Ascension du mont Moïse : rando ou pélerinage?

SINAÏ AVRIL 2008

lever de soleil sur le Mont Sinaï

 

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 A mon approche, le chamelier quidormait sur les banquettes de la tente bédouine, se lève prestement. Il n’est pas grand. Sa silhouette est frêle. Il porte une gallabieh sombre et un voile noir comme celui des femmes qu’il enroule rapidement à la manière des Bédouins. J’entrevois son visage juvénile.

Il chuchote doucement au chameau qui s’assied. C’est un animal de grande taille que j’ai bien du mal à enfourcher. Il faut poser le pied sur la couverture de selle. A peine l’ai-je posé, que le dromadaire se lève. Je suis en déséquilibre. Le chamelier ordonne à la bête de s’asseoir à nouveau. Alors on s’organise, le sac à dos et le bâton de marche fixés au pommeau de bois à l’avant de la selle. Nous voilà partis.

Nous tournons le dos au monastère et remontons le long de la route. Drôle de méharée sous les lampadaires ! Je médite sur le développement de l’Egypte qui a  des infrastructures développées, des rues éclairées, des routes goudronnées. Peut-être parce que nous sommes dans une zone touristique ? L’irrigation s’étend, les trains arrivent à l’heure.

Passé le village, le chameau s’engage dans une étroite vallée. Au premier tournant, les lumières de la ville sont éclipsées. Mes yeux ne sont pas encore habitués à l’obscurité complète. Quand le chameau monte une marche inattendue, cela secoue un peu. Je pense aux « effrayants défilés » des écrivains romantiques avant que la montagne ne devienne un terrain de jeu. Le sentier fraie son chemin entre d’énormes blocs éboulés que l’on contourne. Certains sont hauts de cinq ou six mètres. Les étoiles sont tellement nombreuses que je ne trouve pas tout de suite la Grande Ourse, le Petite Ourse et Cassiopée. La Voie Lactée est impressionnante. A mesure que le sentier s’élève dans la montagne le froid devient plus mordant. Je sens la chaleur de ma monture. Qu’en sera-t-il quand je serai à pied en haut ? Mes yeux distinguent maintenant la piste à la lueur des étoiles. Nous progressons entre deux sommets. Lequel est le Mont Moïse ?Quand il y a une marche ou un obstacle sur le chemin le chamelier chuchote « ch-ch-ch » au chameau ou l’encourage à voix haute « hari ! » (C’est peut être le contraire ?). Il fume presque sans discontinuer en marchant. La fumée de ses Marlboro ne me gêne pas, au contraire. Après combien d’années perd -on le goût du tabac ? Le balancement du chameau me berce dans de lointaines rêveries. Ce serait mieux de me concentrer sur le paysage.

Alors que la pente devient plus raide, le chamelier laisse la longe et passe à l’arrière. Le chameau connaît le chemin mais il me faut anticiper. Sans la conduite ferme du guide, l’animal adopte une allure fantaisiste : il accélère dans les descentes et je suis projetée à l’avant. En montée, il adopte un pas de sénateur.
Tout à coup, un point lumineux surgit de la crête de la montagne. A nos pieds nos ombres sont projetées. Un mince croissant de lune s’est levé. On y voit comme en plein jour. Dans mes pensées vagabondes me vient l’idée que je devrais consulter le calendrier avant de choisir une destination de vacances. Cette méharée en premier quartier de lune ou à la Nouvelle Lune aurait été différente.

Des éclairs proviennent de la montagne sur la gauche. Un peu inquiétants. Puis, au détour d’une arête rocheuse : une chenille lumineuse zigzague sur la pente. Nous avons rejoint le sentier du Monastère. Ce n’est pas un groupe de randonneurs, ni même deux. C’est une procession sans début ni fin qui progresse et occupe toute la piste. Mon chameau se faufile difficilement. Le chamelier interpelle les piétons : « Attention ! Camel ! camel ! » devant une cabane, le dromadaire s’agenouille. Je descend. La frontale refuse de s’allumer. Le chamelier n’est pas content du pourboire. Farag m’avait dit 80LE + 20 de pourboire. Le jeune insiste :

– « J’ai pris la piste la plus longue, c’est 100 LE pour le chameau, donnez pour moi, pour acheter des chicklets »
Sans  lumière j’extirpe les billets du porte-monnaie. Il devra se contenter de deux billets de 5LE.

Dans une maisonnette, on vend des barres chocolatées, des lampes de poche et du thé. Il y a aussi des banquettes. Je m’y installe pour enfiler un pull de laine au dessus de la polaire, la chemise, le coupe-vent (5 épaisseurs), les gants, et j’arrive à bricoler ma lampe frontale. Des Japonaises en espadrilles de corde à talon compensé ou ballerines en tissu, se reposent. Elles arborent une élégance « petites filles » très japonaise, jupes transparentes sur des caleçons fleuris, chapeaux aux couleurs acidulées. Un homme masse les chevilles de son amie chaussée de sandales portant un turban doré du meilleur effet. Dans la bande d’éclopés, certains se découragent.

Sur le sentier, je n’ai pas parcouru deux mètres que je butte sur une grosse pierre. Ma lampe frontale éclaire trop loin devant moi et pas mes pieds. Je la prends à la main. La progression est pénible dans la cohue. Chacun pousse celui devant soi. D’autres vont à contre-courant pour retrouver leur groupe. Des Egyptiens se proposent comme guides. Ils barrent la route et gênent plus qu’ils n’aident ; Il faut les éconduire brutalement. Devant moi, une femme tire un gamin. Ils occupent tout le sentier. Elle a mis son bâton de marche dans son sac, la pointe dirigée vers moi. Si les Espagnols derrière me poussent je vais m’empaler.

Les Espagnols (peut être des sud américains) sont bruyants (ce n’est pas une découverte)J’entends claironner :
–    « Que pasa Jose, que no to oiga ?  »
–     « Despacio ! despacio ! Patrizia»

Révisons l’espagnol ! Ce n’est pas franchement ce que je cherchais sur le Mont Sinaï. Des jeunes ont inventé un refrain :

–    « Aï -Aï –Sinaï ! ».

Un portable sonne. Quelle chienlit ! Le sentier est très raide. Dans les guides, on parlait de marches. Ce sont plutôt des blocs arrangés en sorte d’escalier, irréguliers recouverts d’une arène glissante. Pour gravir les « 700 » marches on met plus d’une heure. Les guides appellent leurs ouailles. Les groupes sont affublés de noms ridicules « Ali Baba » les Espagnols, « Habibi » les Japonais….
Enfin le sommet !

La petite église est ouverte mais des Russes emmitouflés dans des couvertures en font le siège. A l’intérieur, des liturgies conduite par un pope et des Roumaines. Impossible de se faufiler. Je trouve un parapet pour m’asseoir en attendant le lever du soleil dans le coin des Espagnols. Un homme coiffé d’un chapeau western demande le silence et annonce »Exode 30, » ? , Une fille commence à lire dans le vacarme. On n’entend rien. Le même homme demande d’une voix forte :

–    vous entendez ?
–    Vous faites trop de bruit! »

Un homme à visage d’Indien relit d’une voix forte. Un jeune sort une guitare de sa housse. Tout le monde chante. Certains lèvent les mains au ciel. L’homme au chapeau (un prêtre ?) fait un long sermon puis les chants recommencent. Des femmes tombent en extase, dans les bras les unes des autres. Certaines pleurent.

Du côté Est, le ciel prend des teintes d’or. Je me sens piégée. Je voudrais voir le lever du soleil. Impossible de poser un pied par terre. Je ne peux quand même pas bousculer ceux qui prient. Je profite du passage du pope qui fend le groupe espagnol et je suis sa soutane à la manière de ceux restent dans le sillage d’une ambulance dans un embouteillage.

C’est complet du côté des Russes, mais en dessous, il y a une terrasse bien orientée. Des randonneurs français y ont dormi. Ils se poussent pour me faire un peu de place. Le soleil se lève dans les nuages. Je devine la boule jaune pâle dans un banc de brume. Puis le disque sort, très brillant, très vite. Le spectacle est terminé .

Mont Sinaï : la descente

A la descente je suis les Roumaines endimanchées derrière leur pope qui saute de roche en roche et fait du « hors piste ». Je ne me serais jamais doutée que ce vieil homme avec sa queue de cheval blanche, ses soutanes et son attirail serait aussi alerte. Les marches sont plus faciles à trouver quand on y voit clair. La piste est encombrée et il n’y a plus de marches du tout. Où sont passées les 3000 annoncées ?

Je viens juste de dépasser les WC à compost qu’il me vient une envie très pressante. La taamyia de Suez devait être pleine de bactéries ou d’amibes. Je dévale les derniers kilomètres avec une seule obsession : arriver à temps au monastère. Juste une petite photo de temps en temps. Je dépasse tout le monde. Au monastère les « lieux » sont disponibles. Ce n’est qu’après que je penserai à enlever l’anorak, le pull et la chemise chaude indispensable en haut où il gelait (il y avait de la gelée blanche).

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

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