Un plat de porc aux bananes vertes – Simone et André Schwarz-Bart

LITTERATURE ANTILLAISE

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A la suite de mes lectures de Nous n’avons pas vu passer les jours  de Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel et du Dernier des Justes j’ai eu envie de lire cet opus au titre étrange (étrange pour un juif écrivant un livre se basant sur la tradition talmudique de donner un titre pareil) et écrit à quatre mains avec Simone, sa femme, guadeloupéenne. Toutefois le livre Nous n’avons pas vu passer les jours , m’avait appris qu’André avant même de connaître Simone parlait le Créole et éprouvait de l’empathie pour les Antillais et la  tragédie de l’esclavage. 

Empathie pour ceux dont on  piétine la dignité dans les chaînes de l’esclavage ou dans la Shoah. Les auteurs vont, dans le Paris des années 50 trouver Mariotte, martiniquaise, à l’hospice  situé derrière Notre Dame des Champs, un mouroir où les vieillards sont logés en dortoir et numérotés selon la position de leur lit. Mariotte est N°14. Humiliation de la vieillesse.

« Il y avait quelque chose de si affreusement cocasse dans le spectacle de Mlle Giscard, affalée sur le trône, sa
jupe retroussée jusqu’au croupion, et faisant claquer sur son bec de corneille posthume ces paroles absurdes qui
ne laissaient jamais, néanmoins, de me toucher, comme le rappel d’une indignité métaphysique… Oui, de si lointaines distances – quasi astrales – séparaient la personne physique de Mlle Giscard ; la posture dans laquelle un sort méchant la surprenait (comme assise sur les décombres de la dignité laïque, gratuite et obligatoire) « 

Le livre s’ouvre sur des histoires de pots de chambre et de cabinets . Dégradant! Ce n’est pas un livre aimable. Les autres pensionnaires ne sont guères plus avenants. Mesquineries et vacheries. Le comble de la mesquinerie est la paire de lunettes indispensable à Mariotte prêtée par une vieille qui ne s’en sert plus, sauf pour imprimer sa domination sur Mariotte.

Mariotte convoque ses souvenirs en Martinique, elle raconte la mort de sa grand mère Man Louise, la visite en prison au compagnon de sa mère…Ces souvenirs sont vivaces et la hante. J’ai beaucoup aimé ces pages ainsi que celles qui évoquent les saveurs des plats antillais : d’où le titre du roman.

Mais, le lendemain, il redevenait d’autant plus redoutable que son jeu préféré était précisément de défaire le « jeu » des uns et des autres : les masques derrière lesquels nous essayions, tant bien que mal, de nous mettre à l’abri des mille Martinique qui se déchiraient sur un même bout de terre, dans une même cage aux grilles aussi insaisissables que le ciel… Martinique aux multiples races engagées dans un corps à corps incessant, où les armes du sexe sont forgées dans l’acier du mépris ! Oh, Martinique tout engluée dans les fils insidieux de l’esclavage, telle une larve encore indistincte de son cocon !… Martinique secrètement infernale, où chacun offrait (offre ?) à tous l’envers de sa douleur : son masque, son bouclier presque toujours illusoire ; son « jeu »,
comme nous disions, pour désigner l’étrange partie où chacun est engagé pour éviter les atteintes d’autrui, et – le mépris de soi […]

On ne pouvait le situer à aucun degré de cette échelle du mépris qui se dresse au-dessus de l’île, telle une tour de Babel lentement accumulée par des siècles d’écrasement et de Crime. D’un mot, il arrachait un barreau. Il disait par exemple : Le Blanc méprise l’Octavon, qui méprise le Quarteron, qui méprise le Mulâtre, qui méprise le Câpre, qui méprise le Zambo, qui méprise le Nègre, qui méprise sa Négresse, qui méprise le Z’indien, qui méprise sa Z’indienne, laquelle… frappe son chien, ha ha ; et moi Ray Raymon Raymoninque, je vous regarde tous et je ris en moi-même ; et si vous me demandez qui est mon frère de sang, je vous dis que c’est le chien !

Je m’attache au personnage étonnant de Mariotte dont on ne connaît pas son parcours, mais qui est lettrée et écrit ses mémoires sur des cahiers qu’elle cache soigneusement, d’où l’importance des lunettes.

Malgré certains aspects repoussants ce livre est plein d’humanité et je garderai Mariotte en mémoire.

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

2 réflexions sur « Un plat de porc aux bananes vertes – Simone et André Schwarz-Bart »

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