Ithaque: baignades à Sarakiniko et Filiatro et lecture

Avant même que l’Aurore- aux- doigts- de- rose ne vienne rosir la montagne, je me suis levé. Deux énormes yachts stationnent au milieu de la baie, proue effilée agressive, plusieurs étages  allumés, ils ressemblent plus  à des vedettes militaires qu’à des navires de plaisance.

L’aurore aux doigts de rose à Ithaque

 

Au fond de la rade, le gros ferry Kefalonia qui nous a emmenées ici, est enrubanné. Sa guirlande d’ampoules a une allure festive, réjouissante. A 7h il se réveille à grand bruit et doit manœuvrer entre les carapaces pointues,, fend la baie de Vathy faisant vibrer toute la ville. L’eau reste agitée longtemps après que son sillage ait disparu. Elle est pailletée de l’or du ciel de l’aurore tandis que l’ombre de la montagne est vert foncé. Dans cinq minutes précisément le soleil émergera juste en face rayonnant et je serai éblouie.

Le chant XI de l’Odyssée raconte comment les compagnons d’Ulysse libèrent les vents défavorables, comment ils furent transformés par Circée en pourceaux. Evidemment j’ai déjà lu cette histoire. Le plaisir de la lecture d’Homère est une redécouverte. Plaisir des mots ailés, des détails incongrus, des images inattendues. Dans le cadre merveilleux de la Baiede Vathy ? J’imagine les anciens écoutant l’aède. Il ne leur apprend rien de nouveau. Les thèmes sont connus. Ils attendent la redite de chaque épisode enjolivé de nouvelles comparaisons de métaphores hardies.

7h05, le soleil darde ses rayons. Je ne reste pas sur la terrasse noyée de lumière. Me voilà en route pour la plage  de Dexia(le port de Phorkys) montée raide et descente parmi les oliviers. Des chiens aboient avec insistance ; je ne suis pas rassurée. Avant que je ne plonge, un petit poulpe gris a détalé d’entre mes jambes. Immobile, je ne l’aurais jamais remarqué tant il est bien camouflé du même gris que la fine couche argileuse qui recouvre les galets. Plaisir toujours intact de la baignade du matin dans cette eau lisse que rien ne ride dans le calme absolu du petit fjord enchâssé dans els collines.

Le Musée n’ouvre qu’à 10h30, pas de Monde le mardi, celui de lundi arrivera à 17h avec le ferry. Nous traversons le quartier haut de Vathy nous dirigeant vers le sud. Nous passons devant les maisons des autochtones, de ceux qui travaillent dans les boutiques, les restaurants et qui logent dans de petits immeubles de deux étages mais aussi dans de belles maisons précédées par leur tonnelle. Certains ceps grimpent le long de la façade très haut. Penser que la vigne est tout d’abord une liane !

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La route monte raide dans la colline, quelques kilomètres plus loin, nous découvrons la petite anse au pied des oliviers et le petit port de pêche de Sarakiniko. La route contourne une magnifique propriété au nom italien : balcons, arcades blanches, vue imprenable, terrasse, grillages, interdit de pénétrer(on n’y aurait même pas songé). Le ruban d’asphalte s’arrête net(pas nous, la voiture saute une marche et cogne sur une pierre)=. Enfouie dans la verdure, une maison semble inhabitée mais encombrée d’un fouillis d’articles de pêche ou de plage. A l’ombre d’un buisson, un pêcheur coud son filet jaune. Des chaises abandonnées traînent  sur la plage. Cinq ou six bateaux de pêche se balancent. Deux voiliers de grande taille paraissent abandonnés, la peinture défraîchie. J’enfile sandalette et masque. Enfin, des poissons de toute taille et couleurs, un banc de minuscules alevins bleus m’entourent, des poissons de sable broutent le fond. Je distingue une forme grise allongée, je passe au dessus jusqu’à ce qu’elle me gratifie d’un regard. On dirait une murène, est-ce possible ? L’enchantement ne durera qu’un moment. Les voitures affluent. Une famille allemande puis un couple avec deux chiens minuscules, puis d’autres encore… Il semble que les habitués cachent leur équipement autour de la maison. Nous ne les avons pas vus sortir des voitures parasols, matelas canots gonflables qu’ils traînent sur la plage.

11h, j’ai déjà bien nagé quand le petit port était tranquille. Je le quitte sans regret maintenant que les enfants allemands avec palmes tubas et combinaisons pataugent à grand bruit et effraient les poissons.

 Filiatro

Filiatro est la plus jolie plage aménagée qui puisse exister. Dans une oliveraie bien entretenue, se trouve le parking. La plage de galets blancs se trouve au fond d’un golfe allongé comme un  fjord.  L’eau reflète les noires montagnes  et près de la plage elle est turquoise. En retrait une taverne improvisée. Une douzaine de parasols blanc cassé bien espacés, à l’arrière, six autres jaunes. De côtés, ceux multicolores que les baigneurs ont apportés. Sous les oliviers, des petites tables rondes métalliques comme au café en France avec des fauteuils de toile. C’est là que nous nous installons préférant l’ombre profonde des arbres à celle légère des parasols. Un maitre-nageur surveille la baignade. Il y a même des douches et des sanitaires. Le comble du luxe c’est qu’on ne sent pas la foule. Seul bémol, la plage est sonorisée et la musique n’est pas du meilleur choix.

Au loin des bouées limitent la circulation des bateaux, trois voiliers, l’un bleu les deux autres blancs .  A mesure que j’avance, ils  semblent s’éloigner. Dans cette baie abritée, j’ai un sentiment de sécurité absolue, d’autres nageurs s’aventurent également loin de la plage. L’eau est si calme que je nage sans efforts. Quelques brasses plus loin la stridulation assourdissante des cigles couvre la musique du bar. Le cadre est parfait : les rochers sont blancs éblouissants, des petits bancs calcaires ont été plissés par la tectonique puissante de la région. C’est sans doute de cette blancheur que provient le turquoise limpide. Tout autour les feuillages sont vert argentés.

Nous  passons plus de trois heures à l’ombre de notre olivier, déjeunons de 2 souvlakis de porc servis avec du citron sur un lit de tranchettes de pain, vin blanc, café frappé, un léger déjeuner de plage. Les occupants des parasols devant nous, ont déserté la plage. Je les retrouve attablés sur une estrade devant la taverne : un saladier plein de frites, un autre de salade grecque, dans leurs assiettes du ragoût. Cette tablée ressemble à un déjeuner familial à la campagne dans le verger plutôt qu’à un restaurant.

Vers 15heures les grecs partent s’enfermer faire la sieste. Nous aussi.

Lire Homère sous l’olivier, sur l’île d’Ithaque est un enchantement. Je lève les yeux et imagine les personnages se mouvoir dans ce décor précis. Chant XI : Ulysse aux enfers rencontre les héros de la guerre de Troie Agamemnon raconte le meurtre de Clytemnestre, Achille s’enquiert de son fils Néoptolème, Ajax , toujours jaloux à cause des armes d’Achille, fait la gueule …passent en revue Tyrin Antiope, Alcmène, Epicaste, Chloris que je ne connais pas. Découverte de toute une mythologie beaucoup plus riche que je ne le soupçonnais. Le chant XII raconte les épisodes plus connus des Sirènes, de Charybde et Sylla, des troupeaux du soleil. Ces aventures se déroulent sur l’autre rive du côté de l’actuelle Italie et de la Sicile. Le monde grec était alors plus étendu qu’aujourd’hui mais toujours avec le décor des oliviers de la rocaille…

Le musée Nautique ouvre à 19h  : cartes postales sépia de l’ancien temps – d’avant le séisme de 1953 – dans des vitrines,des dessous féminins, chemises de nuit brodées, une étole de vison un peu incongrue. A l’étage, un appartement est meublé. Plus surprenant : le Certificat d’Etudes (bilingue Français et Grec) d’un officier de marine de l’Ecole de Vathy . Le lauréat avait la mention Très Bien en Grec et en Français, Bien seulement en Anglais et Mathématiques.

J’achète Le Monde, plaisir des vacances  que de lire les nouvelles! Plaisir d’étaler l’édition de papier plus confortable  que l’édition électronique que je consulte désormais.

Sous la belle lumière du couchant,  nous montons à Pérahori et découvrons un village pittoresque aux maisons dispersées dans la montagne ; Malheureusement pour les photos, déjà dans l’ombre. Une coopérative vend les produits locaux : huile et vin. De là, la vue plongeante sur une minuscule vallée  impeccablement cultivée, Ithaque insoupçonnée avec ces pentes escarpées. Est-ce là le domaine de Laerte qui préférait dormir avec ses paysans que dans son manoir.

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

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