C’est avec beaucoup de curiosité et d’enthousiasme que j’ai commencé ce gros livre de près de 700 pages. J’aime bien pavés, promesse de longues lectures. Mais Cartarescu m’a perdue dès le premier chapitre entre les Cyclades et l’Ethiopie, la Valachie, mer Egée, Mer Rouge. Entre la Reine de Saba et la Reine Victoria qui envoie son général Napier. Je ne sais où donner de la tête.
Tu n’es pas devenu maître du monde et pantocrator, parce que cette mission était déjà confiée a ton époque, au Christ dans les cieux et à la reine Victoria sur la terre;
Et comme je suis une lectrice têtue, j’ai persisté et je me suis retrouvée en pleine guerre coloniale britannique.
Troisième chapitre, nouveau personnage Kassa, éthiopien, je commence à me repérer quand intervient Sofiana, la mère de Theodoros(dans les Cyclades) alias Tewodoros en Ethiopie, alias Tudor en Roumanie.
C’est sans doute ainsi que l’Ovide de l’Antiquité, exilé sur les rives de la Grande Mer qui bordait la Valachie, dut supporter le vent scythe et la barbarie des mœurs et ceux auprès desquels il avait été jeté pour périr de froid et de tristesse. Enroulé dans sa toge qui ne parvenait pas à réchauffer le vieux poète…
Les histoires s’enchaînent, sans rapport les unes avec les autres, qui nous mènent jusqu’à San Francisco chez un original qui se voulait aussi empereur. Le livre ressemble à un recueil des Mille et Unes Nuits, contes qui s’empilent plutôt qu’ils ne se suivent. Entre Alexandre et les héros d’Homère et les textes saints. La visite de la Reine de Saba à Salomon, fondatrice pour les éthiopiens qui en tirent leur héritage, est racontée avec force détails. Il y a aussi une série d’histoire en Roumanie.
Souvent les allusions à la religion orthodoxe, version grecque ou éthiopienne, me paraissent totalement incompréhensibles; il est question d’hérésies, d’interprétations des textes saints…
J’ai de plus en plus de mal à faire la liaison entre toutes ces histoires. Après 300 pages de lecture laborieuse, je prends un autre livre, j’alterne roman policier et chapitre de Théodoros pour l’abandonner finalement. Je n’en suis pas fière. L’abandon est la défaite de la lectrice. Si le livre est mauvais, il est justifié . Ce n’est pas le cas de Theodoros, il est simplement trop copieux, j’ai perdu l’appétit.
A l’occasion de cet anniversaire ta d loi du ciné a lancé ce challenge auquel je m’associe volontiers. Jules Verne m’accompagne dans nombreux voyages. Comme je n’ai pas de voyage lointain en perspectives je retourne, en livre, en Roumanie où j’ai de très bons souvenirs.
Le Château des Carpathes , au premier abord est un roman gothique qui m’a fait penser à Walpole et son Château d’Otrante CLIC
Un château hanté, des villageois superstitieux, des légendes locales… et des assertions antisémites, il faut vraiment contextualiser et resituer l’œuvre dans l’époque où il a été publié (1892) où le lecteur friand de dépaysement était peut être moins susceptible. Ces paysans arriérés qui gobent les diableries ne sont plus de saison.
En revanche, au milieu du récit, un détour par Naplesva dérouter le lecteur. Et nous allons retrouver le Jules Verne de science-fiction, entre diablerie et technique sophistiquée. Mais je divulgâche…, je n’en dirai pas plus. Et le roman qui était plutôt mal parti m’a bien accrochée.
Catalin Dorian Florescu est né en Roumanie mais demeure depuis 1982 en Suisse, L’Homme qui apporte le Bonheur est traduit de l’Allemand, ce qui explique qu’il figure dans les Feuilles Allemandes comme le Turbulent Destin de Jacob Obertin que j’ai beaucoup apprécié.
Difficile de rédiger cette chronique : le roman offre des surprises et des rebondissements que je ne veux pas divulguer pour laisser au lecteur le plaisir de la découverte.
Deux histoires se mêlent : l’une d’elle commence la nuit de la Saint Sylvestre 1898 à New York et a pour héros « grand-père », un petit vendeur de journaux, cireur des rues, d’une dizaine d’années. L’autre se déroule dans le delta du Danube en 1919 et met en scène la « grand-mère » qui découvre sa grossesse et veut se protéger du diable en se confiant à une sorcière. Ces appellations de « grand-père » et « grand-mère » ont aiguisé ma curiosité et j’ai cherché pendant la moitié du roman qui pouvait donc être le (la ou les) narrateur(s). .
En Amérique, chaque immigrant, irlandais, italien ou juif, tente sa chance ; il est persuadé qu’il sera riche, célèbre, même si nombreux seront ceux qui seront refoulés ou qui ne survivront pas. Dans le Delta, la vie s’écoule au rythme du fleuve, on peut prendre des heures à contempler un héron . Ceux qui rêvent d’autre chose, rêvent d’Amérique.
Les deux histoires ont des points communs : le fleuve qui s’écoule et les journaux qui raconte la marche du monde. A New York, le crieur de journaux cherche le sensationnel tandis que Vania, le pêcheur lipovène, déchiffre les nouvelles vieilles de plusieurs années.
Quand? Comment ces deux histoires se rencontreront elles? Il faudra traverser un siècle, un continent, un océan et trois générations. Et même quand Ray et Elena se raconteront, il faudra du temps et de la patience.
Ton grand-père, Ray, n’a jamais rien su du monde de Vania ou de Leni, de cette région où l’on n’était qu’à un doigt de Dieu, mais aussi du diable. Il y aurait connu un silence qu’il ne pouvait guère s’imaginer dans la métropole. Une tout autre rumeur que celle de l’affairement urbain. Cela commençait par le son de râpe doux et sec des roseaux qui se frottent les uns aux autres, le claquement de bec des cigognes, et le bruissement des saules, des bouleaux et des frênes…
« Grand-père », lui a vécu dans les cris des rues, les spectacles des vaudevilles Newyorkais, dans les bobards et les bluffs :
Quand Betsy l’attira vers elle et lui demanda quel était son vrai nom, il répondit « Paddy », sans hésiter. Pour les Italiennes il était « Pasquale » et pour les Juives il était « Berl ». Ça lui était égal que les filles se doutent qu’il leur racontait des bobards, et les filles aussi, ç’avait l’air de leur être égal d’entendre des bobards. Raconter des craques était là péché véniel.
En plus des sortilèges et diableries du Delta, des décennies de communisme ont aussi retenu les paroles qu’Elena ne livre pas facilement :
Qui plus est, je ne sais pas raconter comme vous. Là d’où je viens c’était dangereux de raconter. On ne savait jamais qui pouvait vous entendre. Vous pouviez vous retrouver derrière les barreaux, à raconter des choses qu’il ne fallait pas. Ici en Amérique vous pouvez inventer ce que vous voulez, ça n’a aucune importance de toute manière.
Et le bonheur là dedans? Il vous faudra lire le livre, je ne spoilerai pas.
Et vous ne regretterez pas cette lecture. C’est un excellent roman!
Et si les paysages du Delta du Danube vous tentent, un film se joue actuellement sur les écrans Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, il a même été primé au Festival de Cannes. CLIC
La Petite Communiste qui ne souriait jamais c’est Nadia Comaneci qui obtint la note parfaite de 10.0 aux Jeux Olympiques de Montréal 1976 à 14 ans.
Lola Lafon rédige sa biographie en se basant sur différentes publications de Presse, y compris des rapports de la Securitate mais aussi avec des conversations avec l’ex-championne qui a quitté la Roumanie.
« Il était une fois une histoire, cette histoire-là dont j’envoie consciencieusement chacun des chapitres à celle qui en est l’actrice et la spectatrice. Elle note, juge, exige la révision de quelques passages ou applaudit. Elle tient ma main qui écrit son histoire, m’encourageant à croire et écrire… »
Cette lecture fait suite à celle de Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon qui a été un coup de cœur. J’avais envie de rester en sa compagnie et lire ce qu’elle avait à dire sur la Roumanie où elle a vécu jusqu’à l’âge de 12 ans.
C’est aussi une lecture d’actualité après le matraquage médiatique des Jeux Olympiques Paris 2024auquel il est impossible d’échapper.
Evidemment, les pirouettes et autres figures à la poutres, aux barres, au sol ne m’intéressent nullement. Ni même l’entrainement intensif, la fabrique des championnes repérées dès les petites classes (6 ans) , les régimes alimentaires, le bourrage de crâne psychologique pour faire une gagnante invincible.
En revanche, l’utilisation idéologique et géopolitique des icones sportives, de la « petite fée » m’a accrochée. La rivalité entre les gymnastes roumaines et les russes correspond à la volonté de Ceausescu de se distinguer de l’URSS. les différents boycotts aux JO de Los Angeles et de Moscou, rappel historique… Leçons d’histoire oubliée.
“Ce n’est pas que je veuille éviter de parler du boycott… Qu’est-ce que j’en savais, moi ? On se prépare pour les Jeux, on nous dit l’Ouest ne vient pas, car il y a la guerre en Afghanistan. De toute façon, à l’époque, les Américaines n’étaient pas des rivales dignes de ce nom, et en Roumanie, on n’avait besoin d’aucun événement supplémentaire pour détester les Russes. «
Bien sûr, la vie quotidienne en Roumanie est évoquée. Pauvreté, magasins vides, peur de la Securitate, mégalomanie du Conducator. Le pire de tout la « guerre contre les femmes », la police des menstruation. Quelle horreur. Nadia insiste, tout n’était pas négatif. Elle nuance.
Essayons de ne pas faire de ma vie ou de ces années-là un mauvais film simpliste. Bonne nuit à vous.”
La petite fée de 14 ans grandit, devient une femme, moins légère, moins désirable.
« Terminé le conte, terminée l’aventure, ne reste que ce chiffre : 1981. L’année où le Conducator décide que le sport ne sera plus une activité réservée à une élite (une “Fée” ?!) adorée des Occidentaux. »
La fin du livre raconte la chute, chute de la carrière de la « petite fée » et plus tard, chute du régime. Fuite de Nadia aux Etats Unis. La découverte du monde capitaliste n’est pas celle d’un paradis.
« on paye les gens pour qu’ils achètent”, […]
« dégoût de cet amoncellement absurde, me corrige-t-elle. La tristesse de se sentir envahie de désir devant tant de riens. “Chez nous, on n’avait rien à désirer. Et chez vous, on est constamment sommés de désirer.”
Moins glamour, la deuxième partie est tout à fait intéressante et nous apprend beaucoup sur la fin du régime communiste.
Un écrivain passe une nuit dans le musée de son choix et rédige un texte pour cette collection. J’ai découvert « ma nuit au musée » avec Leila Slimani et Le parfum des fleurs la nuit.
Lola Lafon a choisi de passer une nuit à l’Annexe du Musée Anne Frank à Amsterdam, dans le grenier où sa famille était cachée pendant deux ans. Ce choix n’est pas fortuit.
« Lorsqu’il m’a été proposé de passer une nuit dans le musée de mon choix, à aucun moment je n’ai envisagé
de me rendre dans un musée d’art. Je les visite avec plaisir mais je ne me sens pas légitime à donner mon
avis sur ce qui y est exposé. »
Comme les collégiens ou lycéens, Lola Lafon, a lu Le Journal d’Anne Frank pendant son adolescence. Mais elle se sent personnellement concernée, comme enfant de survivants de la Shoah, elle se sent personnellement concernée. Sa grand-mère,
Ida Goldman m’a offert une médaille frappée du portrait d’Anne Frank.[…] Cette médaille m’expliqua ma grand-mère, il me faudrait toujours la conserver. N’oublie pas.
Quand tu écouteras cette chanson nous parle d’Anne Frank,d’une petite jeune fille qui écrit son journal comme tant de filles, comme Lola Lafon, elle-même. Mais une universitaire qui l’a étudié nous apprend qu’Anne Frank avait prêté un soin particulier l’écriture, en tant que texte littéraire destiné à être lu (sinon publié). Miep Gies, une de ses bienfaitrices, connaissait son importance et a conservé avec soin le manuscrit.
Anne Frank entend, sur Radio Oranje, une annonce du ministre de l’Éducation des Pays-Bas en exil à Londres. Il demande aux Hollandais de conserver leurs lettres, leurs journaux intimes : après guerre, ces écrits seront autant de témoignages précieux. Cette déclaration la galvanise, elle s’enthousiasme, en parle à son père : son journal pourrait être publié, un jour.
Lola Lafon nous parle aussi du Musée, des traces qui donnent à voir l’absence
Tout, ici, se veut plus vrai que vrai or tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement
obsédant, strident.
Lola Lafon nous parle d’elle, de ses grands parents qui ont choisi la France des Droits de l’Homme, de Jaurès, mais qui subirent l’occupation nazie. Elle raconte son enfance en Roumanie et son arrivée à Paris à 12 ans, puis ses débuts en écriture.
Sa confrontation avec l’Annexe où étaient cachés les Frank n’était pas facile. L’écrivaine a attendu le dernier moment pour pénétrer dans la chambre d’Anne Frank. Et pour la lectrice, une surprise que je vous laisse découvrir.
Albert Londres est peut être le plus célèbre des journalistes. Journaliste d’investigation, il entreprend des reportages au long court. Le Juif errant est arrivé est composé de 27 chapitres correspondant à un long voyage à travers l’Europe, de Londres jusqu’en Palestine. Courts chapitres très vivants, amusants, au plus proche du sujet traité. 95 ans, reste-t-il d’actualité?
« pour le tour des Juifs, et j’allais d’abord tirer mon chapeau à Whitechapel. Je verrais Prague, Mukacevo, Oradea Mare, Kichinev, Cernauti, Lemberg, Cracovie, Varsovie, Vilno, Lodz, l’Égypte et la Palestine, le passé et l’avenir, allant des Carpathes au mont des Oliviers, de la Vistule au lac de Tibériade, des rabbins sorciers au maire de Tel-Aviv
La première étape : Londres où arrivent les Juifs de l’Est, émigrants ou « rabbi se rendant à LOndres recueillir des haloukah(aumônes)
pourquoi commencer le reportage à Londres? Parce que, voici 11 ans l’Angleterre s’est engagée par la Déclaration Balfour :
: « Juifs, l’Angleterre, touchée par votre détresse,
soucieuse de ne pas laisser une autre grande nation s’établir sur l’un des côtés du canal de Suez, a décidé de vous envoyer en Palestine, en une terre qui, grâce à vous, lui reviendra. »
A Londres, le journaliste rencontre toutes sortes de Juifs, dans l’East End, les Juifs fuyant les persécutions d’Europe Orientale, des rabbins, des sionistes, des Juifs qui ont réussi, se sont enrichis, ont déménagé dans l’Ouest.. Londres remarque le portrait de Théodore Herzl en bonne place. Sont-ils sionistes?
Théodore Herzl, journaliste à Paris, écrivain à succès. quand éclata en 1894 l’Affaire Dreyfus
Le cri de « Mort aux Juifs ! » fut un éclair sur son âme. Il bloqua son train. « Moi aussi, se dit-il, je suis Juif. »
Il fit un livre « L’Etat Juif »puis partit en croisade, se précipita chez les banquiers juifs, puis lança l’appel d’un Congrès Universel mais fut dénoncé par les rabbins comme faux Messie. Il gagna Constantinople pour obtenir la cession de la Palestine par le sultan, puis il s’adressa à Guillaume II à Berlin, puis en Russie tandis que Chamberlain lui fit une proposition africaine.
Cependant :
» Était-ce bien le pays d’Abraham ? Je pose cette question parce qu’elle est de la
plus brillante actualité. Depuis la conférence de San-Remo, en 1920 (après Jésus-Christ), où le conseil suprême des alliés donna mandat à l’Angleterre de créer un « foyer national juif » en Palestine, les Arabes ne cessent de crier à l’imposture. Ils nient que la Palestine soit le berceau des Juifs. »
Londres n’oublie pas les Arabes.
Après ces préambules, le voyage continue à l’Est : Prague,
« Prague, sous la neige, est une si jolie dame ! J’y venais saluer le cimetière juif et la synagogue. Ils représentent, en Europe, les plus vieux témoins de la vie d’Israël. À l’entrée des pays de ghettos, ils sont les deux grandes bornes de la voie messianique d’Occident. Ce n’est pas un cimetière, mais une levée en masse de dalles funéraires, une bousculade de pierres et de tombeaux. On y voit les Juifs – je veux dire qu’on les devine – s’écrasant les pieds, s’étouffant, pour se faire, non plus une place au soleil, mais un trou sous terre. »
[…] « a le Christ du pont Charles-IV aussi. C’est le troisième témoin de l’ancienne vie juive de Prague. C’était en 1692. Un Juif qui traversait la Voltava cracha sur Jésus en croix. »
presque du tourisme?
pas vraiment parce que dans les Carpathes, il va rencontrer la misère noire, la peur des pogromes, la faim
« Abraham, sont-ce là tes enfants ? Et ce n’est que Mukacevo ! Que cachent les ravins et les crêtes des Carpathes ? Qui leur a indiqué le chemin de ce pays ? Quel ange de la nuit les a conduits ici ? La détresse ou la peur ? Les deux. Ils fuyaient de Moravie, de la Petite Pologne, de la Russie. Les uns dans l’ancien temps, les autres dans les nouveaux, chassés par la loi, la faim, le massacre. Quand on n’a pas de patrie et qu’un pays vous repousse, où va- t-on ? »
A partir de Prague, la lectrice du XXIème siècle va peiner avec la géographie, les frontières ont beaucoup dérivé depuis le Traité de Versailles. La Tchécoslovaquie, de Masaryk a donné des droits aux Juifs mais certaines communautés sont tellement pauvres et arriérées que seuls certains s’occidentalisent. La Pologne a institutionalisé l’antisémitisme.
Les trois millions et demi de Juifs paient quarante pour cent des impôts et pour un budget de plus de trois
milliards de zloty, un os de cent mille zloty seulement est jeté à Israël. Un Juif ne peut faire partie ni de
l’administration, ni de l’armée, ni de l’université. Comme le peuple est chassé des emplois, l’ouvrier de l’usine, l’intellectuel est éloigné des grades. Pourquoi cela ? Parce que le gouvernement polonais n’a plus de force dès qu’il s’agit de résoudre les questions juives, la haine héréditaire de la nation emportant tout. Les Juifs de Pologne sont revenus aux plus mauvaises heures de leur captivité. †
Les bolcheviks « protègent » leurs juifs après les pogromes effrayants de Petlioura en Ukraine.
Albert Londres visite partout, les taudis, les cours des rabbins miraculeux. Il se fait un ami colporteur qui l’introduira dans l’intimité des maisons où un journaliste ne serait pas admis. Dans le froid glacial leur périple est une véritable aventure. Les conditions dans lesquelles vivent les plus pauvres sont insoutenables. Seule solution : l’émigration . En Bucovine, (actuellement Ukraine) loin de toute mer, les agences de voyages maritimes prospèrent :
La misère a créé ici, ces Birou di Voïag. Les terres qui ne payent pas remplissent les bateaux.
Le clou, c’était que les Birou di Voïag ne chômaient pas. La foule, sous le froid, attendait à leurs portes comme les passionnés de Manon sur le trottoir de l’Opéra-Comique.
Et après toute cette misère, il rencontre un pionnier de Palestine, sioniste, décidé, revenu convaincre ses coreligionnaires
Qu’êtes-vous venu faire ici, monsieur Fisher ? — Je suis venu montrer ces choses aux jeunes. Israël a fait un miracle, un miracle qui se voit, qui se touche. Je suis une des voix du miracle. Il faudrait des Palestiniens dans tous les coins du monde où geignent les Juifs. Alter Fisher, le pionnier, n’était pas né en Bessarabie, mais en Ukraine. L’année 1919 il avait dix-huit ans.
cette époque j’étais un juif-volaille. Les poulets, les canards, on les laisse vivre autour des fermes. Puis, un beau jour, on les attrape, et, sans se cacher, on les saigne. Le sang répandu ne retombe sur personne. L’opération est légale. En Palestine on m’a d’abord appris à me tenir droit. Tiens-toi droit, Ben ! »
La solution? Pas pour les juifs orthodoxes. Avant de partir pour la Palestine, Londres fait un long détour par Varsovieoù il visitera « l’usine à rabbins » et la cour d’un rabbin miraculeux d’où il rapporte des récits pittoresques d’un monde qui va disparaître (mais Albert Londres ne le sait pas). Pittoresques, dépaysants, très noires descriptions mais les écrivains comme Isaac Bashevis Singer en donnent une vision plus humaine.
Le voyage de Londres continue en Palestine où il découvre la ville moderne Tel Aviv, l’enthousiasme des pionniers
On vit une magnifique chose : l’idéal prenant le pas sur l’intérêt. les Juifs, les Jeunes Juifs de Palestine faisaient au milieu des peuples, honneur à l’humanité.
Ils arrivaient le feu à l’âme. Dix mille, vingt mille, cinquante mille. Ils étaient la dernière illustration des grands mouvements d’idées à travers l’histoire….
Ce serait un conte de fées si le pays n’était pas peuplé d’Arabes réclamant aussi la construction d’un foyer
Admettons. Nous sommes sept cent mille ici, n’est-ce pas ? On peut dire, je crois, que nous formons un foyer national. Comme récompense, lord Balfour nous envoie les Juifs pour y former également un foyer national. Un foyer national dans un autre foyer national, c’est la guerre !
!… De nous traiter en indigènes !… Voyons ! le monde ignore-t-il qu’il y a sept cent mille Arabes ici ?… Si vous voulez faire ce que vous avez fait en Amérique, ne vous gênez pas, tuez-nous comme vous avez tué les Indiens et installez-vous !… Nous accusons l’Angleterre ! Nous accusons la France !…
Albert Londres pointe ici les guerres à venir. D’ailleurs les émeutes sanglantes ne tardent pas. En été 1929, les massacres se déroulent et préludent à toute une série qui n’est toujours pas close.
Et le Juif Errant?
Plaçons donc la question juive où elle est : en Pologne, en Russie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en Hongrie. Là, erre le Juif errant.
Une nouvelle Terre Promise, non plus la vieille, toute grise, de Moïse, mais une Terre Promise moderne, en couleur, couleur de l’Union Jack ! Le Juif errant est tombé en arrêt. Qu’il était beau,
C’est donc une lecture vivante, agréable, presque amusante qui, dès 1929 anticipe la suite de l’histoire.
Constantin Brancusi (1876 – 1957) est arrivé à pied de Roumanie en 1904 mais il a travaillé à Paris et a légué son atelier à la France. On pouvait le visiter jusqu’à très récemment au pied du Musée Pompidou, sur l’esplanade de Beaubourg. Brancusi est chez lui!
Portrait de Brancusi par Kokoschka
Je connaissais ses colonnes sans fin je me souvenais de ces tabourets de bois brut, les outils pour travailler le bois de son atelier
Atelier de Brancusi
Il considérait son atelier comme une œuvre d’art : quand il vendait une œuvre, il la remplaçait par un plâtre identique ou une copie pour ne pas modifier l’ensemble. J’imaginais donc une œuvre plutôt brute, avec le travail du bois rappelant les magnifiques portails des fermes roumaines ou les églises de bois que j’ai beaucoup aimés.
Petite fille française, les premiers pas
les sculptures présentées ici me réservent des surprises et l’ensemble des travaux de Brancusi sont beaucoup plus variés que je ne l’imaginais. Contraste entre les 3 coqs blancs qui symbolisent la blancheur de l’atelier soulignée par les visiteurs
3 coqs blancs
A peine avons-nous quitté cette clarté, cette blancheur que nous découvrons la Muse endormie, qui contraste avec la blancheur mate, par son éblouissant poli. Difficile de faire une photo de la muse qui reflète les passants et la lumière des spots. La photo sera ratée! Ovale très doux à côté des pointes aigües. D’une douceur infinie!
idole cycladique et corps féminin
Duelles, des sculptures se confrontent deux à deux. Les marbres du Sommeil de Rodin et celui de Brancusi qui préfigure la muse endormie. Brancusi a travaillé dans l’atelier de Rodin. Se font face une tête d’Aphrodite hellénistique et le torse d’une jeune fille. La tête ibérique associée à la Danaïde fur volée et donnée à Picasso
Tête ibérique et danaïde
Autre duo, autres influences : Gauguin
Gauguin/Brancusi
Et bien entendu, la statuaire africaine, comme Picasso, Brancusi visitait le Musée du Trocadéro.
L’enfant endormi et les stylisations
la salle suivante présente des documents originaux : diplômes roumains, photographies de familles et correspondance de Brancusi avec Cendrars, Picabia; Arp, Tsara, Fernand Léger, Duchamp… Démêlés avec la justice américaine à propos des oiseauxque la douane américaine voulait taxer sans reconnaître leur statut d’œuvre d’art
les oiseaux prêts à s’envoler sur les toits de Paris
Scandale de la Princesse X,vierge ou verge? Elle a choqué et fut retirée du Salon des Indépendants. Une statue masculine ressemble plutôt à un nu féminin. Confusion des genres?
Portraits de femmes
j’ai beaucoup aimé ces portraits de femmes et les oiseaux.
oiseau doré
Diversité des sujets, portraits de ses amis, aussi des animaux. Des phoques, une tortue, des coqs, photographie de ses chiens. Brancusi était aussi photographe….
Et que dire de Léda – cygne?- sur un piédestal tournant dans une salle obscure circulaire où les visiteurs peuvent s’asseoir sur les bancs et méditer, se reposer, rêver devant la statue tournante.
On ne fera pas l’impasse devant les colonnes sans fin et la porte des baisers qu’il a installé dans sa ville
« Les juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d’exportation », assénait Ceausescu à son cher Pacepa.
Brauner : Débris d’une Construction d’Utilité
Sonia Devillers, journaliste à France-Inter et Arte, raconte l’histoire de sa famille maternelle, juifs roumains « exportés » par le régime de Ceausescu.
» L’argent, tout l’argent des familles roumaines qui
voulaient s’enfuir, les douze mille dollars que mes grands-parents mettraient une vie à rembourser, avait servi à acheter des porcs. Des bataillons de porcs, des élevages entiers de porcs. »
« Non content de ramener la valeur de la vie humaine d’un citoyen juif à celles d’animaux d’élevage, le régime avait choisi, entre tous, le porc, l’animal de l’interdit rituel par excellence. Dans la culture populaire, c’est même ce qui caractérisait le juif, désigné comme celui qui ne mange pas de porc. »
Ce troc final, monstrueux, qui a permis aux grands parents de Sonia Devillers de quitter la Roumanie et de s’installer à Paris, est resté caché dans le roman familial et ce n’est qu’après la disparition des témoins oculaires que la journaliste s’est lancée dans l’enquête de l’histoire familiale depuis les années 30 au départ au début des années 60.
L’histoire des Juifs roumains, des persécutions, des pogroms de Bucarest et de Iasi, la déportation en Transnistrie a fait l’objet de plusieurs livres que j’ai lus précédemment : entre autres (je ne peux pas les citer tous)
Athénée Palace de Rosie WaldeckJif Silberstein
Eugenia de Lionel Duroy
Struma 72 de drame pour 769 juifs au large d’Istanbulde Halit Kakinç
les voix de Iaside Jil Silberstein
Les Oxenberg & les Bernestein de Catalin Mihuleac
Les livres d’Apelfeld, de Norman Manea et tant d’autres….et le Journal de Mihail Sebastian … traitent de cette histoire.
Cependant ce trafic ignoble est une nouveauté pour moi. Aussi intéressante la manière dont certains juifs ont feint d’ignorer le problème, même dans les conditions les plus dramatiques, ils ont continué à se figurer que la situation était vivable, à faire de la musique. Avec la fin de la guerre, ils ont imaginé qu’une autre vie était possible, ils ont changé de nom, abandonné Greenberg juif pour Deleanu qui sonnait roumain
Les communistes promettaient une société égalitaire, sans distinction de race, de classe, de religion, sans
discrimination aucune. Des camarades, seulement des camarades et des camarades ensemble. Triomphe du
« genre humain ». Mes grands-parents y crurent de toutes leurs forces. Adhérer au Parti, c’était la chance de se réinventer une histoire. Au point d’aller chercher leur nom dans une fiction.
Au sein du Parti, au début tout leur souriait jusqu’à ce que l’antisémitisme ne réapparaisse. Dénonciations, ou jalousie, ils sont exclus. Pestiférés, il ne reste plus qu’à quitter la Roumanie. Et c’est là que le troc Juif contre devises, ou juif contre bétail ou porc sous l’initiative d’un passeur, basé au Royaume Uni, accessoirement marchand de bestiaux, de matériel agricole, a permis le transfert…
Pour ce mois de mars 2023, j’ai pris un peu d’avance dans mes lectures puisque nous serons aux Antilles.
« Notre Conducator – notre lumière divine,/Source nourricière prenant ses eaux/De Maramures et de Bucovine/ Grand timonier, chêne majestueux », Nana s’applique à appuyer sur les mots »
J’ai découvert deux livres roumains récents Comme si de rien n’était de Alina Nelega et Iochka de Christian Fulas. L’action dans les deux ouvrages se déroule pendant l’ère Ceausescu en Transylvanie. Il m’a semblé que Comme si de rien n’était était le pendant féminin de Iochka qui mettait en scène des hommes isolés dans une vallée sauvage, très portés sur la boisson tandis que leurs fantasmes sexuels portaient sur une notion très primaire de la femme, putain, mère ou sainte ; ce qui m’avait un peu énervée.
Que vienne le temps des varices et des poils sur le visage pour que personne ne s’excite plus en voyant ses seins
tombants – là elle sera enfin libre et moche. Mais elle ne sera toujours qu’une femme, objet digne de mépris
parce que les femmes n’ont pas le droit d’être moches, seuls les hommes peuvent puer,
« Voyons, les femmes n’ont pas accès à la fierté, à l’honneur et au courage, elles doivent être juste sensibles, délicates et vulnérables, autrement ce ne sont pas des femmes mais des hommes, et ça c’est pas permis, elles sont élevées pour pleurer et pleurnicher, pour demander aide et protection, pour montrer leurs émotions tandis qu’eux, ces braves et honorables individus, eux ils ont le droit de se soûler au lieu de pleurer et peuvent même, à la limite, donner des coups de poing pour se défouler. »
Au contraire Comme si de rien n’étaitest une histoire d’amour lesbien. Depuisle lycée, en 1979, Nina et Cristina s’aiment. Elles font du théâtre. Nina vient d’un milieu privilégié, sa mère est journaliste et son père architecte. Cristina est la fille d’un officier tankiste et d’une enseignante et vit sur pied beaucoup plus modeste. L’année suivante Nana sera prise dans les études de théâtre à Bucarest tandis que Cristina poursuivra des études de lettres se marie à Radu, le frère de Nana, accouche d’un fils. . Si Nana réussit sa carrière d’actrice, la vie est plus dure pour Cristina professeur de roumain dans un collège provincial qui doit batailler pour se nourrir convenablement et ne pas dévier de la ligne et du conformisme du Parti.
« Alors la conscience de Parti elle connaît – donc le type a pas envie de la piquer, ni de la violer, ni de la manger,
il veut juste qu’elle lui prête son studio l’après-midi et le soir pendant deux semaines pour pouvoir surveiller des activités suspectes dans son immeuble, son couloir et l’étage du dessus. »
Un chapitre Le Poulet montre toutes les difficultés pour échapper à la faim et à la surveillance de la Securitate. Elle se trouve, plus tard, mêlée à un incident qui lui vaut des ennuis avec les autorités : elle doit se soumettre à l' »organe«
« Organes internes, organes génitaux, organes des sens – et à côté de ça, il y en a un autre, un Organe qui est au- dessus de tous les autres qui contrôle le foie, l’estomac, le cerveau – les cerveaux lui sont tous subordonnés, il faut obéir à l’Organe, aux ordres de l’Organe, l’Organe tout-puissant, le plus fort, qui décide de tout, l’Organe vous voit, l’Organe vous entend, l’Organe vous protège et il vous punit si vous avez fauté, l’homme a besoin de l’Organe, l’homme n’est pas seul dans l’univers, l’Organe est partout, comme le vent et la pluie, on ne peut pas lui résister, on ne discute pas avec l’Organe »
Après bien des péripéties, les deux amies se retrouvent, partent en vacances ensemble mais la vie n’est pas facile. Cristina ne rédige pas le livre qu’elle a commencé depuis l’adolescence, elle ne peut pas assumer toute la vérité et la médiocrité de son existence et finalement se brouille d’avec Nana.
Nana , lors d’une tournée en Serbie de sa compagnie va passer à l’Ouest. le roman se termine avec la chute du mur de Berlin, on connait la suite en Roumanie. Se retrouveront elles?
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le témoignage d’une femme sur le quotidien de la vie en Roumanie au temps des Ceausescu. Témoignage politique mais surtout regard de femmes sur la vie quotidienne dans les privations matérielles et de liberté. Comment faire quand surviennent les règles en voyage et que le coton est introuvable? Comment faire quand envoyer un simple télégramme à sa voisine lui demandant de « vider la poubelle » parait à la postière un message subversif?
Un roman historique ou un « tombeau« pour les 769 Juifs morts noyés le 24 février 1942 sur le Struma, épave transportant des Juifs roumains fuyant les persécutions en Roumanie qui devait les conduire de Constançaen Palestine. Véritable épave flottante, au moteur en panne rafistolé, le Struma est arrivé à rallier Istanbul où on lui a imposé une quarantaine. La Turquie – en principe neutre – a refusé le débarquement aux passagers sous les injonctions des Britannique, des Allemands et a laissé pourrir la situation pour enfin remorquer le navire en Mer Noire où il a été torpillé par la marine soviétique.
Roman, parce que l’auteur, Halit Kakinç, journaliste et écrivain, a essayé de faire « revivre » un certain nombre de personnages. Roman historique écrit après de nombreuses recherches , préfacé par Esther Benbassa, historienne et directrice d’études à la Sorbonne, sénatrice EELV.
Ce livre est de lecture facile et instructive fait revivre ces épisodes tragiques récurrents comme l’odyssée du Saint Louis (1939) qui a quitté Hambourg pour rejoindre La Havane contraint de retourner en Allemagne, celui du Patria coulé à Haïfa en 1940, Exodus(1947), et tant d’autres moins fameux, peut être…
« Ce roman historique nous rappelle avec pudeur et dignité le sort des réfugiés en 1941. D’autres aujourd’hui, perdent la vie en route, sombrant avec leurs espoirs, sans que beaucoup s’en émeuvent vraiment »
Esther Benbassa
Je remercie les Editions Turquoise de l’envoi de ce joli livre .