Le cœur à rire et à pleurer – Souvenir de mon enfance – Maryse Condé

GUADELOUPE

LECTURE COMMUNE Pour rendre hommage à Maryse Condé qui nous a quitté récemment, je propose une lecture commune de son œuvre. récapitulation le 23 mai, chacun.e peut choisir de lire un ou plusieurs livre. 

Dans cet ouvrage, Maryse Condé nous raconte son enfance à Pointe-à-Pitre De sa naissance, en temps de carnaval : 

« Quand les premiers coups de gwoka firent trembler les piliers du ciel;, comme si elle n’attendait que ce signal-là, ma mère perdit les eaux »

jusqu’à son départ pour la classe d’hypokhâgne à Paris et ses études à la Sorbonne.

Comment devient-on écrivaine? Ce récit d’apprentissage ne répond pas vraiment à cette question.

Dernière née d’une fratrie de 8, Maryse grandit dans une famille de fonctionnaires, sa mère est institutrice

« Dans notre milieu, toutes les mères travaillaient, et c’était leur grande fierté. Elles étaient pour la plupart
institutrices et ressentaient le plus vif mépris pour les tâches manuelles »

Son père, âgé est un ancien fonctionnaire. Ses parents font partie d’une certaine élite privilégiée. Ils font régulièrement le voyage en Métropole où ils se sentent parfaitement intégrés. Maryse est bonne élève à l’école bien fréquentée. On ne la laisse pas rencontrer les enfants de classe sociale inférieure. Elle parle le « Français de France », et non pas le créole. Deux incidents lui font prendre conscience de la « Lutte de classe » (comme est intitulé le troisième chapitre) quand elle se trouve persécutée par un petit garçon inconnu, qui veut venger sa bonne, injustement renvoyée. L’autre incident concerne une petite blondinette au nom aristocratique de Anne-Marie de Surville, rencontrée au jardin public, qui, sous prétexte de jeux va la battre :

« je ne veux plus que tu me donnes des coups. Elle ricana et m’allongea une vicieuse bourrade au creux de
l’estomac : — Je dois te donner des coups parce que tu es une négresse. »

Santino, son grand frère, rebelle lui déclare que leurs parents sont « aliénés ». 

Cette notion d’aliénation est au centre des réflexions de Maryse

« Une personne aliénée est une personne qui cherche à être ce qu’elle ne peut pas être parce qu’elle n’aime pas
être ce qu’elle est. À deux heures du matin, au moment de prendre sommeil, je me fis le serment confus de ne
jamais devenir une aliénée. »

« Mes parents étaient-ils des aliénés ? Sûr et certain, ils n’éprouvaient aucun orgueil de leur héritage africain. Ils l’ignoraient. »

« Comme ma mère, il (son père) était convaincu que seule, la culture occidentale vaut la peine d’exister et il se montrait reconnaissant envers la France qui leur avait permis de l’obtenir. »

Ce n’est que beaucoup plus tard, étudiante à Paris, qu’elle cherche à connaître les écrivains antillais  sous l’instigation d’un professeur communiste, Joseph Zobel et Aimé Césaire

« Aux yeux de ce professeur communiste, aux yeux de la classe tout entière, les vraies Antilles, c’étaient celles
que j’étais coupable de ne pas connaître. Je commençai par me révolter en pensant que l’identité est comme un
vêtement qu’il faut enfiler bon gré, mal gré, qu’il vous siée ou non. Puis, je cédai à la pression et enfilai la
défroque qui m’était offerte. »

En conclusion de cette expérience:

« J’étais « peau noire, masque blanc » et c’est pour moi que Frantz Fanon allait écrire. » 

 

La bonne élève ne fera pas les brillantes études à Fénelon ni même à la Sorbonne, elle rencontrera des étudiants haïtiens et africains et se consacrera plutôt au militantisme politique. 

Elle est pourtant très jeune consciente de sa capacité à toucher avec ses écrits : un texte écrit pour sa mère, lu le jour de son anniversaire, la  touche tellement _ pourtant femmes forte – jusqu’aux larmes. Elle regrettera de l’avoir fait pleurer mais mesurera le pouvoir des mots. Premier exercice de l’écrivaine?

J’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a fait connaître l’auteure, bien différente de ce que j’avais imaginé à la lecture de Traversée de la mangrove ou Moi, Tituba sorcière qui mettaient en scène des esclaves ou descendants d’esclaves dans un monde de contes et de sorcellerie. 

Une grande dame nous a quittés : Maryse Condé, et si on la relisait?

LECTURE COMMUNE :

Son portrait présidait en majesté sur le Centre des Arts de Pointe-à-Pitre en ruine, squatté par des artistes, des graffeurs, des musiciens. 

Sa Traversée de la Mangrove et Moi, Tituba, sorcière m’avaient servi d’introduction à notre voyage en Guadeloupe. Nul besoin de projet de voyage aux Antilles pour apprécier ces deux œuvres qui se défendent toutes seules. 

Avant un voyage en Afrique j’avais également lu et apprécié Segou. 

Pour lui rendre hommage, je vous propose une lecture commune

l’un de ces trois titres bien connus, et disponibles dans les bonnes bibliothèque (quoique parfois en réserve) ou d’autres parce qu’elle a beaucoup écrit.

Qui est partant.e?

Basses Terres – Estelle-Sarah Bulle – Liana Levi

LIRE POUR LA GUADELOUPE

« Cependant, le souvenir de la peur et le grand déménagement de l’île s’imprimèrent dans l’esprit des habitants comme si l’éruption avait bien eu lieu. De loin en loin, l’un disait : « Tonton est parti l’année 1976, juste avant l’éruption de la Soufrière

[…]

C’est ainsi que la ville de Basse-Terre, pluricentenaire, qui ne connut aucun dégât matériel, fut profondément blessée par le volcan. »

Basse-Terre  juillet 1976, Eucate, ne quittera pas sa case malgré les injonctions préfectorales et l’évacuation décrétée. Case qu’elle a construit de ses mains  au flanc du volcan et qu’elle occupe avec sa petite fille fantasque,  Anastasie

« La case d’Eucate était une aberration, le béton ne l’ayant même pas effleurée. »

Sur Grande Terre, Elias attend son fils qui vient lui présenter sa femme et ses enfants après une longue absence en métropole. En son honneur, il construira une maison qui va être bien utile…

C’est un bien joli roman qui met en scène plusieurs générations, les anciens gardiens des traditions, les jeunes, citadins et vacanciers. Personnalités contrastées, saveur du parler créole (mais pas trop) …

Sur le cas du volcan se pencheront les spécialistes : Tazieff

Tazieff peut prendre la pose devant un trou fumant à deux mille mètres d’altitude, c’est qu’un autre type est là à le filmer. Ce type prend tout autant de risques, mais lui, personne ne le considère comme un héros.

[…]
Tazieff déclare qu’il ne se passera rien. Il parle de la Soufrière avec une désinvolture presque dédaigneuse : pour lui, c’est à peine un volcan, un tumulus plein de petits halètements, une figurante en comparaison du Krakatoa ou de l’Etna. Une montagnette à la mesure des Antilles, ce chapelet de rochers cousus sur un doigt d’océan. »

et

le nouveau venu, Claude Allègre, l’agace avec ses lunettes de professeur, son ton alarmiste et ses cravates bariolées.

Contre l’avis de Tazieff, les autorités joueront la prudence et évacueront la région de Basse-Terre pour éviter à tout prix la tragédie de la Montagne Pelée. 

Il sera finalement peu question de vulcanologie, j’aurais aimé en apprendre plus.

Si le volcan n’a pas explosé, une autre catastrophe est évoquée dans le livre : le cyclone de 1928 resté dans les mémoires des Guadeloupéens.

Un beau voyage en livre!

Un plat de porc aux bananes vertes – Simone et André Schwarz-Bart

LITTERATURE ANTILLAISE

.

A la suite de mes lectures de Nous n’avons pas vu passer les jours  de Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel et du Dernier des Justes j’ai eu envie de lire cet opus au titre étrange (étrange pour un juif écrivant un livre se basant sur la tradition talmudique de donner un titre pareil) et écrit à quatre mains avec Simone, sa femme, guadeloupéenne. Toutefois le livre Nous n’avons pas vu passer les jours , m’avait appris qu’André avant même de connaître Simone parlait le Créole et éprouvait de l’empathie pour les Antillais et la  tragédie de l’esclavage. 

Empathie pour ceux dont on  piétine la dignité dans les chaînes de l’esclavage ou dans la Shoah. Les auteurs vont, dans le Paris des années 50 trouver Mariotte, martiniquaise, à l’hospice  situé derrière Notre Dame des Champs, un mouroir où les vieillards sont logés en dortoir et numérotés selon la position de leur lit. Mariotte est N°14. Humiliation de la vieillesse.

« Il y avait quelque chose de si affreusement cocasse dans le spectacle de Mlle Giscard, affalée sur le trône, sa
jupe retroussée jusqu’au croupion, et faisant claquer sur son bec de corneille posthume ces paroles absurdes qui
ne laissaient jamais, néanmoins, de me toucher, comme le rappel d’une indignité métaphysique… Oui, de si lointaines distances – quasi astrales – séparaient la personne physique de Mlle Giscard ; la posture dans laquelle un sort méchant la surprenait (comme assise sur les décombres de la dignité laïque, gratuite et obligatoire) « 

Le livre s’ouvre sur des histoires de pots de chambre et de cabinets . Dégradant! Ce n’est pas un livre aimable. Les autres pensionnaires ne sont guères plus avenants. Mesquineries et vacheries. Le comble de la mesquinerie est la paire de lunettes indispensable à Mariotte prêtée par une vieille qui ne s’en sert plus, sauf pour imprimer sa domination sur Mariotte.

Mariotte convoque ses souvenirs en Martinique, elle raconte la mort de sa grand mère Man Louise, la visite en prison au compagnon de sa mère…Ces souvenirs sont vivaces et la hante. J’ai beaucoup aimé ces pages ainsi que celles qui évoquent les saveurs des plats antillais : d’où le titre du roman.

Mais, le lendemain, il redevenait d’autant plus redoutable que son jeu préféré était précisément de défaire le « jeu » des uns et des autres : les masques derrière lesquels nous essayions, tant bien que mal, de nous mettre à l’abri des mille Martinique qui se déchiraient sur un même bout de terre, dans une même cage aux grilles aussi insaisissables que le ciel… Martinique aux multiples races engagées dans un corps à corps incessant, où les armes du sexe sont forgées dans l’acier du mépris ! Oh, Martinique tout engluée dans les fils insidieux de l’esclavage, telle une larve encore indistincte de son cocon !… Martinique secrètement infernale, où chacun offrait (offre ?) à tous l’envers de sa douleur : son masque, son bouclier presque toujours illusoire ; son « jeu »,
comme nous disions, pour désigner l’étrange partie où chacun est engagé pour éviter les atteintes d’autrui, et – le mépris de soi […]

On ne pouvait le situer à aucun degré de cette échelle du mépris qui se dresse au-dessus de l’île, telle une tour de Babel lentement accumulée par des siècles d’écrasement et de Crime. D’un mot, il arrachait un barreau. Il disait par exemple : Le Blanc méprise l’Octavon, qui méprise le Quarteron, qui méprise le Mulâtre, qui méprise le Câpre, qui méprise le Zambo, qui méprise le Nègre, qui méprise sa Négresse, qui méprise le Z’indien, qui méprise sa Z’indienne, laquelle… frappe son chien, ha ha ; et moi Ray Raymon Raymoninque, je vous regarde tous et je ris en moi-même ; et si vous me demandez qui est mon frère de sang, je vous dis que c’est le chien !

Je m’attache au personnage étonnant de Mariotte dont on ne connaît pas son parcours, mais qui est lettrée et écrit ses mémoires sur des cahiers qu’elle cache soigneusement, d’où l’importance des lunettes.

Malgré certains aspects repoussants ce livre est plein d’humanité et je garderai Mariotte en mémoire.

Peau noire, masques blancs – Frantz Fanon

CARNET DES ANTILLES

Après des lectures antillaises, esclavage, décolonisation . Simone Schwarz-Bart, Maryse Condé, Chamoiseau, Glissant, Césaire. Après la visite à l’exposition Senghor au Quai Branly. Avec toutes les polémiques autour du mouvement « woke »(pas « wokisme » qui est un concept d’extrême droite). Après un demi-siècle qui nous sépare de l’esprit de 68. J’ai eu envie de revenir à Fanon que j’ai lu en découvrant la Librairie Maspéro, rendez-vous des soixante-huitards. J’ai perdu le joli volume de la petite collection Maspéro. Je me souviens des Damnés de la Terre, de la Révolution Africaine. A l’époque c’était plutôt la décolonisation, la suite de l’indépendance de l’Algérie. Je tenais Fanon pour un politique.

Aujourd’hui que reste-t-il de ses écrits?

J’ai donc téléchargé Peau noire, masques blancs que je n’avais pas lu autrefois.

« C’est un fait : des Blancs s’estiment supérieurs aux Noirs.

C’est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l’égale puissance de leur esprit. »

Première surprise : je ne savais pas que Fanon était médecin, psychiatre, psychanalyste et que cet essai était son mémoire de thèse. J’ai été désarçonnée par ce vocabulaire spécifique auquel je suis bien étrangère.

« Cet ouvrage est une étude clinique. Ceux qui s’y reconnaîtront auront, je crois, avancé d’un pas. Je veux
vraiment amener mon frère. Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des
siècles d’incompréhension. »

Peau noire, masques blancs est donc un ouvrage se référant à la psychanalyse, analysant des cas cliniques, le rapport au langage, la culture

« Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du faitde la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine. »

C’est un livre très sérieux bourré de références à Sartre, Hegel, Adler, Jung. 

Il fait une analyse de romans mettant en scène des couples mixtes Blanc/Noire comme Mayotte Capecia ou les travaux anthropologiques d’O. Manonni à Madagascar. Il faut s’accrocher même si certaines lignes ne manquent pas d’humour : 

« Il y a une trentaine d’années, un Noir du plus beau teint, en plein coït avec une blonde « incendiaire », au moment de l’orgasme s’écria : « Vive Schœlcher ! »

Son analyse du racisme fait beaucoup appel à Sartre et à la Question Juive ainsi que son Orphée Noir. 

Effet miroir de ma lecture récente d’André Schwarz-Bart en  empathie pour les Antillais, Fanon, martiniquais, écrit à propos de l’antisémitisme:

« L’antisémitisme me touche en pleine chair, je m’émeus, une contestation effroyable m’anémie, on me refuse la possibilité d’être un homme. Je ne puis me désolidariser du sort réservé à mon frère. »

j’ai soutenu l’effort, sachant que je ne comprenais pas tout, j’ai terminé cet ouvrage. Les pages que j’ai préférées cependant ne sont pas de Fanon mais de Césaire dont les poèmes illustrent ses propos. 

Difficile de répondre à la question initiale : ces écrits sont-ils encore d’actualité, après les Indépendances, Black lives matter? En tout cas les théories de Marie Bonaparte sur les phantasmes de viol et les éventrations sont illisibles après Meetoo! 

Terminons par cette affirmation toujours actuelle :

« Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une
tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. »

 

 

 

Nous n’avons pas vu passer les jours – Simone Schwartz-Bart et Yann Plougastel – Grasset

« L’histoire démarre donc de cette façon : Il était une fois une Noire farouche et un petit Juif solitaire, qui vécurent longtemps ensemble, eurent deux garçons et écrivirent une demi-douzaine de romans, sans voir le temps passer… » YANN

C’est l’histoire d’un couple d’écrivains qui ont su conjuguer leurs souvenirs, leurs talents pour bâtir une œuvre singulière. André Schwartz-Bart, survivant de l’Holocauste, résistant tout juste adolescent, lauréat du Prix Goncourt 1959 pour Le Dernier des Justes auteur de La Mulâtresse Solitude.

Simone Schwartz-Bart, Guadeloupéenne, riche de toute la tradition familiale, des contes de sa Grand-Mère, a rencontré l’écrivain toute jeune étudiante, à la veille du Goncourt. C’est une belle histoire d’amour. Histoire d’écriture aussi : elle co-signe Un plat de porc aux bananes vertes avec son mari puis construit une œuvre à part entière avec Pluie et vent sur Télumée Miracle et Ti-Jean L’Horizon que j’ai lu avant de partir pour la Guadeloupe. 

André et Simone Schwartz-Bart fréquentaient de nombreux écrivains, poètes, militants, anciens résistants à Paris que j’ai eu plaisir à retrouver. Ils ont aussi beaucoup voyagé : à Lausanne, Dakar, en Guadeloupe. Chez eux, ils ont ont des tableaux d’origines diverses. Une vie bien remplie!

Ce livre vient de la rencontre de Yann Plougastel avec Simone Schwartz-Bart qui a retrouvé des notes, manuscrits papiers qu’a laissé André après son décès. De belles citations proviennent de ces écrits. Elle dresse un portrait très émouvant de son mari. 

Cependant leur vie ne fut pas toujours facile. De nombreuses déconvenues et scandale ont suivi les publications : dès l’obtention du Goncourt, jalousies d’éditeurs qui voyaient couronner un auteur plus chevronné. Plus tard, il ne fut pas toujours compris :  certains juifs voyaient avec déplaisir un écrivain juif sortir Un plat de porc avec des bananes vertes. Inversement  certains Antillais voulaient attribuer la biographie de l’icone Solitude à Simone plutôt qu’à André. On comprend ces difficultés à la lumière des revendications identitaires actuelles. Serait-ce possible aujourd’hui?

 

« Il ne faut jamais oublier que la douleur juive provient de l’exil et de l’esclavage en Égypte. Nous avions cela en
commun, lui et moi, l’exil et l’esclavage. »

et je me disais : voilà des gens qui me ressemblent, car je viens du pays de la souffrance. Oui, je pense vraiment
que la souffrance est peut-être le secret le mieux gardé des humains, parce que le mieux partagé. « Les peuples
nés de l’esclavage et de l’exil n’oublient pas la souffrance, même quand ils l’oublient. »

Blessé, André a cessé de publier, pas d’écrire, il ne faisait que cela, mais il détruisait ses notes. Simone a diversifié ses activités, organisant une maison d’hôtes dans la maison familiale. 

J’ai beaucoup aimé ce livre que je n’arrivais pas à quitter, admirative pour l’ouverture d’esprit de ces deux écrivains, universalisme de la souffrance, holocauste ou esclavage et colonisation. Mémoire de l’humanité sans exclusive.

Toussaint Louverture – Poème dramatique de Alphonse de Lamartine

LECTURES CARAÏBES 

Après avoir terminé l’excellente biographie de Toussaint Louverture par Alain Foix, j’ai eu la curiosité de télécharger la pièce de Lamartine. 

Depuis 1834 les hommes politiques qui croient que les gouvernements doivent avoir une âme, et qu’ils ne se
légitiment aux yeux de Dieu que par des actes de justice et de bienfaisance envers les peuples, s’étaient formés à
Paris en société pour l’émancipation des noirs ; j’y fus admis à mon retour d’Orient ;

Dans son intéressante préface, Lamartine s’enorgueillit d’avoir été le signataire du décret de l‘Abolition de l’Esclavage,

Trois jours après la révolution de Février, je signai la liberté des noirs, l’abolition de l’esclavage et la promesse d’indemnité aux colons.

Ma vie n’eût-elle eu que cette heure, je ne regretterais pas d’avoir vécu.

En revanche, il n’est pas spécialement fier du poème dramatique. Le manuscrit fut perdu, et retrouvé par son caviste au fond d’un panier. Selon Lamartine,  le succès au Théâtre de La Porte Saint Martin où la pièce fut représentée est plutôt dû à la performance des acteurs qu’au texte lui-même. 

Une étrange Marseillaise noire a attiré mon attention, version d’époque ou poème de Lamartine? 

MARSEILLAISE NOIRE

. I. Enfants des noirs, proscrits du monde,

Pauvre chair changée en troupeau,

Qui de vous-mêmes, race immonde

Portez le deuil sur votre peau !

Relevez du sol votre tête,

Osez retrouver en tout lieu
 Des femmes, des enfants, un Dieu : Le nom d’homme est votre conquête !

REFRAIN.

Offrons à la
concorde, offrons les maux soufferts,

[…]
Ouvrons (ouvrons) aux blancs amis nos bras libres de fers. II.

Un cri, de l’Europe au tropique,

Dont deux mondes sont les échos,

A fait au nom de République

Là des hommes, là des héros

 L’esclave enfin dans sa mémoire

Épelle un mot libérateur,

Le tyran devient rédempteur :

Enfants, Dieu seul a la victoire !

Offrons à la concorde, offrons les maux soufferts, Ouvrons (ouvrons)…

Malheureusement, la suite se gâte. Je m’ennuie des péripéties lyriques et familiales. Une fade Adrienne, jeune pupille parfaite, guide Toussaint déguisé en mendiant aveugle qui épie les fortifications de Leclerc. Les fils de Toussaint, élevés en métropole, sont amenés comme appâts pour fléchir Toussaint. Foix raconte cet épisode, historique, mais le drame familial s’étire en guimauve. Pas d’analyse politique, ni stratégique, point de bataille homérique. Du sentiment sucré.

De même, le meurtre de Moïse n’est en rien contextualisé. Brutus et César! De la tragédie, certes mais pas d’explications. Décevant.

Le livre se termine par les discours prononcés par A de Lamartine, à la Chambre des Députés le 23 avril 1835, le 25 mai 1836, à un banquet le 10 Février 1840, le 10 Mars 1842

Toussaint Louverture – Alain Foix – folio

CARAÏBES/SAINT DOMINGUE

Toussaint Louverture est la figure majeure de l’Histoire des Antilles, impossible de faire l’impasse sur cette biographie. De nombreux auteurs se sont penché sur ce personnage. J’aurais aimé lire la Biographie écrite par Césaire, Schoelcher ou le poème de Lamartine . 

Parmi les nombreuses biographies disponibles,  j’ai téléchargé celle d’Alain Foix, facilement disponible sur liseuse, courte (336 p ) et très accessible. 

L’auteur a choisi de commencer au Fort de Joux Napoléon l’a fait incarcérer et où il finit sa vie. 

« Nous étions le 23 août de l’an 1802. Le fils d’un général venait à peine d’y naître. Il serait écrivain, un des plus
grands du siècle. Il s’appelait Victor Hugo. Bug Jargal, le héros de son premier roman, passait à ce moment
précis en bas de son berceau. Prisonnier de Napoléon, il arrivait sous haute escorte à sa dernière demeure…. »

Occasion d’évoquer Victor Hugo mais aussi de faire un parallèle entre les destins de Toussaint Louverture et celui de Napoléon terminant aussi sa vie emprisonné à Sainte Hélène. 

L’auteur s’attarde peu sur la vie intime de son héros, né esclave. Remarqué par son géreur et propriétaire, Baillon de Libertat, l’adolescent malingre surnommé « Fatras-Bâton » fut libéré du travail de la terre pour devenir un « nègre à talent », devint cocher ce qui lui permit de voyager. Un jésuite lui enseigna le catéchisme et lui apprit à lire dans  le livre de l’Abbé Raynal, ami de Diderot.

« ayant été affranchi à l’âge de trente-trois ans. Lorsqu’on connaît le prix exorbitant que coûtait
à l’époque l’acte d’affranchissement, cela permet de mesurer la valeur, notamment affective, que lui accordaient ses maîtres. »

[…]
« Ainsi, grâce à Baillon, aux premiers pas de cette « route de l’honneur » dont il parle, en ce Bois-Caïman, il était libre parmi ses frères esclaves. Bien plus, il était un colon, un Noir qui possédait des esclaves. »

Au soir de Bois-Caïman (14 Aout 1791) Toussaint Louverture rallie les esclaves marrons en quête de leur liberté. Il a alors 52 ans. Alors qu’en métropole, les Droits de l’Homme avaient été proclamés dès 1789, les échos parvenaient aux Antilles dans une certaine confusion. Alain Foix restitue le contexte particulièrement compliqué à Saint Domingue. L’île était partagée entre l’Espagne et la France. Depuis des décennies les esclaves marrons entretenaient des révoltes : histoire terrible de Mackendal  qui dispensait la liberté par le poison (exécuté en 1758), puis Bookman prêtre vaudou qui a prononcé le serment de Bois-Caïman, d’autres marrons avaient pris les armes: Jeannot, Jean François et Biassou. Si Toussaint Louverture rejoint les marrons, son combat est celui de la « Liberté Générale »

« Préfiguration lointaine des humains de demain. Il était déjà libre, un affranchi. Ce n’était pas de cette liberté traquée des marrons qu’il voulait, non plus de la liberté des affranchis, liberté octroyée qui vous laisse votre vie durant débiteur de celui qui vous l’a achetée. »

A côté des Noirs et des marrons, armée de brigands. Les Mulâtres avec Rigaud, Pétion, Pinchinat   jouaient sur un autre tableau  et réclament leurs droits à la l’Assemblée Nationale. Les colons Blancs se sentant menacés forment une troisième force. 

Ces trois forces s’opposent, s’allient, se réclament tantôt de la République, tantôt du roi. Toussaint Louverture va d’abord louvoyer et se livre au roi d’Espagne, où il gagne du galon.

« Ne voyait-il pas ces hommes noirs, redoutables guerriers faisant honneur au dieu de la guerre, semer la terreur dans Saint-Domingue en arborant un drapeau à fleurs de lys et criant « Vive le roi » ? 

[…]
Non, décidément, l’ennemi n’était pas le roi mais bien la république qui n’était faite à leurs yeux que pour
soutenir les petits Blancs racistes et renforcer leurs fers. Le décret du 15 mai 1791 ratifiait bien cela.
[…]
L’Espagne, Santo Domingo, voici l’alliée rêvée, voilà la solution. »

L’auteur analyse les forces en puissance et cite par le détail les différentes péripéties, compliquées par les luttes de factions à Paris, Girondins et Montagnards. Les envoyés de la Convention : Sonthonnax, Laveaux et Polverel :

« la mission de ce trio était de rétablir l’autorité de la France, inciter les esclaves à retourner dans les plantations et mettre enfin en application cette loi qui accorde aux gens libres de couleur la pleine citoyenneté. »

Sonthonnax et Laveaux reconnaissent le génie de Toussaint Louverture et négocient avec lui.  Véritable Machiavel, il fait monter les enchères d’autant plus qu’un nouvel agent entre en jeu : l’Angleterre, maîtresse de la Jamaïque toute proche. Dans ce jeu d’échecs  compliqué, chacun avance ses pions….

Quand, enfin, Toussaint Louverture rétablit la paix civile à Saint Domingue, il cherche à rétablir également la prospérité de l’île en encourageant l’agriculture. Cherchant à se concilier les planteurs blancs, il n’est pas  compris des combattants noirs et son fils adoptif, lui-même fomente une révolte.

« L’économie de Saint-Domingue devenait florissante, mais le mécontentement grondait. Les paysans noirs se
sentaient floués. Ils auraient aimé une parcellisation des terres leur permettant de cultiver pour leur propre subsistance. Ils rêvaient d’une forme d’autarcie, et il est vrai que le climat et la terre très fertile de Saint-
Domingue étaient propices à la diversification des cultures, à une agriculture de subsistance. »

 

Mais c’est Napoléon qui va mettre fin à l’aventure :

« En cet hiver 1802, l’espoir était en berne. La pensée des Lumières avait baissé son pavillon d’humanité. L’Aigle
impérial tenait toute la philosophie entre ses serres acérées. Toussaint Louverture se mourait dans sa prison
glacée de solitude. Une solitude existentielle. Celle d’une pensée clairvoyante »

L’expédition militaire de Leclerc ayant échoué avec l’aide de la fièvre jaune qui a décimé les troupes après les durs combats, la route était libre pour l’indépendance de Haïti 

« le 4 juillet 1804, le nom d’Haïti comme le cri d’un aigle en haut des cimes, allait naître sous les sabots de Dessalines, lieutenant de Toussaint Louverture »

Livre d’histoire très détaillé et passionnant. L’auteur a aussi su animer la personnalité hors du commun de Toussaint Louverture, homme des Lumières, d’une intelligence peu commune, de goûts simples, affectueux….

 

Le Quatrième Siècle – Edouard Glissant – Imaginaire Gallimard

LITTERATURE CARAÏBES

« Voilà quatre siècles que nos ancêtres esclaves ont été déportés d’Afrique aux Antilles. Le quatrième siècle est, pour moi, le siècle de la prise de conscience. » EG

Ce roman retrace l’histoire enchevêtrée de deux lignées : les Longoué et les Beluse que raconte papa Longoué, le quimboiseur, au jeune Mathieu Béluse.

« Cet homme qui n’avait plus de souche, ayant roulé dans l’unique vague déferlante du voyage (gardant assez de force pour s’opposer à l’autre et pour imposer, dans la pourriture de l’entrepont, sa force et son pouvoir à la troupe de squelettes ravagés par la maladie et la faim… »

L’histoire  commence  avec l’arrivée du navire négrier, la Rose-Marie, en juillet 1788. Deux propriétaires attendent la cargaison : le chevaleresque  Laroche de l’habitation l’Acajou et Senglis, le contrefait. Deux hommes se battent sur le pont. Chaque propriétaire emportera son champion. 

L’esclave acheté par Laroche s’enfuit dans les mornes, enlève une esclave et choisit le marronnage, celui de Senglis vivra dans la servitude, sa belle prestance lui vaudra le statut de reproducteur « le bel usage » d’où son nom de Béluse. 

A travers les siècles, le destin des descendants de ces deux hommes se déroule entre les hauteurs et les bois, et les plantations de canne. Deux fils, Liberté et Anne se lient d’amitié, puis se querellent…

Après l’abolition de l’esclavage en 1848  de nouveaux liens se nouent entre les Longoué et les Béluse. Les marrons descendent des mornes, mais Stéfanise Béluse, une forte femme, décide de monter pour vivre avec Apostrophe Longoué.

L’histoire de la Martinique se lit en filigrane avec l’éruption de la Montagne Pelée, la Grande Guerre qui mobilise les fils qui ne rentreront pas tous. j’ai al surprise de lire que finalement le quotidien de ces descendants d’esclave ne change pas tellement : la terre appartient toujours aux mêmes propriétaires, la subsistance est toujours aussi difficile à assurer ;  les cyclones ravagent les cases et les jardins. Les quimboiseurs se transmettent le savoir ancestral de guérisseurs. Ce roman est aussi une histoire de transmission de ce savoir de papa Longoué au jeune Mathieu.

« Le passé. Qu’est-ce que le passé sinon la connaissance qui te roidit dans la terre et te pousse en foule dans demain? Quinze jours auparavant, les femmes des campagnes étaient descendues sur la ville, la police avait arrêté un coupeur de cannes, responsable d’un « mouvement de sédition », il était avéré que ce dirigeant syndicaliste s’était cassé un bras en tombant dans al pièce où on l’interrogeait, la gendarmerie avait tiré sur la foule, morts et blessés avaient suri au soleil avant qu’on n’ait pu  les relever. Cela, ce n’était pas le passé, mais le mécanisme hérité du passé, qui, à force de monotone répétition, faisait du présent une branche agonisante… »

J’ai lu avec beaucoup de plaisir cette histoire contée avec poésie. J’ai senti le souffle du vent, l’exubérance de la végétation, senti la chaleur du soleil et même humé des fragrances agréables ou très pénibles.

Je ne veux pas terminer sans citer la préface de Christiane Taubira. Quel style, une claque! 

Mai 67 – Thomas Cantaloube – Série noire Gallimard

GUADELOUPE 

 

« Ce n’est pas un affrontement entre flics et grévistes qui dégénère, c’est quelque chose qui remonte des tréfonds de notre histoire. Les gens sur la place de la Victoire ont complètement oublié les demandes d’augmentation. Ils se battent maintenant contre l’injustice, contre ce qu’ont subi leurs parents, leurs grands-parents et toutes les générations avant. Les policiers en face, eux, tout ce qu’ils voient, ce sont des Noirs qu’il faut remettre à leur
place ! »

[…]

Le 27 mai, c’est la date anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1848,

Qui connaît le massacre du 26 au 28 mai 1967 sur la Place de la  Victoire à Pointe-à-Pitre?

Au cours de notre visite en touktouk de Pointe-à-Pitre, Baptiste, notre guide a immobilisé le touktouk pour nous montrer la fresque et nous conter cet épisode tragique de l’histoire de la Guadeloupe.

Le livre de Cantaloube tente de nous éclairer sur cet épisode oublié de l’histoire récente. Oublié ou occulté? Le décompte des victimes n’a même pas été établi, 8 morts, officiellement, une centaine, avance Christiane Taubira, peut-être davantage. Sans compter les arrestations, et l’emprisonnement en Métropole de syndicalistes et militants et même de personnes n’ayant pas pris part aux manifestations.

Ce n’est pas un livre d’histoire, mais une fiction.  l’auteur est toutefois très bien documenté et livre ses sources.

Trois personnages principaux interviennent : un journaliste ancien flic, un barbouze émargeant aussi bien à la CIA que dans les officines parisiennes d’ultra droite, un ancien truand corse, marseillais, spécialiste des convois de drogue, reconverti skipper transatlantique pour les yachts de luxe. Tous trois connaissent les coups tordus, le maniement des armes, savent donner des coups (et les encaisser). Nous allons suivre les aventures de ces tristes sires en Guadeloupe d’abord, puis à Paris avec combats de rue et barricades de Mai 68. Une France qui s’ennuie comme on l’a dit à la télé? Peut être que la Guadeloupe n’est pas tout à fait la France? En tout cas l’Etat de Droit n’y règne pas vraiment.

Loi du genre, le roman sera bien arrosé de rhum et d’hémoglobine. Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Je me serais passée des vengeances personnelles. Mais l’aspect trouble de cette période, les personnages comme Foccart, les dessous pas très propres de la France sous De Gaulle sont très bien évoqués.