
Moussa Konaté est un écrivain malien.
J’avais beaucoup aimé son roman policier : L’Empreinte du Renard polar ethnologique chez les Dogons, ressemblant aux enquêtes de Hillermann chez les Indiens Navajos.
Cet essai est écrit de l’intérieur , de l’Afrique Noire, par un Africain vivant en Afrique noire, contrairement aux ouvrages écrits par des écrivains africains exilés en Occident, pour des raisons politiques ou économiques. Konaté ouvre son étude justement par les critiques de ces écrivains noirs qui s’auto-flagellent et qui donnent des arguments aux pires dérives racistes.
« L’Afrique n’est pas seulement victime du noircissement de son image : elle y contribue »
Contrairement aux livres que j’ai lus précédemment, d’Aminata Traoré ou de Dambisa Moyo basés sur une analyse économique, celui-ci ne cite pas l’influence de l’aide humanitaire et très peu le rôle du FMI. Konaté part de données intrinsèquement africaines et son analyse est plutôt culturelle ou sociologique.
Le « paradis africain perdu » : la famille africaine se réfère à un ancêtre et à un pacte social où les enfants seraient accueillis par toute une famille élargie et les vieillards respectés. Dans cette société hiérarchisée stable, une sorte de contrat lie les générations. Chacun a une place bien définie, l’enfant se tait, le vieillard juge et la solidarité est garantie entre tous les membres. La convivialité et la chaleur humaine donne cette tonalité paradisiaque. Cependant Konaté relève que c’est une société d’hommes, les femmes sont cantonnées à un rôle secondaire où la polygamie et l’excision aggravent sérieusement leur position. La peur de la malédiction assure aussi la conformité du comportement de chacun : celui qui se singularise met en danger le contrat moral et le respect de l’ancêtre.
Cinq chapitres sont consacrés aux « épreuves » : l’esclavage, sans oublier l’esclavage des maures, la traite atlantique puis la colonisation. Cinquante ans après les « indépendances » il imagine le dialogue entre le Noir Africain et l’Européen
LE NOIR AFRICAIN : Tu m’as fait mal
L’EUROPEEN : C’est du passé, maintenant
LE NOIR AFRICAIN : le passé est en moi, il n’est donc pas passé.
Il cite Césaire, Cheik Amidou Kane dans l’Aventure ambigüe
L’homme blanc est reparti !
L’auteur analyse les rapports entre les élites noires et l’ancienne puissance coloniale. Les richesses du sous-sol, les richesses de l’Afrique sont encore entre les mains des multinationales et que la Françafrique perpétue la présence du colonisateur. Connivence entre les dirigeants et les « Blancs » . L’analyse de la corruption qui gangrène l’Afrique est sans complaisance. Alors que l’analyse économique imputait le mauvais rôle aux généreux donateurs de l’aide internationale ou aux multinationales, Konaté cherche les causes endogènes et il impute cette corruption à ce qu’on loue généralement dans la civilisation africaine : la solidarité familiale. Parallèlement, il montre que la notion d’Etat n’est pas intégrée dans les esprits. L’Etat serait une invention du Blanc donc peu respecté tandis que la solidarité familiale, purement africaine excuserait les pires dérives et passe-droits. Poussant plus loin l’analyse, il montre que la solidarité se délite, la réciprocité qui était naturelle dans un milieu rural où l’invité aidait aux travaux des champs est devenue impossible. Il résulte alors une catégorie d’assistés. Il suffit pour survivre d’avoir un parent bien placé. Le modèle social en question questionne donc aussi bien les élites que les dérives de la solidarité. Autre problème : la réduction du ombre des fonctionnaires exigée par le FMI a permis l’extension de l’influence des confréries religieuses, financées pour certaines par les pays du Golfe. Même la convivialité africaine, cette chaleur humaine a été dévoyée et se trouve facteur de productivité basse, selon l’auteur.
A cette critique de fond, la critique de l’école du Blanc est celle qui me touche le plus avec celle de la francophonie. La lecture de L’Enfant Noir de Camara Laye, de Hampâté Bâ, de Cheik Amadou Kane, la trajectoire politique de Senghor… ne m’avaient pas préparée à une telle critique. Il accuse l’école dans la langue du colonisateur d’être la cause de la reproduction des élites soumises au colonisateur : seule une minorité qui parle la langue du colonisateur a accès à la culture tandis qu’une majorité reste analphabète. L’école enseignée dans la langue africaine que parle l’enfant valorise la culture africaine et se trouve accessible à la majorité.
De cet état des lieux pessimiste, pour ne pas dire catastrophique, d’où vient l’espoir ? Pas de l’Occident ni de la Mondialisation, ni du métissage ou des expatriés comme le proposait Amine Maalouf dans le Dérèglement du Monde. Ni de l’Inde ou de la Chine qui sont prêtes à investir ce nouveau territoire. Konaté n’évoque cette éventualité qu’en quelques mots. Dans le monde en noir et blanc décrit par Konaté, la solution ne pourra être qu’africaine à condition que l’Afrique accepte d’évoluer d’ouvrir à l’initiative individuelle le champ des possibles et de libérer les femmes de la double contrainte de la polygamie et de l’excision. Solution africaine qui ferait la synthèse entre la solidarité traditionnelle et une modernisation obligée. Réinventer l’Etat Providence ? Faire une Ecole Africaine. Développer la culture et donner leur chance aux langues africaines
Moussa KONATE : L’Afrique Noire est elle maudite ? – Fayard 258p.