Valérie Zenattiest la traductrice d’Aharon Appelfeld que j’apprécie beaucoup. Elle est aussi l’autrice de Une bouteille dans la mer de Gaza,et Dans le faisceau des vivants.
Depuis le 7octobre, j’ai écouté sa voix sur l’appli Radio-France sur Totemicde France Interet sur France Culture dans La Nuit Rêvée, voix familière amicale d’une femme dont je partage la culture française, l’hébreu et le goût de la musique de Leonard Cohen.
Acheter Qui-vive dès sa sortie m’a paru une évidence.
J’ai donc suivi avec empathie le voyage de Mathilde, mariée, mère d’une adolescente, professeur d’histoire qui part sur un coup de tête en Israël. Le décès de Leonard Cohen quelques jours après la victoire de Trump (2016), les confinements puis la perte de son grand père, autant d’évènements démoralisants se cumulant, l’ont déstabilisée.
En Israël, elle retrouve son cousin Raphy, qui évoque deux concerts de Léonard Cohen, en 1972 et 1973 disponibles sur YouTube : à Jérusalem,le chanteur a quitté la scène, avouant sa faiblesse, pendant la Guerre de Kippour devant des soldats au Sinaï. Occasion pour moi de réécouter Like a bird on a wire et Who by fire, loin enfouis dans ma mémoire. J’ai recherché sur Youtube les vidéos et les ai visionnées avec attention. 50 ans ont passé l’émotion demeure. Les images violentes me semblent prémonitoires . Les paroles de Who by fire renvoient à la prière de Kippour. Rien n’est explicité dans le livre, mais tout est sous-jacent. Merci à Valérie Zenatti pour ces révisions;
Au volant d’une voiture de location, Mathilde entreprend une virée vers le nord, Tibériade, au pied du Golan…road trip un peu limite . Même en temps calme, la guerre n’est pas loin.
Son voyage se termine à Jérusalem, dramatiquement…non je ne spoilerai pas à vous de le lire. Et cette fin dramatique me renvoie à la réalité actuelle.
Même si ce n’est pas le meilleur livre de cette autrice, cet ouvrage me parle. Et cela me suffit!
« Oui. Je pense que rien ne doit aller de soi en littérature. Quand vous dites familiarité, j’entends confort et
l’inconfort que Fernando Pessoa appelle joliment l’intranquillité, c’est une chose qui nous est nécessaire. »
Rosie Pinhas-Delpuech est l’auteur de Suite Byzantine et de Le Typographe de Whitechapel que j’ai lus avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, et d’autres romans et essais que je me promets de lire.
Rosie Pinhas-Delpuech est aussi la traductrice de Ronit Matalon dont j’ai lu récemment De face sur la photo et Le Bruit de nos pas, de Yael Neeman Nous étions l’avenir, Orly Castel-Bloom, Le Roman Egyptien…
Sa voix m’est familière, entendue à la radio, dans les podcasts de L’entretien littéraire avec Mathias Enard, La salle des Machines 28.11.21 et Talmudiques 31.07.22 à propos de Brenner et le désir d’hébreu.
A la suite du billet de La Viduité j’ai téléchargé La Faille du Bosphore que j’ai lu d’un seul souffle sans pouvoir le lâcher, une petite centaine de pages.
Ces entretiens portent sur le métier de traductriceet ses rapports avec le travail d’écriture puisque Rosie Pinhas-Delpuech pratique les deux activités.
« Paris, dans son appartement où depuis plus de quarante ans, elle confectionne à la manière d’une cordonnière, assise sur cette même chaise au cuir élimé, des textes dans les mots des autres et dans les siens propres. »
La traduction comme artisanat, comme critique littéraire, comme souffle, rythme et musique.
« Chaque matin, je dois m’échauffer, en relisant la traduction je remets du rythme, j’enlève des mots, je remplace des mots, j’entends des syllabes, c’est presque du travail poétique sur de la prose. Et ça ne se voit pas. On dirait que je raconte l’histoire qu’il raconte, mais ce n’est pas vrai. On travaille beaucoup ensemble, »
Rythme et musique du texte, l’hébreu lui évoque le Free Jazz, je ne m’y serais pas attendue. Et dans la musique du texte traduit la longueur des mots, des phrases, la ponctuation jouent leur rôle dans cette musique. Epurer, raccourcir, en dépit de la syntaxe très codifiée du français. C’est fascinant, inattendu.
En conclusion, la question très prosaïque qu’on n’oserait pas aborder : celle de la rémunération de la traduction qui est payée au feuillet et dont le statut est encore plus précaire que celui des intermittents du spectacle.
Et Le Bosphore, là-dedans? Istanbul est le lieu de naissance de Rosie Pinhas-Delpuech,ville cosmopolite et polyglotte, où petite fille elle est passée du Français paternel, à l’Allemand maternel, au Judéo-espagnol de la grand-mère et au Turc de l’école. Sans oublier la musique.
Istanbul, dans cette ville qui est un carrefour linguistique et culturel ainsi que dans votre famille où les langues se superposent à la manière des lignes d’une partition musicale […]bien avant de savoir parler, j’entendais beaucoup d’instruments, c’est-à-dire beaucoup de langues.
Ce très petit livre (55 pages, format -12.5cmx17cm), un peu plus épais qu’un tract, est paru le 29 septembre 2023 alors que des foules manifestaient à Tel Aviv pour la Démocratie . Huit jours plus tard, l’horreur…Beaucoup de choses ont changé mais c’est toujours un livre indispensable.
Charles Enderlin fut le correspondant d‘Antenne2 à Jérusalemde 1981 à 2015. Son visage nous est encore familier et plus encore sa voix. Chaque jour devant la télévision, je peste que les journalistes (même très pros, excellents) se succèdent et changent alors qu’Enderlin assurait une permanence garantissant une analyse approfondie de chaque évènement.
Cet opuscule livre l’historique des idées qui aboutissent à la mise en place, le 28 mai 2023, d’une Agence gouvernementale de « l’identité nationale juive » par Benjamin Netanyahouaboutissement des théories de son père Bension, adhérant en 1928 au parti révisionniste de Jabotinsky . Il présente également les théories du messianisme moderne du rabbin Kook, l’idéologie des colons et leur média Nekouda et leurs émules Moshé Koppel, Israël Harel.
Rappel des différentes étapes de la montée de la Droite nationaliste
2011, « loi dite de la Nakba » permettant de refuser toute subvention aux organisations commémorant la Nakba
2014 attaque contre des dirigeants d’ONG comme Breaking Silence (vétérans témoignant contre l’occupation, B’Tselem, et. associations israéliennes « accusées d’être des taupes complices du terrorismes ».
2016 nouvelle loi sur les financements » transparence des organisations soutenues par des entités étrangères ».
Sans parler du jugement rabbinique déclarant Rabin « rodef » légitimant ainsi son assassinat….
2022 entrée en scène de Smotrich et de Ben-Gvir au gouvernement, ouvertement racistes et suprémacistes à des postes décisionnaires
2023 projet de changement de régime du système judiciaire
« les ânes du Messie se sont rebellés »
Le lendemain, les manifestations de masse se sont organisées et ont continué pendant des mois.
Ceux que je prenais pour de doux rêveurs en costume folkorique, attendant le Messie en priant dans leurs quartiers réservés s’avèrent aussi de dangereux idéologues…glaçant!
Merci à Babélio et aux éditions Gallimard de m’avoir permis de lire ce livre et de participer à la rencontre avec l’auteure Zeruya Shalev dont j’ai lu, et apprécié les romans précédents, Thera, Ce qui reste de nos vies et Douleur.je retrouve avec grand plaisir son univers familier : un regard féminin et aiguisé sur la réalité israélienne racontée dans le théâtre familial de personnages qu’elle fait vivre au quotidien.
Deux voix féminines alternent : celle d’Atara, à peine la cinquantaine, architecte spécialisée dans la conservation de bâtiments anciens, mère de famille de deux enfants adultes de deux mariages successifs. Celle de Rachel, 90 ans, mère de deux fils. Un secret de famille dévoilé au décès du père d‘Atara , Mano:son mariage caché avec Rachel.
Atara retrouve Rachel et va exhumer un autre secret de famille : la participation de Rachelet de son premier mari , Mano (le père d’Atara) à la lutte du Lehi à la fin du Mandat Britannique. Mano et Rachel se sont aimés et mariés dans la clandestinité. Leur séparation est un autre mystère qui a pesé sur les relations familiales des deux familles et de leurs enfants. Nous découvrons cette époque lointaine, il y a 70 ans, des combats qui ont été occultés, l’amertume de ces idéalistes exaltés qui ont combattu les britanniques par le terrorisme tandis que ceux de la hagannah étaient loués en héros.
Est-ce un hasard si ces souvenirs resurgissent maintenant que l’extrême droite est au gouvernement en Israël? Selon Zeruya Shalev à qui j’ai posé la question hier, Lehi et Extrême Droite actuelle n’ont aucun rapport.
Un autre terrorisme sévit : Après une attaque au couteau à Jérusalem (p.124)
« pourquoi cela te choque? Vous aussi vous avez combattu l’occupant! Vous aussi vous avez combattu l’occupant! Quelle différence entre les combattants pour la libération d’Israël et ceux pour la libération de la Palestine »
Dans la double famille de Rachel et d’Atara toutes les nuances politiques coexistent : Rachel a choisi de vivre dans une implantation alors que son fils Yaïr refuse de passer la Ligne verte et d’aller dans les territoires occupés. Son deuxième fils Amihaï, a choisi d’être ultra-orthodoxe, voir sa mère dans les territoires occupés ne lui pose aucun problème, en revanche exposer ses enfants à la vie laïque est hors de question, la grand-mère ne peut donc pas les recevoir. . Lors de la rencontreavec l’autrice, le thème de la transmission, est au cœur du roman. Aucun des deux fils de Rachel ne partage ses idées laïques mais nationalistes.
La famille recomposée d’Atara est aussi compliquée : elle a eu une fille d’un précédent mariage et son mari Alex aussi, ensemble ils ont un fils Eden. Les trois enfants sont dispersés : Avigaïl la fille d’Atara étudiante aux Etats Unis, Yoav, le fils d’Alex est quelque part en Amérique latine, tandis qu’Eden qui a servi dans les commandos, est revenu mutique.
Alex et Atara habitent Haïfa, ville multiculturelle (p. 113)
« …sa ville-refuge, celle qui l’a accueillie à bras ouverts des années plus tôt; toute de vert et de bleu parée et dont le fonctionnement architectural l’a immédiatement émerveillée. Des constructions arabes datant de l’Empire ottoman et du mandat britannique, du bâti templier à côté d’édifices Bauhaus, un brassage culturel qui accompagne le brassement hypnotique de la montagne et de la mer… »
Pour cette architecte, les lieux jouent aussi leur partition dans le livre et toute leur symbolique.
Rachel(p.2567 exprime ses doutes
« Israël est devenu un endroit surpeuplé, gris, barricadé, qui se cache derrière des murs et des barbelés, signe qu’il n’a plus foi dans sa légitimité »
Le contexte historique, politique, social et géographique m’a bien sûr intéressée mais Stupeur est avant tout une histoire familiale. Zeruya Shalev est une experte dans l’analyse des rapports dans le couple, entre parents et enfants. Elle dissèque ces relations avec une acuité particulière. Aussi bien l’amour, le coup de foudre que les choix qu’une femme fait entre l’amour maternel et l’attention portée à son conjoint. Elle met en évidence toutes les facettes et les choix qui se posent à une femme, surtout si elle est mère.
J’ai été happée par l’histoire de la rencontre d’Atara et de Rachel, j’ai aimé aussi l’évocation des relations conjugales entre Alexet Atara.
J’ai aussi été intéressée par les références bibliques, l’irruption du bouc émissaire, du personnage de Jephté même si cela n’est pas vraiment ma tasse de thé.
Je ne dévoilerai pas plus loin l’histoire, lisez-le livre!
En attendant de rencontrer Zeruya Shalev dans les salons de l’éditeur Gallimard , j’ai eu le plaisir de l’écouter sur les podcasts de RadioFrance dans l’Heure Bleue de Laure AdlerCLIC Quel dommage que cette émission s’arrête! et Par les Temps qui courent pour son romanDouleur. CLIC
La soirée de présentation de Stupeur par Zeruya Shalev dans les salons de son éditeur, Gallimard, a été très chaleureuse. J’ai eu le plaisir de l’écouter en hébreu, relayée par son interprète, à tour de rôle, tandis qu’à la radio la voix de la traductrice se superpose et empêche l’écoute en V.O. J’ai apprécié sa grande simplicité : une leçon d’écriture. L’écrivaine se laisse guider par ses personnages qui s’imposent à elle dans toute leur complexité et elle nous a montré comment elle les fait vivre. Héroïnes fortes, sans filtre, qui ont même occasionné des réactions violentes chez les lecteurs en Israël qui l’ont abordée dans la rue . Je crois que je vais relire ses romans!
« les photographies témoignaient, exagéraient, ou bien ni l’un ni l’autre : elles créaient un troisième monde, une zone intermédiaire de pénombre entre les deux, à l’intérieur de laquelle proliférait l’erreur comme dans un bouillon de culture, l’échec de l’œil, l’histoire fallacieuse, l’illusion qui la produit. »
On lit le roman comme on feuillette un album de famille.
Famille de Juifs égyptiens dispersée entre Israël, d’où vient la narratrice, Esther, Douala où vit son oncle Cicurel qui l’accueille, les Etats Unis, la France, l’Australie. Cet album de famille rassemble des photos anciennes prises en Egypte à la fin des années 40, quelques photos en Israël, la plupart mettent en scène l’oncle Cicurel, l’homme d’affaires qui a réussi en Afrique. Il y a aussi des « photos manquantes » perdues ou volées par ceux qui ont voulu emporter une image de famille.
« Elles m’expédient là-bas, en Afrique, chez l’oncle riche qui fera peut-être de l’ordre dans ma tête, pour que je
me pose un peu, ici ou là-bas, peu importe. L’essentiel étant que quelque chose m’atteigne, l’idée de “famille”
avec le totem du patriarche, fût-ce l’ombre de son ombre. »
La narratrice décrit avec précision les personnages, le décor. On comprend qu’un personnage central, la Nonna Fortunée, a perdu la vue et la nécessité de cette description minutieuse.
Façon puzzle, on reconstitue l’histoire de cette famille levantine dans les mots d’Esther qui est venue apporter au Cameroun le lien familial si important mais si distant que l’Oncle Cicurel tient à maintenir. Le commerçant n’est pas vraiment un raconteur, il se met en scène, met en scène sa réussite sur des photos qu’il expédie à sa mère et à ses frères et sa sœur. On découvre aussi l’Oncle Moïse, le sioniste, qui a fait venir sa famille. Et aussi, les absents comme cette cousine énigmatique, Nadine perdue de vue à New York…Diversité des personnalités et des destins.
Est-ce que tu regrettes d’avoir quitté l’Égypte ? — Regretter ? s’étonne ma mère. Pas du tout. J’ai la nostalgie, je crève de nostalgie, mais je n’ai pas de regrets, Zouza. Notre vie là-bas est finie. — Mais vos racines sont là-bas, tante Inès. Qu’aviez-vous à faire ici ? — Des racines, des racines. C’est des chaussures qu’il faut. L’être humain n’a pas besoin de racines, Zouza. Il a besoin d’une maison.
Esther découvre aussi l’Afrique, la colonisation, le monde colonial séparé de la population autochtone, les rapports de domination qu’elle saisit avec vivacité.
J’ai découvert ce roman en écoutant le podcast de France Culture : Le Roman de la Grande Bleue présenté par Mathias Enard qui avait convié Rosie Pinhas Delpuech, et j’ai tout de suite su que ce livre était « pour moi« . De plus, je viens de voir Mizrahim, film de Michale Boganim et Les Cahier noirs de Shlomi Elkabetz (à la mémoire de Ronit Elkabetz) et Le Roman Egyptien se trouve dans la suite logique de cette production mizrahit en Israël.
« La mère de Viviane aussi s’appelait Flore, mais la famille vivait depuis des siècles en Égypte, depuis trop de siècles, peut-être des milliers d’années, car d’après ce que Flore avait raconté à Viviane, il semblerait qu’ils appartenaient à ce fameux clan, à cette unique famille dont il n’est pas question dans l’histoire d’Israël, ces gens qui désobéirent à Moïse, refusèrent de quitter l’Égypte durant la grande sortie, et y restèrent comme esclaves. Il fallut des siècles pour qu’ils soient affranchis et deviennent des chasseurs sauvages, et quand les juifs arrivèrent en Égypte après l’expulsion d’Espagne, ces gens s’empressèrent de se rapprocher d’eux, car d’une certaine manière obscure et mystique, ils sentirent l’antique proximité. »
Le Roman Egyptien raconte la saga de la famille Castil, juifs égyptiens originaire d’ Egypte depuis toujours, depuis la sortie d’Egypte aux temps bibliques, aux Castil chassés d’Espagne par les rois Catholiques, montés en Israël au tout débuts des années 50 avec des idéaux socialistes, arrivés au kibboutz Ein Shemeravec un groupe de l‘Hashomer Hatzair d’où ils ont été chassés.
« Charlie était trop antireligieux à son goût. Et trop communiste aussi. Il y baignait jusqu’au cou, Hashomer Hatzaïr par-ci, Hashomer Hatzaïr par-là, il n’y en avait que pour le mouvement de jeunesse socialiste ouvrier.
[…] Viviane avait quitté le kibboutz Ein Shemer en même temps que tout le noyau égyptien, mais Charlie avait voulu achever ses quatre années d’engagement, qui équivalaient à un service militaire. De toute façon, la vie de kibboutz l’enchantait. Surtout les travaux des champs et la cuisine. »
Viviane et Charlie, Adèle et Vita, et les autres égyptiens vont s’établir en ville, leurs enfants formeront un noyau solidaire qui traverse le temps jusque aux années 2010, déménagements, enfants, et maladies….
Ce n’est pas un récit chronologique linéaire, plutôt un puzzle qui traverse les siècles qui saute des manifestations au Caire contre le roi Farouk à l’Inquisition en Espagne à la fin du XVème siècle. Certains personnages sont nommés d’autres non, la Grande, la Petite, la fille unique et la lectrice doit s’accrocher pour se rappeler qui sont les parents, les enfants, dans cette tribu qui fait des aller-retours entre les divers appartements. Je me suis livrée avec grand plaisir à cette gymnastique un peu déroutante.
J’ai beaucoup aimé les descriptions de la vie au kibboutz, repas pris en commun, réunions et débats idéologiques, travaux des champs et puis ensuite je me suis promenée dans les rues de Tel Aviv et de ses environs : un voyage dépaysant. Ce « roman égyptien » est plus israélien qu’égyptien!
A la suite de la lecture du Khazar rouge de Shlomo Sands j’ai lu La Treizième Tribu, l’empire Khazard‘Arthur Koestler qui m’a beaucoup intéressée. Voici que je trouve dans une boîte à livres, La Tour d’Ezra dans la vieille édition de 1966,le même livre de poche que j’ai lu, adolescente, il y a plus de 50 ans. La Tour d’Ezra et Exodus de Leon Uris étaient la légende dorée d’Israël, enflammant la romantique adolescente rêvant de la société idéale qu’était le kibboutz….
La Tour d’Ezrasupportera-t-elle la relecture ?
Commençons par la dédicace, ambigüe : à la fois à la mémoire de Jabotinsky et à ses amis d’Ain Hashofeth (Hashomer Hatzair), du kibboutz Heftsibah (que Arthur Koestler a voulu intégrer, refusé). Etrange mélange idéologique. Cette ambiguïté va planer dans le courant du livre. Joseph, le héros de la Tour d’Ezra est un des fondateurs du kibboutz. L’histoire s’ouvre avec l’arrivée de nuit, sur la colline, des pionniers qui érigent d’abord la tour puis installent les premiers bâtiments et doivent défendre la colonie des attaques de leurs voisins du village palestinien proche. Histoire héroïque, enthousiasme de ces jeunes idéalistes. On suit avec bonheur cette évocation de la vie quotidienne des pionniers, leurs premiers succès, les discussions idéologiques.
En revanche, leurs voisins palestiniens ne sont pas décrits à leur avantage. Le mukhtar et ses fils sont caricaturaux, misère crasse, jalousies…De ma première lecture, je ne me souviens de rien. Peut-être, moi-même ne voulais-je pas les voir? Certains pionniers, les plus à gauche, souhaitent des relations de bon voisinage ; on ne le voit pas agir. Cette position politique provoque des conflits au sein de la communauté mais ne se traduit pas dans les faits.
Au cours de l’histoire, on voit s’exacerber le nationalisme juif qui n’existait pas au début du roman. Un premier personnage quitte la commune pour rejoindre les terroristes. Certains le traitent de fasciste et préfèrent couper les ponts, ce n’est pas le cas de tous. Un second personnage de premier plan choisit la lutte armée et la clandestinité. En parallèle, la situation des Juifs européens empire et la publication du Livre Blanc britannique qui bloque l’entrée des Juifs persécutés en Palestine et l’interdiction acquisition de nouvelles terres rend la situation difficile et conforte les terroristes dans leurs actions contre le pouvoir britannique. Arthur Koestler raconte l’histoire en prenant partie pour l’Irgoun et même le Groupe Stern (citation de poèmes de Yair (Abraham Stern). Il décrit les pratiques terroristes sans chercher à les voiler y compris dans les aspects les plus caricaturaux .
Un autre aspect m’a mis mal à l’aise c ‘est l’emploi du mot « race », tabou aujourd’hui, mais pas en 1945! Caractériser la « race juive » en utilisant les poncifs des antisémites, même en justifiant ceux-ci par la persécution millénaire, n’est pas lisible pour le lecteur d’aujourd’hui. En revanche, les observations concernant les Anglais, odieux en colonisateurs mais gentils, polis sur leur île, sont plutôt plaisantes.
Le personnage de Koestler lui-même a été ressenti longtemps comme ambigu, non pas dans sa position vis-à-vis du sionisme mais plutôt avec ses écrits sur le stalinisme et ses conflits avec les intellectuels communistes ou compagnons de route du PCF. J’ai trouvé un podcast passionnant sur l’appli RadioFrance CLIC ainsi que CLIC.
Encore dans cet ouvrage publié en français récemment, (avril 2022) en hébreu (2017) Aharon Appelfeld nous entraîne en Bucovine, sur les bords du Pruth pendant l’occupation allemande et évoque le massacre des Juifs dans les petits villages. Alors que Mon père et ma mère, Tsili, Les Partisans avaient pour narrateur un enfant-juif, le personnage principal, Irénaest une paysanne orthodoxe.
Elle alla machinalement vers la fenêtre. Une scène sidérante s’offrit à ses yeux : le père, la mère et les deux filles étaient alignés devant l’entrée de leur magasin. le corps ceint d’un tablier bleu, la mère avait le buste penché en avant comme arrêtée en plein mouvement<;
Le mari se tenait près d’elle dans ses vêtements gris habituels, un sourire flottant sur ses lèvres tremblantes, comme s’il était accusé d’une faute qu’il n’avait pas commise.
» Qu’est-ce que c’est ça? » murmura Iréna en ouvrant sa fenêtre.
Elle les distingua mieux. leur position alignée lui rappela les enfants à l’école. C’était bien entendu une mauvaise comparaison. Ils se tenaient comme des adultes, sans piétiner et bousculer……
La stupeur : c’est celle d’Iréna, sidérée par le sort de ses voisins, les Katz que le gendarme Illitch, sur ordre des Allemands fait d’abord aligner, puis agenouiller, creuser une fosse avant de les fusiller. L’épicier du village, sa femme et ses deux filles vont être assassinés devant tous les villageois qui déménagent leurs meubles, creusent la cour pour trouver des trésors enfouis. Seule, Iréna, les prend en pitié mais n’a pas le courage de s’interposer.
Iréna, simple paysanne ukrainienne, est victime d’un mari violent, elle souffre de maux de tête. Adéla Katz, étudiante-infirmière était son amie d’enfance comme Branka, la simplette. Les parents ont toujours entretenu des relations de bon voisinage malgré l’antisémitisme virulent des paysans.
« les Juifs se sont infiltrés dans mon âme et ne me laissent pas en paix. »
A la suite du massacre, Iréna décide d’aller dans la montagne visiter sa tante qui vit comme une ermite. Le remords de n’avoir pu aider ses voisins la tenaille, elle sent la présence des Juifs morts l’obséder. Elle trouve un peu de paix auprès de sa tante très pieuse puis d’un ermite, un sage. Elle entreprend une sorte de vie errante et interpelle les paysans dans les auberges où elle s’arrête :
« Jésus était juif. Il faut être clément envers ses descendants qui sont morts, et ne pas se comporter avec eux en usant de la force. Il faut les laisser s’installer aux fenêtres, marcher dans leurs cours et leurs maisons abandonnées. Il est interdit de lever sur eux un bâton ou de leur jeter des pierres. »
Les hommes réagissent très violemment à ces paroles tandis que les femmes l’accueillent avec bienveillance, les prostituées, les femmes battues, les simples fermières la protègent. Elle rencontre d’autres femmes sensibles au sort des juifs assassiné dans la région, l’une d’elle cache un enfant. Certaines la prennent comme une sainte, pensent qu’elle peut accomplir des miracles.
J’ai été étonnée de cette figure chrétienne mystique, parfois j’ai eu du mal à la suivre. Heureusement j’ai écouté Valérie Zenatti– la traductrice d’Appelfeld par les temps qui courent et j’ai eu l’occasion d’écouter le poème de Celan : Todesfugetrès impressionnant que Celan lit dans la vidéo ci-dessous : Celanest né comme Appelfeld à Czernovitzmais a continué à utiliser l’Allemand alors qu‘Appelfeld a choisi l’hébreu.
Le titre complet est LES NETANYAHOU ou le récit d’un épisode somme toute mineur, voir carrément négligeable, dans l’histoire d’une famille très célèbre
Si vous achetez ce livre pour avoir des détails sur la politique israélienne récente, ou sur les affaires concernant Benhamin Netanyahou vous allez être déçu! Cet « épisode » se déroule dans une petite ville américaine en 1959/1960. Bibi, le Nétanyahou le plus célèbre aujourd’hui, avait alors 10 ans et personne n’imagine sa future carrière. D’ailleurs, le Nétanyahou qui occupe le devant de la scène est son père Benzion venu postuler pour un poste d’enseignant au sein d’une petite université américaine.
Il s’agit donc d’un roman drolatique dans la veine de ceux de Philip Roth, de Samuel Bellow, ou des films de Woody Allen, de cet humour juif newyorkais qui oscille entre nostalgie et farce.
« Non, j’affirme simplement que pour ma génération, un Juif avait de la chance de passer pour un blanc, que la couleur la plus ouvertement honnie était le rouge, que l’écriture inclusive n’était pas encore à l’ordre du jour, et que pour chaque minorité la mode, autant que la plus sûre des protections, était à l’assimilation – et sûrement pas à la différenciation.) »
Le narrateur, Ruben Bloom, est un universitaire, un historien, le seul juif de l’université Corbin. A ce titre, le directeur de son département le charge de faire partie de la commission de recrutement et d’accueillir Benzion Netanyahou.
Ruben Blum est un personnage fictif inspiré du critique de lettres américaines, Harold Blum, ami de l’auteur. La visite de Benzion Netanyahou a vraiment eu lieu ( peut-être pas toutes les péripéties).
Les parents, et beaux-parents de Ruben Blum offrent les spécimens de Juifs Newyorkais. Les Blum, modestes tailleurs d’origine russo-ukrainiennes, pratiquants tandis que les Steinmetz, les parent d’Edith d’origine de Rhénanie sophistiqués. Rivalité entre le Bronx et Manhattan :
« Cette antipathie entre Blum et Steinmetz, un marxiste pourrait l’explique en termes de lutte des classes , comme la tension entre travailleurs et possesseurs : les Blum (mon père taillait le tissu, ma mère le repassait) confectionnaient les vêtements, les Steinmetz fournissaient la matière : les cousins d’Edith étaient dans le textile, ses parents dans la passementerie… »
Les visites des uns et des autres sont des épisodes amusants.
Il est bien sûr question des Netanyahaou: le grand-père, Rabbi Mileikowski partisan de Jabotinsky « sioniste révisionniste« , et à la fin du livre de Benyamin et de ses frères. Ruben Bloom se documentant sur les travaux et les recommandations de Benzion a reçu divers avis dont une longue lettre détaillant la carrière de ce dernier et faisant apparaître son rôle politique : chercher à étendre l’idéologie sioniste révisionniste dans la société américaine, y compris chez les chrétiens pour en faire des alliés. Les recherches du Professeur Benzion concernent l’Espagne médiévale, ses thèses seraient assez fumeuses, selon certains, très orientées idéologiquement.
sa fonction de représentant principal de Jabotinsky aux États-Unis….[…]
Bref, voici un homme qui travailla sans relâche pour bâtir non seulement une carrière, mais un État – l’État juif
[…] A plusieurs reprises, Nétanyahou a fait preuve d’une tendance à vouloir politiser le passé juif et à faire de ses traumatismes un outil de propagande.
[…] que soit l’environnement intellectuel, relier entre eux pogroms à l’ère des Croisades et Inquisitions ibériques et Reich nazi, ne peut pas ne pas être perçu comme un acte outrepassant les limites de l’analogie hâtive, et ce, dans le but d’affirmer l’aspect cyclique de l’histoire juive – une cyclicité dangereusement proche du mystique. […] Aux yeux de Jabotinsky, mais surtout aux yeux du jeune Nétanyahou, l’Europe était finie – l’Europe semait la mort –, seule l’Amérique représentait l’avenir.
La carrière du fils serait largement inspirée de celle de son père. Cet aspect du livre m’a beaucoup intéressée.
Qui aurait pensé que la laïcarde, anticléricale aurait été enchantée par le livre d’une rabbine?
Qui aurait pensé que la voyageuse, bien matérialiste, éloignée de toute préoccupation funéraire aurait choisi un titre comme « Vivre avec nos morts« ?
Et pourtant c’est un véritable coup de cœur que ce livre !
Delphine Horvilleurest une merveilleuse conteuse. Une de ses fonctions de rabbine est d’accompagner au cimetière les familles avec le kaddish, et quelques paroles pour les vivants. Aucune formule toute faite. Une évocation toute en humanité de celui ou celle qui a quitté ce monde.
11 chapitres.
Le premier Azraël, l’ange de la mort, nous entraîne en salle de dissection. Avant d’être rabbine, Delphine Horvilleur a étudié la médecine. Elle démontre que la mort se trouve au cœur de la vie, avant même la naissance, in utero, la mort cellulaire est nécessaire à la formation des doigts de la main…
« La biologie m’a appris combien la mort fait partie de nos vies. »
Les autres chapitres ont pour titre un prénom, ou deux, et présentent une personne : Elsa Cayat « la psy ce Charlie »
« je vous présente Delphine, notre rabbin. Mais ne vous inquiétez pas, C’est un rabbin laïc! »
Cérémonie rappelant les attentats de Charlie Hebdo, occasion de rappeler la place dans le judaïsme de la laïcité et de la place d’une juive non croyante. Occasion aussi de raconter des traditions juives, comme celle de déposer un caillou sur les tombes.
Marc, l’homme du 3ème chapitre est un anonyme. A son propos, Delphine Horvilleur nous raconte des histoires de fantômes, histoires de revenants dont la tenue blanche rappelle le linceul. Et elle nous enseigne les traditions d’inhumations et la vieille légende du Dibbouk. Merveilleuse conteuse qui allie souvenirs d’enfances, textes bibliques, et histoire juive récente.
Sarah et Sarah évoquent le « panier des générations » ou comment se transmet l’histoire familiale. Histoire qui pourrait être tragique puisque Sarah est née en Hongrie avant guerre et se trouve déportée à Auschwitz. Jamais le récit ne cède au pathos il est allégé par des blagues juives;
Marceline et Simone, les « fille de Birkenau » est sans doute mon chapitre préféré, leçon de vie illustrée par la Légende de Skotzel, avocate des femmes auprès du Tout-Puissant portée par la pyramide des femmes.
Je ne peux résumer en quelques ligne chaque partie du livre, ni m’étendre sur les référence à la Bible, comme la mort de Moïse et les interprétations rabbiniques.
j’ai été très touchée par le récit de la journée qu’elle a passé avec son ami le jour de la mort de Rabin et son rapport à la terre d’Israël et à l’hébreu. Pouvoir des mots, rapport du sacré
« Et si, interroge-t-il (Gershom Sholem) en s’imaginant rendre profane un langage ancestral religieux et apocalyptique, on enclenchait un processus inévitable, le retour de la violence messianique? «
Cette violence se traduit dans l’attentat de Hébron dans le caveau des patriarches, le jour de Pourim
« Dans son geste et à coup de mitraillette, tentait-il de réveiller Abraham, Isaac et Jacob de leur repos éternel pour qu’ils assistent à la scène? N’avait-il pas déjà convié Esther pour qu’ils assistent à al scène? […] toute une littérature messianique se joignait à la fête pour propulser la fin du monde. C’était écrit, il restait à faire… »
Le livre se termine par Edgar, l’oncle de la conteuse qui place cette histoire sous le signe de la conscience et les vers de Victor Hugo de la légende des siècles . Elle nous conduit dans le petit cimetière alsacien de Westhoffen où son oncle Edgar repose. Cimetière profané le 3 décembre 2019.