J’étais roi à Jérusalem – Laura Ulonati

Moi, je suis surtout un homme qui rit, un homme qui joue. Moi, Wasif, fils de Jiryis Jawhariyyeh, j’étais
roi à Jérusalem.

 

Wasif Jawhariyyeh, joueur d’oud,  naquit en 1897 dans une famille de notables  arabes chrétiens orthodoxes de Jérusalem alors ottomane. Laura Ulonati a choisi ce personnage artiste, buveur, jouisseur, un « non-héros » pour conter l’histoire de Jérusalem du début du XXème siècle jusqu’aux lendemains de la guerre des Six Jours avec la conquête de la Vieille Ville par Israël. Témoin de tous les changements du Moyen Orient, de la première Guerre Mondiale avec la Déclaration Balfour, le Mandat britannique, les émeutes de Nabi Moussa en 1920, celles de  1929, et les différents Livres Blancs britanniques (1922, 1930, 1939) puis les guerres, la Nakba et la destruction des maisons, des souvenirs disparus…


Mieux que des mots, le son de l’oud fait revivre la voix de Jérusalem, sa sensualité faite de hanches et de
peaux. Sa langue tambour, son toucher cuir. Ce filet de flûte sur lequel tient la géographie de nos cordes
sensibles. Tout ce qui mérite le souvenir : les arpèges d’un poème séfarade, la transe d’une mélodie
improvisée, les jeux de prunelles avec une spectatrice, le silence des corps juste avant cette lutte qu’est l’
amour, les acclamations d’une foule qui se soulève, la peur qu’inspire une simple chanson aux pires
tyrans. Une musique unique.

Jérusalem, 1900 – 1917, laisse entrevoir la coexistence des différentes communautés, la musique un lien pour les unir. Mais la fin de la guerre sonne la fin de cette communauté

Les Balfour et les Allenby ne renversèrent pas la potion magique, non. Ils la détournèrent. Selon un
savoir-faire colonial bien rodé, ils la captèrent, puis la divisèrent pour mieux régner, ne donnant plus qu’
à boire à une minorité. Une ration distillant la haine goutte à goutte, jusqu’à tarir la source commune.

Un roman historique, nostalgique, loin des proclamations religieuses ou ethniques. Agréable à lire. Mais pour l’Histoire avec un grand H je recommanderais plutôt les ouvrages de Vincent Lemire : Jérusalem 1900 CLIC et l‘Histoire de Jérusalem et surtout Il était un pays : Une vie en Palestine de Sari Nusseibeh. CLIC l’auteure les cites dans ses références bibliographiques. 

Frantz Fanon – un film de Abdenour Zahzah – un podcast de France Culture

Frantz Fanon (1925 – 1961) A l’occasion du centenaire de sa naissance, deux films sont sortis sur les écrans. En avril, distribué confidentiellement, le biopic Fanon de Claude Barny (que j’ai raté) et, en septembre, le film d’Abdenour Zahzah qui se concentre sur les 3 années (1953-1956) où Fanon a exercé sa profession de psychiatre à l’hôpital de Blida-Joinville. Tourné en noir et blanc, il ressemble plus à un documentaire qu’à un biopic. Il se déroule exclusivement dans l’enceinte de l’hôpital. Quand Fanon prend ses fonctions le système est fermé, presque carcéral, quatre divisions, femmes européennes dont Fanon s’occupera en premier, femmes musulmanes (on ne verra rien), hommes européens et hommes indigènes que Fanon va soigner. Ségrégation sociale qui reproduit la société algérienne de l’époque. Sa première initiative sera d’ouverture dans ce grand enfermement. Avant d’arriver en Algérie, Fanon est passé par Saint-Alban, où s’exerce la psychiatrie institutionnelle. Sa pratique d’ouverture s’exerce vis à vis des malades mais aussi vis à vis du personnel infirmier qu’on avait réduit à la fonction de gardiennage. Il se rapproche aussi des militants du FLN, des victimes de cette guerre qui ne dit pas son nom. Le glissement entre l’aliénation coloniale et l’aliénation des patients apparait comme une évidence.

Le livre Les Damnés de la Terre publié par Maspéro en 1961, préfacé alors par Sartre, que j’avais acheté en 1968, à la Librairie Maspéro est un de mes grands souvenirs soixante-huitard. J’en ai gardé l’impression d’un texte politique théorique. Quand j’ai lu Peau Noire Masques blancs CLIC  J’ai été surprise de découvrir qu’il s’agissait d’une thèse de médecine avec un langage scientifique très pointu si bien que je n’ai pas tout compris. J’ignorais alors que Fanon que je connaissais comme figure de la décolonisation, combattant de l’Indépendance de l’Algérie était psychiatre. 

Après avoir vu le film de Zahzah j’ai podcasté la série Fanon l’Indocile dans Les Grandes Traversées de France Culture CLIC

Et cette écoute m’a accompagnée pendant mes promenade pendant une bonne semaine : 5 épisodes de 109 minutes avec des lectures, de nombreux intervenants. Etude approfondie des différents aspects de son histoire, de sa personnalité.

Fanon qui était pour moi une icone de la décolonisation, mort jeune comme Che Guevara. Il est toujours présent soit aux Antilles, soit aux Etats Unis précurseur des Black Panthers ou de Black lives matter , plus récemment. Ce long podcast nous le présente beaucoup plus nuancé, plus humaniste aussi. Ambigu parfois, dans l’appel à la lutte violente décoloniale. Il faudra que je relise les Damnés de la Terre que j’emprunterai à la Médiathèque puisque j’ai perdu mon joli exemplaire coloré de la Petite collection Maspéro. 

 

 

La Muse rouge – Véronique de Haas – Prix du Quai des Orfèvres

POLAR HISTORIQUE : PARIS 1920

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Pour le plaisir d’une promenade dans Paris 1920 dans des lieux aussi variés que les bouges de la Rue Monjol (19ème), les Halles de la Villette que les salons du Lutétia, les abords du 36 Quai des Orfèvres, une maison close très chic, la Zone où Lulu trait sa chèvre pour vendre le lait à Montparnasse.

Gabie, une prostituée est retrouvée morte, puis  un homme d’affaire chinois, hôte du Quai d’Orsay, et une autre prostituée dans une maison close très chic…les crimes se succèdent. Un criminel en série? L’Inspecteur Victor Dessange et son brigadier Max vont enquêter sur cette affaire plus complexe qu’il ne semble

Voilà, m’sieur : Gabie, elle fréquentait un groupe de poètes et d’chansonniers, la Muse rouge, vous connaissez ? – J’en ai entendu parler, oui, des anarchistes et des révolutionnaires. – Des poètes, m’sieur, surtout des poètes qui chantent la misère des ferlampiers et des gueux. La misère, m’sieur, vous connaissez ?

Et nous avons le plaisir de découvrir ces chansons anarchistes, d’assister aux réunions des anarchistes, des syndicalistes de la CGT, de rencontrer des révolutionnaires espagnols, italiens. Les Camelots du Roi saccagent leurs locaux. Qui les a renseignés? 

La mort de l’homme d’affaire chinois aiguille l’enquête sur des trafics dans les Colonies, Indochine, Afrique, Maroc. Hommes d’affaires véreux, ministres mouillés…

Vous allez même croiser Soutine à l’enterrement de Modigliani (24 janvier 1920).

Un polar bien ficelé, une reconstitution historique parfaite et instructive. Et si vous voulez des images, allez sur Internet chercher les photos d‘Atget CLIC

Toutes les époques sont dégueulasses – Laure Murat

A la suite de la lecture de Demon Copperhead, Je lis je blogue m’a signalé que le Masque et la Plume  l’avait cité à propos de James de Everett. CLIC

Comme la lecture en miroir de David Copperfield/Demon Copperhead m’a intéressée, j’ai conçu le projet de renouveler l’expérience avec Huckleberry Finn/James. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai fait le détour par l’essai Toutes les époques sont dégueulasses de Laure Murat dont le thème est justement la récriture/réécriture dans le cadre de la Cancel Culture. 

Laure Murat,  s’est intéressée à James Bond, Miss Marple, Tintin, ainsi qu’aux ouvrages de  Road Dahl(que je ne connais pas).Ces œuvres  posent de graves problèmes de racisme, sexisme et colonialisme et ont fait l’objet de récriture.  Elle a également cité Ourika (1823) de Claire de Duras.  Huckleburry Finn et James  sont plutôt un cas de récriture. Enfin, elle évoque l’appel fait aux sensitive writers par certains écrivains pour une écriture politiquement correcte. 

En préambule intéressons nous à ces deux concepts : réécriture et récriture

 le verbe réécrire (ou le substantif réécriture) pour désigner l’action qui consiste à réinventer, à partir d’un
texte existant, une forme et une vision nouvelles – comme l’a fait, par exemple, Racine en écrivant La
Thébaïde, Iphigénie, Andromaque ou Phèdre à partir d’Euripide.

récrire (ou le substantif récriture) pour désigner tout ce qui a trait au remaniement d’un texte à une fin
de mise aux normes (typographiques, morales, etc.) sans intention esthétique.

Réécrire ou Récrire procèdent de deux démarches très différentes. 

réécriture relève de l’art et de l’acte créateur, la récriture de la correction et de l’altération.

La Réécriture est acte de création, on s’inspire d’une œuvre connue du public pour en écrire une nouvelle, originale. Le plus souvent, l’auteur situe l’action dans une autre époque, un autre contexte politique. Le lecteur qui a déjà des références culturelles appréciera, ou non. Personne n’ira reprocher à Joyce d’avoir utilisé Ulysse

La Récriture, en revanche, est la correction de l’œuvre originale sans forcément l’assentiment de l’auteur. On débarrasse le texte des mots choquants principalement les n-words ou les remarques racistes, antisémites, grossophobes et autres. Ces corrections sont aléatoires et très approximatives. Pourquoi ne pas blesser les Noirs et blesser les  Coréens? Remplacer un patronyme juif par un autre (qui se trouve juif aussi) dans Tintin. La correction sera toujours imparfaite à moins de vider le texte de toute saveur et de tout sens. Laure Murat démontre que le but de la récriture est commercial :

C’est exclusivement pour conserver leur valeur lucrative que les éditeurs ont procédé à ces nettoyages
approximatifs, avant que les héros canoniques comme Miss Marple ou James Bond, notoirement racistes
et sexistes, ne deviennent complètement ringards.

L’effacement du texte original est aussi dangereux.

Car éliminer ce qui gêne aujourd’hui au motif que cela nous offense, c’est priver les opprimés de l’
histoire de leur oppression. Faites de James Bond un féministe ou seulement un homme respectueux
des femmes, et dans cinquante ans, on ne comprendra plus rien à l’histoire de la misogynie ordinaire
dans les années cinquante. 

Refus de l’appropriation culturelle et relecture par les sensitive writers, censure de la cancel culture ne sont qu’un volet de la censure qui règne aux Etats Unis d’aujourd’hui. La Censure officielle qui enlève des bibliothèques scolaires des milliers d’ouvrages. Celle qui supprime les travaux comme els études de Genre ou de Diversité est beaucoup plus perverse. 

Je ne vais pas copier/coller le texte de Laure Murat plus longtemps.

Lisez-le! Il est court et percutant. Et si le titre vous choque c’est à Artaud qu’elle le doit.

L’Affaire de la rue Transnonain – Jérôme Chantreau

On ne tue pas le peuple dans son lit

« 4 au 14 avril 1834, des émeutes ont ensanglanté le pays. Le premier foyer s’est allumé chez les ouvriers
lyonnais. C’est la deuxième fois en trois ans que les canuts se révoltent, »

Le règne de Louis Philippe ne s’est pas déroulé tranquillement. J’avais retenu les Jours de Juillet 1830, qui avait mis fin au règne de Charles X, et plus tard à la Révolution de 1848. L’Affaire de la Rue Transnonain met en lumière des évènements moins bien connus. 

Depuis quarante huit heures de l’Hôtel de Ville jusqu’au Temple, les insurgés ont érigé plus de six mille barricades […]Mais au moment où l’on pense que la paix est revenue, un coup de feu est tiré, un simple coup de feu. Et les hommes du 35e de ligne pénètrent au numéro 12 de la rue Transnonain.

La Rue Transnonain n’existe plus actuellement, confondue avec la Rue Beaubourg élargie au cours des modernisations de Paris. Une seule plaque  rappelle son existence

numéro 62 de la rue Beaubourg, un immeuble cossu a remplacé le numéro 12 de la rue Transnonain. 

Joseph Lutz, policier de la brigade des Mœurs, ancien « chien de Vidocq« est chargé de l’enquête de l’Affaire de la rue Transnonain. Ainsi, commence le roman que je croyais roman policier. Le 14 avril, quand les policiers et le médecin légiste viennent constater le massacre. 

Il s’attendait à examiner les dépouilles d’insurgés, décidés à vivre libres ou à mourir. Pas une maisonnée de commerçants.

Douze victimes massacrés sauvagement, des bons bourgeois, des artisans, une femme,  un enfant, le fils de la concierge, un jeune homme dans son lit….Pourquoi les militaires se sont-ils acharnés sur les habitants de cet immeuble? Officiellement, un coup de feu a été tiré et un officier est décédé, la troupe se serait précipitée pour lui rendre justice.

Une enquête est ouverte, des témoins entendus, des militaires principalement, des voisins qui répètent tous la même histoire. Officiellement on tient le nom du tireur qui a tué le capitaine. Fin de l’histoire, en attendant un procès.

Tout serait rentré dans l’ordre si Ledru-Rollin, n’avait pas publié un mémoire affirmant que Transnonain est un crime d’Etat et que Daumier n’avait pas réalisé une lithographie représentant une famille entière gisante dans son sang. La Presse s’est emparée de l’Affaire qu’il s’agit maintenant de classer. 

Joseph Lutz n’est pas convaincu des résultats d’une enquête bâclée. La balistique contredit les hypothèses. Il est impossible que Louis Breffort, exécuté au 5ème étage, soit l’auteur du tir mortel. Les voisins n’ont pas été interrogés…un témoin-clé, Annette Vacher, la compagne de Louis a disparu…Le policier, malgré les consignes de sa hiérarchie, va mener ses investigations et chercher la jeune femme aux cheveux rouges dans les maisons closes. 

 je chercherais d’abord l’identité de celui qui a tiré le coup de feu. Il faut un certain cran, ou une bonne dose
de folie, pour ouvrir une fenêtre et tirer sur un officier, au milieu d’une émeute. — Nous ne vous
demandons pas de trouver les responsables, interrompt Gisquet. Nous les connaissons. Nous traînons
cette affaire depuis quatre mois, et le ministre de l’Intérieur veut une résolution rapide. Vous savez l’
essentiel. Une agression des insurgés,

Sur une intrigue assez mince, le romancier va construire un roman historique très documenté. Il va aussi évoquer de manière très fouillée des personnages  de fiction : Joseph Lutz et sa famille et Annette Vacher. Nous allons suivre ces héros pendant presque tout le siècle, des guerres napoléoniennes où Joseph a été blessé, à la Commune et même après. De Bayonne à Paris, pour Annette. Bien sûr, des figures historiques vont intervenir : Adolphe Thiers, ministre et le Général Bugeaud qui a déjà réprimé dans le sang la Révolte des Canuts. 

L’enquête conduit Joseph dans le Paris encore médiéval du Marais, mais aussi dans les carrières de Gypse de Montmartre, dans la zone, aux portes de Paris où arrivent les immigrants, auvergnats ou bretons….Estaminets et bordels, imprimeries et autres artisanats. la reconstitution est très vivante et pittoresque. Argot des bouchers…

Sans oublier les Saint- Simoniens et le procès qu’on intenta à Enfantin eainsi que les premières feuilles féministes œuvres de Saint Simoniennes

Une bibliographie en fin de volume peut être consultée.

Je m’attendais à un roman policier, je me suis laissée embarquée dans un roman historique puissant et très documenté.

La mare au diable – George Sand

Un court roman paysan ou une longue nouvelle? La Bonne dame de Nohant nous conte son Berry dans une jolie histoire toute simple : le mariage du fin Laboureur, Germain, avec la jeune Pastourelle. Germain, 28 ans, est veuf, père de 3 enfants, à qui il doit donner une « mère » . Mariage arrangé, mariage de raison. Mais quand il va visiter sa promise rien ne se passe comme prévu.

Je vous laisse découvrir l’histoire.

Résumée ainsi, l’œuvre semble simplette. Une bluette pour les collégiens?

Pas seulement, George Sand l’inclut entre un avant-propos au ton sérieux et un appendice ethnographique.

Pour la Mare au Diable en particulier, le fait que j’ai rapporté dans l’avant-propos, une gravure d’Holbein, qui m’avait frappé, une scène réelle que j’eus sous les yeux dans le même moment, au temps des semailles, voilà tout ce qui m’a poussé à écrire cette histoire modeste, placée au milieu des humbles paysages

Pas si simple : en introduction, George Sand attire il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité ni la du lecteur sur une gravure de Holbein, Les simulachres de la mort. Peinture de la dure condition des paysans avec la seule perspective de la mort. George Sand apporte son optimisme et ses convictions sociales. 

« nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu’elle soit féconde. Il faut que Lazare quitte
son fumier, afin que le pauvre ne se réjouisse plus de la mort du riche. Il faut que tous soient heureux, afin que le bonheur de quelques uns ne soit pas criminel et maudit de Dieu.[…] Il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité, ni la consolation de la détresse. « 

Elle est attentive à l’évolution politique (1846) et se soucie de la mission de l’art.

La conclusion du livre,  en appendice, est la relation des Noces de Campagne décrites avec la précision d’une ethnographe. George Sand raconte la tradition des Livrées où les réjouissances ont pour héros le chanvreur (broyeur de chanvre) qui défend la maison de la fiancée contre l’assaut mené par les camarades du marié avec à sa tête le fossoyeur. Joutes verbales et comédie bien réglée.  De pittoresques traditions président à l’échange des anneaux. Puis on revient au burlesque pour l’arrivée du Chou. Cavalcades, déguisements pendant trois jours  rappelant les Saturnales antiques. 

Cette description détaillée des noces m’a ravie!

 

Histoire d’un Ruisseau – Elisée Reclus

 

L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots ; le soleil, dans sa course journalière, les a fait resplendir des reflets les plus éclatants ; la pâle lumière de la lune les a vaguement irisées ; la foudre en a fait de l’hydrogène et de l’oxygène, puis d’un nouveau choc a fait ruisseler en eau ces éléments primitifs. Tous les agents de l’atmosphère et de l’espace, toutes les forces cosmiques ont travaillé de concert à modifier incessamment l’aspect et la position de la gouttelette imperceptible ;

Le podcast de RadioFrance : Avoir raison avec Elisée Reclus…CLIC

m’a accompagnée, en 5 épisodes de 30 minutes, pendant mes promenades en forêt. Elisée Reclus (1830 -1905)géographe, explorateur, homme de lettres, anarchiste est une personnalité fort intéressante. J’ai eu envie de le lire dans le texte. 

L’Histoire d’un Ruisseau , en 20 courts chapitres, suit le cours d’un ruisseau de la Source au Fleuve, en passant par le Torrent de la montagne, la Grotte, le Gouffre, puis enfin Le Moulin et l’Usine, et L’Eau dans la Cité. 

chaque nouvel élan, le ruisselet prend une autre physionomie ; il se heurte sur une saillie de rocher et
rebondit en paraboles de perles ; il s’égare entre les pierres, puis s’étale dans un petit bassin sablonneux ;
ensuite, il s’élance en cascatelles et baigne les herbes de ses gouttes éparses.

C’est un plaisir de lire ce récit poétique qui s’émerveille avec les yeux de l’enfant qui découvre le monde pendant « les heureux jours de vacances » , se baignent dans les flaques, puisent à pleines mains dans le sable brillant les paillettes de mica, or ou argent…ou franchissent les ponts naturels que forment des arbres déracinés.

Le regard naïf de l’enfant se double de la culture scientifique du géographe et du géologue. les phénomènes d’érosion, de transport et de sédimentation sont expliqués très clairement et agréablement. Elisée Reclus est un géographe reconnu par ses pairs. Ses ouvrages de vulgarisation ont reçu un vaste accueil dans le public. 

les gamins assis sur leurs bancs d’école lèvent souvent les yeux de leurs livres d’étude et regardent avec avidité du côté du sentier qui descend vers le ruisseau>. Puis quand ils sont libres enfin, comme ils s’élancent avec joie…

Le ruisseau est aussi symbole de liberté, d’égalité quand dans Le Bain, les militaires, dépouillés de leurs uniformes et galons s’ébaudissent dans la rivière. Attentif à la liberté des hommes en anarchiste, il est aussi attentif à la dimension sociale.

Si les opprimés n’avaient pu retremper leur énergie et se refaire une âme par la contemplation de la terre,
et de ses grands paysages, depuis longtemps déjà l’initiative et l’audace eussent été complètement
étouffées.

A mesure que s’écoule le ruisseau dans la campagne, les préoccupations économiques de l’auteur sont abordées, dans l’Inondation qui peut également être bénéfique, Le Moulin et l’Usine où la force hydraulique est analysée. Quand il décrit le Train de Bois, l’explorateur nous entraîne dans la montagne mais aussi en Amazonie où il a voyagé.

Ce livre est d’une grande densité  et d’une grande richesse. Etonnante modernité quand il traite de l’assainissement et du retraitement des eaux usées, le comparant à un organisme vivant qui regénère dans les poumons le sang appauvri en oxygène. Modernité quand il évoque la spectrométrie de masse pour analyser la composition chimique de l’eau. Je ne savais pas que le procédé existait déjà.

Certes, nous n’osons point dire que de nos jours la vie est devenue moins pénible pour tous les hommes.
Des multitudes d’entre nous, déshérités encore, vivent dans les égouts sortis des palais de leurs frères
plus heureux ; des milliers et des millions d’individus parmi les civilisés habitent des caves et des réduits
humides, grottes artificielles bien plus insalubres que ne le sont les cavernes naturelles où se réfugiaient
nos ancêtre

Et toujours ce souci de justice sociale récurrent dans le récit!

A lire et à relire, selon l’humeur du jour, poésie, voyage  ou révolution?

 

Indiana – George Sand

« C’était une créature toute petite, toute mignonne, toute déliée; une beauté de salon que la lueur vive des bougies rendait féerique et qu’un rayon de soleil eût ternie. En dansant, elle était si légère, qu’un souffle eût suffi pour l’enlever; mais elle était légère sans vivacité, sans plaisir. Assise, elle se courbait comme si son corps trop souple n’eût pas eu la force de se soutenir; et, quand elle parlait, elle souriait et avait l’air triste. »

Indiana, jeune créole de l’Île Bourbon a suivi son vieux mari, colonel de l’armée de Napoléon, industriel dans le domaine de Lagny à proximité de Melun.

Elle n’aima pas son mari, par la seule raison peut-être qu’on lui faisait un devoir de l’aimer, et que
résister mentalement à toute espèce de contrainte morale était devenu chez elle une seconde nature, un
principe de conduite, une loi de conscience.

Premier roman publié sous le nom George Sand en 1832 après des publications en collaboration avec Jules Sandeau.  

Indiana, est entourée par sa servante créole, Noun, et son cousin Ralph, personnage falot. Elle tombe amoureuse de Raymon de Ramière, son voisin, jeune homme brillant, qui la séduit facilement mais à qui elle résiste longtemps,. Pieuse et vertueuse, elle a des scrupules à tromper son mari, que par ailleurs elle craint, jaloux et violent. L’amourette traîne jusqu’à ce que la belle cède. Après la conquête, Raymon ne ressent plus l’intérêt de ce qui va devenir un scandale. Il se lasse et la chasse. C’est bien écrit, finement analysé, mais je m’ennuie . Indiana est bien naïve. Le dénouement est prévisible. 

Indiana, oie blanche, ne m’enchante pas . En revanche la charge très spirituelle contre l’ « honnête homme » son contemporain est passionnante. On voit toutes les ruses, les faiblesses des séducteurs.

Savez-vous ce qu’en province on appelle un honnête homme ? C’est celui qui n’empiète pas sur le champ
de son voisin, qui n’exige pas de ses débiteurs un sou de plus qu’ils ne lui doivent, qui ôte son chapeau à
tout individu qui le salue; c’est celui qui ne viole pas les filles sur la voie publique, qui ne met le feu à la
grange de personne, qui ne détrousse pas les passants au coin de son parc. Pourvu qu’il respecte
religieusement la vie et la bourse de ses concitoyens, on ne lui demande pas compte d’autre chose. Il peut
battre sa femme, maltraiter ses gens, ruiner ses enfants, cela regarde personne. La société ne condamne
que les actes qui lui sont nuisibles; la vie privée n’est pas de son ressort.

La fortune tourne, Le Colonel Delmare est ruiné . Il va tenter sa chance à La Réunion (Île Bourbon). Indiana suit son mari mais aime toujours Raymon… 

Cette deuxième partie de livre est plus aventureuse avec des rebondissements inattendus.  J’ai aussi aimé l’évocation de la nature dans ce décor exotique et je me suis laissé emporter par cette lecture avec plaisir. 

Podcast : Et si vous voulez approfondir, ou au contraire découvrir George Sand , un podcast passionnant qui parle d’Indiana https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/george-sand-vie-singuliere-d-une-auteure-majuscule/masculin-feminin-l-invention-de-soi-3698852

Les Naufragés du Cap Vert – Laurence Benveniste

BOOKTRIP EN MER/ CAP VERT

 

Proposé par les algorithmes d’Amazon, ce livre semblait cocher toutes les cases de mes lectures de l’été : le Booktrip en mer, La Révolution française (à la suite des Onze), lhistoire des Juifs . Plaisir de retourner au Cap Vert répondre à cette interrogation lors de notre voyage au Cap Vert : le lieu-dit Synagoga CLICm’avait étonnée, je comptais sur cette lecture pour lever  ce mystère.

A bord de la « Jolie Nanette » voguant vers la toute jeune république américaine se retrouvent David, Esther et son fils Momo,  Juifs du Comtat Venaissin, Marie la fiancée de David, Hemings le cuisinier de Jefferson, esclave mulâtre, Dalayrac un violoniste qui a joué à la cour, Liquier fils d’un armateur bordelais négrier, Camboulas vétéran des guerres d’Indépendance américaine. Bonne compagnie musiciens, lettrés « honnêtes hommes » ayant le goût de la conversation et de la musique. La cuisine de Hemings apporte une touche gastronomique à ce voyage qui s’annonce très agréable.

Tout d’abord, échanges de très haute volée où Voltaire, Olympe de  Gouges, Lessing sont cités. La Fayette, Mirabeau, Robespierre et les révolutionnaires, sujets d’actualité. La présence de Heming, fin cuisinier, violoniste, mais esclave de Jefferson, introduit une réflexion sur l’esclavage. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, n’implique-t-elle pas l’Abolition de l’esclavage? La situation des Juifs et des Noirs, également opprimés est sujet de leurs discussions. Bien sûr, la place des femmes n’est pas oubliée. Passionnants ces débats? Un peu longs et scolaires. Laurence Benveniste ne laisse rien de côté, développe les idées, creuse son sujet. Tant d’érudition finit par lasser.

La croisière se gâte, mort suspecte du Capitaine qui est remplacé par un personnage très antipathique, mort du Coq…aménagements suspects en cale. Mutinerie…les passagers deviennent otages, le navire change de destination. L’heure n’est plus aux discussions philosophiques ni aux concerts de violon. Suspens haletant. Ma foi, fort bien mené. Arriveront ils au Cap Vert? (on se doute que oui d’après le titre) et après….ils passeront par Synagoga, bien sûr!

Très bien documenté, mais la lecture de ces 391 pages est  un peu laborieuse. .

Les Onze – Pierre Michon – Verdier

REVOLUTION  FRANCAISE, 1793

Pierre Michon, dans son style époustouflant nous emmène au Louvre découvrir le célèbre tableau Les Onze peint par François-Elie Corentin représentant les onze membres du Comité de Salut Public. Roman historique faisant revivre la Terreur .

«Vous les voyez, Monsieur ? Tous les onze, de gauche à droite : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Invariables et droits. Les Commissaires. Le Grand Comité de la Grande Terreur. Quatre mètres virgule trente sur trois, un peu moins de trois. Le tableau de ventôse.» 

Connaissez-vous le grand peintre François-Elie Corentin ? 

Il convient de le présenter  sa généalogie,  ses origines. Né en 1730 à Combleux, où des bataillons de Limousins ont remué la terre boueuse de la Loire pour creuser le canal d’Orléans à Montargis pour l’enrichissement du grand-père du peintre, Corentin-La Marche Ingénieur des turcies et levées de Loire. Enfant, il a rêvé devant les paysages, les hérons de la Loire….

Avant de revenir aux Onze, faisons un détour dans la peinture par l’Italie, Véronèse et Tiepolo qui ont inspiré François-Elie qu’on a surnommé « le Tiepolo de la Terreur ». Pierre Michon nous éblouit dans la description d’un magnifique Tiepolo

C’est toute l’Italie mythologique qui vous regarde de son haut, toutes les trois marches. C’est large
comme un boulevard pour monter à ce ciel que Tiepolo peint mais qu’il n’a pas inventé : le projet, le
canevas mental, deux savants jésuites le lui ont versé dans le creux de l’oreille, deux Germains de Rome.
Le page qui monte quatre à quatre ce boulevard céleste vient de France, le page irrésistible qui deviendra
ce peintre que nous savons.
[…]
Tiepolo là-haut riait en jurant que Dieu est un chien, Dio cane, comme jurent les Vénitiens, ce qui en l’
occurrence était une façon de dire, évidemment ; car que peut-on demander de plus à Dieu que cela, des
contrats et des devis célestes entre peintres de très haute stature et princes nains, les uns toutes couleurs
et mythologie, les autres tout sequins – qui étaient peut-être des thalers dans ce fond de Germanie, ou
des guinées –, mais les peintres dans les formes rendant hommage aux autres, les Monseigneurs, avec de
la révérence : les princes n’ont pas besoin d’être grands, ils n’exercent pas et jouissent. Dio cane. Vous
imaginez cela, Monsieur ?

Pierre Michon nous étourdit avec son style ;  il anéantit notre sens critique. Et si tout était une fiction, le tableau et le peintre?

Ce tableau que je n’ai jamais vu au Louvre est une commande :

« un piège en forme de peinture, un joker politique« 

« Tu vas donc nous représenter. Prends garde à toi Citoyen-Peintre, on ne représente pas à la légère les Représentants »

Et on y croit! On le visualise. On est piégé.