Relire Kazantzakis : Lettre au Gréco et Alexis Zorba

LIRE POUR LA GRECE

plage de Stavros - Crète

Il m’a plu que le ferry qui m’a transporté autrefois en Crète soit nommé Kazantzakis et que l’aéroport où j’ai débarqué soit aussi au nom de l’écrivain.

J’aime prendre un écrivain pour guide en voyage, lui laissant le soin  de me décrire avec des mots choisis les paysages et les villes que je visite , remplir de personnages les rues ou les campagnes alors que je n’oserais pas aborder les inconnus.

La Lettre au Gréco est une autobiographie qui s’attache plutôt au parcours intellectuel et spirituel de l’auteur qu’à des anecdotes précises. l’ayant découverte récemment – il y a plus d’une dizaine d’années quand même – mon opinion n’a pas varié – j’ai retrouvé avec plaisir les paysages de son enfance et de sa jeunesse. Certains épisodes que j’avais lus distraitement m’ont plus intéressés : sa rencontre avec Panaït Istrati et leur voyage en Russie : j’ai trouvé récemment sur la Toile un travail universitaire de l’Université de Salonique racontant leurs rapports . J’avais oublié sa visite au Monastère Sainte Catherine du Sinaï – coïncidence : au Musée Historique d’Héraklion se trouve le petit tableau du Gréco représentant ce monastère et j’ai eu le plaisir de voir le tableau alors que le matin même je lisais le texte.

Si je m’étais attachée alors,   à Kazantzakis, grand voyageur, à ses rencontres, à son parcours spirituel, je n’avais pas souvenir des passages où il aborde la création littéraire, l’écriture d’Alexis Zorba, dans le chapitre intitulé:

LA SEMENCE GERME EN MOI

« Le mythe de Zorba a commencé de cristalliser en moi. Au début c’est un bouleversement musical, comme si mon sang s’était mis à battre plus vite dans mes artères. je sentais en moi une fièvre et un étourdissement, un mélange indéfinissable de plaisir et de dégoût, comme si un corps étranger, indésirable était entré dans mon corps….. »

Cette rédaction fut un processus long, difficile. Plus loin il écrit:

« je m’efforçais en vain de trouver le langage simple sans ornements,  chatoyants qui ne surchargerait pas de trop de richesses et qui ne défigurerait pas mon émotion. »

[….] je me suis interrompu: j’ai compris que le moment n’était pas encore venu. La métamorphose secrète de la semence n’était pas encore achevée…. »

Son ami disparu lui a inspiré des lignes qui ont dû lui paraître essentielles puisque je les ai retrouvées presque mot à mot dans le second ouvrage:

« Je me suis rappelé que j’avais un jour arraché du tronc d’un olivier, une chrysalide et que je l’avais posée dans le creux de ma main. Sous sa peau diaphane j’avais senti une chose vivante qui remuait ; le travail secret devait toucher à sa fin et le future papillon encore prisonnier  attendait en tremblant doucement que vienne l’heure sainte d’apparaître au soleil. Il ne se pressait pas, il avait confiance dans la lumière, dans l’air tiède, dans la loi éternelle de Dieu, il attendait;

Mais moi n’étais pressé. je voulais  voir éclore un peu plus tôt le miracle : la chair surgir de son tombeau et de son linceul et devenir âme, papillon. je m’étais mis )à souffler sur elle mon haleine chaude. Et voilà que bientôt une déchirure s’était faite sur le dos de la chrysalide, que peu à peu le linceul s’était fendu jusqu’en bas et que j’ai vu apparaître étroitement ligoté, les ailes repliées, les pattes collées au ventre, encore imparfait, un papillon tout vert. Il frémissait légèrement et prenait vie sous mon haleine. une aile s’était détachée du corps […] Et moi avec l’impudence de l’homme, penché sur elles, je soufflais mon haleine chaude, mais les ailes avortées s’étaient immobilisées, et étaient retombées flétries.

L’angoisse m’avait saisi : dans ma hâte, en osant violer une loi éternelle, j’avais tué le papillon; ce que je tenais dans ma main n’était plus qu’un cadavre. Des années et des années ont passé, mais depuis le petit cadavre pèse sur ma conscience. »

Il m’a semblé urgent de relire Alexis Zorba!

J’ai ouvert avec appréhension Zorba dont j’avais un souvenir ébloui. La magie allait-elle opérer à nouveau?
J’ai douté, Ce vieux lubrique, Cette vie patriarcale où les femmes sont oubliées au mieux,si ce n’est pas méprisées, ou pire, comme la belle veuve, est-ce que je vais laisser passer cela?
C’est un hymne à l’amitié, à la Crète, à la Grèce et à la vie toute entière. L’humanité de Zorba est tellement magnifique et généreuse, qu’il est impossible de mégoter. Jamais de mesquinerie. La faiblesse humaine,de ce ver, de cette limace, il la reconnait, il en rit, il l’efface avec le vin, la danse et la musique.
La beauté de la mer, du printemps, du parfum de la fleur d’oranger, il l’exalte, ouvre ses yeux comme s’il la découvrait chaque jour.

 

 

 

 

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Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

6 réflexions sur « Relire Kazantzakis : Lettre au Gréco et Alexis Zorba »

  1. La lettre au Gréco m’a à la fois déroutée et enthousiasmée, je vais aller lire le lien que tu donnes
    Quel plaisir de croiser Zorba, mon exemplaire est tout bleu, vieux, craquant, j’ai toujours peur de perdre des pages quand je l’ouvre mais rien à faire je ne le rachèterais pas car ma première lecture m’a laissé comme toi éblouie et amoureuse de la Crète

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  2. je vais à juste titre me faire traiter de barbare au trop premier degré, mais confondre une chrysalide et un alcootest ne peuvent conduire qu’à des déroutes…

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  3. Décidément j’ai envie de chez envie… j’en ai deux en stock à lire pour TRÈS bientôt, depuis le temps que je le dis, mais j’essaierai d’en trouver plus. Merci beaucoup !

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  4. En tout cas, prendre grand soin des exemplaires disponibles; j’ai maintenant la réponse à la question de la réédition : il s’agit d’un conflit entre les éditeurs et les ayant-droits. S’il faut attendre 2027 pour que les droits tombent dans le domaine public autant soigner les livres!

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