Ce qui se trame – Histoires tissées entre l’Inde et la France – Manufacture des Gobelins

Exposition temporaire jusqu’au 4 janvier 2026

 

Somptueux Kalamkari au cyprès et aux paons

Les textiles, cotonnades, indiennes voyagèrent de l’Inde à la France en nombreux allers-retours, influences s’entrepénétrant, comme chaîne et trame d’un tissage métissé. J’avais déjà vu ces influences à Orange à la présentation de la fabrique Wetter où étaient manufacturées des « indiennes » et au Musée de la Toile de Jouy.

L’Exposition « Ce qui se trame «  se déroule  sous  le patronage des Manufactures nationales, de l’Institut Français, de l’Ambassade de France en Inde mais aussi de Louboutin, directeur créatif de l’exposition, de la Maison Lesage Intérieurs et 19M, et enfin, du programme de résidences artistiques à la Villa Swatagam. 

L’Antichambre

La visite commence dans l‘Antichambre, exemple parfait de métissage : le mobilier, la cheminée et ses bûches, le lampadaires sont tapissée de cotonnade aux motifs et couleurs indiennes . Tendues, au-dessus de nos têtes, des lanières de tissu figurant la toile d’une tente moghole. Sur le mur d’entrée aux arcades indiennes on a tendu de la toile de Jouy aux motifs bucoliques, images de France…métissage inversé.

Nid contenant une tente moghole

Rouge indien, rouge voisin du corail et bleu de l’indigo, les couleurs indiennes de base. Le nid inversé sur un miroir où est posée une tente moghole est l’œuvre de Lesage, contemporaine et surprenante. 

madame de Pompadour et un caraco d’Indienne

Quand Madame de Pompadour faisait la mode à la Cour, l’indienne était de tous les accessoires, ici en caraco sur une jupe de coton. Le coton venait d’Inde.

Broderies de Sumakshi Singh

La salle suivante est blanche, blanche comme la dentelle d’Alençon, ou la mousseline brodée. Dentelle de France, broderie indienne, s’épousent s’échangent. Le blanc est la couleur de deuil en Inde. Une merveilleuse installation Blueprint of Before and After de Sumakhsi Sing CLIC est composée de très fines broderies sur des modèles végétaux, feuilles de lotus ou d’herbes aquatiques suspendues par des fils presque invisibles. Légèreté, transparence. Les broderies étaient sur un support que la brodeuse a dissous chimiquement pour qu’il ne reste que ces nervures. la disparition de la matière pour ne garder que le squelette correspond à ce thème du deuil. A la fragilité de la vie. Je suis revenue contempler cette oeuvre qui me plaisait beaucoup à la fin de la visite. De la fenêtre venait une lumière rose du coucher du soleil éclairant les motifs et leur donnant un aspect nouveau. 

au coucher du soleil la lumière rose colore les broderies de Sumakshi Singh

Rouges panneaux qui se répondent : tentures napoléoniennes de la salle du trône du Palais de  Versailles avec les pans  des tentes mogholes. Sari brodé, caftan contemporain.

Pan de tente moghole

et au plafond des fils d’or tendus d’un tissage d’une finesse évanescente tandis qu’au milieu de la salle Lakshmi Modhavan CLICa installé une 96 navettes de bois chargées de fil d’or sauf certaines contenant des cheveux noirs de son fils,  symbolisant la transmission de la tradition et de son savoir de tisseuse. Le tissage à la main de ces fils d’or est si fin que des mots se lisent par transparence EVERYBODY /ANYBODY/NOBODY:

Fil d’ors fins comme un cheveu et leur ombre portée

suspendus le Kalamkari au cyprès (voir ci-dessus) imprimé au bloc, découpé, appliqué sur un fin voile de coton puis rebrodé au point de chaînette pour dessiner les deux paons, deux tigres et des antilopes. 

motifs floraux garance et indigo

Des tissus indiens de légende comme le Chintz peint et teint à la main de délicate fleurs garance et indigo. Shantush si fin qu’il passe à travers un anneau, pashmina

Un escalier monumental conduit à l’étage : sur un écran un film montre les différentes façons de porter le sari. A Varanasi des pèlerins de toute condition vont vers le Gange, des jeunes élégantes le plissent, le replient, en font un voile ou une étole…

Défilé Haute couture

Nous sommes arrivées dans la salle du défilé Haute Couture où des couturiers européens ou indien ont interprété le thème du sari. La robe satin rose est de Christian Dior, The golden Ascendant de l’Indien Gaurav Gupta, la robe du soir d’Yves Saint Laurent. Tandis que Chanel est en organza orange (tunique et bermuda). Spectaculaires anneaux de saturne de Schiaparelli

Anneaux de Saturne de Schiaparelli

Le décor est une immense tapisserie à fond vert et motifs végétaux The flower we grew de Rithika Merchant, Chanakya, CLIC

motif de la tapisserie

réalisée pour le défilé de Christian Dior au Musée Rodin. Elle est composée de 37 panneaux et a nécessité 144000 heures de travail par 306 artisans.

la salle suivante est sur le thème « Sculpter le corps des femmes »

Made in India – Leila Alaoui

la photographe a réalisé les photographies des ouvrières du textile en faisant leur portrait en pied dans une cabine à fond noir. Elle a gagné leur confiance  puis monté 18 photographies de leurs mains ravagées par le travail manuel. (la Haute couture et le Luxe sont loin!)

Dans les sculptures du corps, une très dérangeante Vénus ouverte de Jeanne Vicérial CLIC

Un très grand panneau indigo clôture cette séquence. Indigo de l’Inde. Cascades de fils.

indigo

On entre dans la salle DENIM, denim, la toile des jeans, qui intégre la ville de Nîmes qui lui a donné son nom et l’indigo de l’Inde. Dans cette salle des poufs, canapés invitent à se poser pour regarder le film qui détaille les techniques de teinture au bloc, les broderies avec des paillettes, des perles, les incrustations….

Et pour terminer un retour à la Manufacture de Gobelins avec la grande tapisserie du Corbusier. Le Corbusier a dessiné la ville futuriste de Chandigarth en Inde. 

en conclusion : une exposition merveilleuse qui ne restera que jusqu’au 4 janvier. Courrez aux Gobelins!

Douarnenez : suivez les sardines!

CAP SIZUN ET CORNOUAILLE

Cette très belle journée commence dans la brume lors de la traversée du Cap Sizun. Les bancs de brouillard noient les vallées et les creux tandis que le soleil de face nous éblouit. Heureusement, les arbres magnifique, châtaigniers ou chênes offrent un certain répit à nos yeux éblouis.

L’entrée dans Douarnenez avec ses maisons mitoyennes ouvrières alignées le long de la rue en pente me rappelle l’entrée de Fécamp. Des immeubles très moches percent de temps en temps les quartiers ouvriers. Douarnenez n’est pas une ville chic, c’est une cité ouvrière de pêcheurs et d’ouvriers des conserveries qui s’est construite autour de la richesse locale : la sardine. 

Port Rosmeur

le Topoguide propose une promenade N°5 « Le Chemin de la Sardine » . Il est balisé dans le goudron par des clous ovales en forme de sardines qui guideront mes pas. Impossible de rejoindre en voiture le départ du circuit sur le Quai du Petit Port du Rosmeur : le trafic est réservé aux riverains et le quartier piétonnier. En plus des sardines métalliques, la visite est commentée par des panneaux très bien faits illustrés de photographies anciennes, racontant l’histoire de la ville. 

Dès l’époque gallo-romaine, la sardine était travaillée dans les cuves à garum de Plomarc’h (que je n’ai pas trouvées). Ensuite on a pressé les sardines, pressées et essorées, entassées dans des tonneaux pour être expédiées au loin. Nourriture bon marché qui accompagnait pain ou pommes de terre. Au XIXème siècle avec l’appertisation (découverte en 1795 par Nicolas Appert), les conserveries remplacent le pressage. La ville grandit. Les hommes vont à la pêche, les femmes travaillent aux conserveries. Au début du XXème siècle, avec la grande grève des Penn Sardin(1924), les sardinières entrent dans l’Histoire. Un siècle plus tard, on se souvient encore de leurs luttes et de leurs chants. Grève très politique avec le soutient du Parti Communiste et de Charles Tillon. Grève féministe puisque dès 1925 le PC inscrit une femme sur les listes au conseil municipal alors qu’elle n’avaient pas le droit de voter. Un podcast de RadioFrance raconte la grève CLIC

Et un roman policier Du sang sur Douarnenez enquêtes d’Anatole Lebras CLIC

par les venelles du circuit des sardines

Douarnenez, ville communiste, a perdu nombreuses de ses conserveries mais garde le souvenir dans la toponymie : je grimpe la Rue Barbusse, la rue Charles Tillon, la rue Louise Michel. L’esprit de la gauche flotte encore avec  des affiches soutenant Gaza, des graffitis subversifs, « BLOQUONS TOUT3 (10 septembre 2025), « LE RN EST COMME TON EX IL DIT QU’IL A CHANGE MAIS IL MENT » (sûrement des féministes), plus mystérieux sur le mur en face de l’église « QUE LE PAPE BENISSE LES SUBVENTIONS » (quel pape? quelles subventions?).

En suivant les sardines, je déambule sur les quais du Petit Port pittoresques mais vides en début de matinée ; les restaurants n’ont pas encore sorti les tables en terrasse. Jolies façades, bacs de fleurs. A l’arrière, des galeries d’art. Des vieilles photos sur une fenêtre. propositions de stages d’aquarelle. Artistes et bobos prennent la place des ouvriers ou pécheurs dans les venelles et rues piétonnes abondamment garnies de potées de plantes fleuries ou vertes.

La Chapelle Sainte Hélène est ouverte au public. Façade sculptée aux statues et gravures pas très lisibles. Je cherche els filets de pêche sans les trouver. le visiteur est accueilli en musique. Une souscription est ouverte pour restaurer le plafond étoilé. 

Suivant les sardines je continue la promenade très agréable dans les venelles puis je grimpe la Rue Barbusse et la Rue des Baigneurs pour arriver à la grand église du Sacré Coeur, église XIXème siècle (ces églises XIXème ne m’émeuvent guère). Descente sur l’autre versant pour arriver au Port Rhu, étroit chenal où est installé le Port Musée. 

Port Rhu

Non loin, face à l’Ile Tristan, les petites plages se sont peuplées. Malgré la fraîcheur se baignent une quinzaine de nageurs en maillot.

Lire également le récit de nathalie ICI

Illustration musicale dans le blog d’Aifelle ICI

Pointe du Van et Baie des Trépassés- Plogoff

CAP SIZUN ET CORNOUAILLE

Pointe du Van et vue sur la Pointe du Raz

J’ai acheté le topoguide L’ouest Cornouaille à pied. j’avais hésité entre le guide et la carte au 1/25.000ème.

balade n°13 Tour de la Pointe du Van, commencée au point 2 aux Moulins de Trouguer. 

Moulin de Trouguer

Les moulins ont fière allure avec leurs ailes de bois où flotte encore un peu de toile. En saison, la maison d’interprétation fermée en septembre n’ouvrira qu’à la fin juin. Une piste mène à un four à pain de Kériolet au toit arrondi couvert de mousse.  Des haies limitent de vertes prairies, la piste devient sentier. Je découvre la côte déchiquetée de la Pointe du Van. 

Chapelle Saint They

la chapelle Saint They paraît bien austère dans son enclos. De près je découvre son calvaire avec une statue perchée sur une colonne, ce n’est pas un personnage mais deux: une femme regarde la terre tandis qu’un homme se dirige vers l’océan

deux personnages !

Une petite fontaine est encastrée dans un petit enclos. Des roses séchées ont été déposées. Le topoguide signale deux fontaines, je n’en ai trouvé qu’une. Le GR34 est délimité par des fils métalliques pour empêcher le piétinement. Le couvert végétal s’est bien reformé après les travaux de restauration.  Après la fontaine, le GR34 devient plus escarpé, plus difficile autour du « Port Vorlen« Les bâtons de marche s’imposent. Je croise un couple qui marche avec deux bâtons « à nos âges » commente le monsieur.

J’arrive pour l’heure du déjeuner à la Baie des Trépassés où Dominique m’attendait. Elle a gardé un souvenir ébloui d’un séjour à l’hôtel. Du sentier j’ai découvert la belle plage de sable fin qu’un cordon de galets ceinture. Les vagues déferlent, les surfeurs se déchaînent.

La Baie des Trépassés vue du GR34

Le nom sinistre de Trépassés est vite oublié sous le soleil. Le topoguide m’apprend que dans cette vallée centrale du Cap Sizun, se trouve un petit bassin houiller exploité depuis 1759 mais vite abandonné. J’avais prévu de monter par le sentier à la Pointe du Raz et qu’on se retrouve sur le parking. mais nous avons un rendez-vous médical en téléconsultation et nous avons peur qu’Internet ne soit pas assez fiable.

En passant par Plogoff, le fumoir à poisson semble ouvert mais personne ne paraît quand je sonne la cloche. la marchandise exposée dans des vitrines réfrigérées est pourtant très appétissante : truites de mer fumée, thon en tranche et en bloc et surtout sardines entières que je regretterai tout le séjour.  Pause à la Plage du Loc’h. Ici, le GR34 s’est éboulé, il faut contourner les maisons sur la route, ce qui me dissuade de continuer. Je préfère marcher aller et retour les pieds dans l’eau. Certains se baignent. Ils sont bien aguerris! Je remarque les mouettes qui piétinent, pédalent dans le sable mouillé d’une pellicule d’eau pour faire remonter des minuscules proies. 

Arrivée à Audierne, notre gîte à Esquibien

CAP SIZUN ET CORNOUAILLE

Pique-nique à ‘entrée de la presqu’ile de Quiberon à marée basse. Deux heures de route sur la 4 voies bretonne gratuite qui contourne Lorient. Nous arrivons sous le soleil à Audierne. Après avoir longé les quais nous posons la voiture sur un grand parking à l’entrée du port? Promenade sur une longue digue empierrée jusqu’à un petit phare blanc et rouge : la Jetée de Raoulic. La marée monte; Des surfeurs s’élancent sur la vague qui déferle sur le port longuement comme un mascaret.

Le port d’Audierne

Des panneaux émaillés racontent l’histoire d’Audierne. 

Port marchand dès le XVème siècle exportant au loin sel et marchandises. Puis vint le temps de la pêche. Du XVIIIème au début du XXème siècle, la sardine fit la richesse dAudierne. Dès le début du XXème siècle les bancs de sardines se sont raréfiés. Les pêcheurs ont alors pêché la langouste dont les effectifs ont aussi décliné, remplacés par le thon. Ces reconversions m’ont rappelé les analyses d’Anita Conti sur la prédation de la ressource.

Plus loin j’ai découvert la ville, ses commerces, la Mairie et les halles.

Notre gîte est à Esquibien, sur la route de la Pointe du Raz. En 1960 j’avais fait un camp de Petites ailes dans l’école d’Esquibien qui avait laissé le souvenir d’un petit village. Avec Leclerc, Biocoop et Liddl , je découvre plutôt une banlieue d’Audierne. Nous logeons dans une maison moderne dans un lotissement, le Cabestan, allée Surcouf. maison modeste, moderne mais bien typique crépie de blanc avec des volets bleus. A l’intérieur, pas de chichis, c’est clair, fonctionnel. A l’arrière un carré de jardin, tables et des fauteuils en plastique et de très confortables chaises longues. C’est parfait.

Mégalithes :Alignements de Carnac

CAP SIZUN ET CORNOUAILLE 

Depuis le 12 juillet 2025, les Alignements de Carnac sont inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, . La précédente visite, en 2010, sous la pluie, CLIC n’avait pas laissé un souvenir impérissable, les menhirs se voyaient de la route dans une végétation assez dense, mal mis en valeur.

10h, à l’ouverture du Musée de la Préhistoire au centre du bourg, j’espère trouver une visite accompagnée. Elle est à 15 h hors saison, et il faut s’inscrire en ligne. Musée de la Préhistoire et Maison des Mégalithes sont deux entités séparées.

Comme tous les grands sites, les alignements sont encadrés de grands parkings arborés, d’un petit train touristique, bus à impériale. En saison, il doit y avoir la foule mais fin septembre, même le dimanche, l’affluence est raisonnable.

La Maison des Mégalithes se trouve sur place hors de Carnac. Une vidéo prépare la visite individuelle balayant les mythes et les idées fausses comme celle des pierres tombées du ciel, les théories astronomiques sont aussi mises de côté. Une nouvelle hypothèse : les stèles formeraient une barrière stratégique ceinturant un territoire. Il faut aussi tenir compte des variations du zéro marin au Néolithique (4800 – 2500 av. JC), de nombreuses stèles se trouveraient immergées. La vidéo montre aussi les fouilles du tumulus Saint Michel une seule tombe contenant du mobilier de prestige. Le sel était déjà une contrepartie d’échange mais on ne peut pas parler de commerce, plutôt des cadeaux diplomatiques. Une belle exposition de photographies des années 50 et 60 montrant une grande familiarité des habitants de Carnac qui se sont tiré le portrait en famille assis sur les stèles, les enfants grimpés sur les menhirs. Certains sont en costume local. 

Alignements de Ménec

Un sentier piétonnier longe le grillage. le circuit est d’une dizaine de km (8 + un détour pour voir le Géant et le Quadrilatère de Manio en forêt). Il part de la Maison des Mégalithes, passe par le village de Menec où les blocs se dressent presque dans les maisons. Les plus grands sont mis en valeur par l’herbe rase. Plus loin, ajoncs et genets gagnent. 

Des cartels racontent l’histoire des aménagements du site. Les habitants n’ont pas toujours vu d’un bon œil ces installations : les expropriations et les grillages. Une association Menhirs libres a contesté ces grillages ainsi que la construction de belvédères d’observation. Il s’en est suivi une gabegie financière : enlèvement des grillages, destruction des belvédères, un véritable feuilleton local. Sans parler de l’histoire ancienne quand on réemployait les blocs pour la construction. D’autres avertissements décrivent la fragilité du site : le déchaussement des stèles justifie leur protection. En revanche, rien sur l’archéologie. Il aurait fallu aller au Musée de la Préhistoire. Carnac mérite plus qu’une matinée ! Sans parler des sites voisins à Locmariaquer (Table des Marchands etc…)

Le géant

Promenade très agréable sur un chemin sablé, parfois des planches avec une partie en sous-bois pour le Géant et le Quadrilatère de Manio. Les champignons colonisent les souches.

Le soleil a dispersé les nuages, le retour sous une lumière vive offre de nouvelles perspectives. Je pense aux autres sites mégalithiques en Corse, en Sardaigne, à Malte ou au Musée de Rodez…Plus j’en visite et plus le mystère s’épaissit et plus je suis ravie d’en découvrir de nouveaux

 

L’homme qui lisait des livres – Rachid Benzine – Rentrée littéraire 2025

GAZA 

2014, Un reporter-photographe cherche à faire des photos de Gaza plus originale et personnelle que celles qui illustrent la guerre à Gaza

« Tu n’as pas encore déclenché ton appareil. Tu crains de briser un moment de grâce. Il y a tout dans cette
scène. Tout ce que Gaza est devenue. Un vieux libraire accroché encore à ses bouquins, qui lit à deux pas
des ruines. Comme si les mots pouvaient le sauver dud’ bruit, de la souffrance, de la mort lente de la ville. »

« vous savez , ce n’est pas rien une photographie. Je ne vous connais pas. Vous ne me connaissez pas. Il serait peut-être plus aimable que nous prenions le temps de nous rencontrer »

Prélude au récit de toute une vie. Vie d’exils du village à Nazareth,  de la Nakba au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, vie sous tente, puis à Jabalya, études au Caire, à Gaza, Prison en Israël…Chaque chapitre de la vie a pour sous-titre un livre. La Condition  Humaine, La Légende des Siècles, Hamlet, Si c’était un homme, Le Livre de Job, Cent ans de Solitude… que nous connaissons tous. Mais aussi des poèmes de Mourid al-Barghouti, La chronique du figuier barbare de Sahar Khalifa. Fanon aussi

Un jour, Abu Khalil m’a donné un livre différent de tout ce que j’avais pu lire jusqu’alors. C’était un essai
récent. Le titre : Les Damnés de la terre. L’auteur : Frantz Fanon. Ce texte puissant, centré sur la
décolonisation, a été mon guide. Fanon y décrit la lutte des peuples opprimés pour leur dignité. Ce livre
m’a ouvert à l’idée que la révolte est non seulement nécessaire, mais légitime. J’en suis ressorti comme s’
il m’avait confié une mission, confié un enseignement. Et comme s’il avait placé sa confiance en moi
pour le transmettre.

La lecture comme liberté, comme lutte politique, pour échapper à la violence, comme émancipation.

Un livre sensible, intelligent qui offre une image de Gaza et des Gazaouis si loin des images de destructions et de ruines que nous offrent les actualités.

Les Certitudes – Marie Semelin- JC Lattès – rentrée littéraire 2025

APRES LE 7 OCTOBRE …

Colocation transgénérationnelle: Anna la trentaine, journaliste pigiste, vient habiter chez Madame Simone, soixante dix ans. La cohabitation se passe à merveille et dure quatre ans. Madame Simone est une dame alerte, encore secrétaire médicale du docteur Habib, soignée, sportive et très discrète. Moments de tendresse partagée. Un jour elle a lancé ; « Warde, je veux être enterrée à Jérusalem » et a ajouté « je te confie cette volonté parce que tu vis dans mon cœur ». 

Au décès de Madame Simone, le Docteur Habib organise la Shiv’ah et réunit les proches. Occasion d’évoquer la défunte, ses lectures, son goût pour le théâtre. Sa dernière volonté : d’être inhumée à Jérusalem a été négligée. S’en suit un scandale quand le Consistoire intervient.

Quelques mois plus tard, Anna reçoit un appel de Jérusalem. Elle doit faire le voyage pour entrer en possession d’un appartement que Simone lui aurait légué. Anna débarque donc en Israël désertée de ses touristes en pleine guerre.

Pour ne pas spoiler je ne vous raconterai pas les secrets de Madame Simone.

Si le début parisien du roman ne m’avait pas passionnée, la suite en Israël est tout à fait intéressante. Anna va découvrir le pays sous tension. Elle va vivre le quotidien d’habitants de la banlieue de Tel Aviv. A Jérusalem, fera la connaissance d’un soldat souffrant de stress post-traumatique, qui raconte sa guerre à Gaza.

Anna rejoint Ramallah et subit les check-points. Toute une aventure que de s’y rendre en  autobus. Elle rencontre un peintre palestinien traumatisé par une incarcération …

En découvrant les secrets de Madame Simone que je ne dévoilerai pas (bis) le roman raconte la vie de ces Mizrahim, juifs orientaux confinés dans des quartiers périphériques, évoque les Panterim (Black Panters séfarades dans la fin des années  60), évoque la frontière entre Jérusalem jordanienne d’avant la Guerre des Six Jours, et après… Et tout cela est bien intéressant.

J’ai seulement regretté que l’héroïne du roman, journaliste, n’ai pas exercé son métier pour construire un reportage. Mais ce n’était pas le sujet. Plutôt que sortir, elle préfère capter les journaux télévisés. Marie Semelin, justement a été correspondante au Moyen Orient, pour Radio-France et aurait pu faire d’Anna une journaliste plus impliquée.

 

Le 7 octobre, le trou dans son cœur s’est réveillé. Elle a entendu les nouvelles. Elle s’est dit : voilà, c’est
fini. La plaque tectonique s’est fendue. Elle bougeait, elle s’entrechoquait, elle frottait. Elle a été secouée,
malmenée, des microfissures la rongeaient de mille façons. Elle tenait. Elle n’était pas détruite. Il y avait
encore un fil, pas épais mais tout de même, un espace commun, on pouvait circuler, aller d’un coin à l’
autre. C’est fini. La plaque s’est fendue. Détachée. Il n’y a plus, il n’y aura plus de retour en arrière. Le
massacre et sa vengeance. Les douleurs vont plonger si profond, dans des puits si sombres, qu’aucune
main tendue à sa surface ne pourra nous en sortir. Il fait trop noir. Il faut partir de trop loin.

 

Les Naufragés du Cap Vert – Laurence Benveniste

BOOKTRIP EN MER/ CAP VERT

 

Proposé par les algorithmes d’Amazon, ce livre semblait cocher toutes les cases de mes lectures de l’été : le Booktrip en mer, La Révolution française (à la suite des Onze), lhistoire des Juifs . Plaisir de retourner au Cap Vert répondre à cette interrogation lors de notre voyage au Cap Vert : le lieu-dit Synagoga CLICm’avait étonnée, je comptais sur cette lecture pour lever  ce mystère.

A bord de la « Jolie Nanette » voguant vers la toute jeune république américaine se retrouvent David, Esther et son fils Momo,  Juifs du Comtat Venaissin, Marie la fiancée de David, Hemings le cuisinier de Jefferson, esclave mulâtre, Dalayrac un violoniste qui a joué à la cour, Liquier fils d’un armateur bordelais négrier, Camboulas vétéran des guerres d’Indépendance américaine. Bonne compagnie musiciens, lettrés « honnêtes hommes » ayant le goût de la conversation et de la musique. La cuisine de Hemings apporte une touche gastronomique à ce voyage qui s’annonce très agréable.

Tout d’abord, échanges de très haute volée où Voltaire, Olympe de  Gouges, Lessing sont cités. La Fayette, Mirabeau, Robespierre et les révolutionnaires, sujets d’actualité. La présence de Heming, fin cuisinier, violoniste, mais esclave de Jefferson, introduit une réflexion sur l’esclavage. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, n’implique-t-elle pas l’Abolition de l’esclavage? La situation des Juifs et des Noirs, également opprimés est sujet de leurs discussions. Bien sûr, la place des femmes n’est pas oubliée. Passionnants ces débats? Un peu longs et scolaires. Laurence Benveniste ne laisse rien de côté, développe les idées, creuse son sujet. Tant d’érudition finit par lasser.

La croisière se gâte, mort suspecte du Capitaine qui est remplacé par un personnage très antipathique, mort du Coq…aménagements suspects en cale. Mutinerie…les passagers deviennent otages, le navire change de destination. L’heure n’est plus aux discussions philosophiques ni aux concerts de violon. Suspens haletant. Ma foi, fort bien mené. Arriveront ils au Cap Vert? (on se doute que oui d’après le titre) et après….ils passeront par Synagoga, bien sûr!

Très bien documenté, mais la lecture de ces 391 pages est  un peu laborieuse. .

le Rayon Vert – Jules Verne

CHALLENGE AUTOUR DE JULES VERNE

Lu à la suite de Jules Verne contre Nemo de Céline Ghys qui avait lancé une allusion transparente :

« Disons que je prendrai un époux quand je verrai un rayon vert à la place du soleil couchant. « 

En effet, le personnage principal est – une fois n’est pas coutume – une jeune fille intrépide, Miss Campbell, jeune écossaise que ses oncles veulent marier à un jeune scientifique Aristobulus Ursiclos qui, outre son nom ridicule, est parfaitement ennuyeux.

Tu ne veux pas te marier ? dit le frère Sam. – A quoi bon ? – Jamais ? … dit le frère Sib. – Jamais, répondit Miss Campbell, en prenant un air sérieux, que démentait sa bouche souriante, jamais mes oncles… du moins tant que je n’aurais pas vu… – Quoi donc ? s’écrièrent le frère Sam et le frère Sib.   Tant que je n’aurai pas vu le Rayon-Vert. »

Et voilà Miss Campbell, ses deux oncles Sam et Sib, ainsi que leurs fidèles serviteurs, partis pour le littoral écossais, côte ouest bien sûr. Nous allons les suivre dans leur périple qui va les conduire dans la station balnéaire d’Oban, dans les îles de Mull, Kerrera, Seil, Staffa…îles Hébrides. Périple touristique sur des vapeurs puis sur un yacht loué. Vacances écossaises classiques.  Rien à voir avec les aventuriers de certains romans et encore moins  20.000 lieux sous les mers ou de la Terre à la Lune. Vacances tranquilles où ‘on s’occupe à de belles promenades ou au jeu de croquet. On surveille le baromètre qui promet (ou non) un beau coucher de soleil.

Du tourisme plutôt que de l’aventure! Mais avec beaucoup d’humour. On sourit beaucoup. Pas de technologie révolutionnaire, encore moins de science-fiction. D’ailleurs la science, en la personne d’Aristobulus Ursiclos, est ridiculisée.

C’était un « personnage » de vingt-huit ans, qui n’avait jamais été jeune et probablement ne serait jamais vieux. Il était évidemment né à l’âge qu’il devait paraître avoir toute sa vie.
Un collier de barbe encadrait ses joues et son menton – ce qui lui donnait une face quelque peu
simiesque. S’il avait été un singe, c’eût été un beau singe – peut-être celui qui manque à l’échelle des
Darwinistes pour raccorder l’animalité à l’humanité.
[…]
risible, mais peut-être s’en riait-on, parce qu’il était ridicule. Personne n’eût été moins digne que ce faux
jeune homme de s’approprier la devise des francs-maçons anglais : Audi, vide, tace. Il n’écoutait pas, il ne
voyait rien, il ne se taisait jamais.

Rayon vert ou pas, comment la pétillante Miss Campbell pourrait le prendre pour époux? Surtout qu’elle est très romantique. Etrangement, Jules Verne écrit  le Rayon Vert un roman d’amour romantique avec nombreuses allusions à Walter Scott, Ossian et les légendes folkloriques écossaises.

Romantisme du gouffre de Corryvrekan

« Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, »

Romantisme aussi de la Grotte de Fingal où ils vont bivouaquer.

Romantisme de la tempête qui s’y déchaînera….mais je m’arrête ici de peur de spoiler.

C’est une lecture facile, distrayante, différente des romans que Jules Verne a livré. Et en plus cela se lit vite!

Un autre ailleurs – Agnès Riva

TOURISTE DANS MA VILLE : CRETEIL

Agnès Riva raconte la naissance d’une Ville Nouvelle : Créteil dans les débuts des années 70 quand grues et pelleteuses étaient au travail. Ces débuts m’amusent beaucoup puisque je me suis installée à Créteil en 1980. Presque tout était en place, tout beau, tout neuf avec l’optimisme de construire une nouvelle vie. 

« C’est du jamais-vu », pensa Gilles ébahi en découvrant face à lui le quartier de la Haye-aux-Moines, un ensemble de résidences, de tailles et de volumes différents, agencées comme une casbah, dotées de terrasses créées çà et là dans les angles par d’habiles décrochés cubiques, et bâties avec des matériaux modernes laissant présager des appartements dernier cri. »

Le héros de l’histoire, Gilles,  est un jeune étudiant qui s’installe dans le Quartier de la Haye-aux-Moines. Il est embauché par le Maire comme animateur pour la promotion de la ville nouvelle avec la mission de sonder les habitants et d’animer une vie de quartier. Gilles tombe amoureux d’une secrétaire à la Mairie. Il imagine un projet avec l’école primaire du quartier : retaper un bateau qui naviguera sur le Lac de Créteil à peine aménagé…

Disons le tout de suite. L’histoire d’amour entre Gilles, godiche, et Aline, la brunette pétillante n’est pas passionnante.

En revanche, je me suis bien amusée de trouver l’ancien magasin Carrefour avant la construction de Créteil-Soleil, d’apprendre que

« C’est le premier McDonald’s qui a ouvert en France, et il a choisi de s’installer à Créteil, »

et que le Cinéma de Créteil Village était le Gémini. Tous ce qui n’existe plus et ce qui existe encore éveille mon intérêt de Cristolienne. L’opposition entre les pavillons de Bord de Marne et les constructions moderne est bien vue. L’ambiance antillaise aussi avec l’attraction de l’Hôpital Henri Mondor. Dans ma tour (construite en 1946) elle était très sensible aussi avec les Postiers. En revanche, le Mont-Mesly barres et tours des années 60, pour accueillir rapatriés d’Algérie et travailleurs maghrébins, n’est pas du tout évoquée.

Intéressante anecdote sur un avortement au Planning Familial (ou était-ce le MLAC) . Aline qui y a accompagné une amie se fait journaliste pour témoigner.

Je me suis amusée mais je ne suis pas sûre que les lecteurs qui ne connaissent pas ma ville prennent autant de plaisir à cette lecture. A moins que la découverte de la banlieue ne devienne un sujet exotique… j’ai remarqué d’autres parutions dans ce genre.