LIRE POUR LA GRECE

La Bouboulina de Zorba
La lecture de Kazantzaki peut être une épreuve pour une lectrice féministe. La société qu’il décrit vivait alors sous un machisme indéniable : le lynchage de la veuve dans Alexis Zorba en est le paroxysme. Alors, refermer le livre?
Zorba est un homme de son temps qui considère les femmes comme des êtres faibles qui ont besoin d’amour. Inutile de se voiler la face. Et de l’amour, il en a à revendre! Mais il ne faut pas se méprendre sur le petit nom de Bouboulina qu’il donne à la dame Hortense. Ce surnom affectueux n’a rien de condescendant comme la consonnance française pourrait le suggérer. Au contraire, c’est le nom le plus prestigieux qu’un Grec puisse connaître pour une femme. La Bouboulina fut une Kapetanissa, une femme-amiral, héroïne de l’Indépendance grecque.
Hortense, dans le temps de sa jeunesse fut une artiste renommée et assista à l’une des batailles fameuses de l’Indépendance de la Crète : le siège de La Canée (1897) par les navires des Puissances:
-....La Crète était en pleine révolution et les flottes des grandes puissances avaient jeté l’ancre dans le port de Souda. Quelques jours après, j’y jetais l’ancre aussi. A quelle magnificence! vous auriez dû voir les quatre amiraux: l’Anglais, le Français l’Italien et le Russe….
…..Souvent on se réunissait sur le vaisseau-amiral et on parlait de révolution,….. des conversations sérieuses et moi n’attrapais leurs barbes et je les suppliais de ne pas bombarder les pauvres chers Crétois. On les voyait, tout petits comme des fourmis, avec des braies bleues et des bottes jaunes. Et ils criaient , criaient, et ils avaient un drapeau…. » (c’est à cet épisode qu’est érigée la statue auprès du tombeau de Venizelos
« Combien de fois, moi qui vous parle, j’ai sauvé les Crétois de la mort! Combien de fois les canons étaient prêts à tirer et moi, je tenais la barbe de l’amiral » « Mon Canavaro – c’était son nom – pas faire boum boum!… »
Héroïne dérisoire, héroïne d’opérette, ou de café-concert…Canavaro devint le nom du perroquet. Mais Zorba a été capable de lui rendre son hommage.
Laskarina Bouboulina (1771-1825)
Les Carnets de Bérénice consacrent un article à cette héroïne de l’Indépendance grecque. Un autre blog consacre un billet illustré à la maison-musée de la Bouboulina à Spetses
L’excellent roman historique de Michel de Grèce est une biographie romancée de La Bouboulina.
Quelle vie romanesque que celle de Laskarina!
Née dans une prison sinistre de Constantinople, orpheline méprisée dans la maison patricienne de Hydra, exilée à Spetses alors dévastée par les Turcs. Adolescente, son beau-père lui offre un caïque, à l’âge où les jeunes filles étaient confinées dans le gynécée dans l’attente d’un mari. Deux fois mariée à des armateurs, elle accompagne son premier mari dans des expéditions à la limite de la piraterie mais devra attendre d’être veuve du second, Bouboulis, pour prendre sa mesure et devenir la Kapetanissa. Armateur-femme d’affaire, mais aussi conjurée de la Filikí Etería, elle conduit ses bateaux contre Nauplie en 1821 dans la guerre d’Indépendance grecque. Elle combattit aussi sur terre avec Kolokotronis….
« macédoine » balkanique: Héroïne grecque, Laskarina, comme les habitants de Spetses, parlait Arvanitika, une langue albanaise, et se disait Arvanite. Je remarque aussi le voile de Laskarina – comment aller en mer tête nue? – mais une femme turque aurait noué le même. Cherchant des renseignements sur la Filikí Etería sur Internet, j’arrive à Odessa et même en Roumanie. Toutes ces composantes, métissages ou interférences, s’opposent aux crispations actuelles, sur le voile chez nous, sur la pureté ethnique ailleurs et l’arrivée De Byron et des différents combattants étrangers philhéllènes rajoutera des pièces encore au puzzle.

Comme c’est intéressant. Je ne pensais que Bouboulina était un nom historique. Je viens de voir le film Zorba : quand Zorba attribue ce surnom à Hortense, elle proteste et il demande confirmation à l’écrivain. J’avais cru qu’il s’agissait d’une ironie, comme si le narrateur confirmait le mensonge de Zorba, je ne pensais pas que c’était vrai !
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CQFD C’est justement pour cela que j’ai repris le livre et relu La Bouboulina.
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Grâce à toi j’ai regardé Zorba tout récemment et je dois dire que la scène du lynchage est encore plus violente que dans mon souvenir
Je crois que toi aussi tu avais l’impression d »avoir vu ce film en couleur, j’aurais été prête à le jurer …pourtant on y sent la couleur de la mer et le bleu du ciel
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Magnifique Irène Pappas qui donne la mesure de la tragédie. Avant d’écrire ce billet j’ai relu la scène dans le livre et la violence est plus contenue
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Oui, beaucoup de mélancolie. Je t’ai envoyé le film. Tu m’en diras t’en. Et puis de merveilleuses vacances.
Mathieu
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je ne connais pas le roman historique de Michel de Grèce , mais quelle héroïne!
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Le roman historique est de lecture facile et relate des faits que nous connaissons mal.
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