Mission Dakar-Djibouti – Contre-enquêtes – Musée du Quai Branly

Exposition temporaire jusqu’au 14 septembre 2025

L’expédition Dakar-1934Djibouti (1931-1933) dirigée par Marcel Griaule, ethnologue. 11 scientifiques ont traversé 15 pays et ont rapporté des milliers d’objets et spécimens naturalistes…On peut remettre en perspective cette expédition avec l’Exposition coloniale de Paris en 1931. 

L’Exposition du Quai Branly présente de nombreux objets, masques ou objets de la vie quotidienne documentant les cultures traditionnelles censées disparaître sous l’effet de la colonisation. Une calebasse, une herminette, un métier à tisser ou un panier traditionnel ayant pour les ethnologues autant de valeur qu’une sculpture, poteau sculpté ou un masque.  

Instruments de musique

On pourrait se contenter de déambuler parmi les vitrines, lire les cartels, être dépaysé par les coutumes, les formes…les matières. Admirer les calebasses gravées, décorées, deviner les usages.

 

 

Les Contre-enquêtes offrent une perspective nouvelle en questionnant les Méthodes et pratiques d’acquisition dans le contexte colonial. Le succès apparent de la mission a été terni par les méthodes controversées d’acquisition  avec des preuves de vol, de saisie d’achats avec tromperie. 

Mama Whita (2018) Delphine et Elodie Chevalme

Les papiers peints, de style Toile de Jouy apporte un contrepoint en donnant une image du rapport de domination des autorités coloniales sur les indigènes. Achats, dons, échanges ne pouvaient s’envisager sereinement. Des vidéos documentent les Contre-enquêtes menées au Bénin, à Dakar, au Mali ou à Djibouti. 

la cinéaste Alice Diop rend compte de l’une des ses enquêtes.

Les nouveaux enquêteurs ont pris le temps d’interroger les descendants des dignitaires qui auraient vendu/cédé/offert des objets. Le récit montre comment les sages n’auraient jamais donné des objets au très fort pouvoir symbolique et religieux qu’ils conservaient avec grand soin et utilisaient dans des cérémonies. Seule la contrainte explique qu’ils s’en soient séparés

Gris-gris

D’autres contre-enquêtes ont été menées à propos d’objets du quotidien : tabouret offert à la mariée, panier pour fumer le lait de chamelle, métier à tisser. Les ethnologues des années 30 n’avaient pas toujours pris le temps d’établir une fiche détaillée sur les usages de ces objets destinés selon eux à être remplacés par des artefacts occidentaux, plus pratiques, moins chers. Les contre-enquêtes ont souvent retrouvé de tels objets qui subsistent encore et compris à quoi ceux-là servaient. Le métier à tisser, les soufflets de forge, eux sont utilisés uniquement par de très vieux artisans qui ne transmettront plus les techniques aux jeunes « trop dur », pas rentable économiquement.

J’ai beaucoup apprécié les vidéos des contre-enquêtes qui se placent dans la perspective de restitution des œuvres mal acquises. A ce propos, le film Dahomey de Mati Diop raconte le retour de certaines à Cotonou . J’ai un moment confondu Mati Diop et Alice Diop. ICI ma chronique du film avec sa bande-annonce. 

Beauté de ces objets, photos anciennes, et aussi le livre de Michel Leiris L’Afrique Fantôme (1934) que je note dans mon pense-bête….Une visite intéressante. 

Paris noir – Circulations artistiques et luttes anticoloniales 1950-2000 Centre Pompidou

CHALLENGE LE PRINTEMPS DES ARTISTES 2025

initié par La Boucheaoreille 

Exposition temporaire jusqu’au 30 juin 2025

Sekoto autoportrait

Une exposition très riche aux œuvres très variées  et aux thèmes passionnants. Pas très facile cependant : de nombreux artistes ne sont pas connus du « grand public« , plasticiens, écrivains, musiciens et cinéastes se croisent, font parcours ensemble.

Baldwin par Beaufort Delaney

Pour les écrivains c’est plus facile : deux grandes figures Baldwin et Edouard Glissant. Ce dernier sert d’axe central autour duquel tournent les différentes sections aussi bien, le Retour vers  l’Afrique avec Césaire, Senghor et le concept de négritude, nous conduisant à la section Paris-Dakar-Lagos et, toujours en partant de Glissant on parvient à la Caraïbe, à la mémoire de l’esclavage, Antilles françaises, Cuba. 

Umbral : Wilfredo Lam (Cuba)

On peut aussi choisir un parcours musical :  de nombreuses œuvres ont pour sujet la musique et les musiciens. Jazzmen américains mais africains aussi

Cotton club

Entre Cotton Club et Saint Germain des prés, Amstrong, Duke Ellington, mais aussi Auric…j’ai aussi bien aimé les musiciens béninois de Paul  Ahyi

Paul Ahyi : Les Musiciens

Une autre piste serait celle des luttes anticoloniales et révolutionnaires

josé Legrand : sans titre 1975

le grand diptyque de José Legrand, un peu dans le style d’Ernest Pignon-Ernest commémore les massacres de mai 1967 en Guadeloupe, évènement peu connu en métropole que j’ai découvert récemment en passant à Pointe-à Pitre .

Georges Corran : Délire de Guerre et paix

Et pourquoi pas, laisser de côté tout concept intellectuel et ne pas se laisser séduire par la beauté picturale de tableaux colorés, de matières variées, de tableaux, tapisseries ou sculptures

Victoire Ravelonanosy Repiquage du Riz à Madagascar

Découvrir des plasticiens originaux, des personnalités marquantes comme Delanney, Sekoto Wilfredo Lam, José Castillo..

Gotène- Congo : Femme perdue au cimetière

Impossible pour moi de donner une version totale de la visite tant elle a été surprenante. 

 

Wax au musée de l’Homme

Exposition temporairejusqu’au7 septembre2025

Photo Thandiwe Muriu

l’Exposition Wax se déploie sur deux niveaux : au foyer au 1er étage et autour du Balcon des Sciences au second. Je vous conseille de commencer au balcon où vous apprendrez l‘histoire du wax 

Histoire du wax

L’histoire du wax est d’abord une histoire coloniale. Elle commence en Indonésie avec le Batik traditionnel. Impression à la cire qui a donné son nom au tissu imprimé. Le wax fut ensuite exporté en Afrique de l’Ouest où il a gagné un beau succès. Le wax fut fabriqué principalement aux Pays Bas (Vlisco) ainsi qu’au Royaume Uni où les filature de Manchester trouvèrent des débouchés en particulier au Nigéria. Dans les années 60, avec les Indépendances, le wax devint le symbole de l’africanité. La fabrique Vlisco s’installa en Côte d’Ivoire et le commerce de ce tissu fut à l’origine de la fortune des Nanas Benz  du Togo

Les Nanas Benz, riches commerçantes posant devant leur Mercédès Benz

Si vous voulez acheter du tissu, point n’est besoin de prendre l’avion pour Cotonou ou Lomé. Il suffit de descendre à la station de métro Château Rouge.

 

Wax de Château Rouge

Cependant, porter un vêtement de wax à Paris, ne va pas de soi. D’abord il est merveilleusement frais sous les latitudes tropicales, mais ici, sous la pluie…Ensuite vous serez peut-être accusés d’appropriation culturelle. Ce tissu étant considéré par certains de marqueur identitaire. Pour ma part, le concept d’appropriation culturelle m’agace. Comme si il fallait être violée pour parler de viol, mexicain pour tourner une comédie musicale fantaisiste mexicaine à Bry sur Marne….et australopithèque pour faire « revivre » Lucy . 

motif pintade

Sur le balcon vous pourrez vous familiariser avec les différents motifs. Certains sont tout à fait codés avec des allusions à la vie conjugale

L’oiseau qui s’échappe de la cage serait un avertissement pour un mari volage!

Le sac à main de Michelle obama

Certains motifs sont politiques : les candidats ou présidents n’hésitent pas à imprimer leur portrait, y compris à côté de Valery Giscard d’Estaing, des pagnes comme affiches électorales. D’autres sont féministes comme le portrait du Prix Nobel Denis Mukwege. D’autres montrent les congrégations religieuses

Toniya Nneji : tableau représentant un pagne en wax de sa mère

Au Foyer, l’exposition est celle de la création artistique contemporaine avec les grandes photos de Thandiwe Muriu

la série de ventilateurs du plasticien camerounais Lamine M symbolisant ses interrogations au sujet du réchauffement climatique. 

les créations des stylistes montrent une utilisation très contemporaines de ces tissus comme le bomber

Bomber au motif des léopards du Bénin (qui ressemblent plutôt à des dinosaures)

une exposition colorée qu’on peut voir en complément de celle sur les Migrations

Révélation ! Art contemporain du Bénin à la Conciergerie

Exposition temporaire jusqu’au 5 janvier 2025

Prince Toffa , et un peu plus loin sur la photo lui répond un personnage dans une robe et une traine j’aide jacinthes des eaux dans la lagune de Ganvié

Pour une Révélation! Bénin, c’en est une dans le magnifique cadre de la Conciergerie. 

Replaçons l’exposition dans son contexte : celui de la restitution des   trésors du Palais d’Abomey en novembre 2021. Mati Diop a réalisé le film Dahomey sur ce sujet CLIC Film très politique qui mettait en scène la statue-vedette mais surtout les étudiants béninois. Les 26 trésors rendus furent exposés à Cotonou au sein de l’Exposition Révélation! Cette exposition a également fait le voyage à la Martinique. J’ai également de très bons souvenirs de la visites de ces Palais des Rois du Dahomey CLIC

De face Le Roi Béhanzin et sa suite – roméo Mivekanin
A droite appliqué sur toile de Yves Apollinaire Pédé : suite royale

Je n’avais aucune idée de la richesse de l’art contemporain béninois. je savais qu’on dit que le Bénin est le « Quartier Latin de l’Afrique » cette expression est illustrée à l’entrée du parcours par une installation mêlant livres et revues à des affiches et des sculptures primitives. 

Yves Apollinaire Pédé : Legba

On entre dans la première section thématique : Des Déesses et des Dieux 

les principales divinités du Vodun sont présentées par les toiles appliquées de Yves Apollinaires Pédé et les peintures ressemblant aux fresques de Cyprien Tokoudagba qui ont participé à la restauration des bas-reliefs du palais d’Abomey

le vodun et son panthéon Cyprien Tokoudagba

Cette salle est sonorisée avec la voix d’Angélique Kidjo Yémandja (tiré de Three Yoruba songs de Philip Glass). A la suite des gravures et aquarelles de Hector Sonon, je découvre les tableaux de Julien Sizogan : un véritable coup de cœur pour son Epiphanie des initiés célébrant un syncrétisme étonnant : dans une église aux voûtes romanes, un évêque accueille une foule colorée où des femmes arborent des tenues chamarrées tandis qu’une des Revenants, masques et costumes occupent la moitié de la nef, des musiciens nus ou presque se tiennent au bas du tableau 

Julien Sinzogan : Epiphanie des initiés

Dans une salle noire l’installation multimédia de Eliane Aïsso m’a fascinée un long moment : une quinzaine d‘Assen(plateaux métalliques) sonorisés diffusent les paroles projetées aux murs où sont accrochées de très belles photographies en noir et blanc. Chaque Assen raconte son histoire, parlant de descendance et de réincarnation. 

Julin Sinzogan : Le Retour des esprits

La salle suivante réunit des bateaux, voiliers, pirogues et même les caravelles du Retour des Esprits. Ce tableau m’évoque la traversée de la Traite des Esclaves.

Aston – Le Voilier du temps

Le Voilier du Temps exprime des préoccupations plus contemporaines écologiques. En s’approchant, je constate que les voiles sont des sièges en plastique, des douilles d’ampoules sont tassées sur son bord. Tout le voilier est confectionné avec ces déchets domestiques que l’Europe envoie en Afrique. 

Louis Oke-Agbo : la pirogue de la reconnaissance

la pirogue de la reconnaissance exploite une autre thématique.

Gou

Traversant l’exposition de nombreuses sculptures balisent le voyage

Sébastien Boko : voyageur et voile en bois

la section thématique suivante s’appelle : Des Reines et Rois

On y voit la grande photo de Behanzin et sa suite (plus haut), le Prince Tofa descendant du dernier roi de Porto Novo. 

Dominique Zincpé : Déesses et Princesses

Déesses et Princesses introduisent la troisième thématique Des Femmes et des Hommes. Les Reines  ne sont pas oubliées : Tassi Hangbé fut l’unique reine du Dahomey (1708-1711) et fut la fondatrice des Agodjies (Amazones) dont on voit de belles sculptures mais ma photo est floue. 

Moufouli Belio : Reine des Agadjies

Moufouli Belio née en 1987 s’est intéressée à rendre visible le corps féminin et à la déconstruction du patriarcat. 

Marcel Kpoho : Kondo le requin

Un aspect original m’a interpellée : la grande utilisation du recyclage dans les matières utilisées. Kondo le requin est fait de lanières de pneus, Le Prince Toffa est revêtu de bouteilles en plastique vert, ses colliers sont des capsules de nescafé, le voilier d’Aston est entièrement fait de récupération, sans oublier les personnages de fil de fer ou les masques métalliques de Charly d’Almeida. 

Une très belle exposition. Un article du Monde signale que de nombreux plasticiens de premier plan ont été omis. Le Bénin est donc bien riche!

 

La vie sans fards – Maryse Condé

C’est la suite de Le Cœur à rire et à pleurer qui racontait l’enfance de Maryse Condé, son arrivée à Paris pour y faire de brillantes études, sa découverte d’Aimé Césaire et Frantz Fanon et son engagement politique. Elle délaisse ses études pour fréquenter les cercles antillais et africains. 

Le journaliste haïtien, Jean Dominique l’a abandonnée enceinte pour faire la Révolution à Haïti à la veille de l’élection de Duvalier. Maryse Boucolon, en 1956 accouche d’un petit garçon et part au sanatorium de Vence guérir un début de tuberculose.  après avoir mis le bébé en nourrice. 

Chargée de famille, elle doit subir l’opprobre réservée aux filles-mères

« Mieux vaut mal mariée que fille « 

Elle se trouve un mari africain, Condé, comédien guinéen qui l’épouse en 1958. Au bout de 3 mois, ils se séparent mais Maryse est à nouveau enceinte. 

« Ce mariage avait relevé ma honte »

En 1959 elle est affectée au collège de Bingerville en Côte d’Ivoire. Elle part seule avec son fils, et enceinte. Escale à Dakar, puis Abidjan. En fait de Négritude elle découvre que les Antillais sont mal vus par les Africains, ayant servi de fonctionnaires coloniaux

« ils nous traitent de valets tout juste bons à exécuter la sale besogne de leurs maîtres »

Maryse Condé, « sans fards » ne se donne pas le beau rôle. Elle n’éprouve aucune vocation à enseigner.  Elle ne cherche pas de prétexte politique à son expatriation. Malgré ses lectures enthousiastes de Senghor, elle ne tombe pas sous le charme de l’Afrique. Elle arrive pourtant dans un moment passionnant, juste avant les Indépendances, fréquente des meetings mais ne comprend pas la langue.

« En Côte d’Ivoire , j’éprouvais le sentiment qu’une nouvelle Afrique s’efforçait de naître. une Afrique qui ne se fierait qu’à ses seules forces. Qui se débarrasserait de l’arrogance ou du paternalisme des colonisateurs. J’éprouvais le douloureux sentiment d’être tenue à l’écart. « 

Même la fête de l’Indépendance le 7 Aout 1960, elle est exclue.

Elle rejoint Condé, son mari, à Conakry avec ses deux enfants

De toutes les villes où j’ai vécu, Conakry demeure la plus chère à mon cœur. J’y ai compris le sens du mot « sous-développement ». j’ai été témoin de l’arrogance des nantis et du dénuement des faibles »

Elle assiste au « socialisme africain » de Sékou Touré.

Guinée était le seul pays d’Afrique francophone à se vanter de sa révolution socialiste.

 Elle découvre aussi une société musulmane, séduite par l’appel du muezzin. Toujours mal acceptée par ses proches, elle  ne fait aucun effort pour « s’intégrer », ni à apprendre le Malenké, ni à porter des pagnes. D’ailleurs à quoi bon?

« Peu à peu, je comprenais qu’il ne suffisait pas d’apprendre à parler le malenké, mais qu’il fallait surtout apprendre à considérer le monde comme composé de deux hémisphères distincts, celui des hommes et celui des femmes. »

Pourtant, elle demande la nationalité guinéenne. Elle obtient un poste de professeur de Français dans un collège. Fréquente des intellectuels et des révolutionnaires, Hamilcar Cabral, le Cap-Verdien, Louis Gbehanzin, un prince béninois. Le socialisme de Sekou Touré s’avère bien inégalitaire

Chaque jour davantage, la société se divisait en deux groupes, séparés par une mer infranchissable de
préjugés. Alors que nous bringuebalions dans des autobus bondés et prêts à rendre l’âme, de rutilantes
Mercedes à fanions nous dépassaient transportant des femmes harnachées, couvertes de bijoux, des
hommes fumant avec ostentation des havanes bagués à leurs initiales.

Culte de la personnalité, pénuries, surtout répression politique sévère

« le « complot des enseignants ». Il est à déplorer qu’ils aient fait l’objet de très rares publications. Ils constituent le premier crime organisé sur une grande échelle par le régime de Sékou Touré. Ce fut une véritable purge qui tenta d’abord d’éliminer l’ennemi Peul, mais s’attaqua aussi à tous les patriotes. »

A Conakry, elle ne parvient plus à subvenir aux besoins de ses quatre enfants . Elle va partir, à Dakar puis au Ghana à Accra, plus prospère mais toujours socialiste accueillant divers militants étrangers Freedom fighters. Avec un « garant révolutionnaire », elle va obtenir un bon poste d’enseignante. Elle se heurte encore au machisme qui va jusqu’au viol. Culte de la personnalité 

« Cependant, l’élément le plus frappant de cet ensemble architectural était une gigantesque statue de
Kwame Nkrumah, un livre à la main. Elle était sise au mitan de la place du même nom, car Winneba était
le lieu d’un culte de la personnalité tel que je n’en avais jamais imaginé. »

Au centre  de Winneba, où elle enseigne, visite de Malcom X et de Che Guevara

« En effet, sitôt que j’eus mis le pied à Winneba, je compris que j’eus été parachutée dans une Afrique
entièrement différente de celle où j’avais vécu et où je n’avais pas ma place : celle des puissants et de ceux
qui aspiraient à le devenir. »

Un coup d’état va la chasser du Ghana, elle est emprisonnée comme espionne et expulsée.

Séparée de Condé, elle vit une histoire d’amour avec un avocat séduisant sans avertir son mari. « Sans fards »

« Épouse menteuse, épouse infidèle, épouse adultère, je ne lui rendais pas l’existence facile. Il était évident
que, moi aussi, je le détruisais. »

Les passions, les amours, les relations plus ou moins consenties ne font pas de l’héroïne un personnage très sympathique. j’ai parfois du mal à la suivre, surtout quand elle disperse ses enfants, les confie à des étrangers…

En revanche, le récit est passionnant si on s’intéresse à cette période des Indépendances Africaines. De Dakar à Conakry, Acra, Abomey et même Lagos, elle a parcouru l’Afrique et rencontré révolutionnaires, intellectuels, écrivains.

Un autre aspect est le livre d’apprentissage : comment la mère de famille devient une écrivaine?

C’est à Londres qu’elle atterrit, expulsée du Ghana qu’elle devient journaliste et se fait apprécier à la BBC. Elle retourne à l’Université étudier l’histoire du colonialisme et la sociologie du développement. 

« Un soir après le dîner, alors que les enfants étaient endormis, j’attirais à moi la machine Remington verte que j’ai gardée pendant des années, sur laquelle j’ai rédigé les deux volumes de Segou »

Ses allers-retours en Afrique ne sont toujours pas terminés. Maintenant j’ai compris pourquoi la Guadeloupéenne a écrit Segou et pourquoi l’Afrique est présente même dans les romans antillais. 

A lire et à relire, rien que pour toutes les références littéraires, une PAL entière de littérature africaine, de Sembene à Soyinka, Senghor, Fanon et tant d’autres. A relire aussi en même temps que ses romans inspirés de ses expériences….

Ségou -t.1 Les Murailles de terre – Maryse Condé

LECTURE COMMUNE EN HOMMAGE A MARYSE CONDE

C’est une relecture. Lu avant le premier voyage au Bénin. J’ai repris ce livre avec les souvenirs de nombreux voyages où se déroulent l’histoire et les développements géopolitiques actuels.

Une saga familiale

Ségou est au Mali sur les bords du Niger appelé ici Joliba. 

La saga de la famille de Dousika Traoré commence à la fin du XVIIIème siècle avec l’arrivée d’un blanc qui ne sera pas admis dans les murs de la ville. Dousika est un noble bambara, fétichiste, bien en cour, père de quatre fils. 

Son aîné, Tiekoro, se convertit à l’Islam et part étudier à Tombouctou. Son père ordonne à son frère Siga, fils d’une esclave, de l’accompagner. A Tombouctou, les deux frères ne sont pas bien accueillis. Tiekoro, musulman et lettré, devra faire ses preuves. Siga, rejeté par son frère, devient  ânier, puis gagne la confiance d’un marchand, qui l’envoie à Marrakech et Fès où il apprend les techniques des tanneurs et des maroquiniers. Il y rencontre Fatima, une mauresque, qu’il enlève pour l’épouser et fonde une famille. Sans rancune, il héberge Tiekoro et sa femme Nadié quand il vivra un revers de fortune

Le troisième fils, Naba, est razzié au cours d’une chasse et vendu comme esclave. Nous le retrouvons à Gorée, jardinier d’une signare, baptisé Jean Baptiste. Il suit une jeune esclave Ayodélé/Romana, au Brésil.  Elle lui donne trois enfants mais il va mourir mêlé à une rébellion. Romana rachète sa liberté et retourne en Afrique au Dahomey. Les Brésiliens (anciens esclaves au Brésil, catholiques ayant pris des noms brésiliens) forment une classe sociale très respectées à Ouidah. C’est là qu’aboutit après une longue errance le plus jeune fils : Malobali. Confondue par sa ressemblance avec Naba, Romana l’épouse….Olubunmi leur fils arrivera à Ségou, et la boucle sera bouclée.

Si vous avez peur de vous égarer dans tous ces personnages et ces noms, un arbre généalogique est prévu! Il n’est pas nécessaire, chacune des histoires se présente presque indépendante, l’une de l’autre. C’est un plaisir de suivre toutes ces aventures.

Géographie et histoire : 

Ségou, la ville et ses palais, est le centre du roman. C’est une ville commerçante, animée. Son roi, le Mansa, est au nœud des alliances et des équilibres politiques entre différentes ethnies, Bambara, mais aussi Peules et plus loin Touaregs, Haoussas. La conquête musulmane est au centre de l’histoire. Au début du roman, les musulmans ont déjà quelques mosquées à Ségou mais ils sont minoritaires. La 5ème partie du livre s’intitule « Les Fétiches ont tremblé » , le roi fait appel à une faction musulmane pour en combattre une autre. On voit plusieurs courants, plusieurs confréries,  certaines rigoristes combattant les plus tièdes. Le Djihad est en marche.

Du côté de la Côte Atlantique, catholiques européens mais aussi Brésiliens et protestants britanniques ou africains se livrent une belle concurrence. Les intérêts marchands et coloniaux sont transparents sous le prétexte religieux.

L’esclavage est aussi un thème fort du roman. Les esclaves sont partout. Pas seulement la Traite Atlantique racontée dans les pérégrinations de Naba et de Romana de Gorée au Brésil puis à Ouidah où on croise un curieux personnage, riche commerçant négrier Chacha. Cependant, les esclaves sont partout, du Maroc à Ségou. Esclave, la mère de Siga et Sira, la Peule, prise de guerre, concubine. A Ségou, des esclaves travaillent dans le champs, dont on ne parle pas. 

Maryse Condé n’a pas oublié les femmes, les mères et la plus majestueuse Nya. Elle n’en fait pas des objets de convoitise et de désir des hommes bien qu’ils se comportent souvent en prédateurs et violeurs. Chacune a sa personnalité, sa fierté même si , deux fois, cela aboutit à la solution affreuse de se jeter dans un puits. 

Maryse Condé est une merveilleuse conteuse qui m’a embarqué sur près de 500 pages qui se tournent toutes seules. Attention, roman d’aventure addictif!

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Arbre de l’Oubli – Nancy Huston

FEMMES

Depuis très longtemps Nancy Huston est une référence féministe et je me suis toujours promise de faire connaissance avec l’œuvre de cette autrice. Le billet de Jostein, et surtout le titre qui me rappelait Ouidah (Bénin) m’ont attirée.  Dès que je l’ai trouvé à la médiathèque, je l’ai emprunté. 

Ce livre féministe militant a tout pour m’intéresser :  l’Afrique et à l’esclavage, les études féministes et les clins d’œil à Sylvia Plath, Hélène Cixous, Luce Irigaray, Julia Kristeva et j’en passe…Diversité ethnique,  la Shoah avec les parents juifs de Joel, l’amie Haïtienne, au vaudou et à la santeria à Cuba, émeutes raciales à Baltimore, La GPA, toutes les thématiques que la droite qualifierait de « woke »!

Seulement, chacun de ces thèmes mériterait un roman! Mélanger le tout en 305 pages ne peut que donner le tournis à la lectrice qui souhaiterait qu’on s’arrête pour approfondir chacun de ces sujets. On saute d’un personnage à l’autre, d’une époque à une autre sans transition.

J’aime m’attacher à un personnage, le suivre… Je n’ai éprouvé d’empathie pour personne. Jenka, la mère juive, est caricaturale comme Eileen, la mère de Lili Rose. Lili Rose est peu sympathique, on se demande comment elle passe de son enthousiasme pour les bikinis à une thèse universitaire, des relations avec des adolescents plutôt ploucs au féminisme radical. Shayna ne m’a pas plus séduite non plus. Je n’arrive pas à  l’imaginer,  à part sa couleur de peau « marron » et ses rondeurs » là où il faut« , elle est peu incarnée. Le seul que j’arrive à suivre c’est l’anthropologue très calé pour décrypter les cérémonies préhistoriques, mais si peu perspicace quand il se promène avec sa fille métisse à Cuba qu’on prend pour une prostituée. L’enfer est pavé de bonnes intentions!

Ouidah, porte du non-retour

Malgré cette déception je vais continuer à lire Nancy Huston parce que ses thématiques m’intéressent.

Je chemine avec Angélique Kidjo

MOIS AFRICAIN

Angélique Kidjo à Bonneuil le 3 octobre 2021

Dimanche 3 Octobre 2021, Bonneuil, premier concert de la saison pour moi. Quel plaisir! quelle pêche! quelle ambiance! Tout le monde debout à danser, à chanter. Le 3 octobre 2020 à la Maison des Arts de Créteil, il y a tout juste un an, c’était aussi avec Angélique Kidjo que nous retournions au spectacle après le confinement (et avant le nouveau confinement) plus timidement, je n’avais pas osé me lever et étais restée soigneusement dans les distances de sécurité, bien masquée.

Deux concerts différents. Celui de 2020, était plus dédié à toutes les femmes : Myriam Makéba, Célia Cruz, Aretha Franklin j’avais été surprise de l’entendre chanter aussi bien en Anglais, qu’en Espagnol. Celui de 2021 fait suite à la sortie d’un nouveau disque : « Mother Nature » toujours féministe, mais plus concerné par le Climat et la Pandémie. 

J’ai eu envie de mieux connaître cette artiste et coïncidence : par la page Facebook du MOIS AFRICAIN j’ai trouvé le livre JE CHEMINE AVEC ANGELIQUE KIDJO que je me suis empressée de lire. C’est un livre d’entretien, questions/réponses (161 pages) menés avec Sophie Lhuillier.

Lecture facile, entretiens vivants suivant l’ordre chronologique où la chanteuse raconte son enfance au Bénin, enfance heureuse dans une famille qui l’a soutenue, elle parle de ses grands-mères, des femmes puissantes, de ses parents qui ont élevé leurs filles comme leurs garçons (ce qui n’allait pas de soi au Bénin à l’époque), qui l’ont soutenue dans son choix précoce de devenir chanteuse.

1983, arrivée au pouvoir de Mathieu Kérékou, Angélique Kidjo refuse de devenir chantre de sa propagande et préfère prendre la route de l’exil en France (elle est née avant l’Indépendance du Bénin, donc française). Là, elle découvre le racisme et doit recommencer sa carrière de zéro. Elle fera des études de chant, et surtout de très belles rencontres : son mari musicien, mais aussi des jazzmen, des musiciens en France d’abord, aux Etats Unis ensuite, même à Cuba et au Brésil.

En dehors de sa carrière (4 Grammy Awards), des concerts dans le monde entier Angelique Kidjo dit que « chanter est une responsabilité » C’est donc une artiste engagée qui sera ambassadrice de l’UNICEF et surtout s’engagera dans sa fondation BATONGA ONG œuvrant pour l’éducation des filles en Afrique au Bénin mais aussi dans d’autres pays d’Afrique. Engagement féministe, écologique, Angélique est une citoyenne du monde qui fédère toutes les cultures. Elle chante les musiques traditionnelles d’Afrique mais pas que. Elle retrouve les racines africaines de la Salsa, de la Soul, et se frotte aux musiques classiques contemporaine, avec John Cage, entre autres. Elle est là où on ne l’attend pas. 

Dans le bleu, Angélique Kidjo dans les écouteurs….

Et comme j’avais envie d’en savoir plus, de l’entendre à nouveau, j’ai vraiment cheminé avec Angélique Kidjo avec l’appli Radio France et les nombreux podcasts que j’ai pu trouver. 

Une journée particulière France-Inter : Sans le courage des femmes, le monde s’écroulerait CLIC

France Culture :  la grande table/ angélique Kidjo la voix de l’engagement CLIC /

Et il y en a eu beaucoup d’autres, pour le plaisir de la musique…..

Angelique Kidjo et Poundo à La Maison des Arts

LE PLAISIR DE LA MUSIQUE VIVANTE!

Angélique Kidjo sur scène

Ce concert, le 3 octobre 2020, il y a presque deux semaines a été ma première sortie à la Maison des Arts de Créteil depuis le confinement et c’est avec un plaisir immense que j’ai retrouvé la Grande Salle de la MAC. Distanciation sociale, un siège vide à ma droite, masquée, mais très très joyeuse et si ravie de retourner à la musique vivante, de sentir vibrer la salle d’impatience. C’est quand même autre chose que YouTube! 

En première partie, une surprise : Poundo, franco-sénégalaise a électrisé la salle avec une danse proche de la transe. 

Si la vidéo vous suggère du folklore des pagnes en wax, vous avez tout faux, lamé brillant et hautes cuissardes (qui tombaient mais cela amusait la danseuse!) et des talons vertigineux.

Angelique Kidjo est venue ensuite, magistrale! Elle peut tout chanter aussi bien les airs béninois que le boléro de Ravel. Cette fois-ci elle a choisi de rendre hommage(femmage cela ne se dit pas) à des grandes dames de la chanson internationale : Celia Cruz

Myriam Makeba

et bien sûr avec la salsa, il faut danser. Elle nous a encouragé à nous lever (mais gardez vos masques!) et même avec les distanciations obligées, il y avait une ambiance folle.

Quelle belle soirée!

Et nous voici à nouveau consignés à la maison avec le couvre-feu! Quelle rage! Que va-t-il se passer avec les autres spectacles de la MAC?  (nous avons pris des abonnements).

 

Frapper le fer – L’art des forgerons africains- Quai Branly

Exposition temporaire jusqu’au 29 mars 2020

Instruments de musique : cloches

Eblouie!

Quelle belle exposition!

Un panneau lumineux accueille le visiteur : en alternance les globules rouge et une éruption solaire : le fer rouge en fusion, rouge le minerai.  Rouge, le fer et le sang. L’art de travailler le fer est un don divin et dans certaines sociétés africaines les forgerons sont vénérés et craints.

herminette cérémonielle

L’exposition commence dans le domaine du cérémoniel et du sacré avec des lames cérémonielles. Ma préférée est une herminette surmontée d’un oiseau symbolisant la « hauteur de vue du chef » qui la possède (selon une conférencière qui guidait un groupe que nous avons suivi de loin). Herminette cérémonielle, aussi hache, faucille. Certaines œuvres sont prestigieuses.

faucille

On s’intéresse à la forge, enclume et marteau, parfois le même outil peut être les deux si on le brandit à deux mains comme une masse ou si on plante le manche dans la terre. Autre outil indispensable : le soufflet. Certains sont étonnants

deux soufflets

Une vidéo montre comment deux sacs de cuir actionnés à deux mains servent de soufflet.

Un masque yoruba (Nigéria) pour honorer les femmes ménopausées (mais porté par un homme) montre une forge

masque yoruba : forge miniature

 

Certaines réalisations sont très sophistiquées comme ce chandelier à lampes à huile avec 46 coupelles : arbre de vie hébraïque

chandelier à huile

Les forgerons fabriquent les outils agricoles comme les houes mais aussi des « outils » plus magiques comme ces crochets à nuages dogons , suppliques pour appeler la pluie  ou ces bouquets magiques en zigzag rappelant les éclairs

vase magique contenant des éclairs activateur de pluie

Les forgerons étaient ainsi en communication avec le monde surnaturel. Le Nommo dogon, voleur de feu rappelle un peu Prométhée.

masque dan

Une série d’objets d’interroge : des ceintures pelviennes, ceintures de chasteté?  protection ou parure. Elles devaient être drôlement inconfortables

Ceintures pelviennes

Quittant le domaine utilitaire, je reconnais les Asen que j’ai rencontré au Bénin, fon ou yoruba , ces plateaux portés sur des baleines comme celles d’un parapluie ils sont destinés à honorer un défunt décrivant sa personnalité

Asen

Forgés également nombreux instruments de musique comme les cloches ou les lamellophones.

Bien sûr les armes sont également présentes, lames de toute forme et même armes de jet aux formes tout à fait sophistiquées aussi belles que redoutables.

armes de jet

Enfin, il ne faut pas oublier les monnaies : les plus simples comme ces barres à section carrées ou les plus monumentales comme ces impressionnantes lames hautes comme un homme. Certaines étaient même utilisées lors des mariage, dot ou contrepartie.

Beaucoup plus qu’une exposition de beaux (très beaux objets) ouvragés, ciselés, ornés c’est une ouverture sur un monde surnaturel très étrange.