémoires de Montparnasse des années folles, bandes de génies

Annette Wieviorka : Anatomie de l’Affiche Rouge

Gouzel Iakhina : convoi pour Samarcande

Hanna Krall ; les Fenêtres

Andreï Kourkov : journal d’une invasion

Jean Dytar : #j’accuse…!

 

Inès Daléry : Yannis Ritsos : J’écris le monde

Christy Lefteri : Le Livre du Feu

Makis Malafekas : le mur grec

Catel&Boquet : Anita Conti, Joséphine Baker

LITTERATURE ITALIENNE

Erri de Luca : Les Règles du Mikado

Viola Ardone : Le Choix

Alessandro Manzoni : Histoire de la colonne infâme

 

la liste est longue et incomplète, quelles seront les lectures pour 2025?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Naviguer à l’oreille – Rosie Pinhas-Delpuech

 

 

Rosie Pinhas-Delpuech m’accompagne lors de mes promenades quotidiennes, podcasts Radio-France, CLIC . Après cet épisode de Fous d’Histoirej’ai téléchargé son dernier livre Naviguer à l’oreille après les Suites byzantines, La Faille du Bosphore et le Typographe de Whitechapel que j’ai lus avec  bonheur. Ecrivaine, Rosie Pinhas-Delpuech est également traductrice de l’hébreu. 

« La nuit, je les écoute de mon lit, ils mélangent l’allemand, le français et l’espagnol : l’allemand pour que les enfants, la petite et la grande, die kleine et die grosse, ne comprennent pas ; le français pour articuler,
raisonner ; l’espagnol domestique, par exaspération. »

A l’oreille, dès l’enfance à Istanbul elle naviguait dans un univers polyglotte : Allemand de sa mère, Français du père, Espagnol de sa grand-mère, Turc de la rue et de l’école. Ce qui, dans la ville cosmopolite n’était rien d’extraordinaire, Grec, Arménien, se faisaient entendre, entre autres…

Et comme si les mots ne suffisaient pas, s’ajoute la musique délivrée par le poste de radio Blaupunkt qui est un personnage à part entière dans sa famille

« Un grand oeil bleu-vert sur le front de la radio qui rétrécit ou se dilate selon la fréquence de la station et la stabilité des ondes,[…] je l’identifie à l’œil de Dieu qui regardait Caïn, à celui d’Atatürk qui surveille le pays
de sa prunelle bleu d’azur au-dessus du tableau noir à l’école. Lui aussi me regarde sans jamais cligner les
yeux. Et à un danger qui nous menace tous, à tout moment, qui plane sur le dedans et le dehors »

Deux chapitres de ce court livre font référence à la radio Blaupunkt et My radio days beaucoup plus tard avec l’apprentissage d’une nouvelle langue : l’Anglais et les chansons de Sinatra, Elvis Presley…et accessoirement La famille Duraton. 

La radio diffuse aussi l’actualité : le procès de Yassiadia au tribunal militaire qui juge un Président de la République après le coup d’état qui renverse le gouvernement turc en 1960. Et Rosie découvre que

« La Blaupunkt mentait désormais, les adultes mentaient, dans ma culotte il y avait du sang, tout était trouble, tout basculait, il n’y avait plus de musique et il n’y avait pas encore de mots »

11 avril 1961, un autre procès est diffusé par une autre radio : Le Procès Eichman dans un autre pays qui évoque à la jeune fille l’Utopie de Thomas More

« Kol Israel est l’artère coronaire du pays, on l’entend partout, mais contrairement au Nous de Zamiatine,
à la série Le Prisonnier, ou aux films de propagande nazis, soviétiques ou chinois, avec les haut-parleurs
haut perchés dans le ciel et une voix unique omniprésente au-dessus des têtes des citoyens, Kol Israel reflète à la fois un tissu collectif fort, quasi familial, et ses trous, sa cacophonie, jusqu’à aujourd’hui, de guerre en guerre, de joie en chagrin. Il y a encore dans cette radio une part d’un Nous d’utopie »

Et le roman bascule avec ce Procès dont la diffusion doit trouver un compromis entre la justice et le témoignage devant l’histoire. Ici encore, le poids de la langue est capital.

Dans la bouche des survivants, sous le poids de ce qu’ils disent, cette langue neuve craque
[…]
Sans doute, à un certain degré d’horreur, n’y a-t-il plus de langue, ça s’efface dans la tête, leur hébreu est
psychotique, ils disent l’indicible avec le détachement et la distance d’une langue étrangère récemment
apprise.

Le monde découvre l‘horreur de la Shoah 

L’appareil judiciaire israélien est d’émanation allemande, nombre de ses juges ont été formés à
Francfort, la ville de la première Constitution démocratique allemande. J’entends leur accent quand ils parlent, je le connais, le reconnais. De l’hébreu à l’allemand, de l’allemand à l’hébreu, les deux langues commercent, de l’une à l’autre pour dire la Shoah devant un tribunal national, souverain…

Roman historique, avec l’histoire de la Turquie, l’oeil bleu d’Atatürk, les relations trouble entre la Turquie et l’Allemagne, la tragédie du Struma…

Aussi roman de la langue, des langues si bien illustrée par l’histoire biblique de Babel

« La langue, parce qu’elle a une vie qui lui est propre, qu’elle est un organisme vivant avec ses lois propres,
est toujours la cible et la convoitise des projets totalitaires. Dominer le monde non seulement par la
force, mais aussi par les mots. Imposer et contrôler une langue, amener un peuple à la parler, façonner
une pensée unique en créant un vocabulaire unique, l’appauvrir, la déformer, lui enlever toute sa
polysémie, son incertitude, son aptitude à circuler, à être traduite. En neuf versets concentrés et énigmatiques, l’épisode de Babel nous raconte l’histoire d’un tel projet et sa mise en échec. »

Un court texte mais si riche.

J’ai encore adoré!

 

 

Le 8-octobre – Généalogie d’une haine vertueuse – Eva Illouz – Tracts Gallimard

APRES LE 7 OCTOBRE …

Dana Schutz : Fanatics

Le 7 octobre, l’horreur, le pogrom, le séisme. Déchirement. Urgence de vérifier qui va bien, qui est touché… Sidération.

Mais, pourquoi Eva Illouz  a-t-elle choisi  le 8 octobre ? 

« Pourquoi ce 8 octobre a-t-il été la date où la compassion, même froide et convenue, s’est aussi
mystérieusement absentée ? »

Comment, devant l’horreur des crimes, des viols, des enlèvements de bébés, la jubilation de certains intellectuels s’est exprimée? Non pas les foules  de Gaza, Beyrouth, ou  Damas. On aurait compris mais celle d’universitaires américains, canadiens, suédois qui ont théorisé cette jubilation.

« Le négationnisme et la joie face à la fureur annihilatrice du Hamas continuent d’être pour moi, une énigme obsédante »

la déclaration de Andreas Malm, écologiste de l’université de Malmö est particulièrement choquante : 

« la première chose que nous avons dite dans ces premières heures [du 7 octobre] ne consistait pas tant en des mots qu’en des cris de jubilation. Ceux d’entre nous qui ont vécu leur vie avec et à travers la question de la Palestine ne pouvaient pas réagir autrement aux scènes de la résistance prenant d’assaut le checkpoint d’Erez : ce labyrinthe de tours en béton, d’enclos et de systèmes de surveillance, cette installation consommée de canons, de scanners et de caméras – certainement le monument le plus monstrueux à la domination d’un autre peuple dans lequel j’ai jamais pénétré – tout d’un coup entre les mains de combattants palestiniens qui avaient maîtrisé les soldats de l’occupation et arraché leur drapeau. Comment ne pas crier d’étonnement et de joie»

De la résurgence de l’antisémitisme en France, de l’absence de Macron à la manifestation contre l’antisémitisme, ou des déclarations aberrantes de Mélanchon,  il n’en est pas question dans ce livre qui se concentre sur l’aspect théorique de ce qui se nomme outre-Atlantique la « French Theory« .

French, à cause de Foucault, Derrida, apparue sur les campus américains dans les années 1970 « Antiaméricanisme, anticapitalisme et anticolonialisme en constituaient les fondements »

L’essai de Eva Illouz a pour but d’analyser et de démonter cette théorie. je l’avais écoutée à la radio ICI J’ai eu envie de la lire. Cette lecture s’avère ardue pour qui n’est pas familier du vocabulaire des sciences humaines. Elle permet de mettre des concepts précis derrière le mot très très flou et connoté politiquement de « woke » qu’elle n’utilise pas. L’analyse marxiste se trouve dépassée , remplacée par le pantextualisme

« l’extension de la métaphore du texte à la vie sociale, ce que j’appelle le pantextualisme.
[…]

La déconstruction de Jacques Derrida a peut-être été la forme la plus aboutie du pantextualisme. »

On s’éloigne des catégories habituelles s’appuyant sur des faits pour décrypter des textes. Eva Illouz introduit un nouveau concept : le pouvoirisme

les notions de « discipline », de « surveillance » et « d’orientalisme» n’étaient certes pas marxistes mais
faisaient du pouvoir le signifié ultime à extirper des textes. Ce pouvoir était abstrait et sans agent et
englobait la totalité des pratiques textuelles et des sphères sociales. […]

J’appelle cette position épistémologique le « pouvoirisme

Marx avait situé le pouvoir dans la propriété, dans les moyens de production et le contrôle des termes du
contrat de travail. Pour Max Weber, le pouvoir était défini par la capacité de prendre des décisions pour les
autres et (ou) d’affecter leur comportement Les deux conceptions du pouvoir sont empiriques et font la
distinction entre ceux qui ont du pouvoir et ceux qui n’en ont pas. Le pouvoirisme ne veut pas et ne peut
pas faire cette distinction, parce que le pouvoir est vu comme constitutif de toutes les relations sociales.
[…] le pouvoirisme, la critique des textes était plus qu’un exercice d’herméneutique : elle devenait une
performance morale de la dénonciation.

De l’analyse critique on glisse vers la dénonciation, acte politique ou moral, en tout cas loin de la rigueur universitaire pour atteindre toutes les approximations, la concurrence entre les dénonciations et toutes les outrances sont les bienvenues. L’oubli de l’histoire est acté. 

« Elles racontent le monde à travers des catégories narratives qui effacent le chaos de l’histoire, l’ordonnent
moralement et créent une nouvelle intuition morale : la cause palestinienne, même défendue par un
groupe génocidaire, est intrinsèquement bonne, Israël, même quand il répond à une attaque, incarne le
mal. »

Et enfin, la concurrence victimaire qui est la négation de l’horreur de la Shoah, les Juifs n’étant plus perçus comme victimes mais comme privilégiés.

« L’antisémitisme et l’antisionisme sont devenus des marqueurs-clés de l’identité sociale grâce à deux
processus sociologiques sous-jacents : la concurrence socio-économique et victimaire des minorités »

Instinctivement, je saisis ces concepts de  « pantextualisme », « pourvoirisme » mais je me trouve intellectuellement bien démunie! A l’heure de l’Intelligence Artificielle et des Fake News, il va être bien difficile pour le citoyen lambda de séparer le vrai du faux. Et j’ai peu d’espoir du côté des universitaires.

Mesopotamia – Olivier Guedj

DE LA MESOPOTAMIE A L’IRAK –

Le blog Vagabondage autour de moi a attiré mon attention sur Mesopotamia CLIC

Olivier Guedj a construit ce roman sur deux axes : la biographie de Gertrude Bell et  sur la création du royaume de l’Irak. J’avais déjà lu le récit  des voyages de  Gertrude Bell (1907) : The Desert and the Sown    en anglais (non traduit) et sa biographie de Christel Mouchard  : Gertrude Bell archéologue et aventurière agent secret

J’aime beaucoup les récits des exploratrices, Alexandra David-Neel, Isabelle Eberhardt ou Ella Maillart.  Gertrude Bell n’est pas une inconnue! 

« Sur les terres de l’empire ottoman moribond, que tous s’emploient à achever, se joue le vingtième siècle :
l’avenir du monde. »

C’est donc plutôt le versant historique qui m’a intéressée dans ce livre. Née sous Victoria, Gertrude Bell, est une supportrice fervente de l’Empire Britannique. Elle épouse la politique impériale : et la Mésopotamie se trouve sur la Route des Indes qu’il importe de baliser, de Gibraltar, Malte, Chypre, l’Egypte, au Grand Jeu en Afghanistan.

Un autre intérêt stratégique surgit : le pétrole 

« Lorsque gicla le premier jet d’or noir, un matin de 1908, l’officier en charge de la sécurité du gisement cita
dans le télégramme qu’il envoya à ses supérieurs un psaume biblique où il était question de Dieu et d’une
huile sortie de terre faisant resplendir le visage de l’homme. »

L’effondrement de l’Empire Ottoman pendant la Première Guerre mondiale va donner l’occasion à l’armée anglaise de s’établir en Mésopotamie. Cette conquête n’a pas été facile. Le désastre de Kut en 1916 a inspiré à Kipling le poème Mesopotamia éponyme du titre du livre de Guedj

1917
They shall not return to us, the resolute, the young,
    The eager and whole-hearted whom we gave:
But the men who left them thriftily to die in their own dung,
    Shall they come with years and honour to the grave
La politique coloniale britannique a d’abord imaginé la région comme une colonie de peuplement défendue par l’Armée des Indes, où la monnaie serait la roupie, avant-poste des Indes. Pour l’administration de Sa Majesté, les territoires administrés par la Porte n’étaient pas une nation mais plutôt une mosaïque de populations diverses, Arabes, Chrétiens, Juifs, Kurdes.
Que la Mésopotamie, composée de mille ethnies et d’autant de religions et de sectes, comme l’Inde,
ne constitue pas une nation ; que le mouvement nationaliste y est très faible, sinon inexistant ; que les
juifs et les chrétiens, citoyens de seconde zone sous les Ottomans, se réjouissent de leur présence ; que très
peu d’indigènes sont qualifiés pour prétendre à des postes de responsabilité. Les Arabes de Mésopotamie
appartiennent aux races assujetties… »
Cependant après les campagnes de Lawrence  avec les tribus arabes, la déclaration Balfour, la création de la SDN … Avec les accords Sykes-Picot, le Royaume Uni et la France ont partagé le Moyen Orient.
La politique britannique change. Il s’agira de manipuler sous Mandat britannique un état nouvellement créé. Donner à l’Irak un souverain sous tutelle.
Les meilleures armes sont la parole, le tact ; une patience infinie. C’est pourquoi Miss Bell va rester en
Mésopotamie. Il a été question de la renvoyer au Caire mais ses connaissances ethnographiques,
linguistiques et le réseau de relations qu’elle a tissé au cours de ses campagnes archéologiques sont
inestimables.
Le rôle de Gertrude Bell sera d’être faiseuse de roi à côté de Lawrence qui a promis des royaumes. 
Au cours de ce roman se dessine le Moyen Orient, et c’est passionnant!

L’horizon a pour elle dénoué sa ceinture – Chana Orloff (1888- 1968) – Rebecca Benhamou – fayard

BIOGRAPHIE DE CHANA ORLOFF

Chana Orloff – Autoportrait

Depuis sa rétrospective au Musée Zadkine, j’ai cherché une biographie de Chana Orloff . L’horizon pour elle a dénoué sa ceinture de Rebecca Benhamou est une biographie pleine de sensibilité et d’empathie qui replace la sculptrice dans son contexte.

1910, Chana Orloff quitte la Palestine  pour Paris, prend son indépendance et étudie le dessin et la sculpture après un passage dans un atelier de couture. 

« Paris c’est la liberté, c’est les droits de l’homme et tant d’autres choses[…]A Paris elle sera une femme libre, »

A Montparnasse, elle trouve d’autres artistes juifs, certains parlent hébreu ou yiddisch. Dans la sculpture, elle trouve sa voie comme portraitiste désobéissant à la tradition juive qui interdit de reproduire des images sculptées.

« Observe les visages, Chana. Ne les copie pas, applique-toi plutôt à les lire. Rappelle-toi, panim n’existe
qu’au pluriel. N’est-ce pas lourd de sens ? Sculpte les visages, sculpte les corps, sculpte les vrais gens. Le
reste n’a pas d’importance. » (Soutine)

 Panim, (une petite critique pour l’édition numérique qui reproduit les mots en lettres hébraïques mais qui a oublié que l’hébreu s’écrit de droite à gauche, la lecture en est toute bizarre! )

Portraits : (en haut à droite Otto Rank)

Elle fréquente les « Montparnos »: Foujita, Picasso, Kisling, Soutine, Lipschitz, Zadkine, Modigliani et Jeanne Hébuterne. Dès 1912, elle expose deux portraits au Salon d’Automne.

A Necherith

Oui tu es belle

Ni rose ni lys, ni princesse

Artiste

Le grand amour de Chana Orloff, le poète polonais Ary Justman, proche d’Apollinaire, de Cendrars devient son mari et le père de Didi. Il meurt en 1919 de la grippe espagnole, peu de temps après la disparition d’Apollinaire. Décès de  Modigliani, suivi par Jeanne Hébuterne.

« Après le temps du deuil celle qu’on surnommait l'(aigle a déployé ses ailes »

Elle devient la portraitiste des élites parisiennes. les plus grands posent pour elle

Durant les années folles, Paris est une fête. Chana fréquente les américaines Natalie Clifford Barney, et les Amazones que l’Exposition Pionnières au Luxembourg a mis en lumière CLIC

Romaine Brooks

Et Chana n’a plus que ce mot en tête : Amazone. Elle fait partie de ce groupe. Amazone, c’est ce qu’elle est
devenue.

C’est le nom d’un groupe de femmes, comme elle, habituées à faire cavalier seul. Des femmes qui vivent
avec des femmes, d’autres qui couchent avec des femmes et des hommes, d’autres encore qui s’habillent
comme des hommes, qui redéfinissent radicalement le sens de la féminité.

Le féminisme de Chana, si tant est qu’il existe, est un féminisme muet, que l’on découvre au fil des
portraits qu’elle réalise : 1920, Natalie Clifford Barney. 1921, Claude Cahun, photographe, écrivain, poète.
1923, Romaine Brooks, artiste peintre. 1931, Eyre de Lanux, artiste, écrivain, designer. 1934, Anaïs Nin,
écrivain. 1939, Germaine Malaterre-Sellier, militante, féministe…

Féministe, mais aussi mère. La maternité inspire de nombreuses œuvres.

C’est pourtant un amour si singulier, rétorque Chana. Plus viscéral, plus animal, plus ancré. Pour une
artiste, c’est le plus transcendant de tous les arts. La maternité, c’est insuffler un peu de magie et de grâce
dans la banalité du monde, c’est la plus noble de toutes les créations, c’est l’art par le corps. Comment être
pleinement artiste sans avoir donné la vie, sans l’avoir sentie dans son ventre, dans ses tripes, au plus
profond de soi ? »

En 1926, Chana et son fils obtiennent la nationalité française et la légion d’honneur. Elle fait construire sa maison-atelier Villa Seurat

« projet, réalisé par les frères Lurçat, avait pour but de créer une colonie d’artistes. Cette vie en collectivité a
trouvé indéniablement un écho chez elle, dont la famille habitait encore dans un kibboutz en Palestine.
Elle s’est retrouvée dans la vision moderne de l’architecte Auguste Perret, précurseur dans l’utilisation de béton armé, et lui a confié la construction de sa maison. »

Au fil des années 30, l’atmosphère s’alourdit, l’antisémitisme gagne. malgré les lettres de sa famille qui l’implore de rentrer à Tel Aviv Chana reste à Montparnasse qu’elle ne quitte en catastrophe pour échapper à la rafle en juillet 42. Exil en Suisse. Dès la Libération, elle revient pour trouver la villa Seurat saccagée, ses sculptures blessées. Puis elle se remet au travail et sculpte un homme dans la glaise. Elle l’appellera le Retour.

Il me reste maintenant à découvrir la Villa Seurat mais il faut s’inscrire longtemps à l’avance.

Ce livre va résonner encore longtemps, la première page s’est ouverte au Kibboutz Be’eri, en 2016. Cela me fait frémir.

Présences arabes – Art moderne et décolonisation ( 1908 – 1980) Au MAM de la Ville de Paris

 Exposition temporaire jusqu’au 25 Aout 2024

Hamed Abdalla – Egypte 1956 – Conscience du sol

1908-1980

1908 : arrivée de Gibran Khalil Gibran – 1980 reconnaissance de l’immigration arabe dans les musées parisiens. Huit décennies, une très longue période!

Présence arabe : du Maghreb à l’Irak, si on inclue aussi la Turquie, c’est un vaste domaine . Et si on inclue les artistes juifs mais de culture orientale, cela fait encore plus de monde! Si on ajoute les français militant pour l’indépendance de l’Algérie, cela en fait encore d’autres….

les mosquées de Mogador 1965 Ahmed Louardiri

Donc, une exposition au long cours, dans le temps comme dans l’espace, beaucoup d’œuvres et en regard, des photos et des affiches rappelant le contexte, des publications de revues…Très riche, trop riche, je me suis un peu perdue.

Il sera question de décolonisationloin de l’Orientalisme du XIX ème siècle. pas besoin de faire appel à Edward Saïd que j’attendais un peu pour sa critique de l’Orientalisme. Tout simplement parce que les plasticiens sont orientaux, tandis que les Orientalistes ont un regard occidental sur l’Orient idéalisé ou fantasmé. 

1.l’Orientalisme arabe ou l’Orient rêvé par lui-même

En revanche je n’attendais pas Khalil Gibran peintre. Je connaissais l’écrivain. Il a suivi l’enseignement de l’Académie Julian. 

La fiancée du Nil – Mahmoud Mokhtar 1929

Avec Nahda en Egypte on assiste à l’essor d’une pensée libérale. Le sculpteur égyptien Mahmoud Mokhtar conçoit le monument à la Nahda.

maternités arabes 1920 Georges Hanna Sabbagh

L’alexandrin Georges Sabbagh a étudié à l’académie Ranson en 1910. On voit donc la porosité entre les plasticiens orientaux et les nabis et peintres français.

Prière au soleil -1928 – Abdelazziz Gorgi Tunisie

De Tunisie, proviennent des images variées comme cette prière au soleil et la Synagogue de Tunis de Maurice Bismouth (1930)

Les années 30 sont celles des Expositions Coloniale (1931) et Internationale des Arts et techniques (1937). Un mur est dédié à l’exposition coloniale avec les affiches « Ne visitez pas l’Exposition Coloniale », protestation des communistes. On y voit les pavillon de l’Egypte et de la Tunisie

2. Adieu à l’Orientalisme : les avant-gardes attaquent

Femme kabyle combattante Rabah Mellal

 

Les premières indépendances Liban (1943), Syrie (1946), Egypte (1953) et Irak (1958) 

Le groupe surréaliste égyptien expose à Paris ainsi que l’algérienne Baya. Des artistes rejoignent les ateliers de Fernand Léger et de Lhote. je retrouve avec plaisir la Kahena peinte par Atlan figure de la reine rebelle témoignant de l’engagement anticolonial du peintre qui fut un résistant.

Atlan La Kahena (1958)

j’ai aussi retrouvé les dessins de Mireille Miailhe et de Senac. Tour un mur est couvert d’affiches sur la Guerre d’Algérie, le référendum de De Gaulle, une accusation de Massu et de la torture. 

les larmes de Francis Hamburger

3. L’art en lutte : de la cause palestinienne à l’Apocalypse arabe

la Famine dans le Tiers monde année 50 El Meki

Un autre mur de photos et d’affiche montre Nasser et la nationalisation du Canal de Suez,et la construction du Barrage d’Assouan ; un autre est consacré à la Palestine. La guerre au Liban n’est pas oubliée avec l’illustration d’Etel Adnan, poétesse et plasticienne : des bandes en accordéon aquarellées sont accompagnées d’une bande-son. 

L’arbre amoureux Mahmoud Darwich d’après Mona Saudi (1979)

Le Juif Errant est arrivé – Albert Londres – 1930

.

Albert Londres est peut être le plus célèbre des journalistes. Journaliste d’investigation, il entreprend des reportages au long court. Le Juif errant est arrivé est composé de 27 chapitres correspondant à un long voyage à travers l’Europe, de Londres jusqu’en Palestine. Courts chapitres très vivants, amusants, au plus proche du sujet traité. 95 ans, reste-t-il d’actualité?

« pour le tour des Juifs, et j’allais d’abord tirer mon chapeau à Whitechapel. Je verrais Prague, Mukacevo, Oradea Mare, Kichinev, Cernauti, Lemberg, Cracovie, Varsovie, Vilno, Lodz, l’Égypte et la Palestine, le passé et
l’avenir, allant des Carpathes au mont des Oliviers, de la Vistule au lac de Tibériade, des rabbins sorciers au
maire de Tel-Aviv

La première étape : Londres où arrivent les Juifs de l’Est, émigrants ou « rabbi se rendant à LOndres recueillir des haloukah(aumônes)

pourquoi commencer le reportage à Londres? Parce que, voici 11 ans l’Angleterre s’est engagée par la Déclaration Balfour :

: « Juifs, l’Angleterre, touchée par votre détresse,
soucieuse de ne pas laisser une autre grande nation s’établir sur l’un des côtés du canal de Suez, a décidé de vous envoyer en Palestine, en une terre qui, grâce à vous, lui reviendra. »

A Londres, le journaliste rencontre toutes sortes de Juifs, dans l’East End, les Juifs fuyant les persécutions d’Europe Orientale, des rabbins, des sionistes, des Juifs qui ont réussi, se sont enrichis, ont déménagé dans l’Ouest.. Londres remarque le portrait de Théodore Herzl en bonne place. Sont-ils sionistes?

Théodore Herzl, journaliste à Paris, écrivain à succès. quand éclata en 1894 l’Affaire Dreyfus

 Le cri de « Mort aux Juifs ! » fut un éclair sur son âme. Il bloqua son train. « Moi aussi, se dit-il, je suis Juif. »

Il fit un livre « L’Etat Juif » puis partit en croisade, se précipita chez les banquiers juifs, puis lança l’appel d’un Congrès Universel mais fut dénoncé par les rabbins comme faux Messie. Il gagna Constantinople pour obtenir la cession de la Palestine par le sultan, puis il s’adressa à Guillaume II à Berlin, puis en Russie tandis que Chamberlain lui fit une proposition africaine. 

Cependant :

 » Était-ce bien le pays d’Abraham ? Je pose cette question parce qu’elle est de la
plus brillante actualité. Depuis la conférence de San-Remo, en 1920 (après Jésus-Christ), où le conseil suprême des alliés donna mandat à l’Angleterre de créer un « foyer national juif » en Palestine, les Arabes ne cessent de crier à l’imposture. Ils nient que la Palestine soit le berceau des Juifs. »

Londres n’oublie pas les Arabes.

Après ces préambules, le voyage continue à l’Est : Prague, 

« Prague, sous la neige, est une si jolie dame ! J’y venais saluer le cimetière juif et la synagogue. Ils représentent,
en Europe, les plus vieux témoins de la vie d’Israël. À l’entrée des pays de ghettos, ils sont les deux grandes
bornes de la voie messianique d’Occident. Ce n’est pas un cimetière, mais une levée en masse de dalles
funéraires, une bousculade de pierres et de tombeaux. On y voit les Juifs – je veux dire qu’on les devine –
s’écrasant les pieds, s’étouffant, pour se faire, non plus une place au soleil, mais un trou sous terre. »

[…]
« a le Christ du pont Charles-IV aussi. C’est le troisième témoin de l’ancienne vie juive de Prague. C’était en
1692. Un Juif qui traversait la Voltava cracha sur Jésus en croix. »

presque du tourisme?

pas vraiment parce que dans les Carpathes, il va rencontrer la misère noire, la peur des pogromes, la faim

« Abraham, sont-ce là tes enfants ? Et ce n’est que Mukacevo ! Que cachent les ravins et les crêtes des Carpathes ?
Qui leur a indiqué le chemin de ce pays ? Quel ange de la nuit les a conduits ici ? La détresse ou la peur ? Les
deux. Ils fuyaient de Moravie, de la Petite Pologne, de la Russie. Les uns dans l’ancien temps, les autres dans les nouveaux, chassés par la loi, la faim, le massacre. Quand on n’a pas de patrie et qu’un pays vous repousse, où va- t-on ? »

A partir de Prague, la lectrice du XXIème siècle va peiner avec la géographie, les frontières ont beaucoup dérivé depuis le Traité de Versailles. La Tchécoslovaquie, de Masaryk a donné des droits aux Juifs mais certaines communautés sont tellement pauvres et arriérées que seuls certains s’occidentalisent. La Pologne a institutionalisé l’antisémitisme.

Les trois millions et demi de Juifs paient quarante pour cent des impôts et pour un budget de plus de trois
milliards de zloty, un os de cent mille zloty seulement est jeté à Israël. Un Juif ne peut faire partie ni de
l’administration, ni de l’armée, ni de l’université. Comme le peuple est chassé des emplois, l’ouvrier de l’usine, l’intellectuel est éloigné des grades. Pourquoi cela ? Parce que le gouvernement polonais n’a plus de force dès qu’il s’agit de résoudre les questions juives, la haine héréditaire de la nation emportant tout. Les Juifs de Pologne sont revenus aux plus mauvaises heures de leur captivité. †

Les bolcheviks « protègent » leurs juifs après les pogromes effrayants de Petlioura en Ukraine. 

Albert Londres visite partout, les taudis, les cours des rabbins miraculeux. Il se fait un ami colporteur qui l’introduira dans l’intimité des maisons où un journaliste ne serait pas admis. Dans le froid glacial leur périple est une véritable aventure. Les conditions dans lesquelles vivent les plus pauvres sont insoutenables. Seule solution : l’émigration . En Bucovine, (actuellement Ukraine) loin de toute mer, les agences de voyages maritimes prospèrent :

La misère a créé ici, ces Birou di Voïag. Les terres qui ne payent pas remplissent les bateaux.

Le clou, c’était que les Birou di Voïag ne chômaient pas. La foule, sous le froid, attendait à leurs portes comme les passionnés de Manon sur le trottoir de l’Opéra-Comique.

Et après toute cette misère, il rencontre un pionnier de Palestine, sioniste, décidé, revenu convaincre ses coreligionnaires

Qu’êtes-vous venu faire ici, monsieur Fisher ? — Je suis venu montrer ces choses aux jeunes. Israël a fait un
miracle, un miracle qui se voit, qui se touche. Je suis une des voix du miracle. Il faudrait des Palestiniens dans
tous les coins du monde où geignent les Juifs. Alter Fisher, le pionnier, n’était pas né en Bessarabie, mais en Ukraine. L’année 1919 il avait dix-huit ans.

cette époque j’étais un juif-volaille. Les poulets, les canards, on les laisse vivre autour des fermes. Puis, un beau jour, on les attrape, et, sans se cacher, on les saigne. Le sang répandu ne retombe sur personne. L’opération est légale. En Palestine on m’a d’abord appris à me tenir droit. Tiens-toi droit, Ben ! »

La solution? Pas pour les juifs orthodoxes. Avant de partir pour la Palestine, Londres fait un long détour par Varsovie où il visitera « l’usine à rabbins » et la cour d’un rabbin miraculeux d’où il rapporte des récits pittoresques d’un monde qui va disparaître (mais Albert Londres ne le sait pas). Pittoresques, dépaysants, très noires descriptions mais les écrivains comme Isaac Bashevis Singer en donnent une vision plus humaine.

Le voyage de Londres continue en Palestine où il découvre la ville moderne Tel Aviv, l’enthousiasme des pionniers

On vit une magnifique chose : l’idéal prenant le pas sur l’intérêt. les Juifs, les Jeunes Juifs de Palestine faisaient au milieu des peuples, honneur à l’humanité.

Ils arrivaient le feu à l’âme. Dix mille, vingt mille, cinquante mille. Ils étaient la dernière illustration des grands mouvements d’idées à travers l’histoire….

Ce serait un conte de fées si le pays n’était pas peuplé d’Arabes réclamant aussi la construction d’un foyer

Admettons. Nous sommes sept cent mille ici, n’est-ce pas ? On peut dire, je crois, que nous formons un foyer
national. Comme récompense, lord Balfour nous envoie les Juifs pour y former également un foyer national. Un
foyer national dans un autre foyer national, c’est la guerre !

!… De nous traiter en indigènes !… Voyons ! le monde ignore-t-il qu’il y a sept cent mille Arabes ici ?… Si
vous voulez faire ce que vous avez fait en Amérique, ne vous gênez pas, tuez-nous comme vous avez tué les
Indiens et installez-vous !… Nous accusons l’Angleterre ! Nous accusons la France !…

Albert Londres pointe ici les guerres à venir. D’ailleurs les émeutes sanglantes ne tardent pas. En été 1929, les massacres se déroulent et préludent à toute une série qui n’est toujours pas close. 

Et le Juif Errant?

 

Plaçons donc la question juive où elle est : en Pologne, en Russie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en
Hongrie. Là, erre le Juif errant.

Une nouvelle Terre Promise, non plus la vieille, toute grise, de Moïse, mais une Terre Promise moderne, en
couleur, couleur de l’Union Jack ! Le Juif errant est tombé en arrêt. Qu’il était beau,

 

C’est donc une lecture vivante, agréable, presque amusante qui, dès 1929 anticipe la suite de l’histoire.

 

 

Nathanaelle Herbelin à Orsay

PRINTEMPS DES ARTISTES

 

Exposition temporaire jusqu’au 30 juin 2024

Emmannuelle et Effi

 

J’ai découvert Nathanaelle Herbelin en l’écoutant sur un podcast de Grand Canal . Etrange manière de faire connaissance avec une plasticienne que de l’écouter à la radio. Comme j’avais déjà prévu d’aller voir la grande exposition sur l’Impressionnisme j’étais impatiente de voir les tableaux qu’elle avait si bien décrits. 

Cette artiste franco-israélienne, née en Israël mais basée souvent à Paris, a beaucoup fréquenté le Musée d’Orsay . Elle se sent un peu l’héritière des Nabis avec qui elle est exposée. Elle partage de nombreux sujets comme des peintures d’intérieur, de la vie quotidienne simple, avec des chats.

Layla

j’ai aimé ses  tableaux tendres et intimes (parfois très intimes comme l’épilation) très tendres avec des gestes d’amour.

la chambre des Erythréens à Levanda

j’ai aimé qu’elle s’attache aux Erythréens, migrants africains arrivés en Israël et malheureusement souvent discriminés.

l’attention non divisée

Je ne suis pas sûre que de partager les cimaises avec Bonnard ou Vuillard mette en valeur les œuvres de la plasticienne contemporaine. Quand ses tableaux sont mêlés on a tendance à aller d’abord aux tableaux connus, comparer. Et la comparaison peut être cruelle.

Cour intérieure

A suivre!