
La naissance de l’ancêtre glorieux Ashur an- Nagi, à l’orée de la Cité des Morts, sur une rue menant à la Mosquée el Hussein débute la saga des an-Nagi. Ashur, par sa force singulière, sa droiture, l’aide des miséreux, devint chef de clan, de ces chefs qui font la loi sur le quartier.Il disparaît mystérieusement. A Ashur succède Shams Eddine, puis Sulayman, Khidr… Tous les descendants de la famille An Nagi ont donné des chefs de clans. Au fil des générations, ils ont perdu la droiture et le soutien des miséreux. Ils se sont embourgeoisés se sont mariés aux filles des plus grandes familles, pensent plus à s’enrichir qu’à protéger les faibles.
A chaque génération naît un espoir: un successeur de Shams Eddine ou d’Ashur ? On voit s’élever un homme exceptionnel qui au fil du temps se corrompt, se laisse tenter par l’alcool ou tombe sous l’influence d’une femme de mauvaise vie. Le plus splendide, Galal, croit arriver à l’immortalité en construisant un minaret monstrueux sans mosquée et meurt fou. Chaque génération voit aussi une disparition, des crimes, des enrichissements et des faillites. Toujours demeure le souvenir d’Ashur et la gloire des An Nagi, même quand ils sont redescendus au rang des plus miséreux. Dix générations (100 ans dit le 4ème de couverture), beaucoup plus il me semble, se déroulent jusqu’à ce qu’un nouvel Ashur se lève et par sa force extraordinaire reprend le combat des faibles pour la justice. Cette saga se déroule dans un Caire intemporel. Grainetiers, charretiers, patrons de café, usuriers maintiennent leurs boutiques et leurs petits métiers sans aucune évolution technique. Après 10 générations le nouvel Ashur retrouve le mur de la tekkyia, la fontaine, l’abreuvoir…où le premier Ashur a disparu.
Le génie de Mahfouz est de faire vivre le quartier du Caire qu’il connaît si bien, d’inventer des personnages complexes et jamais manichéens, jamais à l’abri de la faiblesse ou de la déconfiture, si humains. Les femmes sont aussi très présentes, tentatrices intrigantes souvent mais aussi courageuses, fortes, mères exemplaires ou indignes, courtisanes qui deviennent des bourgeoises…
Suis ravi de trouver votre commentaire sur ce livre de Naguib Mahfouz que j’ai lu récemment. Je n’étais pas au Caire pour l’occasion, mais à Essaouira au Maroc. En ce week-end de la Toussaint, nous achevions une promenade autour du port et des remparts. Je me suis arrêté à une petite échoppe place Moulay Hassan face au café de France et j’ai trouvé un présentoir sur lequel était ce livre de la Chanson des Gueux. J’ai été emporté dès les premières lignes par cette ruelle du Caire, cette communauté et tout de suite, j’ai voulu l’acheter et poursuivre. Installé dans un ravissant petit appartement au dessus des remparts d’Essaouira, nous bénéficions d’une charmante terrasse regardant les vagues de l’Atlantique de briser sur le plateau rocheux. C’est ainsi au bruit des rouleaux et du ressac que j’ai découvert le monde de Naguib Mahfouz. Son écriture est vivante et intemporelle, elle est poétique et réaliste à la fois, ses personnages sont humains et sincères, non pas des héros, mais pas quelconque non plus. A l’heure où les communautarismes ont tendance à relever des barrières qui n’existaient plus, Naguib Mahfouz propose un pont pour pénétrer une communauté musulmane du début du siècle ou d’un siècle passé, sans l’idéaliser, mais avec la précision d’un orfèvre. C’est magnifique. Merci de l’avoir proposé.
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