Une journée dans la vie d’Abed Salama -Anatomie d’une tragédie à Jérusalem – Nathan Thrall

PALESTINE

Une journée dans la vie d'Abed Salama : anatomie d'une tragédie à Jérusalem

Nathan Thrall journaliste américain – récompensé par le Prix Pulitzer 2024 enquête sur un fait divers  : l’accident et l’incendie d’un bus scolaire le 16 février 2012 qui a conduit au décès de 7 personnes dont six enfants d’une école maternelle en sortie. Abed Salama est le père d’un petit garçon de 5 ans. 

Cet essai de 400 pages( dont une quarantaine en annexe) et références très détaillées, sources officielles israéliennes, palestiniennes, des Nations Unies, journalistiques, entretiens…un travail approfondi et sérieux.

Ce n’est pas du tout un texte aride ou ennuyeux. Des chapitres présentent les personnages et leur histoire personnelle.  il raconte une histoire qui commence avec la Nakba (1948) et l’histoire de  la Palestine, Première Intifada(1987), Accords d’Oslo (1993), Seconde Intifada(2000-2002), avec. les violences et les incarcérations . Personnages palestiniens et israéliens, tous nommés, caractérisés avec leurs interactions.  Un chapitre est consacré à la conception de la barrière de séparation, son inventeur, les arguments des différentes parties concernées.

Surtout, ce sont des personnages qui ont des vies diverses, des histoires d’amour, des mariages plus ou moins heureux, des carrières professionnelles ou politiques. Les chapitres s’entrelacent. Vie quotidienne compliquée par les checkpoints, où la couleur de la carte d’identité permettra ou interdira le passage. L’apartheid est régulé par la couleur de la carte. Heureux possesseurs d’une carte de couleur bleue qui permet l’accès à Jérusalem !

Ces 350 pages se lisent comme un roman. Au début, je n’avais pas compris qu’il s’agissait de véritables personnes et de leur vraie vie. C’est à la lecture des annexes que j’ai vu l’ampleur de la documentation du journaliste.

La tragédie a bien fait l’objet d’une enquête, de la recherche des responsabilités dans l’accident : négligences des chauffeurs du camion ou du car, indemnités. Le drame aurait-il pu être évité? Le tribunal a jugé.

Si des coupables furent désignés, personne — ni les enquêteurs, ni les avocats, ni les
magistrats — ne pointa les causes véritables de la tragédie. Personne n’évoqua le manque chronique de
classes à Jérusalem-Est, qui avait conduit de nombreux parents à envoyer leur progéniture dans des
écoles de Cisjordanie très médiocrement encadrées. Personne ne pointa non plus du doigt le mur de
séparation et le système d’autorisations qui avaient contraint.

Personne ne fit remarquer qu’une seule et unique route par ailleurs très mal entretenue ne pouvait
suffire au trafic routier palestinien nord-sud de la zone Grand Jérusalem-Ramallah. Et personne ne
rappela non plus que les checkpoints étaient utilisés pour endiguer la circulation palestinienne et
faciliter celle des colons aux heures de pointe. Personne ne releva que l’absence de services de secours d’
un côté du mur de séparation ne pouvait que conduire à une tragédie. Personne ne déclara que les
Palestiniens qui vivaient dans la région de Jérusalem étaient négligés parce que l’État juif cherchait
activement à réduire leur présence là où l’expansion d’Israël était la priorité des priorités. Et personne ne
fut tenu de rendre des comptes pour tout cela

 

 

Nos cœurs invincibles – Correspondance entre une étudiante à Gaza et une étudiante en Israël

APRES LE 7 OCTOBRE 

Présentation de l’éditeur :

De mars 2024 jusqu’à aujourd’hui, au milieu des tirs de roquettes, du chaos de la guerre et de la mort de leurs proches, elles se parlent de leur quotidien, de leurs études de droit; de leurs peurs, mais aussi de leurs livres préférés, de leurs rêves, de leurs projets d’avenir.

Cette correspondance inédite proposée par Dimitri Krier, journaliste au Nouvel Obs n’est pas seulement un document exceptionnel sur la vie de ces deux étudiantes,: elle ouvre un dialogue entre Gaza et Israël, entre deux jeunes femmes, entre deux « coeurs invincibles » qui ont préféré les mots aux armes pour résister

Après une longue préface de Dimitri Krier justifiant son initiative, la conversation épistolaire entre Tala et Michelle raconte le quotidien des deux jeunes filles. Le journaliste pointe l’impossibilité de raconter ce qui se passe à Gaza. Les journalistes étant empêchés de faire leur travail, cet échange de lettre apporte un regard décalé par rapport aux images de la télévision.

Certes, ces jeunes filles ne sont peut être pas représentatives des populations respectives. Michelle « a grandi dans le camp de la paix » et a fréquenté la seule école « mixte » où enfants juifs et palestiniens s étudient ensemble. Tala travaille avec une ONG pour faire du soutien scolaire et psychologique auprès des enfants déplacés. Tout ce qui peut encourager le dialogue est  bon à prendre! Il faut toujours encourager ces initiatives.

Se souvenir malgré toutes les atrocités, des êtres humains sont face à face. Mettre des visages, donner des voix. Rappelons l’orchestre de Daniel Bareboim West-Eastern Divan Orchestra. Aussi l’histoire vraie racontée dans le roman Apeirogon. 

 

Tout ce qui vous est resté – Ghassan Kanafani

PALESTINE

Très court roman : 71 pages en numérique.

Isabella Hammad, dans le Tract Gallimard -Reconnaître l’étranger a évoqué longuement un autre livre de Ghassan Kanafani : Retour à Haïfa que j’ai cherché : indisponible en Français  J’ai donc trouvé Tout ce qui vous est resté

Dès la première page, dans une « Clarification » l’auteur présente son roman

« Comme on le verra, dès le départ, les cinq personnages de ce roman, Hamed, Maryam, Zakaria, l’Horloge et le Désert n’évoluent pas selon des lignes parallèles ou opposées. Dans ce roman, nous trouvons à la place une série de lignes entrecroisées qui se rejoignent parfois de telle manière qu’elles semblent ne former que deux brins et pas plus. Ce processus de fusion implique également les indications de temps et de lieu, de sorte qu’il ne semble pas y avoir de distinction claire entre des lieux et des temps en même temps…. »

Le lecteur est prévenu. Il va nager en pleine confusion (et pas fusion). Pour l’aider, un visuel est prévu avec des changements de police : italique, gras, petites lettres, plus grandes. Quand les caractères changent, un autre personnage monologue ou plus rarement dialogue. Et ce n’est pas du tout évident de savoir qui parle, et à qui le narrateur s’adresse. Gaza où ont abouti les personnages, Jaffa d’où ils ont fui, le désert que traverse Hamed, à pied tentant de rejoindre la Jordanie où vit sa mère qu’il n’a pas vue depuis 20 ans.

Famille éclatée, nostalgie, exil, une mosaïque mal assemblée pour un tableau impressionniste de soleil levant dans le désert.  Dans le désert Hamed croise un soldat israélien et le prend en otage. Incompréhension totale, l’un et l’autre ne parlent pas la même langue. Peur réciproque. Quant à l’horloge, comparée à un cercueil, je n’ai pas bien compris son histoire.

Etrange!

 

Reconnaitre l’étranger – Isabella Hammad – Tracts (N°70) Gallimard

PALESTINE

Isabella Haddad est une romancière Anglo-Palestinienne. Son roman Enter Ghost vient d’être traduit en Français et figure à la Rentrée Littéraire 2025. Je l’ai lu avec grand intérêt et grand plaisir. Les images catastrophiques qui parviennent sur nos écrans de télévisions ne permettent pas de faire connaissance avec les Palestiniens présentés soit comme terroristes, soit comme victimes de guerre mais rarement comme individus. 

Où est notre humanité? L’absence d’empathie pour les victimes et les otages du  7 Octobre, et plus tard, vis à vis de la population de Gaza, affamée et bombardée. Sommes nous encore des êtres humains capables de reconnaître l’étranger comme être humain? Vivons nous sur terre ou dans des bulles étanches, bulles de vengeance, de religion, d’idéologie?

Après le Tract N°60 d’Eva Illouz – le 8-octobre Généalogie d’une haine vertueuse. J’étais très curieuse du tract d’Isabella Haddad qui me semblait lui répondre. Attention : Reconnaître l’étranger est composé de plusieurs textes : une conférence tenue en septembre 2023 consacrée à Edward Said (donc juste avant les évènements), puis d’une postface Gaza novembre 2023, enfin, un Post-scriptum, mai 2025. 

Communément considéré comme une figure radicale aux États-Unis, Said a d’abord et surtout été un
théoricien de la littérature. Le rapport entre les représentations traditionnelles de l’Europe, en matière
de littérature notamment, et les conquêtes du pouvoir impérialiste est l’objet d’étude sur lequel il a
choisi de braquer notre regard. Il n’en reste pas moins que le roman demeurait son sujet, un sujet de
prédilection.

l’Orientalisme CLIC m’a impressionnée mais que j’aurais plutôt classé dans la catégorie Essais que Roman. Isabella Hammad est romancière, elle expose ici les clés de sa propre création littéraire, l’une d’elle est la Construction de scènes de Reconnaissance ou moments d’anagnorisis  concept hérité d’Aristote. Elle explicite de terme savant en l’illustrant d’exemples universels comme le mythe d’Œdipe

il a nommé anagnorisis l’instant où la vérité se fait jour pour un personnage, cet instant qui aimante l’
intrigue, ce noeud de tous les mystères. Dans le schéma classique où l’action culmine avant de retomber
avec le dénouement, c’est bien au sommet, au moment du retournement tragique, que l’anagnorisis se
produit en général.

Soudain, les diverses prédictions de la pièce s’imbriquent, la vérité éclate, Œdipe a d’ores et déjà tué son père et épousé sa mère. C’est l’instant de la reconnaissance

 Cet épisode de la reconnaissance est aussi à la base du roman de Ghassan Kanafani, Retour à Haïfa, (malheureusement indisponible en français) où deux réfugiés de la Nakba retournent dans leur maison de Haïfa où ils avaient abandonné leur bébé, Khaldoun, lors de leur fuite.  Khaldoun devenu Dov refuse de les suivre. 

Telle est l’histoire du roman de Ghassan Kanafani Retour à Haïfa,

Comme celle de l’histoire d’Œdipe, cette intrigue repose sur des retrouvailles familiales perverties. […]
Dans ces cas-là, il s’agit de l’identité de tel ou tel : celui qu’on prenait pour un étranger fait partie de la
famille.
[…]
Dans la tragédie, comme dans le roman, comme dans la vie, les forces humaines ne font pas le poids face à celles du destin, des circonstances ou du hasard »

Reconnaissance dans la tragédie familiale mais aussi reconnaissance de l’autre comme humain dans la tragédie politique

J’ai autrefois entendu Omar Barghouti, activiste palestinien et cofondateur du mouvement BDS,
Boycott, Désinvestissement et Sanctions, parler d’un « instant mes yeux s’ouvrent », que j’appellerai
pour ma part, vous l’aurez compris, l’instant de reconnaissance. Il parlait plus précisément du tournant
dans l’action où l’Israélien réalise que le Palestinien est un être humain au même titre que lui.

L’autrice raconte l’écriture d’une nouvelle inspirée par la rencontre avec un soldat déserteur. Elle « fait intervenir l’idée d’épiphanie »

« l’instant épiphanique n’est pas tant l’instant où l’on comprend que celui où s’introduit un changement
de perspective.
Le problème, avec le soldat israélien de Barghouti et celui de ma nouvelle, c’est qu’on prend pour sujet de
l’épiphanie un non-Palestinien, qui se décentre et reconnaît brutalement l’humanité du Palestinien. »

Isabella Hammad évoque un premier roman biographique racontant son grand père (pas traduit en français). Elle se réfère à la littérature mondiale : entre autres L’amie prodigieuse .

A l’inverse de la Reconnaissance, le Déni

 » Le déni, c’est, pourrait-on dire, le contraire absolu de la reconnaissance. Pourtant, le déni lui-même
repose sur un mode de savoir. C’est une façon de se détourner délibérément, par peur peut-être, d’un
savoir potentiellement destructeur. Ainsi de Khaldoun-Dov, qui renie ses parents enfin de retour à
Haïfa. Ainsi de Pierre reniant le Christ. Ainsi des climatosceptiques. Ainsi des propriétaires d’esclaves et
économistes du XIXe siècle affirmant que mettre fin à la servitude des hommes n’est pas viable
économiquement »

Les deux postfaces sont des constats terribles des ravages de la guerre et une affirmation ferme de l’identité palestinienne. Des constats terribles  qui n’apportent que peu d’ouvertures pour la paix.

Hamlet le long du mur – Isabella Hammad – Gallimard

PALESTINE

Enter Ghost : le titre en VO, plus shakespearien que VF

Le Théâtre comme Résistance,  cérémonie politique, catharsis. C’est la vocation première du théâtre antique. Thème du Quatrième Mur de Sorj Chalandon où une troupe multicommunautaire répétait Antigone dans Beyrouth en guerre. Souvenir ancien d’une Antigone de Sophocle jouée par le Théâtre National Palestinien CLIC 

En ce lendemain de Reconnaissance de la Palestine par la France, par delà les débats stratégiques, diplomatiques, je suis avide de connaître les Palestiniens, côté culture, ou vie quotidienne. En passant, citons les Chroniques de Haïfa, film de Scandar Copti CLIC en salles actuellement. 

Isabella Hammad est une écrivaine Anglo-Palestinienne de langue anglaise. Elle maîtrise donc la pièce de Shakespeare qui est la trame du roman. Comme je ne suis pas familière du théâtre élisabéthain, j’ai dû télécharger le texte de la pièce pour m’y retrouver dans les personnages et la progression des actes et des scènes. 

« Tu veux dire que Hamlet est un martyr comme un martyr palestinien ?

waël : (Il hausse les épaules.) C’est ça.

mariam : OK. On en discute un peu.

waël  : Moi je dis ça dans l’idée d’Ibrahim.

mariam : Rien de ce que vous avez dit n’est faux. C’est même très intéressant, je trouve.

ibrahim :  Quelle vision optimiste de la libération nationale ! Tout le monde meurt à la fin.[…] Il libère quelle nation, Hamlet ? Pause. george : Le Danemark, non ? majed  : Mais tu es sûr que tuer Claudius libère le Danemark ? Est-ce que tuer Claudius ne donne pas le Danemark à Fortinbras, au contraire ?

mariam :  Alors…

majed : Et puis est-ce que le Danemark est la Palestine ? Ou bien Israël ? Ce temps « désarticulé », ce qui est pourri dans l’État, l’État d’Israël ? Je ne fais pas d’ironie, hein, ce sont de vraies questions. « 

Sonia Nasir, comme l’autrice, est Anglo-Palestinienne. Elle débarque à Haïfa munie d’un passeport britannique pour passer des vacances chez sa sœur, une universitaire. Elle est actrice, en attente du rôle de Gertrude dans Hamlet que doit monter Harold, son amant. Elle renoue avec sa famille, entre Haïfa dont elle est originaire et Ramallah. Le roman va se dérouler en Israël, Cisjordanie et Jérusalem. Isabella Hammad a commencé le roman en 2017  avec la fermeture de l’Esplanade des Mosquées et les évènements qui en ont découlé. Période de tension mais pas de guerre ouverte comme maintenant. La circulation entre ces différentes zones n’est pas impossible surtout avec les passeports britanniques ou israéliens, mais les checkpoints la compliquent sérieusement. 

Sonia fait la connaissance d’une metteuse en scène, Mariam, qui monte Hamlet en Cisjordanie. Sa troupe est presque complète mais il lui manque Ophélie et Gertrude. Mariam propose à Sonia de les dépanner pendant la première lecture en lisant les rôles des actrices manquantes. 

Le roman raconte le montage de la pièce, les répétitions. Tout le travail est décrit avec les tensions dans la troupe, jalousies, origines sociales différentes. Trouver des financements n’est pas évident, surtout dans cette période de tension. Les différents exercices préliminaires sont particulièrement intéressants. De même que les interprétations de la pièce.

« Je n’en peux plus, de ces symboles. Les clefs, les keffiehs, c’est vrai, quoi, c’est tout ce qu’on a ? Des
oliviers ? On n’a vraiment rien d’autre ? » Sa réaction me paraissait si outrée que j’allais lui demander si
elle allait bien, mais je me suis entendue lui dire : « Ah, allez, tu peux pas dire ça. C’est notre héritage.

On n’a qu’à mettre une ceinture d’explosifs à Ophélie, et ce sera parfait. »

Sonia est venue retrouver sa sœur, sa famille, ses origines. Ces retrouvailles avec ses racines sont parfois difficiles. Une histoire tragique. Des secrets qu’elle découvre.. Des souvenirs d’enfance qui surgissent. Roman très sensible.

« Je suis allée jusqu’à la maison. Je suis allée voir qui y habitait. » Je lui ai laissé le temps de répondre, mais il
n’a rien dit. « C’était un Juif, avec sa famille. Il n’a pas aimé nous voir traîner devant. — Tu lui as dit qui
tu étais ? — Bien sûr. — Très bien. » Il a émis un claquement de langue, et ri dans un souffle. « Il a eu peur
de toi. Tu es un spectre, pour lui. — C’est moi, le fantôme ? — Nous les hantons. Ils veulent nous tuer
mais nous refusons de mourir. Même aujourd’hui, alors que nous avons presque tout perdu.

Ce n’est pas une lecture facile par manque de références.  Une fois que j’ai téléchargé et relu Hamlet, et identifié les rôles et les différents acteurs (certains jouent plusieurs rôles) je me suis laissée entrainer dans le cours de ce roman touffu et je ne l’ai plus lâché. Lecture addictive. Et j’ai bien aimé!

 

L’homme qui lisait des livres – Rachid Benzine – Rentrée littéraire 2025

GAZA 

2014, Un reporter-photographe cherche à faire des photos de Gaza plus originale et personnelle que celles qui illustrent la guerre à Gaza

« Tu n’as pas encore déclenché ton appareil. Tu crains de briser un moment de grâce. Il y a tout dans cette
scène. Tout ce que Gaza est devenue. Un vieux libraire accroché encore à ses bouquins, qui lit à deux pas
des ruines. Comme si les mots pouvaient le sauver dud’ bruit, de la souffrance, de la mort lente de la ville. »

« vous savez , ce n’est pas rien une photographie. Je ne vous connais pas. Vous ne me connaissez pas. Il serait peut-être plus aimable que nous prenions le temps de nous rencontrer »

Prélude au récit de toute une vie. Vie d’exils du village à Nazareth,  de la Nakba au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, vie sous tente, puis à Jabalya, études au Caire, à Gaza, Prison en Israël…Chaque chapitre de la vie a pour sous-titre un livre. La Condition  Humaine, La Légende des Siècles, Hamlet, Si c’était un homme, Le Livre de Job, Cent ans de Solitude… que nous connaissons tous. Mais aussi des poèmes de Mourid al-Barghouti, La chronique du figuier barbare de Sahar Khalifa. Fanon aussi

Un jour, Abu Khalil m’a donné un livre différent de tout ce que j’avais pu lire jusqu’alors. C’était un essai
récent. Le titre : Les Damnés de la terre. L’auteur : Frantz Fanon. Ce texte puissant, centré sur la
décolonisation, a été mon guide. Fanon y décrit la lutte des peuples opprimés pour leur dignité. Ce livre
m’a ouvert à l’idée que la révolte est non seulement nécessaire, mais légitime. J’en suis ressorti comme s’
il m’avait confié une mission, confié un enseignement. Et comme s’il avait placé sa confiance en moi
pour le transmettre.

La lecture comme liberté, comme lutte politique, pour échapper à la violence, comme émancipation.

Un livre sensible, intelligent qui offre une image de Gaza et des Gazaouis si loin des images de destructions et de ruines que nous offrent les actualités.

Les Certitudes – Marie Semelin- JC Lattès – rentrée littéraire 2025

APRES LE 7 OCTOBRE …

Colocation transgénérationnelle: Anna la trentaine, journaliste pigiste, vient habiter chez Madame Simone, soixante dix ans. La cohabitation se passe à merveille et dure quatre ans. Madame Simone est une dame alerte, encore secrétaire médicale du docteur Habib, soignée, sportive et très discrète. Moments de tendresse partagée. Un jour elle a lancé ; « Warde, je veux être enterrée à Jérusalem » et a ajouté « je te confie cette volonté parce que tu vis dans mon cœur ». 

Au décès de Madame Simone, le Docteur Habib organise la Shiv’ah et réunit les proches. Occasion d’évoquer la défunte, ses lectures, son goût pour le théâtre. Sa dernière volonté : d’être inhumée à Jérusalem a été négligée. S’en suit un scandale quand le Consistoire intervient.

Quelques mois plus tard, Anna reçoit un appel de Jérusalem. Elle doit faire le voyage pour entrer en possession d’un appartement que Simone lui aurait légué. Anna débarque donc en Israël désertée de ses touristes en pleine guerre.

Pour ne pas spoiler je ne vous raconterai pas les secrets de Madame Simone.

Si le début parisien du roman ne m’avait pas passionnée, la suite en Israël est tout à fait intéressante. Anna va découvrir le pays sous tension. Elle va vivre le quotidien d’habitants de la banlieue de Tel Aviv. A Jérusalem, fera la connaissance d’un soldat souffrant de stress post-traumatique, qui raconte sa guerre à Gaza.

Anna rejoint Ramallah et subit les check-points. Toute une aventure que de s’y rendre en  autobus. Elle rencontre un peintre palestinien traumatisé par une incarcération …

En découvrant les secrets de Madame Simone que je ne dévoilerai pas (bis) le roman raconte la vie de ces Mizrahim, juifs orientaux confinés dans des quartiers périphériques, évoque les Panterim (Black Panters séfarades dans la fin des années  60), évoque la frontière entre Jérusalem jordanienne d’avant la Guerre des Six Jours, et après… Et tout cela est bien intéressant.

J’ai seulement regretté que l’héroïne du roman, journaliste, n’ai pas exercé son métier pour construire un reportage. Mais ce n’était pas le sujet. Plutôt que sortir, elle préfère capter les journaux télévisés. Marie Semelin, justement a été correspondante au Moyen Orient, pour Radio-France et aurait pu faire d’Anna une journaliste plus impliquée.

 

Le 7 octobre, le trou dans son cœur s’est réveillé. Elle a entendu les nouvelles. Elle s’est dit : voilà, c’est
fini. La plaque tectonique s’est fendue. Elle bougeait, elle s’entrechoquait, elle frottait. Elle a été secouée,
malmenée, des microfissures la rongeaient de mille façons. Elle tenait. Elle n’était pas détruite. Il y avait
encore un fil, pas épais mais tout de même, un espace commun, on pouvait circuler, aller d’un coin à l’
autre. C’est fini. La plaque s’est fendue. Détachée. Il n’y a plus, il n’y aura plus de retour en arrière. Le
massacre et sa vengeance. Les douleurs vont plonger si profond, dans des puits si sombres, qu’aucune
main tendue à sa surface ne pourra nous en sortir. Il fait trop noir. Il faut partir de trop loin.

 

J’étais roi à Jérusalem – Laura Ulonati

Moi, je suis surtout un homme qui rit, un homme qui joue. Moi, Wasif, fils de Jiryis Jawhariyyeh, j’étais
roi à Jérusalem.

 

Wasif Jawhariyyeh, joueur d’oud,  naquit en 1897 dans une famille de notables  arabes chrétiens orthodoxes de Jérusalem alors ottomane. Laura Ulonati a choisi ce personnage artiste, buveur, jouisseur, un « non-héros » pour conter l’histoire de Jérusalem du début du XXème siècle jusqu’aux lendemains de la guerre des Six Jours avec la conquête de la Vieille Ville par Israël. Témoin de tous les changements du Moyen Orient, de la première Guerre Mondiale avec la Déclaration Balfour, le Mandat britannique, les émeutes de Nabi Moussa en 1920, celles de  1929, et les différents Livres Blancs britanniques (1922, 1930, 1939) puis les guerres, la Nakba et la destruction des maisons, des souvenirs disparus…


Mieux que des mots, le son de l’oud fait revivre la voix de Jérusalem, sa sensualité faite de hanches et de
peaux. Sa langue tambour, son toucher cuir. Ce filet de flûte sur lequel tient la géographie de nos cordes
sensibles. Tout ce qui mérite le souvenir : les arpèges d’un poème séfarade, la transe d’une mélodie
improvisée, les jeux de prunelles avec une spectatrice, le silence des corps juste avant cette lutte qu’est l’
amour, les acclamations d’une foule qui se soulève, la peur qu’inspire une simple chanson aux pires
tyrans. Une musique unique.

Jérusalem, 1900 – 1917, laisse entrevoir la coexistence des différentes communautés, la musique un lien pour les unir. Mais la fin de la guerre sonne la fin de cette communauté

Les Balfour et les Allenby ne renversèrent pas la potion magique, non. Ils la détournèrent. Selon un
savoir-faire colonial bien rodé, ils la captèrent, puis la divisèrent pour mieux régner, ne donnant plus qu’
à boire à une minorité. Une ration distillant la haine goutte à goutte, jusqu’à tarir la source commune.

Un roman historique, nostalgique, loin des proclamations religieuses ou ethniques. Agréable à lire. Mais pour l’Histoire avec un grand H je recommanderais plutôt les ouvrages de Vincent Lemire : Jérusalem 1900 CLIC et l‘Histoire de Jérusalem et surtout Il était un pays : Une vie en Palestine de Sari Nusseibeh. CLIC l’auteure les cites dans ses références bibliographiques. 

Aimer Israël, soutenir la Palestine – Nir Avishai Cohen – trad. Bertrand Bloch – l’Harmattan

 APRES LE  7 OCTOBRE … 

Depuis le 7 Octobre, l’actualité s’impose avec des images très douloureuses. Grâce à Facebook, j’obtiens des documents, au jour le jour, sur la page de LA PAIX MAINTENANT, la Newsletter de +972,. Je guette les prises de parole des écrivains israéliens que je suis depuis longtemps. Après la stupeur, les voix ont mis du temps à se faire entendre : David Grossman et sa tribune dans La Repubblica, Dror Mishani, Au ras du sol. Les paroles prémonitoires d’Amos Oz.  Et récemment, de nombreux officiers. 

Aimer Israël, soutenir la Palestine est un court essai de 212 pages, écrit et publié à compte d’auteur en 2022, traduit récemment par Bertrand Bloch avec un addendum rédigé après le 7 Octobre.

En 12 chapitres, Nir Avishaï Cohen présente son soutien à la solution à deux états et une analyse très pointue de la situation politique en Israël. Cet essai est très agréable à lire parce qu’il se lit comme un roman. Nir Avishai Cohen se raconte depuis son enfance dans un moshav, puis son service militaire, ses périodes de réserve, et son engagement politique au sein du parti Meretz et dans « Breaking the silence » organisation d’anciens militaires témoignant de l’action des militaires dans les Territoires occupés. 

Bien qu’il ait été vilipendé, traité de traitre, même insulté de kapo, Nir Avishai Cohen se présente comme un patriote, un combattant, un officier de Tsahal qu’il ne renie jamais.

« Oui, c’est comme ça aujourd’hui dans de nombreux endroits en Israël: si vous ne faites pas partie du courant dominant, vous êtes automatiquement quelqu’un qui hait les Juifs et un ennemi de votre pays. »

Il raconte comment il a pris conscience des aspects négatifs de la colonisation au fil de son histoire personnelle et de ses faits d’armes. Jeune recrue, il n’a pas eu conscience tout de suite des conséquences de ses actions, au Liban d’abord puis dans les territoires :

« au plus profond de moi que les deux valeurs fondamentales dans lesquelles j’avais grandi, l’amour de la terre et l’amour de l’autre, étaient bafouées. Ces valeurs n’étaient pas prises en compte à Jénine en 2002. Mes actions militaires n’avaient rien à voir avec cet amour de la terre et mon respect de l’autre. »
Cette prise de conscience n’a pas été immédiate du fait du lavage de cerveau que tous subissent.
C’est un véritable lavage de cerveau orienté à droite, qui glorifie les colonies, et maintient ces jeunes dans une ignorance certaine. Moins ces garçons et ces filles en savent, plus le système peut introduire dans leur cerveau le mantra “Les Arabes sont mauvais et les Juifs sont bons”.
Ajouter à ceci qu’il n’est pas souhaitable de douter ou de discuter. Un militaire agit d’abord et réfléchit (peut-être) après….
Il découvre finalement un véritable apartheid. Son sens moral, et ses conviction démocratiques, ne sont pas les seuls arguments. Selon lui, défendre les colonies est aussi une très mauvaise stratégie pour la défense d’Israël :
de plus, les colonies nuisent à la sécurité du pays puisque leurs positions rendent impossible le tracé d’une frontière solide entre les Palestiniens et l’État d’Israël.
Les colonies constituent aussi un véritable obstacle, probablement le seul, à un traité de paix entre Israël et les Palestiniens
Le lecteur suit le cheminement de la pensée dans ces témoignages criants qui débouchent sur l’action militante. Une voix discordante porteuse d’optimisme quand même.
J’aime mon pays, mais je n’en suis pas fier. J’aspire à ce moment où je serai fier d’Israël, où je pourrai parcourir le monde et dire fièrement que je suis Israélien. Je crois que ce jour viendra; le bien finira par prévaloir.
d’avoir présenté cet ouvrage illustré d’une belle carte.

Trésors sauvés de GAZA – 5000 ans d’Histoire – à L’IMA

Exposition temporaire à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 02 novembre 2025

Un patrimoine en exil 2006, 529 œuvres rejoignent Genève pour une exposition. Elle devaient constituer le futur musée archéologique de Gaza.

Cette exposition s’inscrit dans une démarche de préservation des trésors culturels du monde. Dans le même esprit, j’avais beaucoup apprécié l’exposition Cité millénaires – Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul à l’IMA en 2018 ICI

Dromadaire chargé d’amphores

Les images de Gaza sont désolation et ruines, on n’imagine pas que sous les décombres une histoire très riche se cache. Gaza, oasis, à la limite du désert et de la mer, fut selon Strabon la plus grande ville de Syrie. Elle est entrée dans l’Histoire avec Thoutmosis (1504 – 1450). Au mur, une immense carte incluant la Méditerranée et  l’Arabie montre les routes commerçantes convergeant vers cette cité maritime. 

Des ancres de pierre, des anneaux d’amarrage témoignent de cette vocation maritime dès l’Age de Bronze. Egyptiens, Hittites, Philistins, Nabatéens y convergèrent. Alexandre de Macédoine livra bataille pour la conquérir. De la période hellénistique l’exposition présente une série d’amphores et une jolie statue d’Aphrodite (ou Hécate)

97 av. JC, Gaza est conquise par un royaume Juif puis laissée à l’abandon. En 61 av. JC, Pompée s’en empare et construit une cité romaine. De cette époque témoignent de très fines lampes à huile

Cupidon lance ses filets dans les vagues

Au IVème siècle  s’installent. le monachisme se développe avec le monastère de Saint Hilarion, l’église Saint Porphyre.

Une belle mosaïque occupe le centre de la pièce avec des motifs d’animaux exotiques, girafes, éléphants, béliers, aigle et des grappes de raisin séparant les médaillons.

631 : la ville est conquise par les armées musulmanes, la population étant majoritairement chrétienne avec de petites communautés juives et samariennes.

Gaza : une ville commerçante balance romaine, pièces de monnaie et trésor de pièces agglomérées

Les Croisades 1149 et 1187 induisent une nouvelle période de violence.

Les Mamelouks l’occupent (1260 – 1279).

En 1516 Gaza devient ottomane

Gaza au début du XXème siècle

La deuxième partie de l’exposition contient des photographies anciennes de l’Ecole Biblique et Archéologique française de Jérusalem (1905-1922). Elles montrent les monuments et surtout une campagne paisible ainsi que les monuments.

Au centre de la pièce, des photos récentes en couleur (2022 à 2025) Certaines témoignent des destructions récentes. Le Qasr al Basha, siège du pouvoir mamelouk était le musée depuis 2010. Bonaparte y a passé trois jours;

Photo émouvante de la cérémonie de Noël célébrée dans l’église orthodoxe Saint Porphyre le 7 janvier 2025.

Une vidéo en images de synthèse reconstitue le monastère Saint Hilarion.

Enfin au mur on voit la cartographie des sites archéologiques bombardés.