La Nécropole des Gens Heureux – Souvenirs d’Antioche – Bahar Kimyongür – Ed Poussière de Lune

MASSE CRITIQUE BABELIO

 

J’aime les surprises que nous offre Babélio. Auteur inconnu, éditeur inconnu aussi, c’est le sous-titre Souvenirs d’Antioche qui m’a fait cocher la case dans la liste. Antioche me fait rêver : Antioche, hellénistique, romaine, chrétienne, croisée, syrienne ou turque? 

j’ai donc ouvert ce livre sans aucune idée préconçue. Il commence par une fouille archéologique menée par deux adolescents belges Haydar et Albin. Référence à Indiana Jones. Roman d’aventure? Haydar dont la famille est originaire de la région fait visiter la Turquie. Road trip? J’ai d’abord cru à une lecture jeunesse.

« Ton bled est complètement fou. Des villes grecques peuplées d’arabes chrétiens et alaouites. Une montagne porte un nom juif avec des villages arméniens ou turkmènes. on en perd son latin.

-Attend demain. Il y a tout près un village arménien où les gens de toutes les religions rendent visite à un arbre. 

-qu’y a-t-il de si extraordinaire?

-on dit que c’est le platane de Moïse… »

Le « mont juif » c’est Musa Dagh dont Franz Werfel a raconté la tragédie  pendant le génocide arménien ; je le relirais volontiers.

Son ami rentré en Belgique, Haydar retourne dans sa famille et nous présente ses cousins et toute sa famille qui habite autour de Samandag. Ils sont alaouites. On découvre leurs traditions et  croyances pourtant gardées secrètes empruntant des fêtes aux chrétiens, proche du chiisme, éloigné du sunnisme turc. Une tradition de persécutions de la par des sunnites a renforcé le secret et la résistance des alaouites qui se réfugiaient dans la montagne.  Population arabophone, mais qu’on a alphabétisé en turc avec des lettres latines. Quand la famille d’Haydar est allée en Syrie voisine il était incapable de lire l’arabe. Son père l’enverra à la mosquée pour apprendre à lire l’arabe. 

Roman d’apprentissage, les jeunes étudient à l’université et se politisent. A gauche. En 1980 le putsch de Kenan Evren a mis les militaires au pouvoir. Le jeune Haydar les compare dans le livre à des scarabées. Puis opposition à la Premier Ministre Tansu Ciller dans les années 90. Je ne savais pas que la Turquie avait eu une femme à la tête du gouvernement. J’apprends beaucoup de choses dans ce livre!

Le roman d’Haydar, ses allers retours entre la Belgique se termine en 1999. Son engagement militant contre la torture le conduit  au tribunal et même en prison. Il lui ferme les portes de la Turquie. Antioche et Samandag deviennent « l’inaccessible Ithaque » . Le séisme de 2023 va anéantir 90% de la ville d’Antioche : l’Apocalypse, titre de l’avant dernier chapitre du livre. 

Ce témoignage est très riche, la lecture agréable. J’ai essayé de me documenter sur l’auteur. Wikipédia présente Bahar Kimyongür comme un journaliste belge militant qui vit sous la menace des poursuites d’Erdogan. Il a même subit un attentat en 2018. Cependant, certains lui ont reproché de relayer les positions de Bachar El-Assad, favorable en Syrie à la minorité alaouite. merci encore à Babélio et à l’éditeur qui m’ont offert 

Au Fil de l’Or- l’Art de se vêtir de l’Orient au Soleil Levant – Au Quai Branly

Exposition temporaire jusqu’au 6 juillet 2025

Guo Pei – 5 robes brodées de fil d’or 15 personnes et 5 années de travail

De soie et d’or, costumes d’apparat, de pouvoir, de noces,  ou d’Eglise, d’Orient en Occident, fils d’or, brocarts, lamés ont voyagé et l’exposition du Quai Branly emmène le visiteur pour un voyage éblouissant.

maroc

Mais attention, prévoir du temps, l’exposition est très riche, riche de l’or, bien sûr, mais riche en thématiques, le fil d’or et les techniques du travail de l’or, et les brodeuses au travail.  Un parcours chronologique au fil du temps, de la Préhistoire à l’invention du lurex qui imite le fil métallique.

Tunisie : Robes de noces

Un voyage d’Ouest en Est, du Maghreb au Pays du Soleil Levant.

Arabie Saoudite

Comme le fil d’or a souvent été mêlé au fil de soie, des digressions à Madagascar où on a essayé de filer la soie des araignées, et au Cambodge avec les petits cocons de soie jaune.

Non, ce n’est pas de l’or, mais des cocons de soie jaune cambodgienne

Et comme s’il fallait encore en rajouter, les mannequins habillées des robes prestigieuses de Guo Pei ponctuent le parcours. 

Guo Pei : Manteau traîne de l’Himalaya – 25 personnes y ont travaillé

Les techniques de broderies et tissages sont tellement variées qu’il est impossible de les résumer. Des pépites battues pour obtenir des bractées (feuilles d’or) dès la préhistoire, aux lamelles d’or collées à de la baudruche et découpées en rondelles, au fil tréfilé, puis enroulé … j’ai été fascinée par la vidéo montrant 6 femmes nouant dans leur doigts le fil que la maîtresse aplatissait en un galon précieux.

Broderie chinoise

Combien de points variés dans cette broderie chinoise?

Vous ressortirez ébloui!

 

 

 

 

 

Hiver au Proche-Orient – Anne-Marie Schwarzenbach – Payot Rivages

VOYAGE EN ORIENT

Encore une écrivaine-voyageuse! Une exploratrice dans le cortège des Gertrud Bell, Alexandra David-Neel, Ella Maillart, Agatha Christie…et tant d’autres. J’ai rencontré Anne-Marie Schwarzbach en compagnie d‘Ella Maillart dans La voie cruelle, les deux voyageuses, à bord d’une automobile sur la Route de la Soie, jusqu’en Afghanistan. Le podcast Vies de Voyages : Annemarie Schwarzenbach : « l’ange inconsolable » (1908-1942)  CLICm’a donné envie de télécharger ce récit de voyage.

Annemarie Schwarzenbach est née à Zurich. Amie de Klaus et Erik Mann elle fuit l’Europe à la prise de pouvoir par les nazis et passe l’hiver 33/34 au Proche -Orient. Journaliste, photographe, elle accompagne des archéologues à travers la Turquie, la Syrie, le Liban, la Palestine, l’Irak et la Perse. 

C’est ici que l’on rassemble des peuples venus des plaines d’Orient pour les jeter à l’assaut de l’Europe ;
des religions naissent, se scindent et se figent en idolâtrie dorée. Ici des flottes accostent, d’humbles
croisés deviennent des usurpateurs et des seigneurs orientaux, Hellènes et Barbares se succèdent, et l’
individu, fût-il porphyrogénète1, n’est rien.

La première partie se déroule en Turquie, Istanbul, Ankara, la nouvelle capitale , Kayseri, capitale de la Cappadoce. J’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver les villages d’Urgüp et de Göreme et Konya que nous avons visitées autrefois.

Puis nous nous rendîmes par des chemins creux dans la mystérieuse vallée de Göreme. Le paysage
lunaire s’étendait à nos pieds, noyé dans des ondulations de brouillard et de raies de lumière jaune pâle, totalement irréelles, au milieu d’une forêt pétrifiée composée de cônes, de tours, d’aiguilles et de
pyramides

La deuxième partie  : la Syrie nous conduira à Alep, Damas bien sûr mais aussi à Baghras que je ne connaissais pas du tout sur les trace des Croisés

On raconte qu’en l’an de grâce 968 l’empereur byzantin Nicéphore Phocas2 et ses soldats victorieux
campèrent au pied de ses murailles. Il emmenait avec lui cent mille enfants païens, filles et garçons, tous
destinés au marché aux esclaves de Byzance.
[…]
est bien peu d’événements historiques qui nous troublent autant que les croisades et qui nous paraissent aussi difficiles à comprendre.
[…]
personne n’arrive à y discerner la part qui revient à l’Europe féodale – par exemple la splendeur tardive
de la cour de Bourgogne –, la part d’effervescence chrétienne et catholique contrainte de s’exprimer

A Beyrouth : soleil sur la côte méditerranéenne et neiges dans les montagnes et même du ski dans les vignobles. 

« le voyage de Beyrouth à Jérusalem fut extraordinaire »

note-t-elle, et l’arrivée à Jérusalem comme je l’imaginais.

La Troisième partie : Irak m’a énormément plu. De l’Irak, je ne connaissais presque rien en dehors des Antiquités Orientales du Louvre, la lecture récente de Mesopotamia d’Olivier Guedj a excité ma curiosité. En compagnie d’Annemarie Schwarzenbach et des archéologues le lecture découvre les sites antiques d‘Ur, Uruk et Babylone 

Lion de Babylone

« J’étais revenue vendredi soir de Babylone avec le professeur Jordan. Quel dommage que ces ruines soient
devenues si facilement accessibles ! Des foules de promeneurs, munis de leurs paniers pique-nique et
papotant en anglais, arpentent Babel et foulent sans le moindre respect le pavage de la voie
processionnelle de Nabuchodonosor. Ils sont tout heureux de reconnaître sur l’ancienne porte d’Ishtar
ces magnifiques animaux fabuleux à la démarche si noble, modestes cousins des émaux bleus plus
tardifs que l’on a vus auparavant au musée de Bagdad ; et le lion que Miss Bell a placé sur un socle pour
qu’on puisse le photographier plus facilement résiste avec patience à l’assaut quotidien des Kodak et des
Leica. « 

On marche sur les pas d’Abraham et de ses troupeaux, les nomades qui vivent encore ont peut être gardé les mêmes modes de vie. Ziggurat, Tour de Babbel,  palais antiques,  canal d’Hammourabi  cela me fait rêver.

Tello Hommes barbus

A côté des ruines antiques Annemarie Schwarzenbach n’oublie pas de visiter les villes saintes des Chiites Kadhimyia, Kerbela, Nadjaf. kerbela avec ses convois funéraires de pèlerins est bien funèbre. Elle présente une version bien sinistre des moeurs et processions chiites. Occasion de faire connaissance avec les tragédie d’Ali, Hussein. De croiser des pèlerins persans « blèmes, sinistres avec leurs barbes noires » sous l’influence de l’opium. A propos d’opium, justement, une anecdote ancienne :

Haroun al-Rachid envoya un peu de cet opium à Charlemagne : étrange cadeau, mais qui prouve en
quelle haute et confiante estime était tenue la drogue, puisque même à la Cour elle avait droit de cité

D’Irak  ils passent en Perse au début du printemps dès que les cols se libèrent de la neige. Le voyage continue en Iran

nous suivîmes alors la route des armées perses parties jadis faire campagne contre la Grèce.

Routes de montagne, Portes Caspiennes, nous rencontrons les Mongols nous approchons de la Russie. Dans la Caspienne on pêche l’esturgeon pour le caviar. Encore un autre monde à découvrir!

Un voyage passionnant pour découvrir une région aux traditions si variées et à l’histoire millénaire

PS. un autre podcast RadioFrance : la conversation littéraire : Sur les routes du monde, les reportages d’Annemarie Schwarzenbach CLIC

Sous les cyprès d’Eyoub – Philippe Khatchadourian

ARMENIE/NORMANDIE

Dans les vieilles rues de Gümri . Alexandropol?

J’ai eu envie de suivre Passage à l’Est dans le Caucase, les algorithmes de ma Kindle m’ont proposé Sous les cyprès d’Eyoub et j’ai sauté sur l’occasion. J’ai fait autrefois la promenade sur la Corne d’Or à Istanbul jusqu’au cimetière d’Eyoub, j’y retournerais volontiers. Le patronyme de l’auteur en –ian, me laissait entendre qu’on parlerait des Arméniens et de l’Arménie…. Il ne m’en fait pas plus pour télécharger un livre!

De Gümri alors appelée Alexandropol, à Granville dans le Cotentin. De chapitre en chapitre nous sautons de 2014, au décès du père du narrateur, en 1914 à la veille de la Révolution quand l’Empire Russe s’étendait jusqu’au Caucase. Grandes traversées dans l’histoire et la géographie. Avec des escales à Constantinople, Bolis, la Ville, et à Venise – la promenade dans Venise est particulièrement agréable. 

C’est la quête des racines et de l’histoire familiale du narrateur, Alexis, natif de Granville, de parents normands qui enquête sur son grand-père arménien qu’on lui a interdit de fréquenter. Que cache cet ostracisme familial?  C’est l’histoire de trois générations de combattants dans la première Guerre mondiale et les armées blanches, dans la seconde et la guerre d’Algérie. Patriotisme et héroïsme guerrier : pas forcément ma tasse de thé. En filigrane, des femmes au caractère bien trempé.

Une histoire très romanesque, agréable lecture mais le côté historique reste un peu superficiel.

Bilan lectures 2024 – Statistiques – Et si on pensait à la parité ?

Avec l’aide de Babélio, mes statistiques sont vite faites : 

102 livres au 21/12, j’ai dépassé de 2 le défi de 100 fixé pour l’année.

43 livres écrits par des écrivaines / 102 livres.  (et encore j’ai compté comme livre écrit par une femme les BD de Catel&Boquet) très limite…..

Certains livres entrent dans plusieurs catégories. J’ai adopté un code couleur. Est-ce vraiment pertinent?

A PROPOS D’UN VOYAGE AU MAROC :

5 écrits par des écrivaines, 5 par des hommes

Leila Slimani : Regardez-nous danser (t2)

Meryem Alaoui : La vérité sort de la bouche du cheval

Zineb Mekouar : La Poule et son cumin, souviens-toi des abeilles

Samira El Ayachi : : Le ventre des hommes 

 

Fouad Laraoui :  Les tribulations du dernier Sijilmassi

Mohamed Nedali : Le Poète de Safi

Edmond Amran El Maleh :Parcours immobile

Soufiane Khaloua : La Vallée de Lazhars

Ruben Barrouk : Tout le bruit du Guéliz

A PROPOS D’UN VOYAGE A MARSEILLE

Pour la parité, peut nettement mieux faire!

Jean Claude Izzo : Total Khéops, Chourmo, Solea, le soleil des mourants, Les marins perdus

Albert Cohen :Ô vous frères humains

Christophe Gavat : Cap Canaille

Marcel Pagnol : Le temps des amours

Albert Londres : Marseille porte du sud

Anna Seghers : Transit

 

A PROPOS DU 7 OCTOBRE, des Juifs, Israël, 

Delphine Horvilleur : comment ça va pas? Conversations après le 7 Octobre, il n’y a pas d’Ajar

Albret Londres : Le Juif errant est arrivé

Rebecca Benhamou : L’horizon a pour elle dénoué sa ceinture

Eva Illouz : le 8 octobre : Généalogie d’une haine

Rosie Pinhas-Delpuech : Naviguer à l’oreille

Valérie Zenatti : Qui-vive

Laure Hoffmann : A l’Orient désorienté

Nathan Davidoff : Le Juif qui voulait sauver le Tsar

Edmund de Waal : Le Lièvre aux yeux d’ambre

A PROPOS D’UN VOYAGE EN CORSE

Marie Ferranti : La fuite aux Agriates, La passion de Maria Gentile

Jérôme Ferrari : Balco Atlantico, Nord-Sentinelle

jean Marc Graziani : De nos ombres

Jean-Claude Rogliano : Les mille et unes vies de Théodore, roi de Corse

WG Sebald : Campo Santo

LISONS MARYSE CONDE et littérature caraïbe

Maryse Condé :  Le Cœur à rire et à pleurer, La vie sans fard, Segou, la belle Créole, L’Evangile du Nouveau Monde

Estelle-Sarah Bulle : Basses Terres

Raphaël Confiant : L’Hôtel du bon plaisir

Alejo Carpentier : La harpe et l’ombre

LISONS KADARE : Le Général de l’Armée morte; le Dîner de trop

FEUILLES ALLEMANDES

Andréa Wulf : Les Rebelles magnifiques : les premiers romantiques et l’invention du Moi

Anna Seghers: Transit, La Septième Croix

Christa Wolf : Trame d’Enfance

Nino Haratischwilli : Le Chat, le Général et la Corneille

Joseph Roth : Job, roman d’un homme simple

Franz Werfel : une écriture bleu pâle

Catalin Dorian Florescu : L’Homme qui apporte le bonheur

LITTERATURE FRANCAISE

Hélène Gestern : 555

Leila Slimani : Le parfum des fleurs la nuit

Lola Lafon : Quand tu écouteras cette chanson, La petite communiste qui ne souriait jamais

Maylis Kerangal : Jour de Ressac

Laure Murat : Proust roman familial

Anita Conti : Racleurs d’océan

Evelyne Bloch-Dano :Madame Zola

Anne Vantal : Pondichéry ou le rivage des ombres

Olivier Guez : Mesopotamia

Gérard Lefondeur : les enquêtes d’Anatole Le Braz;

Bernard Clavel : Cargo pour l’Enfer

Simon Berger : Laisse aller ton serviteur

Jules Verne : Les forceurs de blocus

Balzac : les secrets de la princesse de Cadignan

Marcel Proust : A la Recherche du Temps perdu

Romain  Gary : Chien Blanc

Pierre Assouline : Albert Londres : vie et mort d’un grand reporter

DIVERS, dans l’ordre chronologique

David Bainbridge : Paléontologie, une histoire illustrée

Kapka Kassabova : Elixir

Robert McAlmon : Mémoires de Montparnasse des années folles, bandes de génies

Annette Wieviorka : Anatomie de l’Affiche Rouge

Gouzel Iakhina : convoi pour Samarcande

Hanna Krall ; les Fenêtres

Andreï Kourkov : journal d’une invasion

Jean Dytar : #j’accuse…!

 

Inès Daléry : Yannis Ritsos : J’écris le monde

Christy Lefteri : Le Livre du Feu

Makis Malafekas : le mur grec

Catel&Boquet : Anita Conti, Joséphine Baker

LITTERATURE ITALIENNE

Erri de Luca : Les Règles du Mikado

Viola Ardone : Le Choix

Alessandro Manzoni : Histoire de la colonne infâme

 

la liste est longue et incomplète, quelles seront les lectures pour 2025?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Naviguer à l’oreille – Rosie Pinhas-Delpuech

 

 

Rosie Pinhas-Delpuech m’accompagne lors de mes promenades quotidiennes, podcasts Radio-France, CLIC . Après cet épisode de Fous d’Histoirej’ai téléchargé son dernier livre Naviguer à l’oreille après les Suites byzantines, La Faille du Bosphore et le Typographe de Whitechapel que j’ai lus avec  bonheur. Ecrivaine, Rosie Pinhas-Delpuech est également traductrice de l’hébreu. 

« La nuit, je les écoute de mon lit, ils mélangent l’allemand, le français et l’espagnol : l’allemand pour que les enfants, la petite et la grande, die kleine et die grosse, ne comprennent pas ; le français pour articuler,
raisonner ; l’espagnol domestique, par exaspération. »

A l’oreille, dès l’enfance à Istanbul elle naviguait dans un univers polyglotte : Allemand de sa mère, Français du père, Espagnol de sa grand-mère, Turc de la rue et de l’école. Ce qui, dans la ville cosmopolite n’était rien d’extraordinaire, Grec, Arménien, se faisaient entendre, entre autres…

Et comme si les mots ne suffisaient pas, s’ajoute la musique délivrée par le poste de radio Blaupunkt qui est un personnage à part entière dans sa famille

« Un grand oeil bleu-vert sur le front de la radio qui rétrécit ou se dilate selon la fréquence de la station et la stabilité des ondes,[…] je l’identifie à l’œil de Dieu qui regardait Caïn, à celui d’Atatürk qui surveille le pays
de sa prunelle bleu d’azur au-dessus du tableau noir à l’école. Lui aussi me regarde sans jamais cligner les
yeux. Et à un danger qui nous menace tous, à tout moment, qui plane sur le dedans et le dehors »

Deux chapitres de ce court livre font référence à la radio Blaupunkt et My radio days beaucoup plus tard avec l’apprentissage d’une nouvelle langue : l’Anglais et les chansons de Sinatra, Elvis Presley…et accessoirement La famille Duraton. 

La radio diffuse aussi l’actualité : le procès de Yassiadia au tribunal militaire qui juge un Président de la République après le coup d’état qui renverse le gouvernement turc en 1960. Et Rosie découvre que

« La Blaupunkt mentait désormais, les adultes mentaient, dans ma culotte il y avait du sang, tout était trouble, tout basculait, il n’y avait plus de musique et il n’y avait pas encore de mots »

11 avril 1961, un autre procès est diffusé par une autre radio : Le Procès Eichman dans un autre pays qui évoque à la jeune fille l’Utopie de Thomas More

« Kol Israel est l’artère coronaire du pays, on l’entend partout, mais contrairement au Nous de Zamiatine,
à la série Le Prisonnier, ou aux films de propagande nazis, soviétiques ou chinois, avec les haut-parleurs
haut perchés dans le ciel et une voix unique omniprésente au-dessus des têtes des citoyens, Kol Israel reflète à la fois un tissu collectif fort, quasi familial, et ses trous, sa cacophonie, jusqu’à aujourd’hui, de guerre en guerre, de joie en chagrin. Il y a encore dans cette radio une part d’un Nous d’utopie »

Et le roman bascule avec ce Procès dont la diffusion doit trouver un compromis entre la justice et le témoignage devant l’histoire. Ici encore, le poids de la langue est capital.

Dans la bouche des survivants, sous le poids de ce qu’ils disent, cette langue neuve craque
[…]
Sans doute, à un certain degré d’horreur, n’y a-t-il plus de langue, ça s’efface dans la tête, leur hébreu est
psychotique, ils disent l’indicible avec le détachement et la distance d’une langue étrangère récemment
apprise.

Le monde découvre l‘horreur de la Shoah 

L’appareil judiciaire israélien est d’émanation allemande, nombre de ses juges ont été formés à
Francfort, la ville de la première Constitution démocratique allemande. J’entends leur accent quand ils parlent, je le connais, le reconnais. De l’hébreu à l’allemand, de l’allemand à l’hébreu, les deux langues commercent, de l’une à l’autre pour dire la Shoah devant un tribunal national, souverain…

Roman historique, avec l’histoire de la Turquie, l’oeil bleu d’Atatürk, les relations trouble entre la Turquie et l’Allemagne, la tragédie du Struma…

Aussi roman de la langue, des langues si bien illustrée par l’histoire biblique de Babel

« La langue, parce qu’elle a une vie qui lui est propre, qu’elle est un organisme vivant avec ses lois propres,
est toujours la cible et la convoitise des projets totalitaires. Dominer le monde non seulement par la
force, mais aussi par les mots. Imposer et contrôler une langue, amener un peuple à la parler, façonner
une pensée unique en créant un vocabulaire unique, l’appauvrir, la déformer, lui enlever toute sa
polysémie, son incertitude, son aptitude à circuler, à être traduite. En neuf versets concentrés et énigmatiques, l’épisode de Babel nous raconte l’histoire d’un tel projet et sa mise en échec. »

Un court texte mais si riche.

J’ai encore adoré!

 

 

Présences arabes – Art moderne et décolonisation ( 1908 – 1980) Au MAM de la Ville de Paris

 Exposition temporaire jusqu’au 25 Aout 2024

Hamed Abdalla – Egypte 1956 – Conscience du sol

1908-1980

1908 : arrivée de Gibran Khalil Gibran – 1980 reconnaissance de l’immigration arabe dans les musées parisiens. Huit décennies, une très longue période!

Présence arabe : du Maghreb à l’Irak, si on inclue aussi la Turquie, c’est un vaste domaine . Et si on inclue les artistes juifs mais de culture orientale, cela fait encore plus de monde! Si on ajoute les français militant pour l’indépendance de l’Algérie, cela en fait encore d’autres….

les mosquées de Mogador 1965 Ahmed Louardiri

Donc, une exposition au long cours, dans le temps comme dans l’espace, beaucoup d’œuvres et en regard, des photos et des affiches rappelant le contexte, des publications de revues…Très riche, trop riche, je me suis un peu perdue.

Il sera question de décolonisationloin de l’Orientalisme du XIX ème siècle. pas besoin de faire appel à Edward Saïd que j’attendais un peu pour sa critique de l’Orientalisme. Tout simplement parce que les plasticiens sont orientaux, tandis que les Orientalistes ont un regard occidental sur l’Orient idéalisé ou fantasmé. 

1.l’Orientalisme arabe ou l’Orient rêvé par lui-même

En revanche je n’attendais pas Khalil Gibran peintre. Je connaissais l’écrivain. Il a suivi l’enseignement de l’Académie Julian. 

La fiancée du Nil – Mahmoud Mokhtar 1929

Avec Nahda en Egypte on assiste à l’essor d’une pensée libérale. Le sculpteur égyptien Mahmoud Mokhtar conçoit le monument à la Nahda.

maternités arabes 1920 Georges Hanna Sabbagh

L’alexandrin Georges Sabbagh a étudié à l’académie Ranson en 1910. On voit donc la porosité entre les plasticiens orientaux et les nabis et peintres français.

Prière au soleil -1928 – Abdelazziz Gorgi Tunisie

De Tunisie, proviennent des images variées comme cette prière au soleil et la Synagogue de Tunis de Maurice Bismouth (1930)

Les années 30 sont celles des Expositions Coloniale (1931) et Internationale des Arts et techniques (1937). Un mur est dédié à l’exposition coloniale avec les affiches « Ne visitez pas l’Exposition Coloniale », protestation des communistes. On y voit les pavillon de l’Egypte et de la Tunisie

2. Adieu à l’Orientalisme : les avant-gardes attaquent

Femme kabyle combattante Rabah Mellal

 

Les premières indépendances Liban (1943), Syrie (1946), Egypte (1953) et Irak (1958) 

Le groupe surréaliste égyptien expose à Paris ainsi que l’algérienne Baya. Des artistes rejoignent les ateliers de Fernand Léger et de Lhote. je retrouve avec plaisir la Kahena peinte par Atlan figure de la reine rebelle témoignant de l’engagement anticolonial du peintre qui fut un résistant.

Atlan La Kahena (1958)

j’ai aussi retrouvé les dessins de Mireille Miailhe et de Senac. Tour un mur est couvert d’affiches sur la Guerre d’Algérie, le référendum de De Gaulle, une accusation de Massu et de la torture. 

les larmes de Francis Hamburger

3. L’art en lutte : de la cause palestinienne à l’Apocalypse arabe

la Famine dans le Tiers monde année 50 El Meki

Un autre mur de photos et d’affiche montre Nasser et la nationalisation du Canal de Suez,et la construction du Barrage d’Assouan ; un autre est consacré à la Palestine. La guerre au Liban n’est pas oubliée avec l’illustration d’Etel Adnan, poétesse et plasticienne : des bandes en accordéon aquarellées sont accompagnées d’une bande-son. 

L’arbre amoureux Mahmoud Darwich d’après Mona Saudi (1979)

La faille du Bosphore: Entretiens de Rosie Pinhas Delpuech par Maxime Maillard

LITTERATURE ISRAELIENNE

« Oui. Je pense que rien ne doit aller de soi en littérature. Quand vous dites familiarité, j’entends confort et
l’inconfort que Fernando Pessoa appelle joliment l’intranquillité, c’est une chose qui nous est nécessaire. »

Rosie Pinhas-Delpuech est l’auteur de Suite Byzantine et de Le Typographe de Whitechapel que j’ai lus avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, et d’autres romans et essais que je me promets de lire. 

Rosie Pinhas-Delpuech est aussi la traductrice de Ronit Matalon dont j’ai lu récemment De face sur la photo et Le Bruit de nos pas, de Yael Neeman Nous étions l’avenir, Orly Castel-Bloom, Le Roman Egyptien… 

Sa voix m’est familière, entendue à la radio, dans les podcasts de L’entretien littéraire avec Mathias Enard, La salle des Machines 28.11.21 et Talmudiques 31.07.22 à propos de Brenner et le désir d’hébreu. 

A la suite du billet de La Viduité  j’ai téléchargé La Faille du Bosphore que j’ai lu d’un seul souffle sans pouvoir le lâcher, une petite centaine de pages. 

Ces entretiens portent sur le métier de traductrice et ses rapports avec le travail d’écriture puisque Rosie Pinhas-Delpuech pratique les deux activités. 

« Paris, dans son appartement où depuis plus de quarante ans, elle confectionne à la manière d’une cordonnière, assise sur cette même chaise au cuir élimé, des textes dans les mots des autres et dans les siens propres. »

La traduction comme artisanat, comme  critique littéraire, comme souffle, rythme et musique.

« Chaque matin, je dois m’échauffer, en relisant la traduction je remets du rythme, j’enlève des mots, je remplace des mots, j’entends des syllabes, c’est presque du travail poétique sur de la prose. Et ça ne se voit pas. On dirait que je raconte l’histoire qu’il raconte, mais ce n’est pas vrai. On travaille beaucoup ensemble, »

Rythme et musique du texte, l’hébreu lui évoque le Free Jazz, je ne m’y serais pas attendue. Et dans la musique du texte traduit la longueur des mots, des phrases, la ponctuation jouent leur rôle dans cette musique. Epurer, raccourcir, en dépit de la syntaxe très codifiée du français. C’est fascinant, inattendu.

En conclusion, la question très prosaïque qu’on n’oserait pas aborder : celle de la rémunération de la traduction qui est payée au feuillet et dont le statut est encore plus précaire que celui des intermittents du spectacle.

Et Le Bosphore, là-dedans? Istanbul est le lieu de naissance de Rosie Pinhas-Delpuech, ville cosmopolite et polyglotte, où petite fille elle est passée du Français paternel, à l’Allemand maternel, au Judéo-espagnol de la grand-mère et au Turc de l’école. Sans oublier la musique.

Istanbul, dans cette ville qui est un carrefour linguistique et culturel ainsi que dans votre famille où les langues se superposent à la manière des lignes d’une partition musicale […]bien avant de savoir parler, j’entendais beaucoup d’instruments, c’est-à-dire beaucoup de langues.

 

 

Rhapsodie Balkanique – Maria Kassimova- Moisset

BULGARIE

Une belle histoire d’amour à Bourgas puis Istanbul !

Charme des Balkans , mosaïque de religions, de traditions, de langues dont l’autrice nous restitue la musique avec le Grec et le Turc qui se mêlent au Bulgare – le roman est traduit du Bulgare – mais que la traduction française occulte.

A la naissance de Miriam, la Bulgarie vient juste d’être indépendante et de sortir de l’Empire Ottoman. Ahmed, son amoureux arrivera plus tard d’Albanie sur une charrette. Imbrication des communautés qui se définissent par leur confession qui ne peuvent s’unir par le mariage.

Ahmed, le musulman, et Miriam orthodoxe ne peuvent vivre leur amour. Miriam est maudite par Théotitsa, sa mère, elle devient « la putain turque » stigmatisée dans toute la ville, elle perdra aussi sa sœur tant aimée qui ne lui parlera plus. Miriam est une femme forte, ardente, un peu sorcière. Elle ne se laisse pas intimider. Ahmed et Miriam fuient donc la ville provinciale pour Istanbul, la Ville. Dans l’anonymat de la grande ville ils trouveront un foyer, élèveront leurs deux enfants avec la complicité bienveillante de leur voisine. Cruauté du sort : Ahmed, phtisique va mourir et la jeune femme sera démunie, rejetée parce que chrétienne. Ils connaissent la misère. La vie n’est pas facile pour une jeune veuve avec deux enfants. Miriam croit trouver une solution en abandonnant l’aîné dans un pensionnant militaire de la Turquie kémaliste. Choix douloureux! 

La vie n’est pas simple pour les femmes des Balkans : même très fortes comme Miriam et avant elle pour sa mère Theotitsa. Indépendante, douée d’une imagination étonnante, presque sorcière, Miriam tente suivre sa voie, son amour. Elle paie le prix fort.

J’ai beaucoup aimé le soin et la poésie que l’autrice apporte pour décrire le quotidien des femmes : lessives, repassages, pliages, dignité de ces vêtements raides, des robes noires, soin aux reliques des enfants morts – petits habits pliés dans le coffre interdit. Evocation de l’enfance, intimité des deux soeurs et courage et débrouillardise de Haalim, le fils de Miriam.

Struma 72 jours de drame pour 769 juifs au large d’Istanbul – Halit Kakinç – Turquoise

HOLOCAUSTE

MASSE CRITIQUE de Babélio

Un roman historique ou un « tombeau«  pour les 769 Juifs morts noyés le 24 février 1942 sur le Struma, épave transportant des Juifs roumains fuyant les persécutions en Roumanie qui devait les conduire de Constança en Palestine. Véritable épave flottante, au moteur en panne rafistolé, le Struma  est arrivé à rallier Istanbul où on lui a imposé une quarantaine. La Turquie – en principe neutre – a refusé le débarquement aux passagers sous les injonctions des Britannique, des Allemands et a laissé pourrir la situation pour enfin remorquer le navire en Mer Noire où il a été torpillé par la marine soviétique. 

Roman, parce que l’auteur, Halit Kakinç, journaliste et écrivain, a essayé de faire « revivre » un certain nombre de personnages. Roman historique écrit après de nombreuses recherches , préfacé par Esther Benbassa, historienne et directrice d’études à la Sorbonne, sénatrice EELV. 

Ce livre est de lecture facile et instructive fait revivre ces épisodes tragiques récurrents comme l’odyssée du Saint Louis (1939) qui a quitté Hambourg pour rejoindre La Havane contraint de retourner en Allemagne, celui du Patria coulé à Haïfa en 1940, Exodus (1947), et tant d’autres moins fameux, peut être…

«  Ce roman historique nous rappelle avec pudeur et dignité le sort des réfugiés en 1941. D’autres aujourd’hui, perdent la vie en route, sombrant avec leurs espoirs, sans que beaucoup s’en émeuvent vraiment »

Esther Benbassa

Je remercie les Editions Turquoise de l’envoi de ce joli livre .