Au réveil, la tempête souffle. Les caroubiers, les oliviers secouent leur ramure. Le petit citronnier aurait perdu ses citrons s’il n’était pas protégé par l’olivier. Un arbuste décoratif que je n’identifie pas a même été étêté. Les pots de géraniums ont roulé sur la place. Le ciel est bien gris. Une pluie drue accompagne la bourrasque.
Au jour, nous découvrons le paysage montagneux. Le village d’Arolithos a été transformé en hôtel. Les plaques des rues sont pentes de couleurs vives.
Dans la salle à manger (environ 150 couverts) une fresque naïve se déploie au dessus de l’estrade des musiciens : au centre un village est dessiné, maisons blanches toits rouges, un couple arrive à cheval précédé des musiciens et du pope sur une mule noire. Un drapeau Crétois ( ?) croix blanche sur fond bleu, c’est une noce que le village en liesse accueille. Des hommes tirent en l’air au pistolet. Des femmes en noir cuisinent dans d’énormes chaudrons. A gauche, un homme tire, son cheval se cabre.
Il m’a plu que le ferry qui m’a transporté autrefois en Crète soit nommé Kazantzakis et que l’aéroport où j’ai débarqué soit aussi au nom de l’écrivain.
J’aime prendre un écrivain pour guide en voyage, lui laissant le soin de me décrire avec des mots choisis les paysages et les villes que je visite , remplir de personnages les rues ou les campagnes alors que je n’oserais pas aborder les inconnus.
La Lettre au Gréco est une autobiographie qui s’attache plutôt au parcours intellectuel et spirituel de l’auteur qu’à des anecdotes précises. l’ayant découverte récemment – il y a plus d’une dizaine d’années quand même – mon opinion n’a pas varié – j’ai retrouvé avec plaisir les paysages de son enfance et de sa jeunesse. Certains épisodes que j’avais lus distraitement m’ont plus intéressés : sa rencontre avec Panaït Istrati et leur voyage en Russie : j’ai trouvé récemment sur la Toile un travail universitaire de l’Université de Salonique racontant leurs rapports . J’avais oublié sa visite au Monastère Sainte Catherine du Sinaï – coïncidence : au Musée Historique d’Héraklion se trouve le petit tableau du Gréco représentant ce monastère et j’ai eu le plaisir de voir le tableau alors que le matin même je lisais le texte.
Si je m’étais attachée alors, à Kazantzakis, grand voyageur, à ses rencontres, à son parcours spirituel, je n’avais pas souvenir des passages où il aborde la création littéraire, l’écriture d’Alexis Zorba, dans le chapitre intitulé:
LA SEMENCE GERME EN MOI
« Le mythe de Zorba a commencé de cristalliser en moi. Au début c’est un bouleversement musical, comme si mon sang s’était mis à battre plus vite dans mes artères. je sentais en moi une fièvre et un étourdissement, un mélange indéfinissable de plaisir et de dégoût, comme si un corps étranger, indésirable était entré dans mon corps….. »
Cette rédaction fut un processus long, difficile. Plus loin il écrit:
« je m’efforçais en vain de trouver le langage simple sans ornements, chatoyants qui ne surchargerait pas de trop de richesses et qui ne défigurerait pas mon émotion. »
[….] je me suis interrompu: j’ai compris que le moment n’était pas encore venu. La métamorphose secrète de la semence n’était pas encore achevée…. »
Son ami disparu lui a inspiré des lignes qui ont dû lui paraître essentielles puisque je les ai retrouvées presque mot à mot dans le second ouvrage:
« Je me suis rappelé que j’avais un jour arraché du tronc d’un olivier, une chrysalide et que je l’avais posée dans le creux de ma main. Sous sa peau diaphane j’avais senti une chose vivante qui remuait ; le travail secret devait toucher à sa fin et le future papillon encore prisonnier attendait en tremblant doucement que vienne l’heure sainte d’apparaître au soleil. Il ne se pressait pas, il avait confiance dans la lumière, dans l’air tiède, dans la loi éternelle de Dieu, il attendait;
Mais moi n’étais pressé. je voulais voir éclore un peu plus tôt le miracle : la chair surgir de son tombeau et de son linceul et devenir âme, papillon. je m’étais mis )à souffler sur elle mon haleine chaude. Et voilà que bientôt une déchirure s’était faite sur le dos de la chrysalide, que peu à peu le linceul s’était fendu jusqu’en bas et que j’ai vu apparaître étroitement ligoté, les ailes repliées, les pattes collées au ventre, encore imparfait, un papillon tout vert. Il frémissait légèrement et prenait vie sous mon haleine. une aile s’était détachée du corps […] Et moi avec l’impudence de l’homme, penché sur elles, je soufflais mon haleine chaude, mais les ailes avortées s’étaient immobilisées, et étaient retombées flétries.
L’angoisse m’avait saisi : dans ma hâte, en osant violer une loi éternelle, j’avais tué le papillon; ce que je tenais dans ma main n’était plus qu’un cadavre. Des années et des années ont passé, mais depuis le petit cadavre pèse sur ma conscience. »
Il m’a semblé urgent de relire Alexis Zorba!
J’ai ouvert avec appréhension Zorba dont j’avais un souvenir ébloui. La magie allait-elle opérer à nouveau?
J’ai douté, Ce vieux lubrique, Cette vie patriarcale où les femmes sont oubliées au mieux,si ce n’est pas méprisées, ou pire, comme la belle veuve, est-ce que je vais laisser passer cela?
C’est un hymne à l’amitié, à la Crète, à la Grèce et à la vie toute entière. L’humanité de Zorba est tellement magnifique et généreuse, qu’il est impossible de mégoter. Jamais de mesquinerie. La faiblesse humaine,de ce ver, de cette limace, il la reconnait, il en rit, il l’efface avec le vin, la danse et la musique.
La beauté de la mer, du printemps, du parfum de la fleur d’oranger, il l’exalte, ouvre ses yeux comme s’il la découvrait chaque jour.
Non-voyage : les nuages ont masqué les Alpes, Venise, la côte Croate et ses îles. J’attendais Santorin . Rien. A l’approche de la Crète, l’avion a plongé dans le brouillard. Au dernier moment, la côte crétoise s’est dévoilée, les montagnes encore enneigées. Survol des vergers, orangeraies, cultures sous plastique, gros complexes hôteliers aussi.
Il me plait que l’aéroport s’appelle Nikos Kazantzakis. La Lettre au Gréco, son autobiographie, est dans la valise.
Notre hôtel Arolithos, est à côté de Tylissos.
New Road, direction Rethymnon. Sortir à Gazi et prendre à gauche vers l’intérieur.
Nous loupons la sortie annoncée quelques mètres avant seulement. On prend la suivante et on grimpe au juger. Je branche le GPS : il ignore la Grèce. Nous l’aurons emporté pour rien !
La route serpente dans la montagne entaillée de carrières. Une arche éclairée au néon bleu souligne l’entrée de l’Hôtel. Des petites maisons de pierres aux arches arrondies, des marches soulignées de chaux blanche, des grenadiers et surtout des orangers en fleurs qui embaument.
Le réceptionniste écoute les liturgies du Vendredi saint à la télévision, la bougie qui brûle devant le poste, son visage encadré par une fine barbe et des cheveux longs, lui donnent un air ecclésiastique. Accueil en Grec, c’est sympa cela change du globish international.
Il y a un perroquet comme dans l’auberge d’Hortense dans Zorba le Grec !
19 marches raides mènent au balcon. Notre chambre est au bout. Une vieille clé ouvre la porte de bois. La pièce est très grande, les murs roses, les meubles paysans simple de bois foncé, paysans. La belle cheminée d’angle arrondie, à l’âtre surélevé, paraît être fonctionnelle. Petite télé sur le frigo blanc sans façon. Pour décoration, des broderies, au dessus de la cheminée et une nappe sous verre. Le sol est dallé de belle pierres grises, luisantes, aux formes irrégulières.
notre chambre N°1
Le restaurant est une grande salle prévue pour les groupes ou les cérémonies familiales. Une estrade accueille des musiciens et des danseurs. Les longues tables sont disposées comme pour un banquet. Un menu spécial est prévu pour Vendredi Saint : haricots noirs ou lentilles, escargots, pieuvre grillée, crevettes et pour dessert, des fruits frais (20€). A cette heure tardive nous n’avons pas envie d’un repas complet. Je discute avec le patron : une salade grecque et de la pieuvre suffiraient. Pour 20€ avons aussi une carafe de vin blanc, un assortiment de pains, biscottes, croutons au sésame et au pavot, une pomme et une orange.