CARNET SÉNÉGALAIS
A la sortie de la réserve, une piste poussiéreuse presque invisible relie un village indiqué par un panneau. Après quelques centaines de mètres, une jeune femme enveloppée dans son grand voile orange – le Meufeu – vient à notre rencontre. Adolescente ou fillette ? Elle est en même temps timide et hiératique.
– « Salaam aleikoum ! – aleikoum salaam »
Les présentations sont simples. Bouba lui demande si on peut venir prendre le thé chez elles. C’est oui. Des fillettes apportent une natte verte et des coussins rembourrés en velours vert à l’ombre d’un acacia aux longues épines. On fixe les coins de la natte avec des morceaux de ciments qui trainent. On se déchausse et on s’assied en tailleur ou à genoux. Dominique qui ne peut pas s’asseoir par terre trône sur un bidon. A la suite des petites filles arrive la mère enveloppée dans un meufeu de mousseline marron à motifs de batik. Elle apporte un brasero, deux théières, un plateau avec trois verres et comme c’est encore l’heure du repas un grand plat rond couvert d’un plateau qui contient du riz assaisonné et deux poissons. Moustafa, le petit (3 ans) se charge des ablutions. Dans une cuvette en plastique, il recueille l’eau qu’il a versée avec une « bouilloire » en plastique vert zébré de rose. S’étant lavé les mains, on fait une boulette de riz entre les doigts (je ne suis pas très habile). C’est très bons mais j’ai maintenant les doigts tout gras.
D’autres enfants accourent en plus des filles de notre hôtesse. De grandes filles, enveloppées de mousselines colorées, se sont installées autour de la natte. Les garçons arrivent plus tard. La dame n’est pas d’ici mais de Mauritanie. Elle a 31 ans et cinq enfants.
Comment dire merci ? Ce n’est pas Dieuredieuf – merci en wolof qu’on vient d’apprendre – mais choukran tout simplement.
Les enfants vont à l’école et parlent donc un peu français. Ils se présentent : nom et classe. Le plus petit du CP sort son ardoise. D’un côté les additions, de l’autre les soustractions. 23+3 = ? Il aligne les bâtons à la craie et les compte, un à un. Une fille au très joli voile imprimé, sort son cahier d’arabe. Je prends volontiers une leçon de lecture (j’ai appris les lettres à l’occasion de nos voyages en Egypte). Je compose mon nom avec elle. Puis elle me montre un cahier à grands carreaux où elle a copié des poèmes en français et de la calligraphie arabe. Elle en est très fière parce qu’il n’y a que de très bonnes notes :20/20 et 40/40. L’un des poèmes est l’hymne national sénégalais que tous les enfants chantent en cœur. On filme.
Pincez tous vos koras, frappez les balafons.
Le lion rouge a rugi.
Le dompteur de la brousse
D’un bond s’est élancé,
Dissipant les ténèbres.
Soleil sur nos terreurs, soleil sur notre espoir.
Debout, frères, voici l’Afrique rassemblée
Refrain :
Fibres de mon cœur vert.
Épaule contre épaule, mes plus que frères,
O Sénégalais, debout !
Unissons la mer et les sources, unissons la steppe et la forêt !
Salut Afrique mère.
Sénégal toi le fils de l’écume du lion,
Toi surgi de la nuit au galop des chevaux,
Rend-nous, oh ! rends-nous l’honneur de nos ancêtres,
Splendides comme ébène et forts comme le muscle
Nous disons droits – l’épée n’a pas une bavure.
(Refrain)
Sénégal, nous faisons nôtre ton grand dessein :
Rassembler les poussins à l’abri des milans
Pour en faire, de l’est à l’ouest, du nord au sud,
Dressé, un même peuple, un peuple sans couture
Mais un peuple tourné vers tous les vents du monde.
Pendant ce temps, se déroule la cérémonie du thé. La bouilloire émaillée bleue marine chauffe sur les braises. La petite bouilloire en aluminium sert à mélanger le thé, le sucre et l’eau. Le breuvage passe de la bouilloire bleue au verre et du verre à la bouilloire argentée. La règle de l’hospitalité veut qu’on boive trois verres. Le premier amer comme la mort, le second sucré comme la vie, le troisième encore plus sucré comme l’amour. C’est encore Moustafa qui apporte à chacun son verre.
Entre deux verres : musique. Dominique apprend aux petits une chanson. Facile : la-la-la on claque de la langue, la-la-la- on tape sur ses cuisses. Les enfants adorent claquer de la langue et taper. Re-film ! Enfin, les filles improvisent des percussions sur un bidon en notre honneur. Elles jouent avec leur voile coloré. Chacune l’enroule à sa manière, de façon originale et très séduisante. Elles « minaudent » dit Bouba. Ce dernier m’appelle pour que je sorte de la voiture deux paquets de thé, un kilo de sucre et plein de sachets de gâteaux secs. Je porte le sac d’un air ravi, « choukran » merci de votre accueil.
On n’a pas croisé ni un homme ni un adolescent. Le plus âgé des garçons devait avoir 8 ou 9 ans. Où sont-ils ? Peut-être à Dakar – ou plus loin – peut être aux champs – quoique, ici en cette saison rien ne pousse. La saison des pluies est courte. Sur la piste on rencontre un petit autobus local plein à craquer des hommes qui rentrent au village.
Tanneries
Sur le bord de la route, trois tanneuses raclent des peaux de mouton avec de grands racloirs genre machettes. Les peaux ont trempé dans de grande cuves en ciment ronde, dans une mixture qu’elles appellent « gaz » (solide provenant des cartouches de gaz) et de fiente de poules. Une peau se négocie autour de 1000CFA si elle est grande et sans trous.. Elles portent des gants de caoutchouc. L’une d’elles s’est confectionné une moufle avec un emballage de biscuits. Le mélange corrosif doit être terrible pour la peau. Mais c’est de la tête qu’elles se plaignent à cause du soleil, quémandant de l’aspirine qu’on leur donne volontiers.
Retour à l’Hôtel Diamarek à 17h30 : piscine, 10 allers-retours avant le coucher du soleil. Au dîner blanquette de poulet, champignons et flan de carottes.


