Les Rebelles Magnifiques – Les Premiers Romantiques et l’Invention du Moi – Andrea Wulf

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

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Andrea Wulf est l’auteure de L’Invention de la Nature qui m’avait enthousiasmée il y a quelques années : brillante histoire des sciences dans le sillage de Alexander von Humboldt, suivi de Darwin, Haeckel et bien d’autres. J’ai donc coché la case sur la liste de la Masse Critique et me suis réjouie à la réception du livre. Je n’ai pas été déçue. C’est un livre magistral. Seul regret : qu’il soit arrivé en juin alors que le Challenge des Feuilles Allemandes est en novembre. Il y aurait tout à fait trouvé sa place.

Littérature, Philosophie et Histoire, il y a de tout dans ce volume, même des histoires d’amour, des drames, des jalousies entre ces personnages hors du commun.

Qui sont-ils, ces Rebelles Magnifiques?

Tout d’abord les plus anciens, les personnages tutélaires : Goethe et Schiller, écrivains reconnus, piliers du Cercle de Iéna. Fichte, le professeur charismatique de l’Université de Iéna, qui a élaboré la Philosophie du Moi, le « Bonaparte de la Philosophie » qui attire dans cette petite ville des étudiants enthousiastes même de l’étranger. Les deux frères von Humboldt, le professeur Wilhem et l’explorateur Alexander, dans le sillage de Goethe qui s’intéresse à la science expérimentale. Les deux frères Schlegel, August Wilhlem  et sa femme Caroline, qui publient les traductions de Shakespeare en vers, Friedrich au mauvais caractère. Amis des Schlegel, Schelling philosophe professeur à l’Université de Iéna.  Novalis, poète emblématique du Romantisme Allemand, Tieck, autre poètes. 

Il faut ajouter à ces hommes célèbres des femmes, moins connues parce qu’elles n’ont pas publié sous leur nom propre alors qu’elles étaient plus que de simples collaboratrices de leurs maris ou des muses de salons littéraires. Figure centrale de ce Cercle de Iéna : Caroline Böhmer-Schlegel-Schelling,  admiratrice de la Révolution Française, fuyant Mayence où sympathisante de la Révolution elle fut emprisonnée enceinte avec sa fille Auguste, mariée à August Wilhelm Schlegel, puis amoureuse de Schelling… Dorothea Veit-Schlegel, (née Brendel Mendelssohn) également écrivaine et traductrice. Et bien sûr Madame de Staël « comme un feu d’artifice au dessus de Weimar » qui proposa à August Wilhelm Schlegel de la suivre comme précepteur de ses enfants.

Le Cercle de Weimar où l’on « symphilosophait » dans les jardins, en promenade ou dans les maisons des uns et des autres, se constitua en 1794 avec l’arrivée de Fichte, puis s’enrichit en 1796 de Novalis et des Schlegel . Théorie et pratique: Goethe et Humboldt se livraient à des expériences scientifiques. Schiller publiait dans sa revue littéraire essais théoriques, poésies et traductions. Théories de la Science, théorie du Moi, de Fichte, ou poésie et romans, fragments. Le Romantisme s’élabore avec le goût de la Nature 

p.265 Schelling, en cours dans un amphithéâtre, devant des étudiants enthousiastes :

« il rassemblait ce que la révolution scientifique avait désuni: la nature et les hommes »[…]Quelle que soit la nature est capable d’apaiser, de guérir ou simplement de remplir de joie.

Et, ce faisant, sa philosophie de l’unité devint le cœur battant du Romantisme »

Romantisme comme roman, on ne se contente pas de philosopher mais on écrit de la littérature, des romans où les expériences amoureuses sont publiées: p.300

Novalis, Friedrich, Caroline et Dorothea étaient convaincus que leurs expériences personnelles étaient le reflet d’un monde plus vaste[…]Tel un faisceau de lumière réfracté par un prisme ou un spectre de couleurs, l’accent mis sur le Moi reflété par leurs écrits ouvrait sur des perspectives plus larges….

Mais la belle entente, dans un groupe si intimement lié, ne pouvait pas durer. Les personnalités si affirmées de Schiller, Fichte ou des Schlegel, Schelling ont fini par se heurter. Il a fallu la diplomatie et la forte personnalité de Goethe pour adoucir certains conflits. Pamphlets et affrontements divers opposèrent ceux qui étaient les meilleurs amis du monde. en 1801-1802,  p. 384

« N’était-ce pas distrayant, demanda un autre, quand les philosophes se mettent à se dévorer les uns les autres comme des rats affamés »

Intrigues amoureuses, jalousies, divorces et aussi maladies ont raison du Cercle de Iéna. C’est l’arrivée des armées de Napoléon, la victoire de Iéna, qui sonneront le glas de cette période enchantée. Mais les idées essaimeront à Berlin, en Angleterre avec Coleridge et même jusqu’en Amérique avec Thoreau

Cet ouvrage est admirablement construit. Pour qui n’est pas familier de la philosophie ou de la littérature allemande, de courts chapitres autour d’une idée principale, d’une anecdote ou d’une personnalité rendent la lecture facile. Au début, je confondais les personnages, j’avais besoin de souffler. Ces chapitres donnent une respiration au lecteur. J’en lisais un, deux, avant de poursuivre. Ensuite, quand j’ai bien identifié les personnages, je me suis laissé entrainer dans leur roman personnel et dans le récit très vivant riches en détails de la vie quotidienne d’alors.

Courlande – J.P.Kauffmann

VOYAGER POUR LIRE/LIRE POUR VOYAGER


que lire avant un voyage dans les Pays Baltes?

Je ne savais pas comment amorcer l’écheveau d’une bibliographie, Purge de Sofi Oksanen et En escarpins dans les neiges de Sibérie de Sandra Kalniete m’avaient été suggérés par Dominique . C’est Nadedja de Babelio qui m’a recommandé Courlande. Merci aux blogueuses! Et Courlandecontient une bibliographie détaillée de 5 pages, et des idées de lectures plus littéraires comme Le Coup de grâce de Marguerite Yourcenar qui est arrivé hier dans ma boîte à lettre et les ouvrages de Keyserling que je n’arrive pas à trouver en français, et même Simenon , Pietr le letton, Jules Verne avec Un drame en Livonie et Cendrars. Les lectures s’enchaînent comme on démêle une pelote emmêlée; il suffit de trouver le bon fil et de tirer…

Géographie

Courlande est un nom familier mais sans repère géographique précis : la Péninsule de Courlande inscrite au Patrimoine de l’Humanité(Guide du Routard) est-elle seulement lituanienne ou aussi russe? Le Grand Dûché de Courlande (1561-1795) cartographié dans le livre de JP Kauffmann, au contraire, s’étend  en Lettonie coïncidant à peu près avec la province lettone de Kurzeme.

Histoire

L’histoire de toute l’Europe converge vers cette Courlande que les chevaliers teutoniques puis les barons germano-baltes ont couvert de châteaux et de manoirs où Louis XVIII a établi sa cour en exil, les Russes ont profité des ports libres de glace pour établir des bases militaires, en 1904 ;   c’est de Karosta près de Liepaja que partit l’escadre pour affronter la marine japonaise et après la seconde guerre mondiale les Soviétiques ré-investirent Karosta pour installer leur marine.La Courlande à la consonance douce à nos oreilles francophones fut en fait le théâtre d’atrocités en 1945 et plus tard…La Courlande oubliée, eut même un empire maritime éphémère avec des colonies et des comptoirs.

Parti pour un reportage qui ne fut jamais publié, JP Kauffmann raconte son voyage en Lettonie comme un carnet de voyage, au rythme des visites mais surtout des rencontres, avec une lectrice de l’Académie de Liepaja, un rocker polytonal russe, un Professeur allemand parlant le letton, un peintre…. Ce sera lui, le passeur, que je relirai quand je serai sur place, pensant à ses références à Stendhal, et à ces lettons qu’il a eu la chance de croiser. Nous serons pressées et n’aurons sans doute pas ces contacts!