Texaco – Patrick Chamoiseau

MARTINIQUE

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Texaco a été lauréat du Prix Goncourt 1992 – gros roman de 432 pages qui vous engloutissent dans une lecture passionnante mais touffue, lente, parfois laborieuse (tiens, la narratrice s’appelle Marie-Sophie Laborieux, coïncidence?). Lecture compliquée par le mélange de français littéraire, de vocabulaire oral de la Martinique avec parfois des expressions créoles. Comme j’avais envie de tout comprendre dans ce voyage littéraire j’ai souvent arrêté la lecture pour chercher les mots que je ne comprenais pas. 

Lecture compliquée aussi par l’intervention de plusieurs narrateurs : Marie-Sophie Laborieux, dans ses cahiers transcrit les paroles de son père Esternome, qui, lui-même rappelle les souvenirs des générations précédentes. Intervient aussi un urbaniste rédigeant des rapports…

Texaco est un quartier, bidonville, favela, de Fort-de France installé sur le terrain de la Compagnie Pétrolière Texaco et fondée par Marie-Sophie Laborieux. 

 

 

 

Le titre Texaco qui fait du quartier un personnage à part entière, s’intègre dans une focale « architecturale » . Les repères chronologiques mis en avant par l’auteur sont  des modes de construction : « TEMPS DE CARBET ET D’AJOUPAS  « les Indiens Arawaks vivaient dans des huttes, après 1680, au « TEMPS DE PAILLE » les esclaves africains étaient dans des cases couvertes de paille autour des habitations des colons, « TEMPS BOIS-CAISSE » correspond à l’effondrement du système des habitations  tandis que les cases construites en débris de caisses s’élèvent autour des grandes usines à sucre. « TEMPS FIBROCIMENT » correspond à la construction de Texaco et précède le « TEMPS BETON ».

Chamoiseau a donc rythmé la saga par l’édification des cases. L’histoire commence au Temps de Paille  du temps de l’esclavage, de 1823 où le grand père – empoisonneur fut mis au cachot tandis que la grand-mère était blanchisseuse. Le  père, Esternome,  naquit dans l’habitation et passa son enfance dans la Grand-case. Ayant sauvé la vie du Béké, il gagna la liberté de savane. La première partie du livre raconte comment Esternome s’est affranchi, comment il a quitté la campagne, est « descendu vers l’En-ville » où il est devenu charpentier sous la conduite du maître charpentier Théodorus.

« Durant les semaines qui suivirent, la petite troupe marcha marcha marcha, répara quatre indigoteries, marcha marcha, mit d’aplomb deux caféières, marcha marcha, et un et-caetera de cases à marchandises, à bestioles ou à nègres. Théodorus devant, ses deux aides derrière, mon papa au milieu, ils affrontaient les mornes boueux, les ravines glissantes, escaladaient les éboulis de terre rouge et la bouleverse des arbres tombés. Mon Esternome qui n’avait jamais dépassé les zones de son habitation, découvrit le pays : une terre jamais plate, dressée en verdure vierge, enchantée d’oiseaux-chants et des siffles de bêtes-longues. »

Un des évènements les plus marquants de l’époque fut en 1848 : l’Abolition de l’Esclavage

« En fait, Sophie ma Marie, moi-même qui l’ai reçue, je sais que Liberté ne se donne pas, ne doit pas se donner. La liberté donnée ne libère pas ton âme »

Esternome tomba amoureux. mais je ne vais pas vous raconter tout le livre….Avec Ninon, il a essayé de se construire un paradis, un jardin au flanc d’un morne…

« Soufrière a pété, Soufrière a pété »

la catastrophe, la destruction de Saint Pierre le 8 mai 1902 l’exode vers Fort de France va marquer une nouvelle époque, Estenome a tout perdu, sa Ninon, son paradis sur le morne, et pourtant un nouveau départ: une nouvelle compagne lui donne une fille Sophie-Marie.

Nous allons suivre les aventures de la petite fille dans le Quartier des Misérables, la survie en vendant des fritures dans la rue. Orpheline, il ne lui restait plus qu’à faire la bonne avec plus ou moins de bonheur. Intelligente, elle a tiré profit de l’environnement, des musiciens de son premier maître, a appris à coudre chez la suivante, puis à lire et écrire. Son plus grand trésor fut quatre volumes qu’elle emporta :  Montaigne, Rabelais, Alice de Lewis Caroll et les Fables de La Fontaine. Lectrice, mais aussi scribe de l’histoire de son père et de ses ancêtres esclave. C’est elle qui a fondé Texaco, qui en est devenue l’écrivain public, l’animatrice jusqu’à aller trouver Césaire

« Mais Césaire, noir comme nous-mêmes nous ramena dans la politique. Il vint vers nous, comme Sévère, au
Quartier des Misérables, à Trenelle, à Rive-Droite, au Morne Abélard, à Sainte-Thérèse. Il n’avait pas peur
d’avancer dans la boue, et de le voir venir nous exaltait. »

Au  nom de l’hygiène, de la modernité, Texaco sera-t-il détruit pour caser ses habitants dans des Hachélèmes?

« L’urbaniste occidental voit dans Texaco une tumeur à l’ordre urbain. Incohérente. Insalubre. Une contestation
active. Une menace. On lui dénie toute valeur architecturale ou sociale. Le discours politique est là-dessus négateur. En clair, c’est un problème. Mais raser, c’est renvoyer le problème ailleurs, ou pire : ne pas l’envisager.
Non, il nous faut congédier l’Occident et réapprendre à lire : réapprendre à inventer la ville. L’urbaniste ici-là,
doit se penser créole avant même »

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

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