La Flûte des origines – Un soufi d’Istanbul-Kudsi Erguner-coll.Terre Humaine-Entretiens avec Dominique Sewane

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La qualité et la renommée des livres de la Collection Terre Humaine ne sont plus à vanter. Chacun d’entre eux correspond à un voyage littéraire ainsi qu’à une recherche universitaire. La Flûte des origines est le témoignage de Kudsi Erguner, musicien turc de renommée internationale, recueilli par Dominique Sewane, anthropologue des religions, dont j’avais beaucoup aimé Le Souffle du mort. la tragédie de la mort chez les Batammariba du Togo, Bénin.

 

Lectrice bien indigne, loin de l’anthropologie , mécréante, laïcarde, comment vais-je rendre compte de cette lecture?

J’ai aimé le récit d’enfance et d’apprentissage du jeune garçon, dans Istanbul des années 1960, partagé entre ses études à l’École Italienne, collège occidentalisé, et la fréquentation quasi-clandestine du tekke – centre de derviches – officiellement fermé en 1925 par les lois d’Atatürk. C’est auprès de son père, joueur de Ney – flûte de roseau oblique – soufi, que Kudsi Erguner apprendra la musique. Apprentissage traditionnel, reliant les musiciens entre eux en une chaîne séculaire remontant au 17ème siècle. Transmission aussi de l’héritage, des traditions des derviches tourneurs par les « conversations spirituelles élevées » dans les cérémonies soufies.

Une autre lecture possible : l‘histoire  de la Turquie.

La Turquie du Renouveau imposée par la République de 1925 avec l’occidentalisation forcenée. Révolution  linguistique: modernisation  de l’alphabet et adoption de l’alphabet latin, mais aussi purge de la langue ottomane des éléments arabo-persans et introduction de mots turquisés. Avec le changement d’alphabet, toute la littérature, la poésie et la musique se trouvait donc mise de côté, menacée d’abandon. Laïcisation de la société, fermeture des tekkés, mise au pas de l’islam après l’abandon du califat. Modernisation aussi du costume…..

Autre angle d’attaque : l’Islam en Turquie

Islam modéré après des décennies laïques? ou islamistes modernes du parti au pouvoir? D’Europe, les idées préconçues sont nombreuses. Difficile pour moi de m’y retrouver. Kudsi Erguner présente un soufisme très ouvert, tolérant aux autres croyances où la poésie chante l’amour et le vin. Loin de l’islam  intégriste austère qui interdit la musique et les images,  les derviches qui ont su séduire Nerval, tournent, jouent de la musique, perpétuent la tradition du Mevlana Rûmi …on se prend à rêver. Dans la conclusion, Erguner tempère cet attrait qui a séduit des occidentaux New Age en mal de gourous. Il est sévère envers la tendance  officielle à la folklorisation touristique des derviches tourneurs qui se donnent en spectacle au détriment de la prière et du spiritualisme. Il est aussi critique envers ces faux soufis qui s’improvisent cheikh sans avoir suivi l’itinéraire traditionnel.

Enfin, des annexes au témoignage  personnel décrivent les instruments traditionnels, les arts musicaux et poétiques ottomans. Un beau florilège poétique familiarise le lecteur peu averti des beautés de cette poésie. La théorie musicale est plus ardue pour la non spécialiste….

 

LE SULTAN DE BYZANCE – Selçuk Altun – GALAADE ed

LIRE POUR LA TURQUIE (ET LA GRECE)

Le titre LE SULTAN DE BYZANCE est tout un programme. Turc ou Byzantin?

Istanbul visité par un Grec dans l’Empoisonneuse d’Istanbul de Petros Markaris trouve ici son contrepoint : Byzance revisitée par un turc. Et étudiée sous la loupe des publications érudites!

« Autrefois Byzance était synonyme d’intrigue. mais cette image s’est heureusement améliorée au fil du temps. Selon moi, Byzance, qui associait l’Orient et l’Occident constituait la civilisation la plus importante de son temps, et elle fut du reste à l’origine de la Renaissance ».

Affirme le héros du livre, qui se retrouve pris dans un jeu de piste planétaire et érudit, visitant bibliothèques universitaires et savantes à la recherche des empereurs Byzantins dans un premier temps, puis dans la poursuite de petits carrés magnétiques dispersés dans les sites byzantins.

Il ira donc d’Antioche à Athènes et Mistra, de Trabzon (sur la Mer Noire) en Cappadoce, à Iznik mais aussi à Venise et à Ravenne, nous faisant visiter ces hauts lieux byzantins pour notre plus grand plaisir.

 

Synthèse de l’Orient et de l’Occident, incroyable métissage : le héros est turc par sa mère mais américain par son père. Nous découvrons ensuite que cela se complique , il a également des origines géorgiennes et grecques. Sa famille vient de Trabzon, mais il habite Galata, quartier cosmopolite d’Istanbul, souvenir des Génois, des Grecs….

Notre héros est expert en poésie : sur le 4ème de couverture figurent 5 vers de Séféris, le livre se clôture par un distique d’un poète turc. Les allusions à la poésie fourmillent – parfois de manière assez incongrue – Asil récite En Attendant les Barbares de Cavafis à l’envers en se promenant dans New York…

Étrange cette connaissance intime des poètes grecs? D’ailleurs le roman est construit en 24 chapitres de l’alphabet grec de l’alpha à l’oméga. Parenté des cultures de chaque côté de la mer Egée :

« j’ai l’impression d’être à Athènes non pas depuis dix heures mais depuis dix ans. Dans cette ville rien ne m’est étranger, y compris les odeurs exhalées par les poubelles. On dirait qu’Athènes tout entière s’est détachée du golfe d’Izmir pour venir se coller au continent européen »….

Tout pour me plaire!

Et pourtant, la mayonnaise n’a pas pris. Dans le rallye mondial qui conduit le héros autour sur les traces de Byzance jusqu’à la Californie, le Brésil ou Stockholm (étrangement turque ou balkanique), j’ai l’impression de me trouver dans un remake du Da Vinci code. Intrigue Byzantine? Trop artificielle à mon goût. L’auteur – Selçuk Altun – se met en scène à plusieurs reprises, ironie ou narcissisme . La prétention à la poésie est gâchée par un style bien trivial. J’ai terminé la lecture avec un intérêt teinté d’agacement.


 

 

Petros Markaris – L’empoisonneuse d’Istanbul

LIRE POUR LA GRECE (ET POUR ISTANBUL)

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Petros MARKARIS – L’EMPOISONNEUSE D’ISTANBUL (Seuil policiers) 290p.

Le commissaire Charitos est en vacances. En voyage organisé, il visite les lieux touristiques d’Istanbul. Vassiliadis, un écrivain, contacte le policier : il s’inquiète de la disparition d’une vieille dame qui devrait se trouver dans la ville.

Charitos mène l’enquête en parallèle avec les visites touristiques  et les sorties au restaurant.

Ce n’est pas l’enquête policière qui a retenu mon attention, plutôt la visite d’Istanbul. Istanbul présentée aux touristes grecs, mais aussi Constantinople racontée par les Grecs natifs de la ville (comme l’auteur du livre), ceux qui ont émigré en Grèce à la suite des vagues d’émigrations, en 1922 d’abord avec les transferts de population, mais aussi plus tard, à la suite de persécutions, de la crise chypriote… Maria, l’empoisonneuse nonagénaire, est originaire du Pont Euxin, son  histoire est aussi une page de l’histoire grecque.

Rentrant de Macédoine et de Thrace, je suis particulièrement sensible à cette histoire d’émigration.

Charitos est associé à un policier  turc,  Murat. C’est l’occasion de montrer les relations entre Grecs et Turcs. Relations pleines de suspicion d’abord. Mais aussi comparaison entre  ces voisins si proches, qui partagent tant de leur histoire et de leur culture, qui apprécient la même cuisine.  Comparaison entre la « petite Grèce » face à la puissance ottomane, mais aussi entre la Grèce moderne faisant partie de l’Union Européenne, alors que la Turquie attend son intégration. Comparaison entre Athènes, un peu provinciale face à Constantinople, la grande Ville, riche cosmopolite et raffinée..

La surprise ne vient pas tant de la suite d’empoisonnements que des relations entre Murat et Charitos. Ne pas spoiler….je n’en écrirai pas plus !

retour des Balkans: une promenade dans Istanbul : Orhan Pamuk le livre noir

De retour des Balkans, je rêvais d’Istanbul, Byzance, Constantinople, Tsarigrad…Il était temps d’ouvrir le Livre noir qui attendait son tour sous la pile, acheté à la suite de la lecture de  Mon Nom est Rouge qui m’avait enthousiasmée.

Je ne suis pas entrée d’emblée dans ce gros livre (716p). L’intrigue m’a d’abord paru mince : Rouya, femme au foyer, disparaît du domicile conjugal, son mari Galip, avocat un peu terne, la cherche dans la ville, chez son premier mari, ses amies d’enfance…Cette quête est le prétexte de déambulations dans Istanbul – ce que je cherchais.

Là où la lecture se complique, c’est que des chroniques d’un journaliste célèbre, Djelâl,  le cousin de Galip et le demi-frère de Rouya, interrompent le cours logique du livre. On ne sait plus qui est le narrateur, Galip ou Djelâl ? Ces chroniques sont parfois fort anciennes. Spirituelles,  elles racontent Istanbul avec originalité. Je me laisse porter par ces nouvelles qui évoquent les Mille et Unes Nuits. Elles enchaînent de courts épisodes triviaux comme la description d’une épicerie de quartier, ou le puits d’aération d’un vieil immeuble, avec des digressions fantastiques : le jour où les eaux du Bosphore se retireront….et des critiques politiques. On oublie Galip et Rouya, on se passionne pour un prince ottoman. Le plus étrange est que Djelâl a, lui-aussi, disparu et que sa recherche mobilise plus le mari délaissé que celle de sa femme.

Au bout de 200 pages, je suis emportée, après 400, conquise.

Dans la deuxième partie, Galip enfermé dans l’appartement de Djelâl, cherche des indices dans les chroniques. Et les mots « indices », « signes » et « mystères» font des apparitions plus que récurrentes dans le texte. Il s’agit de déchiffrer des signes, dans les textes mais aussi dans les photos que le journaliste a collectionnées. Des Mille et Unes Nuits, le lecteur se trouve propulsé dans les textes fondateurs et dans le Mesnevi du poète mystique Mevlâna :

« Tout comme les Mille et Unes Nuits, le Menesvi est une composition étrange et désordonnée, où une deuxième histoire commence alors que la première n’est pas terminée, où l’on passe à la troisième avant la fin de la deuxième….tout comme on se lasse d’une personnalité pour en choisir une autre… »

« l’important  n‘est pas de créer mais de pouvoir dire quelque chose d’entièrement nouveau à partir de chef d’œuvres merveilleux créés au cours des siècles… »

La structure du livre s’explique. La promenade dans Istanbul traverse les siècles. Et prend tout son relief ! Ce n’est pas la ville touristique, ni celle des romans historiques. Mais toute une accumulation, une stratigraphie dans les sédiments qui se sont accumulés, les tunnels secrets. C’est aussi un imbroglio de secrets, conspirations, et même de sectes comme ce Houroufisme, de Fazllalah d’Esterabad(1339), prophète,  faux Messie,  dans le chapitre « Les secrets des lettres et la disparition du secret » où les adeptes de cette secte et peut être Djelâl, lisent des lettres sur les visages pour y découvrir des signes. En 1928, la Turquie adopta l’alphabet latin mais la lecture des lettres sur les photos ne s’interrompt pas pour autant. Plaisir des jeux de lettres poussé à l’extrême : Djelâl était aussi auteur de mots croisés pour son journal. Ce livre-fleuve déborde aussi sur d’autres thèmes « être soi-même » est une recherche constante des personnages. Galip devient Djelâl. Et si « être soi-même c’était raconter des histoires ? On revient au plaisir de l’écriture.

«… Car rien ne saurait être aussi surprenant que la vie. Sauf l’écriture, oui bien sûr, sauf l’écriture qui est l’unique consolation. »

Du sang sur la soie – Ann Perry – Polar Byzantin

POLAR BYZANTIN

prise de Constantinople -fresque roumaine

…. »Je suis byzantine. Cela veut dire que je suis à la fois sophistiquée et barbare. »

déclare Zoé, figure principale de l’intrigue.

« C’est Byzance! »Synonyme de richesse et d’abondance. En ce sens ce roman de 975 pages est sur-abondant. Gros pavé. Riche de reconstitutions historiques de décors exotiques. Les héros nous promènent à Constantinople où se déroule la majeure partie de l’action, mais aussi à Rome, à Venise, Palerme, Jérusalem et même à Sainte Catherine du Sinaï.

Byzantine,  l’intrigue compliquée que devra dénouer la narratrice, médecin.   Constantinople  encore dévastée par la IVème Croisade de  1204, se remet à peine de ses ruines 70 ans plus tard. Les familles impériales, Comnène, Lascaris, Cantacuzène, contestent l’autorité de Michel Paléologue. Les complots et les vengeances se succèdent : poisons et poignards utilisés avec cynisme et cruauté.

prise de Constantinople - fresque roumaine

Byzantines encore les implications religieuses, querelle du Filioque, adoration de l’icône de la Vierge miraculeuse protégeant la ville. Michel Paléologue craignant une nouvelle croisade avec des exactions des Latins, choisit de faire alliance avec le Pape pour se protéger des ambitions de Charles d’Anjou, Roi de Sicile. L’orthodoxie se sent menacée.

Byzantines encore la sophistication des amours, l’intervention des eunuques, la confusion des sexes et des genres.

Constantinople est à la frontière des puissances orientales , la Horde d’Or, les Seldjoukides, les Arabes …Rempart de la chrétienté? ou Carrefour des influences orientales?

C’est donc un roman historique très dépaysant qui raconte une période passionnante pendant que six papes se succèdent à Rome, faisant et défaisant les alliances,  trois doges à Venise, s’achevant avec les Vêpres siciliennes qui remettent en question les rapports de force.

Cependant, dans cette abondance de reconstitutions historiques, le propos se dilue un peu. Roman choral où tantôt la narratrice-médecin byzantine, laisse la parole, aux légats du pape, ou à l’envoyé du doge de Venise. On perd de vue l’intrigue qui doit être élucidée : le bannissement de Justinien Lascaris.

J’ai été toujours intéressée par l’histoire, mais pas tout à fait séduite. Il manque la pointe d’épice, le « je-ne-sais-quoi » qui fait qu’on y croit vraiment, et qui fait la différence entre un Roman Historique et un grand roman.

 

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants – Mathias Enard

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Joli objet que j’ai convoité plusieurs semaines,la collection ACTES SUD est toujours séduisante!

Et quel titre! Une citation de Kipling mais aussi sorte de refrain qui revient au cours de la narration:

 

« je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l’amour ; au vide, ils répondent en construisant des chateaux et des temples. Ils s’accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacunfait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois d’éléphants et d’êtres merveilleux…. »

Certes, l’argument est mince et court le récit.

Du 17 avril à la saint Jean 1506, quelques semaines, Michel-Ange, à la demande du sultan Bajazet se rend à Constantinople pour jeter un  pont sur la Corne d’Or. L’épisode est véridique, comme l’est aussi son  projet et celui de Leonard de Vinci qui a été refusé par le Sultan. Mathias Enard nous livre donc un roman  poétique très bien documenté.

C’est un roman d’amour aussi, des amours troubles et inachevées, passion du poète pour Michel-Ange sans retour. Trouble de Michel-Ange pour l’androgyne chanteur ou chanteuse andalous(e), amour inabouti. Sensualité, ivresse, désirs non-dits.

L’artiste visite Constantinople, Sainte Sophie l’impressionne, il  relève les plans de la coupole dont il s’inspirera pour Saint Pierre de Rome. Aux parfums byzantins de la Ville, se mêlent ceux de Grenade, tombée il y a peu.

Intrigues, menaces sourdes. Est-ce le pape Jules II qui a armé le bras qui menace le sculpteur? ou est-ce la jalousie? Le Sultan honorera-t-il ses promesses : il a attiré l’artiste en faisant miroiter une fortune et voilà qu’il cède un village perdu en Bosnie comme tout salaire des plans et des maquettes que Michel-ange lui a présentés:

« Turcs ou romains, les puissants nous avilissent »

Plus que de batailles, et d’éléphants, le roman chante l’ivresse, la poésie, l’amour mais aussi les manipulations des princes.

« Frôlement historique », annonce le 4ème de couverture, j’aurais aimé toutefois que Mathias Enard approfondisse plus son sujet, donne plus à voir d’Istanbul, sentir les épices.

Tariq Ali – La Femme de Pierre

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 1899, dans un palais d’été sur les bords de la mer de Marmara une famille d’aristocrates ottomans se réunit. Parmi eux, un ancien diplomate, un officier, un armateur, un homme d’affaire, un baron prussien, mais aussi leurs épouses, sœurs, serviteurs, le barbier convié pour la circoncision d’un enfant….La  construction du roman est habile : chaque personnage raconte son histoire au cours d’un chapitre  imbriqué dans la progression. Le pivot : la Femme de Pierre,( une sculpture, un rocher ? une statue antique ? ) à qui traditionnellement les femmes se confient. La narratrice Nilofer : la plus jeune sœur de la fratrie a quitté son mari, un maître d’école grec, et vient avec son fils faire le point de son mariage raté.

Au début du roman, Iskander Pacha, le patriarche, est victime d’une attaque d’apoplexie : toute la famille accourt à son chevet.  Il apparaît comme une figure autoritaire gardien de l’ordre établi. L’arrivée de Memed son frère et de son amant prussien, le Baron, introduit comme une faille dans la famille traditionnelle. On apprend aussi rapidement que la mère de Nilofer est juive.  Toute la variété ethnique d’Istanbul, la cosmopolite,  est représentée. Petrossian, le fidèle serviteur est arménien. Le barbier est soufi. L’épouse de Salman est une copte d’Alexandrie. Si bien qu’on s’attend à voir apparaître un Kurde, une servante, un eunuque : un général, Catherine, la peintre est lesbienne,….le catalogue est complet, presque trop. Tariq Ali n’a oublié personne !

1899 , l’empire ottoman est sur le déclin qui préoccupe nos personnages dont ils discutent sans fin les causes. Ce sont des personnes éclairées qui lisent Machiavel dans le texte ainsi que Hegel ou Auguste Comte. Parmi eux des officiers trament une conjuration destinée à renverser Abdul Hamid. Je crois reconnaître en l’un d’eux le future Atatürk. On débat des réformes nécessaires, on se rend compte que la modernité n’ira pas sans sacrifice. Les assassins du père d’Orhan, grec , seraient-ils punis par le nouveau régime ? Les hésitations entre une identité ottomane cosmopolite et une identité turque sont intéressantes. On voit s’installer les prémisses de la purification ethnique dont les Arméniens seront les premières victimes, les Grecs suivront…

Le débat est passionnant. L’auteur par ses histoires centrées autour des personnages divers en livre toute la complexité. Cependant cet ouvrage est tellement politiquement correct que c’en est presque trop.   On a l’impression que Tariq Ali a voulu trop bien faire, que ce livre, quatrième volet du quintet de l’Islam est plutôt un manifeste qu’un ouvrage littéraire. J’avais eu la même impression à la lecture du premier roman : Un sultan à Palerme un beau sujet, une documentation intéressante, des idées généreuses mais un grand roman ?

Tariq ALI : La Femme de Pierre – Sabine Wespeiser Editeur – 392p