Chefs d’Œuvre de la Collection Torlonia au Louvre

Exposition temporaire jusqu’au  11 novembre 2024

Hestia

Giovanni Torlonia (1754-1829) et Alessandro Torlonia (1800-1886) réunirent à Rome une importante collection de sculptures romaines. Le Louvre en présente dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche, récemment rénovés les chefs d’œuvre. 

Bustes d’empereurs : de gauche à droite Vespasien, Hadrien Vitellus

La sculpture romaine se distingue par les portraits très réalistes alors que les Grecs idéalisaient les modèles. Nous pouvons donc reconnaître les empereurs comme les simples citoyens.

Euthydème de Bactriane

Euthydème de Bactriane ne semble ni flatté ni idéalisé!

la Fanciulla di Vulci

En, revanche cette jeune fille au visage fin était sans doute aussi belle dans la réalité!

La statuaire romaine utilisait l’art grec en copiant les modèles qui avaient du succès. Avec les mesures de volume les reproductions étaient exactes. On reproduisait sans droits d’auteur les sculptures de Phidias, Lysippe, avec une prédilection pour les satyres et les groupes

Invitation à la danse Satyre et Aphrodite

Les styles du passé Grec étaient sémantisés : le style classique symbolisait l’ordre, la solennité tandis que le style archaïque donnait une idée du sacré. Les statues hellénistiques avaient beaucoup de succès.

la Tazza Albani : vasque présentée dans le jardin

les douze travaux d’Hercule ont beaucoup inspiré les romains. on les retrouve aussi bien sur la frise de la vasque que dans les sarcophages monumentaux

Sarcophage décoré aux travaux d’Hercule
le Nil

Une section de l’exposition s’attache à la Restauration de l’Antique, restauration romaine, mais aussi restauration tardive à la Renaissance ou au XIXème siècle. Au cours des restaurations les sujets perdent même leur identité, Satyre devient Narcisse, Aphrodite portant un bracelet en forme de serpent est nommée Cléopâtre. 

Le Port de Rome

Certains sujets décrivent la réalité comme le Port de Rome près d’Ostie. plus trivial encore cet étal de boucherie où les carcasses sont pendues ou ce paysan qui évide un animal écorché

paysan écorchant une bête

Et bien sûr dans le décor somptueux des appartements ou la cour du Sphynx recouverte par une verrière.

 

 

Le parfum des fleurs la nuit – Leila Slimani

MA NUIT AU MUSEE

Les éditions Stock ont eu l’idée originale d’une collection « ma nuit au musée » : des écrivains ont été invités à passer une nuit dans un musée et de s’en inspirer pour rédiger un ouvrage. Leila Slimani  a eu le privilège de passer une nuit à Venise au Palazzo Grassi, Punta della Dogana parmi les œuvres de la Collection Pinault

« Non, ce qui m’a plu dans la proposition d’Alina, ce qui m’a poussée à l’accepter, c’est l’idée d’être enfermée.
Que personne ne puisse m’atteindre et que le dehors me soit inaccessible. Être seule dans un lieu dont je ne
pourrais pas sortir, où personne ne pourrait entrer. Sans doute est-ce un fantasme de romancier. Nous
faisons tous des rêves de cloître, de chambre à soi où nous serions à la fois les captifs et les geôliers. »

Ce ne sera pas un énième livre sur le voyage à  Venise, pour le tourisme, gondoles ou vaporetti, passez votre chemin. Ce n’est pas non plus la critique d’un expert en Art Contemporain, seules quelques œuvres seront évoquées, quoique… plutôt une réflexion sur le regard,

Marcel Duchamp disait que c’est le regardeur qui fait l’œuvre d’art. Si on le suit, ce n’est pas l’œuvre qui
n’est pas bonne ni intéressante. C’est le regardeur qui ne sait pas regarder.

Leila Slimani est écrivaine, elle souligne la nécessité de l’enfermement, de la concentration dans l’acte d’écriture. Elle fait partager au lecteur cette nécessité. Le Parfum des Fleurs la nuit est d’abord une méditation sur l’acte d’écrire.

« L’écriture est un combat pour l’immobilité, pour la concentration. »

Quel rapport avec le Musée? A premier abord, ce n’est pas clair

« Le musée reste pour moi une émanation de la culture occidentale, un espace élitiste dont je n’ai toujours
pas saisi les codes. »

L’autrice sera interpellée par quelques œuvres, quelques artistes. La peintre et poétesse libanaise Etel Adnan, « dont la figure plane au dessus-des autres » comme Leila Slimani,

«  elle a grandi dans un pays arabe au sein d’une famille francophone. Elle est ensuite devenue une immigrée aux Etats-Unis. Toute sa vie elle a vécu dans le pays des autres »

Le Rideau de Felix Gonzàlez-Torre lui inspire une impression de malaise, le chatoiement de rouge évoque le sang, l’hémorrhagie. Un instant, elle est tentée de tirer sur le fil et de répandre les billes rouges, tentation fugace du vandalisme? .

L’ œuvre de Hicham Barrada : grands  monolithes noirs éclairés de l’intérieur, terrariums géants contient les branches et les feuilles du Galant de nuit, une plante marocaine très odorante que Leila Slimani connait bien et dont le parfum ne s’exhale que la nuit. Rencontre inattendue qui donnera le titre du livre. 

Hicham Berrada, qui a conçu cette installation, a choisi d’inverser le cycle de la plante. Durant la journée,
le terrarium reste opaque, le jasmin est plongé dans l’obscurité mais l’odeur embaume le musée. La nuit,
au contraire, l’éclairage au sodium reproduit les conditions d’une journée d’été ensoleillée. Tout est
inversé, sens dessus dessous,

J’aime beaucoup les expériences chimico-spacio-temporelles de ce plasticien que j’ai vues à plusieurs reprises ICI

Du parfum du Galant de nuit, Leila, glisse dans des souvenirs marocains.  Des souvenirs de sa familles sont aussi évoqués par une sculpture de Tatiana Trouvé : le corps d’un homme a creusé des coussins évoquant l’absence de celui qui vient de se lever. De fil en aiguille, elle pense à son père , à son incarcération à la prison de Salé. Injustice que la fille se doit de venger. 

« Mon père est en prison. Et je suis écrivain. […]

j’écris et je le sauve, je lui offre des échappatoires…. »

Et à ce propos, elle cite l’écrivain turc incarcéré :

Comme tous les écrivains, j’ai des pouvoirs magiques. Je peux traverser les murs avec facilité », écrit
Ahmet Altan (Je ne reverrai plus le monde).

Cette nuit à la Dogana a été propice à la rêverie, à la méditation que l’écrivaine nous fait partager. je me suis laissé embarquer jusqu’au bout de la nuit.

Histoire de la Colonne infâme – Manzoni –

LIRE POUR L’ITALIE

Pour l’écriture de son chef d’œuvre, Les  Fiancés, Manzoni s’est livré à une préparation documentaire . L’Histoire de la Colonne Infâme devait figurer dans ce très gros bouquin, l’auteur a décidé d’en faire une œuvre à part entière. 

Claudialucia avait organisé une lecture commune des Fiancés de Manzoni ici

Milan, 1630. une épidémie de peste s’abat sur la ville. On cherche des coupables. Deux hommes ont été vus en train de recouvrir les murs de leur quartier d’un liquide jaunâtre qui aurait pour but de répandre le mal. On les arrête. Ils sont soumis à la torture et mis à mort en place publique; Sur l’emplacement de la maison détruite de l’un d’eux, afin que tous se souviennent, on érige une « colonne infâme »

C’est donc l’histoire du procès des « semeurs de peste ». C’est aussi un pamphlet condamnant la torture. C’est aussi un réquisitoire contre une justice qui ne cherche pas la vérité mais qui cherche à punir des coupables, à tout prix. Dans la préface, Eric Vuillard écrit :

« La Colonne infâme c’est J’accuse écrit par un Italien dans la première moitié du XIXème siècle »

Je pense à Zola,  à Voltaire… Mazoni n’est pas le premier à avoir étudié ce procès. Avant lui, Pietro Verri (1728-1797), économiste et philosophe avait dénoncé l’usage de la torture.

Pietro Verri s’était proposé, comme l’indique le titre même de son opuscule, de tirer de cette affaire un
argument contre la torture, en mettant en évidence que celle-ci avait pu extorquer l’aveu d’un crime
physiquement et moralement impossible. L’argument était probant, comme était noble et humaine la
thèse défendue.

Récemment, Sciascia a apporté un  regard contemporain dans l’Apostille qui est passionnante et surtout ne pas négliger. C’est la partie la plus percutante du livre parce qu’il nous renvoie à des préoccupations plus proches de nous. 

nous pouvons vérifier la justesse de la vision manzonienne en établissant une analogie entre les camps d’extermination nazis et les procès contre les propagateurs de la peste, leur supplice, leur mort. Lorsque l’historien Fausto Nicolini (que nous aurons plusieurs fois l’occasion de citer pour son livre La Peste et les Propagateurs de la peste [Peste e untori, 1937]) 

Ce livre assez court(185 pages) est dense. Le texte revient avec insistance sur toutes les étapes du Procès, les tortures mais aussi les espoirs des promesses d’impunité données aux accusés pour qu’ils dénoncent des « complices », toutes les failles juridiques (mais je ne suis pas juristes, j’ai donc eu du mal avec celles-ci).

Mais cela n’est pas nécessaire : car, même si toutes avaient été scrupuleusement remplies, il y avait dans ce
cas précis une circonstance qui rendait l’accusation radicalement et irrémédiablement nulle : le fait qu’elle
eût été conçue à la suite d’une promesse d’impunité. “À celui qui révèle des noms dans l’espoir de
l’impunité, que celle-ci soit accordée par la loi ou promise par le juge,

Il faut parfois s’accrocher pour saisir les nuances et les circonstances historiques : à Milan, le pouvoir était encore espagnol.

Une lecture un peu ardue mais tellement passionnante!

 

Le Choix – Viola Ardone

LITTERATURE ITALIENNE (SICILE)

Incipit :

Une fille, c’est comme une carafe : qui la casse la ramasse, dit toujours ma mère

La littérature italienne récente nous offre de belles figures de femmes s’affirmant dans un contexte patriarcal, aussi bien la saga de L’Amie Prodigieuse d’Elena Ferrante, que les romans de Silvia Avallone ou Francesca Melandri et  oublie….Sans parler du cinéma avec Il reste encore demain de Paola Cortellesi  et L’Immensità de Crialese….

Le Choix se déroule dans les années 60 à Martorana, village de Sicile. L’héroïne a à peine 12 ans, elle est bonne élève à l’école, aime chasser les grenouilles et les escargots avec son père, et ne se sent pas encore trop concernée par les règles qui enferment la vie des jeunes filles que tente le lui faire intégrer sa mère. L’affaire des filles c’est de trouver un mari. Oliva voudrait étudier pour être institutrice comme sa maîtresse Rosaria . 

« Mais la grammaire sert aussi à changer la vie des gens. Qu’est-ce que ça veut dire maîtresse? […]Que le féminin singulier dépend de nous et de toi aussi »

 Une femme au singulier n’existe pas. Si elle est à la maison, elle est avec ses enfants, si elle sort c’est pour aller à l’église, au marché ou aux enterrements, où il y a toujours d’autres femmes. Et s’il n’y a pas de femmes
pour la tenir à l’œil, il faut qu’elle soit accompagnée par un homme.

Quand arrive la puberté Oliva se conforme aux « règles » de vie des femmes, fini la chasse aux grenouilles, les camarades, surtout les garçons. Oliva a même un amoureux qui lui fait des sérénades devant chez elles, qui tente de l’entraîner dans la danse au bal. C’est un garçon riche qui possède la pâtisserie la plus huppée de la ville. Oliva dédaigne toutes ces faveurs et ne veut pas céder. Il l’enlève, la viole et c’est le déshonneur.

En Sicile, il y a un remède contre ce déshonneur : il suffit d’accepter le mariage avec le violeur et tout rentrera dans l’ordre. Voilà le choix. Réparer l’outrage par la soumission et le mariage ou porter plainte contre le violeur. 

Choix difficile….

Les règles du Mikado – Erri De Luca – Gallimard

LITTERATURE ITALIENNE

 

« Une des règles du Mikado consiste à oublier le tour précédent. C’est le contraire des échecs où les joueurs se
souviennent des combinaisons des parties. Le Mikado fait table rase. »

Chez Babélio, j’avais postulé pour la rencontre avec Erri De Luca à l’occasion de la parution de son livre. Depuis Montedidio, je suis les sorties de ses livres (à peu près un par an) . J’ai eu le grand plaisir d’écouter sa voix en podcast sur RadioFrance. J’aurai tant aimé le rencontrer « en vrai ». Mais je ne devais pas être la seule. 

L’œuvre d’Erri De Luca est diverse et réserve des surprises au lecteur qui découvre le livre sans avoir lu le 4ème de couverture ou de nombreuses critiques. Une constante :  le style, sobriété et épure. Densité pour ce court roman, 159 pages que j’ai lues d’une traite, d’un souffle.

« On dirait, oui, mais chaque position a un point d’équilibre. Maintenant je retire le noir qui se trouve sous les autres. — Comment as-tu fait ? — Les bâtonnets recouvraient le noir mais ne le touchaient pas. C’est comme démonter une montre. Une des règles du Mikado dit de retirer un bâtonnet sans respirer. Essaie. »

La vie avec le mikado comme métaphore, jeu solitaire, jeu d’adresse, de concentration, d’équilibre….

Engrenage de la vie, pour le héros de l’histoire, qui est horloger, adresse et patience.

D’autres jeux surgiront dans ce roman : échecs bien sûr, bridge ou poker, cartes, et le grand jeu comme l’aurait dit le regretté Le Carré. Mais j’en ai déjà trop dit ….Surtout ne pas spoiler!

S’il y a eu un metteur en scène au-dessus de nos têtes, il a joué aux marionnettes avec nous. Mais j’ai cessé
d’appeler destin ces événements. Tu as raison de désigner nos activités par le nom de Mikado.

 

 

Fille de Cendre – Ilaria Tuti

LITTERATURE ITALIENNE

Merci à Babélio et à la Masse Critique pour cet envoi que j’ai dévoré.  Mauvais genre? plutôt genre polar addictif qu’on ne lâche pas.  Après, difficile de rédiger une chronique qui ne divulgâche pas….

Comme Sur le toit de l’enfer  l’histoire se déroule dans le Frioul et j’ai le plaisir de retrouver la Commissaire Teresa Battaglia et son assistant Massimo Marini. Policière tout à fait atypique, profileuse, empathique, s’intéressant à la psychologie du tueur en série. Combattive, dans un monde d’hommes avec un supérieur macho, et un mari abusif, elle a gagné ses galons de commissaire de haute lutte. La commissaire livre un autre combat, perdu d’avance, contre la maladie d’Alzheimer qui progresse…

Trois histoires, à trois époques s’entrelacent dans le livre : une enquête « aujourd’hui » le début de l’intrigue «  27 ans plus tôt » et un récit « Au IVème siècle »  du temps de l’Empire romain, quand coexistaient le culte d’Isis, les débuts du Christianisme, et un curieux christianisme égyptien, cultes barbares aussi avec des guerriers Sarmates et leur chamane. J’ai eu l’occasion de découvrir le site d’Aquilée avec des mosaïques mystérieuses.

Un polar que je vous recommande!

 

 

Perspective(s) – Laurent Binet

RENTREE LLITTERAIRE 2023

Quelle plaisir, cette aventure dans Florence, 1557  en compagnie des plus grands. Roman épistolaire où les plus grands correspondent : Cosimo de Medicis le Duc régnant (1537-1569), Catherine de Médicis reine de France et Piero  Strozzi, maréchal de France…pour les politiques mais surtout, Michel-Ange Buenarroti fort occupé à peindre la Chapelle Sixtine mais sollicité, Benvenuto Cellini dont on connaît le Persée, Giorgio Vasari, moins connus, Bronzino , Allori et Bacchiacca (Francesco d’Ubertino). A tous ces artistes illustres s’ajouteront un page, le chef de police du Bargello, un broyeur de couleurs…et d’autres comparses, y compris des religieuses assez retorses…

Enigme policière : Jacopo da  Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques de la chapelle qu’il décorait depuis de nombreuses années dans un secret jaloux. Vasari, dépêché par le Duc et chargé de l’enquête découvre une anomalie, le mur a été repeint. Seul un artiste de talent a pu commettre le meurtre. Florence regorge d’artistes!

A ce meurtre, se mêle une affaire gênante pour les Médicis : Pontormo a peint un portrait de Maria de Medicis, fille du duc, dans une position compromettante. Il s’agit de faire disparaître le tableau.

Les deux affaires s’entremêlent, l’affaire du tableau semble prendre beaucoup plus d’importance que la découverte de l’assassin du vieux peintre.

Et pour compliquer le tout deux religieuses fanatiques, partisanes de Savonarole, mais se piquant de peinture sont mêlées à l’affaire du tableau.

Une révolte des petites mains de la peinture, broyeurs de couleurs, préparateurs des fresques, etc… s’organise. Exclus des corporations, ils tiennent des réunions secrètes….

La lectrice s’y perd un peu, mais s’amuse beaucoup en faisant de nombreuses incursions avec le smartphone dans les tableaux et fresques maniéristes. Quel plaisir de découvrir les œuvres dont il est question dans le livre.

Les péripéties autour du tableau sont rocambolesques, caché dans le cadre du lit de Cosimo, suspendu à une corde pour franchir le poste de garde de la Seigneurie, transporté dans l’inondation de l’Arno…c’est un vrai roman d’aventure.

Et voici que Vasari, pris dans une embuscade qui a mal tourné est forcé de se défendre avec une arbalète et qu’en tendant le carreau, il découvre (re-découvre) …la Perspective (?) et assène à son correspondant – Michel-Ange) toute une leçon d’histoire de l’art, de Masaccio à Uccello en passant par Brunelleschi. Echappant de peu à la mort, menacé par un Scaroncolo (oh Lorenzaccio!), il trouve le temps de faire de la théorie. Jouissif!

« C’est en vain que tu tends ton arc si tu ne sais pas où diriger ta flèche » – et moi je savais à cet instant! je déclenchais mon tir, et le carreau d’arbalète, suivant une trajectoire parfaite que mon esprit avait calculé et qu’une main invisible avait tracée dans l’air vint se ficher exactement entre ces deux yeux. Il bascula en arrière, le coup de feu se perdit dans le vide, et j’eus l’impression que la détonation me réveillait d’un long rêve d’une seconde.

Mais je n’avais pas rêvé. je m’étais souvenu de la perspective. Et voilà de quoi je veux m’entretenir, Messire Michel-Ange, mon cher maître. Dans notre soif de trouver une nouvelle manière de peindre pour surmonter, ou plutôt pour contourner la perfection atteinte nos pères et la vôtre, celle de Raphaël et celle de Léonard…..

Je ne veux quand même pas divulgâcher…et vous laisser le plaisir de vous perdre dans ces aventures et d’apprendre tout sur la peinture maniériste!

les blogueuses et blogueurs ont été nombreuses (x) à donner leur avis : Claudialucia,

Nathalie, 

eimelle

et j’en oublie sûrement que j’invite à se faire connaître….

Nicolas de Staël – MAM

Exposition Temporaire jusqu’au 21 janvier 2024

1953 Agrigente

Je me suis précipitée hier, le premier jour de l’Exposition au MAM, 15 septembre, impatiente. Je ne pouvais pas attendre. Grand coup de cœur pour Nicolas de Staël l’an passé à Antibes au Musée PicassoPour l’affiche : Agrigente chère à mon cœur, véritable fascination pour la Vallée des Temples où nous sommes retournées plusieurs fois. Enormément d’attente, et aucune déception, énormément d’émotion. 

1953 Agrigente (encore)

Retour sur des tableaux connus que j’ai revus comme des amis retrouvés.

1953 Sicile

Découverte de ceux que je ne connaissais pas.

Eblouissement.

Comme il est juste ce jaune de soufre qui me rappelle les mines de soufre proches d’Agrigente peintes par Guttoso

1948 – Lavis et encre

Rétrospective chronologique qui couvre toute la carrière de Nicolas de Staël depuis ses voyages marocains (1936), ses tableaux abstraits . Ses compositions où les formes se déclinent, s’épurent, s’empâtent dans une salle appelée Condensation

1950 Composition

les tableaux sombres s’éclaircissent. les à-plats épais se fractionnent en tesselles de tableaux mosaïques,

1951 La ville blanche

Mon préféré dans la salle présentant ces Fragmentations est un bouquet de fleurs si transparentes et si épaisses que je les avais prises pour des glaçons

1952 Fleurs

Je zappe les footballers du Parc des Princes archi-connus pour m’intéresser  à une série de marines et de ciels qui s’éloignent complètement de l’abstraction, petits cartons aux formats de poche ou tableaux plus grands. 

1952 Ciel à Honfleur,

ou ces très petits du Lavandou

.
..

 

 

 

 

 

Surprise par une très grande composition, théâtrale, symphonique. on se croirait portée sur une scène d’opéra. Illusion. Ce sont des bouteilles

1953 Bouteilles dans l’atelier

Eté 1953, Nicolas de Staël entreprend un voyage vers le sud : Provence sur le conseil de Char, puis Italie et Sicile. je n’ai pas eu la patience de suivre la chronologie pour présenter ces toiles lumineuses.

En 1954, il s’installe à Antibes . Je retrouve les toiles mystérieuses où apparaît une femme, Jeanne, son amante. Simplification des motifs, on dirait presque du Morandi. 

merveilleuse exposition!

 

La Malnata Beatrice Salvioni – Albin Michel

LITTERATURE ITALIENNE

Monza, 1935, le corps d’un jeune fasciste est retrouvé noyé dans le Lambro.

Francesca, 13 ans, raconte l’histoire son amitié passionnée pour la Malnata, celle qu’on ne doit ni fréquenter, ni même nommer, celle qui porte malheur. Francesca est la fille unique du patron d’une usine textile, éducation bourgeoise, conformiste, catholique, fasciste et hypocrite. Dès la fin de l’école primaire, elle est fascinée par La Malnata, Maddalena, farouche, violente, fille d’une famille nombreuse pauvre. Maddalena n’a peur de rien, elle joue avec les garçons de son âge sur les bords de la rivière, pêche, chasse les lézards. Rien ne lui fait peur. Pour se faire admette Francesca devra subir des épreuves initiatiques. On pense aux deux filles de l’Amie prodigieuse quoique le roman n’a pas la même ampleur

 

Toutes les autorités habillées de pied en cap se tenaient au garde-à-vous devant le casque renversé où les dames jetaient leur alliance, à côté des noms des morts de cette guerre où avait combattu le frère de maman et qu’ils appelaient « la Grande Guerre ».

[…]
Tout le monde s’en fiche du sang versé par ceux qui sont morts. La vieille guerre, ils l’ont déjà oubliée, ou ils ne
s’en souviennent que quand ça les arrange. Maintenant, ils parlent de la nouvelle, tu ne le vois pas ?

 

Roman historique : l’ambiance de Monza, à la veille de la guerre d’Ethiopie est racontée avec beaucoup de soin. Rites fascistes, compromissions, menaces pour ceux qui s’opposent. La Malnata sera renvoyée du collège pour avoir mal parlé (en latin) du Duce. Sanctions de la GrandeBretagne et de la France à l’invasion de l’Ethiopie.

 » A cause de la Grande-Bretagne et de la France, qui pendant ce temps jouissaient de leur place au soleil et
colonisaient à loisir tous les pays d’Afrique, on ne trouvait même plus de thé et ma mère en était réduite à boire du karkadè – du thé d’hibiscus. »

Roman d’apprentissage. Au début, Francesca et Maddalena sont des petites filles qui jouent avec les garçons. Puis viennent les premières règles, les premières « affaires de femmes » elles découvrent la place assignée aux jeunes filles. Et celle des hommes qui doivent aller à la guerre.

« C’était peut-être cela, être grande et être une femme : ce n’était pas le sang qui vous vient une fois par mois, ce n’étaient pas les commentaires des hommes ou les beaux vêtements. C’était rencontrer les yeux d’un homme qui vous disait : « Tu es à moi », et lui répondre : « Je ne suis à personne. » »

 

Je me suis laissé emporter par l’histoire et j’ai dévoré ce roman.

 

Madre piccola – Ubah Cristina Ali Farah – Zulma

LE MOIS ITALIEN D’EIMELLE

Mon « Voyage en Italie » 2023, m’a entraînée beaucoup plus loin que je ne l’imaginais :  en Erythrée avec Lucarelli et en Somalie avec Madre piccola. La colonisation italienne fait encore parler d’elle aujourd’hui, des décennies plus tard, surtout quand la guerre pousse encore jusqu’à ses rivages des réfugiés venant de la Corne de l’Afrique. 

Madre piccola a été rédigé en italien. L’auteure, Ubah Cristina Ali Farah, est italo-somalienne comme Domenica, l’une des héroïnes du roman. L’histoire se déroule en partie à Rome, en partie à Mogadiscio mais aussi aux Pays Bas, aux Etats Unis, à Londres, même en Finlande où la diaspora somalienne a trouvé asile. 

« Les voix de la diaspora ont lentement envahi mes sens, en chœur, s’entremêlant et se mélangeant de façon
parfois vertigineuse, mais stable. »

[…]
« Madre piccola naît donc d’une urgence et, encore une fois, d’une interrogation : comment une femme ou un
homme peuvent-ils de nouveau s’enraciner, retrouver leur centre de gravité dans un monde où ils ont perdu tout repère ? »

C’est un roman à plusieurs voix : celle de Domenica de mère italienne et de père somali qui se fait appeler Ahado, de son  nom somalien et qui recherche son  identité à la veille de donner naissance à son enfant. Barni, sa cousine, sage-femme, retrouve Domenica après une longue séparation. Taguere est le père de l’enfant, éloigné il raconte sa version de l’histoire en un monologue assez incohérent. 

C’est le roman des exilés après une cruelle et interminable guerre civile que je ne suis pas arrivée à situer dans le temps. Selon Wikipedia les troubles auraient commencé en 1978 et la guerre civile aurait éclaté en 1991. C’est à cette dernière date que les principaux protagonistes de l’histoire se sont exilés. C’est aussi le roman de la solidarité qui permet aux réfugiés de chaque fois trouver une solution à une situation inextricable.

« J’avais pris la solidarité pour un fait culturel qui nous était propre. Mais quelle culture refuse la solidarité ? »

Offrir un toit, garder un enfant, prêter son passeport. Partager des fêtes…

Fraternité ou plutôt sororité, c’est souvent le point de vue des femmes qui est envisagé dans une civilisation patriarcale :

« Un chapitre pénible. Il est tellement difficile pour les hommes de chez nous de trouver leur place. De se
redéfinir. De s’adapter. De s’accepter. De s’humilier. Parce que vous voyez, nous les femmes, au fond, on a des points de repère immuables : la maison, le quotidien, la maternité, l’intimité des relations humaines, c’est ça qui nous empêche de sombrer. »

Roman d’amour aussi, et de filiations avec des liens si distendus qu’ils paraissent irréels.

J’ai été happée par ce livre, agacée parfois par les incohérences des comportements masculins, bluffée par le courage des femmes.