Fuori film de Mario Martone – L’Université de Rebibbia Goliarda Sapienza

UN FILM/UN LIVRE

Portrait de Goliarda Sapienza, l’autrice de L’Art de la Joie. Martone a choisi la période suivant sa sortie de Reb. ibbia, la prison de Rome où l’écrivaine fut incarcérée pour un vol de bijoux. Goliarda ( Valeria Golino)déclassée, a perdu son aura et ses relations mondaines , elle cherche n’importe quel travail pour assurer sa subsistance.  Rendez-vous avec Roberta, une ancienne codétenue (Matilda de Angelis) mystérieuse et fantasque, promenades dans Rome pour notre grand plaisir. Joyeuse sororité, amitié amoureuse et souvenirs de Rebibbia. A la sortie du film j’ai chroniqué « à chaud » .CLIC dans mon blog Toiles Nomades. Et j’ai téléchargé le livre en rentrant.

L’Université de Rebibbia 

Entre ces murs, sans en avoir conscience, on est en train d’essayer quelque chose de vraiment nouveau : la fusion de l’expérience et de l’utopie grâce à la rencontre entre les quelques vieux qui ont su comprendre leur propre vie et les jeunes qui aspirent à apprendre, la formation d’un cercle biologique qui rassemble passé et présent sans fracture, sans mort.

Antidote aux pleurnicheries de Sarkozy ! Un livre joyeux, d’une liberté folle. Récit du séjour à la prison des femmes de Rebibbia en 1980. Après le traumatisme de l’enfermement , l’écrivaine vit son incarcération comme une expérience enrichissante. Elle décrit les impressions, les sensations de son corps dans la cellule  d’isolement, la perception du dehors quand, à sa première promenade, elle voit le ciel, sent le soleil.

La surprise du peu de temps écoulé(il faudrait une étude de plusieurs années et des centaines de pages rien que pour étudier à fond le “temps carcéral”) me bloque, tout le corps en alerte. Le ciel est là, exactement du bleu d’avant, avec ses nuages élégamment distants les uns des autres, trompeurs : je ne dois pas les regarder,
ces formes, elles ne sont que le travestissement momentané des sirènes carcérales. Me bouchant les
oreilles à leur chant, au lieu de me jeter dans le mouvement – mes muscles piaffent exactement comme
ceux d’une jument – je m’avance lentement en regardant pour commencer où est assise la femme de tout à l’heure et quelle est son intention, la guerre ou la paix.

Apprivoiser le mode de vie en prison, rencontrer des femmes qu’elle n’aurait jamais croisées, mais toujours avec la finesse d’analyse et le regard de l’écrivaine. Des images surgissent, une femme en robe à motifs de marguerites devient une prairie fleurie, une gardienne sicilienne a un regard de lave…une Marilyn vieillie, une James Dean qui se la raconte….Des personnages très vivants et pittoresque peuplent le récit. Humour et bienveillance. Et toujours, la classe. Elle est une dame. Quand elle utilise le dialecte, on lui reproche gentiment : cela ne lui va pas!

L’impatience est une ennemie en prison comme sur les bateaux,

Je note avec quelle impatience, justement, la gardienne a rouvert la porte, et c’est comme un coup de
poing dans l’estomac pour moi : elle vit à moitié dehors à moitié dedans, et par conséquent l’impatience
qu’elle apporte avec elle du dehors nous blesse, nous qui avons déjà pris un rythme hors du temps.

Transférée dans les coursives des cellules collectives, elle doit s’imposer apprendre les codes et les coutumes. Elle se fera respecter, devra prouver qu’elle n’est pas une moucharde. Et gagnera l’affection de ses camarades de cellule. Intellectuelle, elle analyse les rapports de classe, les rapports de force. Bienveillante, elle apprécie la sororité, la solidarité de ces femmes, la chaleur humaine et fait de l’emprisonnement une expérience de liberté

Je me suis depuis si peu de temps échappée de l’immense colonie pénitentiaire qui sévit dehors, bagne
social découpé en sections rigides de professions, de classes, d’âges, que cette façon de pouvoir
brusquement être ensemble – citoyennes de tous milieux sociaux, cultures, nationalités – ne peut que m’
apparaître comme une liberté folle, insoupçonnée.

En 1980, juste après les années de plomb, les politiques sont nombreuses dans les prisons italiennes. Goliarda se revendique voleuse, prisonnière de droit commun mais elle est vite repérée par les politiques. Et encore sujet de critique :

Seul le prisonnier politique s’attarde à raconter la prison, mais la raison pour laquelle il y est allé est trop
honorable pour pouvoir donner la mesure de la véritable prison : celle des voleurs, des assassins, pour
parler clairement : des maudits. Le politique en sort renforcé dans son orgueil et son récit est faussé par
ce qu’il a d’épique

Analyse féministe aussi. Les prisonnières ne réagissent pas comme les hommes.

Le fait est, Goliarda, que nous les femmes nous supportons mieux le système carcéral. Évidemment, ça
nous est possible parce que nous avons un passé de coercition et ici, au fond, nous retrouvons une
situation qui n’est pas nouvelle pour nous
[…]
Mais je dis : est-ce que nous avons raison, nous les femmes, d’enterrer toutes les qualités que des siècles d’
esclavage ont développées en nous ?

Ne croyez surtout pas que ce texte soit ennuyeux. Je me suis vraiment amusée à le lire. Tant d’anecdotes sont drôles et si bien racontées. Je ne l’ai pas lâché. Aussi addictif qu’un thriller. Et une formidable leçon d’optimisme

De fait, quand on met le pied sur le rivage du “tout est perdu”, n’est-ce pas justement alors que surgit la
liberté absolue
Page

PS le livre qui aurait plutôt correspondu au film ne serait-il pas Les Certitudes du doute? 

 

Contrebandiers – Michèle Pedinielli/Valerio Varesi

ROMAN POLICIER A LA FRONTIERE DES HAUTES ALPES ET DE L’ITALIE

« Ce qui a changé, c’est la marchandise qui y passe. – Il y en a une qui est restée la même : ce sont les personnes qui veulent entrer en France. À une époque, c’était nous, les Italiens, parce qu’on était antifascistes, ou qu’on voulait travailler, maintenant, ce sont les migrants qui arrivent d’Afrique. – Nous, les Italiens, on nous appelait les Macaronis ou les Ritals »

Roman policier écrit à quatre mains par Michèle Pedinielli dont j’ai suivi les enquêtes de Ghjulia Boccanera à Nice et en Corse avec beaucoup de plaisir et Varesi qui m’a fait découvrir les secrets de Parme. Chacun s’est déporté de sa région d’origine pour situer l’action sur la frontière entre la France et l’Italie. Un randonneur français découvre du côté italien un cadavre. Nous ne retrouverons pas Ghjulia mais Suzanne Valadon, guide de montagne qui rapporte sur son dos un très jeune burkinabé transis dans le froid.

Les chapitres s’enchaînent, dans un refuge italien et dans les bergeries d’estive côté français…Mais l’ensemble est cohérent, on oublie qu’il y a deux auteurs. Ce n’est pas le premier polar écrit par deux auteurs : Meurtre aux poissons rouges résultait de la collaboration de Camilleri et Lucarelli . La collection POINTS compte d’autres livres « deux auteurs deux pays, une seule enquête » j’aime bien ce concept et je compte m’aventurer dans cette collection.

Chaque fois que je chronique un polar, j’ai peur de divulgâcher et de donner trop d’éléments concernant l’intrigue. Je vous dirai seulement que j’ai lu d’une traite en une journée (et deux longs trajets en métro Créteil/Auteuil) sans le lâcher. Comme le titre est Contrebandiers,  je ne spoile pas  trop en divulguant qu’il s’agira de faire passer des cigarettes et des migrants 

De la contrebande ? Ça sonne presque romanesque. – Eh bien, c’est loin de l’être, figure-toi. La contrebande, c’est juste l’autre nom du trafic et les contrebandiers ne sont pas des aventuriers de romans. Ils sont tous connectés à une mafia ou une autre. Et la mafia, Suzanne, ça n’a aucun état d’âme, aucun scrupule ; le code de l’honneur, ça n’existe que dans les films. La mafia ne réfléchit qu’à un profit immédiat.

à celà interroge Lassane, le jeune burkinabé :

C’est grave ? Aucune provocation dans la question, plutôt un étonnement sincère. C’est grave de porter des cigarettes ? Par rapport à quoi ? Aux violences, aux viols, aux tortures, aux naufrages ? C’est plus grave que remettre sa vie entre les mains d’inconnus ? Plus grave que se faire vendre ?

 

La Librairie des chats noirs – Piergiorgio Pulixi

LIRE POUR L’ITALIE

Un roman policier distrayant, lecture facile qui ravira ceux et celles qui partagent sur Facebook des vidéos de chats(pas terrible pour la planète), ceux et celles qui aiment bien flâner dans les  librairies un peu désuètes, ceux et celles qui ont une bonne culture polaristique et qui apprécieront les clins d’œil aux classiques.

Evidemment, il y a un crime horrible, un tueur en série qu’il faudra neutraliser avant qu’il ne recommence…

Evidemment, le libraire et son club de lecteurs vont résoudre l’énigme.

Evidemment cela se passe à Cagliari, mais on ne profitera pas trop du paysage.

J’ai préféré les deux autres livres de Pulixi : L’île des âmes qui m’avait plongé dans les secrets et la sorcellerie de la Sardaigne, L’illusion du mal m’avait scotchée La Librairie des chats noirs est une aimable lecture, sans plus. 

Artémisia – Alexandra Lapierre

CHALLENGE LE PRINTEMPS DES ARTISTES 2025

initié par La Boucheaoreille 

BIOGRAPHIE

Judith et sa servante

A la sortie de l’Exposition Artémisia Héroïne de l’Art à Jacquemart André j’ai téléchargé cette biographie, j’ai découvert à l’ouverture du fichier qu’il s’agissait d’un pavé (660 p. en édition de poche) et qu’un cahier d’illustrations très complet était fourni -cela aurait été mieux sur papier. 

Gros livre, très dense qui s’ouvre comme une galerie de tableaux, une succession de scènes théâtrales très baroques, très spectaculaires avec les funérailles d’Orazio Gentileschi, le père, à Londres, l’exécution de Béatrice Cenci (souvenir de Stendhal) et les funérailles de Prudenzia, la mère d’Artémisia. Un peu grandiloquent, peut-être? Je pense aux Judith, Cléopâtres, ou Suzanne. Artémisia ne fait pas dans la légèreté!

De tout temps, l’art a servi de signe extérieur de richesse. Mais, entre les mains des mécènes du XVIIe siècle, les peintres et les sculpteurs sont devenus monnaie d’échange, instruments de propagande, armes de chantage. [… tel génie qu’a réussi à s’attacher l’un] ou l’autre des potentats. Bref, en cette année 1639, l’art est devenu la pierre angulaire du pouvoir ; et l’artiste, son outil. […] la possibilité de s’immiscer dans toutes les cabales d’une cour étrangère ? Rubens, Vélasquez – émissaires, ils l’ont été tous deux. Comme le fut Orazio Gentileschi.

Rome, à l’aube du XVIIème siècle concentre de nombreux artistes qui terminent les décors de Saint-Pierre, décorent les palais prestigieux des Borghèse, Le Caravage obtient la commande de Saint-Louis-des-Français, Le Cavalier d’Arpin, Saint-Jean-de Latran. L’émulation, la concurrence, la jalousie n’adoucissent pas les mœurs. Artémisia grandit dans l’atelier de son père Orazio Genteleschi, peintre reconnu. Elle va broyer les couleurs, tendre les toiles, et apprendre tous ses secrets. Et la lectrice découvre la « cuisine « des pigments et des teintes. Comment peindre à fresque en ne disposant que de sept heures pour accomplir le travail de la journée.. Et ce n’est pas l’aspect le moins intéressant de ce livre.

Épées, poisons, poignards. Amazones, pécheresses, séductrices, Marie-Madeleine, Galatée, Esther et
Bethsabée, toutes se débattent entre l’amour, la mort et la liberté. Toutes s’affranchissent. Toutes
triomphent.

Histoire de viols, Meetoo à Rome, Beatrice Cenci, parricide, violée par son père. Prudenzia, la mère d’Artemisia peut-être abusée par Cosimo Quorli.  Artemisia violée par Agostino Tassi, l’ami de son père, qui était chargé de lui apprendre la perspective et le dessin. Tassi bon peintre était un personnage peu recommandable. Il avait promis  le mariage à Artémisia alors qu’il était déjà marié. Orazio le traîne en justice. Procès retentissant que l’écrivaine étudie en détail.

Tu ne peux pas tout avoir, lui avait crié Orazio, tu ne peux pas avoir l’amour de ton époux et la perfection de ton art!…Non, tu ne peux pas tout avoir : le bonheur ici-bas et l’immortalité

Déshonorée par le viol, Artemisia doit se marier à un peintre florentin de peu d’envergure. Elle quitte Rome et son père pour Florence où elle remporte un grand succès. A la cour de Cosme II de  Médicis,  il règne une vie intellectuelle intense et raffinée. Artémisia, arrivée illettrée apprend la musique, la poésie, expose au Palais Pitti  décroche des commandes officielles. 

Minerve

Artemisia voyage, s’installe un  temps à Venise, puis à Naples métropole presque aussi peuplée que Paris,  sous la domination espagnole. La vie artistique y est aussi très violente. Les échafaudages des peintres étrangers s’effondraient, les couleurs de leurs fresques s’effaçaient . Trois artistes faisaient régner la terreur, à leur tête Juseppe de Ribera (dont j’ai vu l’exposition l’hiver dernier au Petit Palais ICI

Pendant ce temps, Orazio Gentileschi est à Londres. A ma grande surprise, je découvre que les peintres jouaient un rôle politique inédit : celui d’espion. Le peintre avait l’oreille des souverains quand ils peignaient leurs portraits. Ils apprenaient des secrets d’état en ce temps de Guerre des Trente ans. je croise Buckingham et Mazarin (souvenirs d’Alexandre Dumas) .  

Difficile d’énumérer tous les sujets abordés dans ce gros livre.

La relation père-fille, transmission mais aussi rivalité, occupe une bonne partie de l’histoire. Qui est le meilleur peintre, le père ou sa fille?

Les histoires d’amour d’Artémisia qui était de caractère passionné….

Roman historique ou livre d’Histoire? Dans le dernier quart du bouquin, Alexandra Lapierre fournit une abondante bibliographie. Surtout elle raconte ses cinq années de recherches pour aboutir à la rédaction du livre. Elle cite en Italien et même en latin les archives. Pour illustrer les rapports entre les artistes elle cite les libelles injurieux et va même jusqu’à établir une liste des insultes et gestes grossiers en cours au début du XVII ème siècle. Ambiance! Très instructif.

J’ai donc fait la connaissance d’une artiste exceptionnelle, mais aussi une plongée dans le monde artistique italien (mais pas que) de l’époque.

 

Artemisia – Héroïne de l’Art – Jacquemart André

CHALLENGE LE PRINTEMPS DES ARTISTES

Exposition temporaire jusqu’au 3 Aout 2025

Artemisia Gentileschi : Autoportrait en joueuse de luth

Artemisia Gentileschi (1593 -1653)

Née à Rome, fille d’un peintre reconnu Orazio Gentileschi, elle apprend la peinture dans l’atelier de son père. Dès l’âge de 16 ans, elle signe sa première œuvre majeure Suzanne et les vieillards présentée dans l’exposition de Jacquemart André, mais interdite à la photo. Victime d’un viol de la part d’un collaborateur de son père, Tassi,  elle subit aussi la torture au cours du procès que son père intentera à Tassi. Après son mariage elle s’installe à Florence où elle obtiendra de nombreuses commande. Rome, Florence, Londres…Artemisia, de son temps avait une clientèle internationale. Curieux qu’elle soit tombée dans l’oubli! 

Esther, dans un tableau avec Assuérus

Dès qu’on entre dans l’exposition, on est frappé par la taille des tableaux, la vigueur des personnages. Ce n’est pas ce qu’il convient d’appeler un « ouvrage de dame« . Artemisia joue dans la cour des grands. Elle choisit les sujets en vogue à l’époque : Antiquité avec Ulysse, Minerve, Cléopâtre, sujets bibliques :  , Assuérus et Esther, David et Goliath, Judith et Holopherne. Et surtout aucune mièvrerie. Ses Judith sont aussi terribles que celles du Caravage

Judith et Holopherne

Artemisia a sûrement rencontré le Caravage que fréquentait son père. Elle a pu admirer ses tableaux dans les églises de Rome. Sa peinture est dans son sillage. Elle est presque aussi cruelle que lui.  La parenté entre son style et celui du Caravage a été déjà évoquée dans une exposition à Jacquemart André ICI où elle était très présente – en tout cas ses tableaux m’avaient bien plu puisque j’avais illustré le post avec . Notons que c’est Le Caravage qui s’auto-portraiture avec un luth . Un tableau présenté ici est inspiré par Caravage, peint par Artemisia puis copié par un anonyme de son atelier….

Judith et sa servante

Têtes coupées, exécution avec un poinçon pour Yaël et Sisera, on pourrait presque  écrire que la dame ne fait pas dans la dentelle. Et bien si! elle peint merveilleusement bien les tissus, drapés, et dentelle des pourpoints des hommes dont elle fait le portrait. 

Cléopâtre

Une série de femmes de caractère comme Cléopâtre, ou mythique comme Minerve complète cette impression de femme forte! 

 

Coeur noir – Silvia Avallone

LE MOIS ITALIEN : LECTURE COMMUNE

Martha et Marie Magdeleine – Le Caravage

« Elle était une contradiction dans les termes, aussi bien pour la société que pour elle-même. Parce qu’elle était morte en dedans, mais quand même vivante. »

Comment écrire ce billet sans spoiler?

Le mystère qu’Emilia cache ne se dissipe qu’après plusieurs centaines de pages, il est nécessaire que le lecteur soit aussi pris dans ce mystère.

Emilia, la trentaine, revient dans un village de montagne perdu, accessible seulement par un chemin escarpé, déserté par ses habitants. Bruno, instituteur et le Basilio, peintre, deux solitaires, sont les deux seuls habitants de Sassaia, vivant en ermites sans télévision ni machine à laver. L’arrivée d’Emilia donne de la vie au village endormi dans le passé.

Au fil des pages, on en apprend un peu plus. L’autrice distille des indices et je suis scotchée, parfois je n’ose y croire, parfois je m’égare…

Nous irons à Ravenne et sa marina, à Bologne, à Milan. Emilia a un don pour le dessin, elle a fait des études d’histoire de l’art et de restauration d’œuvres d’art. Le mystère se tapit dans  le clair-obscur caravagesque

Elle alla voir une exposition sur Bosch aux Gallerie d’Italia et une autre sur Le Caravage – son peintre
préféré – au Palazzo Reale. Elle lui avait consacré des recherches, des devoirs, son mémoire. Aucun autre
artiste n’avait suscité chez elle une étincelle aussi forte, viscérale. Lui aussi, il savait ce qu’était le mal. Il
en avait fait l’expérience dans sa vie, dans sa chair, à la première personne et sans échappatoire :
comment aurait-il pu, sinon, le transfigurer dans cette obscurité si dense et effroyable. Traversée par
cette lumière aveuglante, divine. Comment aurait-il pu représenter un fruit aussi pourri, qui meurt
condamné de l’intérieur, et ne cesse de mourir…

J’avais beaucoup aimé d‘Acier, La vie parfaite et Marina Bellezza, Silvia Avallone ne m’a pas déçue.

 

 

Revoir Cimabue aux origines de la peinture italienne au Louvre

Exposition temporaire jusqu’au 12 mai 2025

La Maesta

A l’occasion de la restauration de la Maestà et de l’acquisition de La Dérision du Christ, le musée du Louvre a organisé dans la salle Rosa, au bout des salles de peinture italienne, une exposition consacré à Cimabue et à la peinture italienne du XIIIème siècle.

J’apprécie beaucoup le principe de ces expositions autour d’un chef d’œuvre en le situant dans son contexte « Revoir le Pierrot de Watteau » ou « Revoir Van-Eyck » m’avaient enthousiasmée. Prendre son temps à étudier un tableau,  comprendre comment il a été peint, dans quelles circonstances, quelle histoire, quels précurseurs, quelles influences. Une leçon d’Histoire de l’Art. Peu de touristes viennent perturber la visite. Ce matin, calme sérénité et échanges polis. Une dame est même venue proposer son bic 4- couleurs parce que mon stylobille faisait des caprices et que je râlais toute seule. 

Cimabue (1240 à Florence – 1302 à Pise) de son nom Cenni di Pepo

L’exposition s’ouvre sur les lignes de Dante et un manuscrit sur parchemin, puis sur la biographie que Vasari lui a consacré en 1568. La Vierge et l’Enfant de Botticelli entra au Louvre en 1802 sous le nom de Cimabue, pourtant on reconnait le style de Botticelli! 

Vierge à l’enfant – vierge Kahn

Au XIIIème siècle, l’Italie était fascinée par l’art byzantin. Les peintres italiens copiaient les icones. Sur une Maesta ancienne,  le peintre a ajouté du relief pour imiter les icones byzantines. La Vierge Kahn ci-dessus aurait été peinte à Constantinople pour être exporté et offerte par l’empereur Michel VIII Paléologue.

Sainte Catherine d’Alexandrie – Maitre de Calci – Pise

Sainte Catherine d’Alexandrie, de l’Italien Maître de Calci (1225-1260)  est représentée comme les icones.

Une carte montre L’Italie et la Méditerranée avec les échanges de biens et culturels : De Constantinople, provenaient les icones, la soie, les épices, de même d‘Alep et d’Antioche, royaumes croisés latins jusqu’en 1268. 

Des pays arabes, Damas, la Tunisie, des céramiques islamiques (façade de l’église de Grado)et l’Andalousie on importait céramiques et soieries, comme la Dalmatique tissée d’or et de soie. On retrouve les motifs d’écriture arabe sur le cadre de la Maesta.

Atelier Nicola de Pisano (1267) Tombeau de St Dominique – Les 3 acolytes (marbre)

Cette écriture arabe décore la bouteille de forme orientale sur la sculpture des trois acolytes. Un échantillon de Lapis-lazuli, en provenance d’Orient est présenté, il donne les bleus de la Maestà.

les Années 1280 période d’effervescence artistique

Cimabue invente une peinture plus vivante, moins figée que celle des icones byzantines mais il n’est pas seul à la fin du XIIIème, le Siennois Duccio di Buoninsegna et les autres peintres de son atelier font aussi preuve d’inventivité. Je remarque les gestes (gesticulations) de l’Enfant qui appuie sa main sur la joue de sa mère, joue à tirer son voile, tend ses bras vers l’autre main

J’ai du mal à distinguer  la peinture du Duccio de celle de Cimabue dans les panneaux de bois de la Flagellation et de la Dérision du Christ, dernière acquisition du Louvre

Cimabue : Dérision du Christ

Une vidéo zoome sur la Maesta restaurée dont on peut admirer tous les détails, les picots sur les nimbes, les plumes de anges, et les bizarres crochets des diadèmes 

Détail des anges de la Maestà

Pour avoir des dorés plus dorés, il vous faudra aller voir l’exposition.

Et pour finir le merveilleux Giotto qui était le voisin de la Maestà sur le jubé de l’église des Franciscains de Pise

Giotto

Cicéron – Stefan Zweig

LETTRES ALLEMANDES

Le vieillard d’Otricoli coll. Torlonia- Louvre

« C’est notre homme qui est mort pour nos idées dans une époque qui ressemblait cruellement à la nôtre ».

Zweig est inépuisable. Je reviens à ses romans, ses biographies, le Monde d’hier. Aujourd’hui, quand la peste brune se répand, ressemble terriblement au monde dont il parle.

Cette courte biographie, moins de 100 pages, se concentre à la fin de la vie de Cicéron, autour de la mort de Jules César, qui est aussi la fin de la République romaine. Ce n’est plus l’avocat des procès douteux l’accusateur de Catilina dont la phrase apprise au lycée est restée fichée dans ma mémoire

« Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? »

C’est un homme aux cheveux gris qui appelle le peuple romain à se montrer digne de l’honneur de ses ancêtres. Il pressent la fin de la République :

Mais à présent, le coup d’État de César, qui l’écarte des affaires publiques (la res publica) lui donne enfin l’ occasion de faire croître et éclore sa vie personnelle (la res privata), qui constitue ce qu’il y a de plus important au monde ; Cicéron se résigne à abandonner le Forum, le Sénat et l’imperium à la dictature de Jules César.

Il fulmine contre Antoine dans les Philippiques. il choisit Octave, mais les trois bandits s’unissent dans le triumvirat. Octave, Lepide et Antoine se partagent le monde mais Antoine réclame la tête de Cicéron.

Pour sauver sa vie, Cicéron pourrait s’exiler en Grèce, au-delà des mers.

Mais Cicéron s’arrête toujours au dernier moment : celui qui a connu un jour la tristesse de l’exil ressent même en plein danger le bonheur que lui procure la terre familière, et l’indignité d’une vie passée à fuir. Une volonté mystérieuse, au-delà de la raison, et même contraire à la raison, l’oblige à faire face au destin qui l’attend.

Comment ne pas penser à Zweig, à ses exils jusqu’au Brésil où il se suicidera.

Merci à Dominiqueivredelivres qui m’a donné envie de le lire ICI

Ribera au Petit Palais – Ténébres et Lumière

Exposition temporaire jusqu’au 23 février 2025

Saint Jérôme et l’ange

Jose Ribera (1591 -1652) est né en Espagne, il arrive à Rome en 1605 juste avant la fuite du Caravage en 1606, en 1616 Ribera part à Naples. 

Plus sombre et plus féroce que le Caravage, sa peinture est présentée comme « ténébrisme et extrême férocité du réalisme ».

Allégorie des cinq sens : l’odorat

La présentation du Petit Palais adopte l’ordre chronologique, avec les premières salles de sa production romaine puis napolitaine. On entre dans la première salle tendue de rouge où sont accrochés de grands portraits de philosophes, mendiant et deux tableaux des Allégories des cinq sens. 

Un philosophe

Le philosophe ci-dessus est un  modèle que le peintre fera souvent figurer dans ses compositions : avec son crâne chauve, rond, ses oreilles décollées. Je m’amuse à le chercher et à le retrouver au cours de l’exposition.

Une autre série est celle des Apostolados, les Apôtres, même format, même posture sur un fond le plus souvent très sombre avec un éclairage oblique.

Saint Barthélémy (je retrouve le chauve)

De grands tableaux sur des thèmes religieux sont très construits, éclairage clair-obscur caravagesque

Le Reniement de Pierre

le Reniement de Pierre me fait penser à un  tableau de Caravage à Saint Louis des Français.

Jésus et les docteurs

A côté des grands tableaux religieux, une série de portraits des Apôtres, un cycle des saints martyrs  et des Philosophes. Les grands penseurs sont représentés en haillons témoignant peut-être de la richesse intérieure contrastant avec l’aspect extérieur.

Esope

Ribera s’intéresse aux marges de la société, prend pour modèle la plèbe napolitaine, une gitane, les scugnizzi de Naples.

Le pied-bot

 

Grand tableau en pied d’un couple de barbus, l’un d’eux est une femme allaitant un enfant. Cette femme a vraiment existé. Un autre tableau très marquant est l’enfant au pied-bot. Goût pour les infirmités, les monstruosités.

martyre de Saint Bartélémy

Ribera fut aussi un virtuose de la gravure. Certaines caricatures témoignent aussi du goût du burlesque, qui annonce Goya. Certaines études de martyres ont été croquées sur place s’inspirant  des tortures de l‘Inquisition active à Naples, alors espagnole. Un monsieur dans l’exposition a montré bruyamment sa réprobation, Non! d’après lui « l’Inquisition ne torturait pas, ne mettait pas à mort ». Saint Barthélemy après être crucifié est même dépecé, un tableau  représente l’arrachement de la peau. 

Apollo, et Marsyas

La plupart des tableaux illustrent des sujets religieux mais le peintre ne s’est pas interdit les grandes compositions mythologiques. Le supplice de Marsyas grimaçant s’apparente aux souffrances des martyrs. le Silène ivre est aussi monstrueux.

Certains tableaux sont plus clairs, plus souriants, colorés. Deux grands paysages dans les bleus sont agrestes, paisibles, de minuscules pêcheurs tirent des filets, un homme allume un feu… Décidemment, le peindre a plusieurs cordes à son arc!

C’est donc une bien belle et riche exposition. En introduction, un podcast de RadioFrance : des Midis de Culture

 

 

Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse à Jacquemart André

Exposition temporaire jusqu’au 6 janvier 2025

Bassano : l’Adoration des bergers

Une quarantaine de tableaux ont fait le voyage de Rome à Paris pour l’exposition du Musée Jacquemart-André qui vient d’être rénové. Rafraîchissement plutôt, je n’ai pas constaté de changement majeur.

La Sybille – Raphaël

 

La vedette qui tient l’affiche est le Garçon avec la corbeille de fruits du Caravage, je m’en souvenais très bien et j’ai été heureuse de lui rendre visite. Autres tableaux très connus,  Leda et le cygne de Leonard de Vinci et la dame à la licorne de Raphaël (une toute petite licorne) . Un merveilleux tondo de Botticelli. Impossible d’énumérer les chefs-d’œuvre! 

la Fornarina de Raphaël

je me contente d’illustrer cet articles de quelques uns que j’avais oublié et qui m’ont surprise

Titien Suzanne et les vieillards

Choix tout à fait subjectif et correspondant à l’humeur du jour (et à la foule qui m’a empêché de photographier tout ce qui me plaisait).

Attention à bien choisir le créneau horaire, il y a vraiment beaucoup de monde et les salles sont petites.

Les explications concernent plutôt Scipion Borghèse, (1577-1633)et la constitution de la collection, le goût Borghèse et Camille Borghèse qui épousa la soeur de Napoléon Pauline (je me souviens très bien du marbre à la villa Borghèse). Bel échantillonnage mais je garde intact mon souvenir ébloui de notre voyage à Rome.