la Petite Dernière – le livre de Fatima Daas – et le film de Hafsia Herzi

UN LIVRE/UN FILM

aux Cinémas du Palais en avant-première

Hafsia Herzi est venue présenter son film La Petite Dernière aux Cinémas du Palais à Créteil la veille de la sortie en salles. Je n’aurais voulu rater  cette occasion de rencontrer la réalisatrice que j’admire beaucoup. Surtout qu’elle n’est pas venue seule, elle était accompagnée de Nadia Meliti et de l’actrice qui joue la mère. 

j’ai beaucoup aimé ce film qui semblait jouer très juste. Sujet délicat: l’homophobie est très présente dans les quartiers mais pas dans le film. Les garçons tolèrent très bien cette fille « garçon-manqué », cela m’a étonné. Côté Paris, bars lesbiens et Gay Pride, très belles images quand Fatima porte sa copine dans le défilé. j’ai consigné mes impressions, sortie de salle, dans mon autre blog Toiles Nomades CLIC

Bien sûr, j’ai voulu lire le livre.

« Ca raconte l’histoire d’une fille qui n’est pas vraiment une fille, qui n’est ni algérienne ni française, ni
clichoise ni parisienne, une musulmane je crois, mais pas une bonne musulmane, une lesbienne avec
une homophobie intégrée. Quoi d’autre ? Je pense très

fort. »

J’ai été surprise par la forme. Roman en prose ou vers libres? Chants murmuré en confidence ou chanté avec l’affirmation « Je m’appelle Fatima Daas. », comme un refrain.  Elle décline ses identités multiples, sa place dans la fratrie, son asthme, les origines de son prénom Fatima la plus jeune fille du prophète, la « petite chamelle sevrée ». 

Je m’appelle Fatima

Je suis une petite chamelle sevrée.

je suis mazoziya, la dernière

Avant moi, il y a trois filles

Mon père espérait que je serais un garçon

Son destin dès sa naissance, ses origines algériennes, et sa religion très assumée, très importante. Sa ville Clichy. Mais aussi son dilemme

Je m’appelle Fatima Daas

Je suis une menteuse

Je suis une pécheresse. 

Je lis d’un trait ce chant.

Je n’y retrouve pas tout à fait la Fatima du film. Et je trouve cela très bien. Les adaptations trop littérales affadissent le texte et l’histoire. La réalisatrice a choisi une période courte dans la vie de l’héroïne : la dernière année au lycée et ses premières expériences d’étudiante à Paris avec la découverte de la sexualité, de l’amour, du milieu lesbien. Elle  fait de Fatima une sportive, fan de foot. Ce n’était pas dans le texte et pourtant c’est très bien. Elle a montré la jeune fille faire ses prières, une visite à la mosquée mais n’a pas donné à la religion toute la place qu’elle tient dans le livre. Peut être plus difficile à mettre en scène.

j’ai aimé les deux, le film et le livre et j’ai apprécié qu’ils ne soient pas identiques. Quoique fidèle.

J’irai chercher Kafka : une enquête littéraire – Léa Veinstein

FEUILLES ALLEMANDES

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Un grand coup de cœur!

Certes, l’auteure est française, le livre écrit en français, mais Kafka est un grand littérateur de langue allemande, je pense que ce livre a sa place dans les Feuilles Allemandes!

Lu d’une traite, ou presque, à la sortie du film Franz K. d’Agnieszka Holland.  La figure de Kafka rôde, présence en filigrane, référence familière. Figure très floue parfois quand j’ai vu Les Deux Procureurs de Loznitsa qui m’a rappelé Le Procès avec ces couloirs, ces portes fermées, ces gardiens énigmatiques, mais attention les procès staliniens sont datés de 1937 alors que Franz Kafka est décédé  en 1924. Référence intemporelle. 

« Kafka est un mort-vivant : il était mort de son vivant, il vivra après sa mort.  » (p41)

 

J’irai chercher Kafka de Léa Veinstein est une enquête littéraire. L’écrivaine, qui a  consacré sa thèse à Kafka, part, en Israëlà la sortie du confinement, voir les manuscrits et enquêter sur les manuscrits de Kafka. 

Car, suivre ces morceaux de papier c’est se plonger dans un espace où le réel piège la fiction, la moque ; c’est se plonger dans un temps à la fois précis et éternellement retardé, divisé, un temps élastique comme celui des Mille et Une Nuits. Ces manuscrits vont connaître les autodafés nazis, se cacher dans une valise pour fuir Prague vers Tel-Aviv, être revendus à une bibliothèque en Allemagne, être scellés dans des coffres-forts en Suisse. Et comme pour défier les nuances, ils vont se retrouver au cœur d’un procès long de presque cinquante ans, un procès dont le verdict citera le Talmud et concédera que le tribunal est incapable de répondre à la seule question qu’il aura eu le mérite de poser : à qui appartient Kafka ? (p.21)

Ces manuscrits ne devrait pas exister : Max Brod a désobéi à l’ordre de Kafka de tout brûler après sa mort. Non seulement il  a collecté, réuni, lettes, notes, manuscrits de roman, mais il les a sauvés, a traversé l’Europe pour les emmener en Palestine loin des autodafés nazis. Et même arrivés à Tel Aviv, l’histoire ne s’arrête pas. C’est cette histoire que raconte le livre. 

pourquoi suis-je là, pourquoi suis-je persuadée de venir ici rencontrer Kafka alors qu’il n’a jamais que
posé son doigt sur la carte à l’endroit de ce pays qui n’existait pas encore au moment où il est mort

8 jours passés à Tel Aviv et Jérusalem, très chargés d’émotion que l’écrivaine nous fait partager. A travers des prétextes très triviaux, Kafka surgit quand on s’y attend le moins. Un choucas perché, mais c’est Kafka bien sûr!

Le nom de famille Kafka, écrit avec un -v-, signifie choucas en tchèque, et Franz a plusieurs fois signifié
qu’il prenait cette descendance très au sérieux. Dans les Conversations avec Gustave Janouch, on trouve
cet échange : – Je suis un oiseau tout à fait impossible, dit Kafka. Je suis un choucas – un « kavka ».

Un chauffeur de taxi rend un faux billet de Monopoly : méditation sur authenticité posée par Kafka

Et si Kafka continuait à me provoquer? Tu veux jouer? Au Monopoly maintenant? Alors jouons. (p.35)

Un rat pendu dans une exposition d’Annette Messager, encore une rencontre kafkaïenne!

Au cours du voyage Lé Veinstein fit référence  à Valérie Zenatti , écrivaine que j’aime beaucoup,  Nicole Krausse et son livre Forêt Obscure dont je note le titre, une poétesse israélienne Michal Govrin…

Le Procès des manuscrits de Kafka est l’objet du voyage, Léa Veinstein rencontre les avocats qui ont plaidé, l’un Eva Hoffe, l’héritière de Max Brod,  qui compte disposer des manuscrits comme elle le souhaite, les vendre aux enchères, y compris à un musée allemand. L’autre pour la Bibliothèque d’Israël, et derrière la Bibliothèque il y a l’Etat d’Israël  qui considère que Kafka lui appartient. 

En 2011, avant que le premier verdict ait été rendu, la philosophe américaine Judith Butler signait un
texte important dans la London Review of Books, intitulé « Who Owns Kafka ? »

Et cette controverse va très loin

l’idée est de rassembler tout le judaïsme en Israël, pas seulement les personnes physiques. Ils ont «
récupéré » des tableaux de Chagall à Paris, ou encore des fresques peintes par Bruno Schulz, rapportées
ici par des agents du Mossad. C’est un projet politique et symbolique. Or Kafka fait partie de cet
héritage. Il devait physiquement être amené ici.  (p.240)

Le Procès, tout à fait kafkaïen, Léa Veinstein l’écrit avec une majuscule, ou plutôt les procès puisque ils iront jusqu’à la Cour Suprême , vont durer jusqu’en 2018. Deux ans après le verdict, les documents sont à la Bibliothèque nationale à Jérusalem.

Et Kafka dans cette histoire? L’écrivaine est très nuancée là-dessus.  d’ailleurs la volonté de Kafka étaient que les manuscrits soient brûlés.

Finistère – Anne Bérest – Albin Michel

Finistère m’a accompagnée pendant ce dernier voyage en Bretagne, comme Cézembre d‘Hélène Gestern aux vacances précédents autour de Saint Malo. J’aime que mes lectures fassent surgir des personnages dans les lieux que je découvre. J’ai aussi beaucoup aimé la Carte Postale. 

Toutefois, Finistère évoque les origines bretonnes de l’autrice du côté paternel mais ne se déroule que partiellement en Bretagne. Seul le livre I (1909 -1939) se passe à Saint-Pol-de-Léon et met en scène les deux Eugène, son arrière – grand-père et son grand-père. 

Le premier, en 1909 organisa le syndicat rural du Léon à la suite d’une nouvelle exigence des négociants concernant le transport des pommes de terre et des légumes

Cet autodidacte s’était très tôt pris de passion pour un mouvement politique et idéologique appelé Le
Sillon, qui appartenait à une gauche chrétienne soucieuse de marier les idées de la République, la foi
catholique, et les ouvriers agricoles.

A la suite du boycott des syndiqués par les négociants, Eugène fonda une coopérative agricole : La Bretonne. Et La Bretonne devint toute sa vie. 

Son fils Eugène, né en 1922, portait tous les espoirs de son père. Il le destinait  à reprendre la direction de la coopérative et faire du Léon une grande région de paysans organisés, un modèle politique et social pour toute la France. Il lui donna une éducation exemplaire, marchant avec lui pour d’instructives promenades, l’emmenant au bureau de la coopérative et lui apprenant tout ce qu’il devait savoir pour y travailler.

Eugène, le fils, n’avait qu’une idée en tête : aller au collège, à l’institution Notre-Dame -du Kreisker. Excellent élève, il brille dans les humanités, latin et surtout grec. Toutefois, les études dans cette institution catholique n’offre pas une ouverture d’esprit, même Homère est censuré. L’Odyssée, offert comme cadeau de Noël est une véritable découverte.

Si j’avais cherché un guide touristique de la Bretagne, j’aurais été déçue. Une balade dans Quimper avec l’immeuble Kodak et le garage de l’Odet seront les seules curiosités. En revanche, j’ai été dépaysée par le Noël breton 1937 :

Pour tenir les enfants éveillés, on leur racontait des légendes anciennes. On leur disait que pendant la
messe de Noël, quand tout le monde est à l’église, les animaux des fermes conversent entre eux dans la
langue des humains. – Quand sonnent les cloches, la mer se retire et la ville de Kir-Is réapparaît, révélant
la vie qui l’animait autrefois. – Alors, les menhirs sortent de terre pour aller boire dans les ruisseaux. Les
enfants poussaient des cris de peur qui étaient aussi des cris de joie.

Eugène-fils, n’ira pas au Séminaire comme ses professeurs l’espéraient. Inscrit en hypokhâgne à Henri IV, non sans mal, et mesure la différence entre l’enseignement classique parisien et celui des curés de Saint-Pol-de-Léon. Il découvre l’action politique en participant à une manifestation honorant le 11 novembre alors que les autorités de Pétain (ou les Allemands) avaient supprimé cette commémoration. Puis il participe à des actions de résistance. Après l’échec au concours de Normale supérieure, et pour fuir le STO, Eugène entre en clandestinité. Après son mariage , professeur de français,  s’installe à Brest.

Le livre III commence en 1968 « Portrait de mon père en jeune homme », comme son père, Pierre découvre l’action politique au Lycée avec les comités d’action lycéens à la suite d’une émission à la télévision où Marguerite Duras et Romain Goupil évoquaient l’organisation de comités d’action. 

Il faut que, dans chaque lycée, s’oppose au pouvoir administratif la volonté organisée des élèves. Dans
chaque lycée, il faut construire le comité d’action représentatif.

Par les comités d’action, Pierre va entrer en contact avec les communistes prêts à l’action avec du matériel militant : une ronéo pour les tracts et la lectrice découvre « Brest la Rouge ». C’est le temps des comités Vietnam

Comme son père, Pierre va tenter sa chance à Paris en classe préparatoire, à Louis le Grand et justement c’est mai 68. Il vient de se faire recruter par la JCR et cela restera le grand secret de Pierre….

L’évocation de mai 68 et des années suivantes est très vivante et m’a beaucoup intéressée.

Cette exploration de la branche paternelle de sa famille s’entrelace avec une très belle relation père/fille alors qu’elle découvre la maladie de son père. La lutte contre le cancer rend plus urgente ces recherches. Les chapitres relatant des évènements anciens alternent avec ceux qui se déroulent de nos jours. C’est très émouvant.

A lire donc, en Bretagne ou ailleurs.

La Nécropole des Gens Heureux – Souvenirs d’Antioche – Bahar Kimyongür – Ed Poussière de Lune

MASSE CRITIQUE BABELIO

 

J’aime les surprises que nous offre Babélio. Auteur inconnu, éditeur inconnu aussi, c’est le sous-titre Souvenirs d’Antioche qui m’a fait cocher la case dans la liste. Antioche me fait rêver : Antioche, hellénistique, romaine, chrétienne, croisée, syrienne ou turque? 

j’ai donc ouvert ce livre sans aucune idée préconçue. Il commence par une fouille archéologique menée par deux adolescents belges Haydar et Albin. Référence à Indiana Jones. Roman d’aventure? Haydar dont la famille est originaire de la région fait visiter la Turquie. Road trip? J’ai d’abord cru à une lecture jeunesse.

« Ton bled est complètement fou. Des villes grecques peuplées d’arabes chrétiens et alaouites. Une montagne porte un nom juif avec des villages arméniens ou turkmènes. on en perd son latin.

-Attend demain. Il y a tout près un village arménien où les gens de toutes les religions rendent visite à un arbre. 

-qu’y a-t-il de si extraordinaire?

-on dit que c’est le platane de Moïse… »

Le « mont juif » c’est Musa Dagh dont Franz Werfel a raconté la tragédie  pendant le génocide arménien ; je le relirais volontiers.

Son ami rentré en Belgique, Haydar retourne dans sa famille et nous présente ses cousins et toute sa famille qui habite autour de Samandag. Ils sont alaouites. On découvre leurs traditions et  croyances pourtant gardées secrètes empruntant des fêtes aux chrétiens, proche du chiisme, éloigné du sunnisme turc. Une tradition de persécutions de la par des sunnites a renforcé le secret et la résistance des alaouites qui se réfugiaient dans la montagne.  Population arabophone, mais qu’on a alphabétisé en turc avec des lettres latines. Quand la famille d’Haydar est allée en Syrie voisine il était incapable de lire l’arabe. Son père l’enverra à la mosquée pour apprendre à lire l’arabe. 

Roman d’apprentissage, les jeunes étudient à l’université et se politisent. A gauche. En 1980 le putsch de Kenan Evren a mis les militaires au pouvoir. Le jeune Haydar les compare dans le livre à des scarabées. Puis opposition à la Premier Ministre Tansu Ciller dans les années 90. Je ne savais pas que la Turquie avait eu une femme à la tête du gouvernement. J’apprends beaucoup de choses dans ce livre!

Le roman d’Haydar, ses allers retours entre la Belgique se termine en 1999. Son engagement militant contre la torture le conduit  au tribunal et même en prison. Il lui ferme les portes de la Turquie. Antioche et Samandag deviennent « l’inaccessible Ithaque » . Le séisme de 2023 va anéantir 90% de la ville d’Antioche : l’Apocalypse, titre de l’avant dernier chapitre du livre. 

Ce témoignage est très riche, la lecture agréable. J’ai essayé de me documenter sur l’auteur. Wikipédia présente Bahar Kimyongür comme un journaliste belge militant qui vit sous la menace des poursuites d’Erdogan. Il a même subit un attentat en 2018. Cependant, certains lui ont reproché de relayer les positions de Bachar El-Assad, favorable en Syrie à la minorité alaouite. merci encore à Babélio et à l’éditeur qui m’ont offert 

Qui annule quoi? Laure Murat – SeuilLibelle

SUR LA CANCEL CULTURE…

Posons cette hypothèse. Et si la cancel culture n’était que l’avatar logique, inévitable, d’une démocratie à bout de souffle, dite désormais « illibérale » ? L’enfant illégitime de la pensée occidentale et du capitalisme débridé, dans une société supposément universaliste, aveugle à ses impensés et incapable de reconnaître les crimes et les conséquences sans nombre de l’esclavage et de la colonisation

Dans ce court essai (38 pages sans les notes) Laure Murat, avec son expérience d’universitaire aux Etats Unis, analyse le concept de Cancel Culture qui, avec la Pensée Woke est jetée en pâture dans le débat politique français et dans les médias,  termes péjoratifs, polémiques, qu’on ne comprend pas toujours, nouveaux épouvantails. 

Comme dans l’essai : Toutes les époques sont dégueulasses CLIC Laure Murat s’applique à clarifier le débat en bon français. Dans ce dernier ouvrage il était surtout question de censure, récriture, réécriture. Dans Qui annule quoi? c’est plutôt de déboulonnage de statues qu’elle analyse. 

Quel est le sens de la monumentalité aujourd’hui ? Et de la monumentalité personnifiée ? Qu’implique-telle
en termes de hiérarchie, d’échelle et de culte ?

Quand il s’agit du Général Lee, défendu par une marche « sous la bannière Unite the Right rassemblant  néonazis, néoconfédérés et suprémacistes blancs » ou de Léopold II en Belgique dont le retrait des statues avait recueilli 80.000 signatures ou Théodore Roosevelt ouvertement raciste, et en France Faidherbe, Bugeaud ou Gallieni, on est en droit de s’interroger de la.  pertinence de leur présence sur leurs piédestaux. 

Car, à rebours des réactions scandalisées, à chaque fois que la cancel culture s’est manifestée quelque
part, j’ai personnellement appris quelque chose.

Ecrit l’écrivaine.

Et bien moi, chaque fois que je lis Laure Murat j’apprends des tas de choses et surtout je prends le temps de la réflexion

Beyrouth Paradise – David Hury – Liana Levi

BABELIO MASSE CRITIQUE MAUVAIS GENRE

308 pages, Un polar qui se lit très bien avec embrouilles, rebondissements, et tous les ingrédients d’une lecture mauvais genre : Marwan Khalil est à la recherche d’une prostituée ukrainienne disparue dans les lieux les plus mal famés de la ville. Corruption à tous les étages, violence et même enlèvements. Marwan pourrait être désabusé, son enquête est mal partie, très mal partie même et pourtant il insiste.

Le détective est pathétique, sympathique. Le personnage principal est Beyrouth sur laquelle toutes les catastrophes s’acharnent dans un bazar indescriptible.  Malgré les bombardements israéliens récents, les combattants du Hezbollah aux abois après la mort de Nasrallah et les explosions des bipeurs, les services publics déficients (il n’y a même plus de réseau électrique), les séquelles de l’explosion du port….malgré tout cela, les libanais s’organisent,  vivent. Résilience après tant d’années de guerres.

D’autant plus intéressant que le roman se déroule en décembre 2024 au moment où la Syrie voit se mettre en place un nouveau pouvoir, où la guerre se déroule dans tout le Moyen Orient…

Merci à Babélio et à l’éditeur pour ce voyage en enfer malgré le titre de paradisiaque!

les mondes de Colette à la BnF

Exposition temporaire jusqu’au 18 janvier 2026

le Monde de Colette(1873 – 1954) est vaste et varié. On entre dans l’intimité de la famille à Saint- Sauveur- en -Puisaye, on feuillette l’album photos de Willy, et on découvre les maisons de Colette, Rozven , en Bretagne offerte par Missy, découverte de sa collaboration avec le peintre breton Mathurin Méheut

Plus tard, à Saint Tropez à la Treille Muscate avec les gravures de Dunoyer de Segonzac ou la peinture de Camoin

La Treille muscate Dunoyer de Segonzac

Flânerie dans les paysages de Colette entre photographies, manuscrits, lettres et cartes postales ainsi que beaux livres. On n’est pas à la BnF pour rien.

Série de dessins à la craie de Louise Hervieu

Colette a été très attentive à la nature, aux plantes du jardin,  aux chats et même aux plus petits animaux dessinés ici par Louise Hervieu (1878-1954) contemporaine de l’auteur du Dialogue de Bêtes présenté ici. Un herbier (1949) a été illustré par Raoul Dufy

Un mur est consacré à l‘Enfant et les Sortilèges de Ravel dont Colette a composé le livret en 1925, aquarelle des costumes, photographies de scène de cette féérie-ballet et même quelques moments du spectacle dans une mise en scène récente. 

Colette ne fut pas seulement écrivaine à succès des Claudine promue par Willy. Quand elle se sépare de son mari elle doit gagner sa vie sur scène dans le Music Hall dans le monde et le demi-monde. L’exposition scénarise l‘Envers du Music Hall toujours avec des photographies d’époque, des affiches de spectacles, des portraits de Polaire, Missy, de la Belle Oterocostume de scène du Faune et un portrait de Matisse, de très beaux dessins et même une lettre.

Portrait de Colette par Matisse

« Etes-vous pour ou contre le second métier de l’écrivain? »interroge Colette à propos de l’ouverture de son institut de beauté.

Colette a pratiqué bien plus que deux métiers: saltimbanque, écrivaine, journaliste. Une section entière de l’exposition montre la journaliste qui écrivit dans le Temps et d’autres journaux plus de 1200 articles. Envoyée spéciale au Maroc, à New York… chroniqueuse judiciaire racontant les procès monstres comme Landru ou Violette Nozière, chroniqueuse sportive (c’est plutôt inattendu!).

la vagabonde

S’écrire , Colette se met en scène et en même temps brouille les pistes. Est-elle Claudine(1900)? ou Renée dans la Vagabonde (1910), Léa dans Chéri (1920) Proust qui se racontait aussi l’admirait. 

Une conversation avec Jean Cocteau quand Colette était alitée dans son lit-radeau la montre plaisantant, vantant l’oisiveté…

J’aime toujours ces expositions à la BnF où littérature, édition, arts plastique, photographie sont toujours très bien présentées. Expositions dans le calme sans la foule.

 

L’homme qui lisait des livres – Rachid Benzine – Rentrée littéraire 2025

GAZA 

2014, Un reporter-photographe cherche à faire des photos de Gaza plus originale et personnelle que celles qui illustrent la guerre à Gaza

« Tu n’as pas encore déclenché ton appareil. Tu crains de briser un moment de grâce. Il y a tout dans cette
scène. Tout ce que Gaza est devenue. Un vieux libraire accroché encore à ses bouquins, qui lit à deux pas
des ruines. Comme si les mots pouvaient le sauver dud’ bruit, de la souffrance, de la mort lente de la ville. »

« vous savez , ce n’est pas rien une photographie. Je ne vous connais pas. Vous ne me connaissez pas. Il serait peut-être plus aimable que nous prenions le temps de nous rencontrer »

Prélude au récit de toute une vie. Vie d’exils du village à Nazareth,  de la Nakba au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, vie sous tente, puis à Jabalya, études au Caire, à Gaza, Prison en Israël…Chaque chapitre de la vie a pour sous-titre un livre. La Condition  Humaine, La Légende des Siècles, Hamlet, Si c’était un homme, Le Livre de Job, Cent ans de Solitude… que nous connaissons tous. Mais aussi des poèmes de Mourid al-Barghouti, La chronique du figuier barbare de Sahar Khalifa. Fanon aussi

Un jour, Abu Khalil m’a donné un livre différent de tout ce que j’avais pu lire jusqu’alors. C’était un essai
récent. Le titre : Les Damnés de la terre. L’auteur : Frantz Fanon. Ce texte puissant, centré sur la
décolonisation, a été mon guide. Fanon y décrit la lutte des peuples opprimés pour leur dignité. Ce livre
m’a ouvert à l’idée que la révolte est non seulement nécessaire, mais légitime. J’en suis ressorti comme s’
il m’avait confié une mission, confié un enseignement. Et comme s’il avait placé sa confiance en moi
pour le transmettre.

La lecture comme liberté, comme lutte politique, pour échapper à la violence, comme émancipation.

Un livre sensible, intelligent qui offre une image de Gaza et des Gazaouis si loin des images de destructions et de ruines que nous offrent les actualités.

Les Certitudes – Marie Semelin- JC Lattès – rentrée littéraire 2025

APRES LE 7 OCTOBRE …

Colocation transgénérationnelle: Anna la trentaine, journaliste pigiste, vient habiter chez Madame Simone, soixante dix ans. La cohabitation se passe à merveille et dure quatre ans. Madame Simone est une dame alerte, encore secrétaire médicale du docteur Habib, soignée, sportive et très discrète. Moments de tendresse partagée. Un jour elle a lancé ; « Warde, je veux être enterrée à Jérusalem » et a ajouté « je te confie cette volonté parce que tu vis dans mon cœur ». 

Au décès de Madame Simone, le Docteur Habib organise la Shiv’ah et réunit les proches. Occasion d’évoquer la défunte, ses lectures, son goût pour le théâtre. Sa dernière volonté : d’être inhumée à Jérusalem a été négligée. S’en suit un scandale quand le Consistoire intervient.

Quelques mois plus tard, Anna reçoit un appel de Jérusalem. Elle doit faire le voyage pour entrer en possession d’un appartement que Simone lui aurait légué. Anna débarque donc en Israël désertée de ses touristes en pleine guerre.

Pour ne pas spoiler je ne vous raconterai pas les secrets de Madame Simone.

Si le début parisien du roman ne m’avait pas passionnée, la suite en Israël est tout à fait intéressante. Anna va découvrir le pays sous tension. Elle va vivre le quotidien d’habitants de la banlieue de Tel Aviv. A Jérusalem, fera la connaissance d’un soldat souffrant de stress post-traumatique, qui raconte sa guerre à Gaza.

Anna rejoint Ramallah et subit les check-points. Toute une aventure que de s’y rendre en  autobus. Elle rencontre un peintre palestinien traumatisé par une incarcération …

En découvrant les secrets de Madame Simone que je ne dévoilerai pas (bis) le roman raconte la vie de ces Mizrahim, juifs orientaux confinés dans des quartiers périphériques, évoque les Panterim (Black Panters séfarades dans la fin des années  60), évoque la frontière entre Jérusalem jordanienne d’avant la Guerre des Six Jours, et après… Et tout cela est bien intéressant.

J’ai seulement regretté que l’héroïne du roman, journaliste, n’ai pas exercé son métier pour construire un reportage. Mais ce n’était pas le sujet. Plutôt que sortir, elle préfère capter les journaux télévisés. Marie Semelin, justement a été correspondante au Moyen Orient, pour Radio-France et aurait pu faire d’Anna une journaliste plus impliquée.

 

Le 7 octobre, le trou dans son cœur s’est réveillé. Elle a entendu les nouvelles. Elle s’est dit : voilà, c’est
fini. La plaque tectonique s’est fendue. Elle bougeait, elle s’entrechoquait, elle frottait. Elle a été secouée,
malmenée, des microfissures la rongeaient de mille façons. Elle tenait. Elle n’était pas détruite. Il y avait
encore un fil, pas épais mais tout de même, un espace commun, on pouvait circuler, aller d’un coin à l’
autre. C’est fini. La plaque s’est fendue. Détachée. Il n’y a plus, il n’y aura plus de retour en arrière. Le
massacre et sa vengeance. Les douleurs vont plonger si profond, dans des puits si sombres, qu’aucune
main tendue à sa surface ne pourra nous en sortir. Il fait trop noir. Il faut partir de trop loin.

 

J’étais roi à Jérusalem – Laura Ulonati

Moi, je suis surtout un homme qui rit, un homme qui joue. Moi, Wasif, fils de Jiryis Jawhariyyeh, j’étais
roi à Jérusalem.

 

Wasif Jawhariyyeh, joueur d’oud,  naquit en 1897 dans une famille de notables  arabes chrétiens orthodoxes de Jérusalem alors ottomane. Laura Ulonati a choisi ce personnage artiste, buveur, jouisseur, un « non-héros » pour conter l’histoire de Jérusalem du début du XXème siècle jusqu’aux lendemains de la guerre des Six Jours avec la conquête de la Vieille Ville par Israël. Témoin de tous les changements du Moyen Orient, de la première Guerre Mondiale avec la Déclaration Balfour, le Mandat britannique, les émeutes de Nabi Moussa en 1920, celles de  1929, et les différents Livres Blancs britanniques (1922, 1930, 1939) puis les guerres, la Nakba et la destruction des maisons, des souvenirs disparus…


Mieux que des mots, le son de l’oud fait revivre la voix de Jérusalem, sa sensualité faite de hanches et de
peaux. Sa langue tambour, son toucher cuir. Ce filet de flûte sur lequel tient la géographie de nos cordes
sensibles. Tout ce qui mérite le souvenir : les arpèges d’un poème séfarade, la transe d’une mélodie
improvisée, les jeux de prunelles avec une spectatrice, le silence des corps juste avant cette lutte qu’est l’
amour, les acclamations d’une foule qui se soulève, la peur qu’inspire une simple chanson aux pires
tyrans. Une musique unique.

Jérusalem, 1900 – 1917, laisse entrevoir la coexistence des différentes communautés, la musique un lien pour les unir. Mais la fin de la guerre sonne la fin de cette communauté

Les Balfour et les Allenby ne renversèrent pas la potion magique, non. Ils la détournèrent. Selon un
savoir-faire colonial bien rodé, ils la captèrent, puis la divisèrent pour mieux régner, ne donnant plus qu’
à boire à une minorité. Une ration distillant la haine goutte à goutte, jusqu’à tarir la source commune.

Un roman historique, nostalgique, loin des proclamations religieuses ou ethniques. Agréable à lire. Mais pour l’Histoire avec un grand H je recommanderais plutôt les ouvrages de Vincent Lemire : Jérusalem 1900 CLIC et l‘Histoire de Jérusalem et surtout Il était un pays : Une vie en Palestine de Sari Nusseibeh. CLIC l’auteure les cites dans ses références bibliographiques.