les mondes de Colette à la BnF

Exposition temporaire jusqu’au 18 janvier 2026

le Monde de Colette(1873 – 1954) est vaste et varié. On entre dans l’intimité de la famille à Saint- Sauveur- en -Puisaye, on feuillette l’album photos de Willy, et on découvre les maisons de Colette, Rozven , en Bretagne offerte par Missy, découverte de sa collaboration avec le peintre breton Mathurin Méheut

Plus tard, à Saint Tropez à la Treille Muscate avec les gravures de Dunoyer de Segonzac ou la peinture de Camoin

La Treille muscate Dunoyer de Segonzac

Flânerie dans les paysages de Colette entre photographies, manuscrits, lettres et cartes postales ainsi que beaux livres. On n’est pas à la BnF pour rien.

Série de dessins à la craie de Louise Hervieu

Colette a été très attentive à la nature, aux plantes du jardin,  aux chats et même aux plus petits animaux dessinés ici par Louise Hervieu (1878-1954) contemporaine de l’auteur du Dialogue de Bêtes présenté ici. Un herbier (1949) a été illustré par Raoul Dufy

Un mur est consacré à l‘Enfant et les Sortilèges de Ravel dont Colette a composé le livret en 1925, aquarelle des costumes, photographies de scène de cette féérie-ballet et même quelques moments du spectacle dans une mise en scène récente. 

Colette ne fut pas seulement écrivaine à succès des Claudine promue par Willy. Quand elle se sépare de son mari elle doit gagner sa vie sur scène dans le Music Hall dans le monde et le demi-monde. L’exposition scénarise l‘Envers du Music Hall toujours avec des photographies d’époque, des affiches de spectacles, des portraits de Polaire, Missy, de la Belle Oterocostume de scène du Faune et un portrait de Matisse, de très beaux dessins et même une lettre.

Portrait de Colette par Matisse

« Etes-vous pour ou contre le second métier de l’écrivain? »interroge Colette à propos de l’ouverture de son institut de beauté.

Colette a pratiqué bien plus que deux métiers: saltimbanque, écrivaine, journaliste. Une section entière de l’exposition montre la journaliste qui écrivit dans le Temps et d’autres journaux plus de 1200 articles. Envoyée spéciale au Maroc, à New York… chroniqueuse judiciaire racontant les procès monstres comme Landru ou Violette Nozière, chroniqueuse sportive (c’est plutôt inattendu!).

la vagabonde

S’écrire , Colette se met en scène et en même temps brouille les pistes. Est-elle Claudine(1900)? ou Renée dans la Vagabonde (1910), Léa dans Chéri (1920) Proust qui se racontait aussi l’admirait. 

Une conversation avec Jean Cocteau quand Colette était alitée dans son lit-radeau la montre plaisantant, vantant l’oisiveté…

J’aime toujours ces expositions à la BnF où littérature, édition, arts plastique, photographie sont toujours très bien présentées. Expositions dans le calme sans la foule.

 

La mare au diable – George Sand

Un court roman paysan ou une longue nouvelle? La Bonne dame de Nohant nous conte son Berry dans une jolie histoire toute simple : le mariage du fin Laboureur, Germain, avec la jeune Pastourelle. Germain, 28 ans, est veuf, père de 3 enfants, à qui il doit donner une « mère » . Mariage arrangé, mariage de raison. Mais quand il va visiter sa promise rien ne se passe comme prévu.

Je vous laisse découvrir l’histoire.

Résumée ainsi, l’œuvre semble simplette. Une bluette pour les collégiens?

Pas seulement, George Sand l’inclut entre un avant-propos au ton sérieux et un appendice ethnographique.

Pour la Mare au Diable en particulier, le fait que j’ai rapporté dans l’avant-propos, une gravure d’Holbein, qui m’avait frappé, une scène réelle que j’eus sous les yeux dans le même moment, au temps des semailles, voilà tout ce qui m’a poussé à écrire cette histoire modeste, placée au milieu des humbles paysages

Pas si simple : en introduction, George Sand attire il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité ni la du lecteur sur une gravure de Holbein, Les simulachres de la mort. Peinture de la dure condition des paysans avec la seule perspective de la mort. George Sand apporte son optimisme et ses convictions sociales. 

« nous voulons que la vie soit bonne, parce que nous voulons qu’elle soit féconde. Il faut que Lazare quitte
son fumier, afin que le pauvre ne se réjouisse plus de la mort du riche. Il faut que tous soient heureux, afin que le bonheur de quelques uns ne soit pas criminel et maudit de Dieu.[…] Il faut enfin que la mort ne soit plus ni le châtiment de la prospérité, ni la consolation de la détresse. « 

Elle est attentive à l’évolution politique (1846) et se soucie de la mission de l’art.

La conclusion du livre,  en appendice, est la relation des Noces de Campagne décrites avec la précision d’une ethnographe. George Sand raconte la tradition des Livrées où les réjouissances ont pour héros le chanvreur (broyeur de chanvre) qui défend la maison de la fiancée contre l’assaut mené par les camarades du marié avec à sa tête le fossoyeur. Joutes verbales et comédie bien réglée.  De pittoresques traditions président à l’échange des anneaux. Puis on revient au burlesque pour l’arrivée du Chou. Cavalcades, déguisements pendant trois jours  rappelant les Saturnales antiques. 

Cette description détaillée des noces m’a ravie!

 

Indiana – George Sand

« C’était une créature toute petite, toute mignonne, toute déliée; une beauté de salon que la lueur vive des bougies rendait féerique et qu’un rayon de soleil eût ternie. En dansant, elle était si légère, qu’un souffle eût suffi pour l’enlever; mais elle était légère sans vivacité, sans plaisir. Assise, elle se courbait comme si son corps trop souple n’eût pas eu la force de se soutenir; et, quand elle parlait, elle souriait et avait l’air triste. »

Indiana, jeune créole de l’Île Bourbon a suivi son vieux mari, colonel de l’armée de Napoléon, industriel dans le domaine de Lagny à proximité de Melun.

Elle n’aima pas son mari, par la seule raison peut-être qu’on lui faisait un devoir de l’aimer, et que
résister mentalement à toute espèce de contrainte morale était devenu chez elle une seconde nature, un
principe de conduite, une loi de conscience.

Premier roman publié sous le nom George Sand en 1832 après des publications en collaboration avec Jules Sandeau.  

Indiana, est entourée par sa servante créole, Noun, et son cousin Ralph, personnage falot. Elle tombe amoureuse de Raymon de Ramière, son voisin, jeune homme brillant, qui la séduit facilement mais à qui elle résiste longtemps,. Pieuse et vertueuse, elle a des scrupules à tromper son mari, que par ailleurs elle craint, jaloux et violent. L’amourette traîne jusqu’à ce que la belle cède. Après la conquête, Raymon ne ressent plus l’intérêt de ce qui va devenir un scandale. Il se lasse et la chasse. C’est bien écrit, finement analysé, mais je m’ennuie . Indiana est bien naïve. Le dénouement est prévisible. 

Indiana, oie blanche, ne m’enchante pas . En revanche la charge très spirituelle contre l’ « honnête homme » son contemporain est passionnante. On voit toutes les ruses, les faiblesses des séducteurs.

Savez-vous ce qu’en province on appelle un honnête homme ? C’est celui qui n’empiète pas sur le champ
de son voisin, qui n’exige pas de ses débiteurs un sou de plus qu’ils ne lui doivent, qui ôte son chapeau à
tout individu qui le salue; c’est celui qui ne viole pas les filles sur la voie publique, qui ne met le feu à la
grange de personne, qui ne détrousse pas les passants au coin de son parc. Pourvu qu’il respecte
religieusement la vie et la bourse de ses concitoyens, on ne lui demande pas compte d’autre chose. Il peut
battre sa femme, maltraiter ses gens, ruiner ses enfants, cela regarde personne. La société ne condamne
que les actes qui lui sont nuisibles; la vie privée n’est pas de son ressort.

La fortune tourne, Le Colonel Delmare est ruiné . Il va tenter sa chance à La Réunion (Île Bourbon). Indiana suit son mari mais aime toujours Raymon… 

Cette deuxième partie de livre est plus aventureuse avec des rebondissements inattendus.  J’ai aussi aimé l’évocation de la nature dans ce décor exotique et je me suis laissé emporter par cette lecture avec plaisir. 

Podcast : Et si vous voulez approfondir, ou au contraire découvrir George Sand , un podcast passionnant qui parle d’Indiana https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/george-sand-vie-singuliere-d-une-auteure-majuscule/masculin-feminin-l-invention-de-soi-3698852

Les Naufragés du Cap Vert – Laurence Benveniste

BOOKTRIP EN MER/ CAP VERT

 

Proposé par les algorithmes d’Amazon, ce livre semblait cocher toutes les cases de mes lectures de l’été : le Booktrip en mer, La Révolution française (à la suite des Onze), lhistoire des Juifs . Plaisir de retourner au Cap Vert répondre à cette interrogation lors de notre voyage au Cap Vert : le lieu-dit Synagoga CLICm’avait étonnée, je comptais sur cette lecture pour lever  ce mystère.

A bord de la « Jolie Nanette » voguant vers la toute jeune république américaine se retrouvent David, Esther et son fils Momo,  Juifs du Comtat Venaissin, Marie la fiancée de David, Hemings le cuisinier de Jefferson, esclave mulâtre, Dalayrac un violoniste qui a joué à la cour, Liquier fils d’un armateur bordelais négrier, Camboulas vétéran des guerres d’Indépendance américaine. Bonne compagnie musiciens, lettrés « honnêtes hommes » ayant le goût de la conversation et de la musique. La cuisine de Hemings apporte une touche gastronomique à ce voyage qui s’annonce très agréable.

Tout d’abord, échanges de très haute volée où Voltaire, Olympe de  Gouges, Lessing sont cités. La Fayette, Mirabeau, Robespierre et les révolutionnaires, sujets d’actualité. La présence de Heming, fin cuisinier, violoniste, mais esclave de Jefferson, introduit une réflexion sur l’esclavage. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, n’implique-t-elle pas l’Abolition de l’esclavage? La situation des Juifs et des Noirs, également opprimés est sujet de leurs discussions. Bien sûr, la place des femmes n’est pas oubliée. Passionnants ces débats? Un peu longs et scolaires. Laurence Benveniste ne laisse rien de côté, développe les idées, creuse son sujet. Tant d’érudition finit par lasser.

La croisière se gâte, mort suspecte du Capitaine qui est remplacé par un personnage très antipathique, mort du Coq…aménagements suspects en cale. Mutinerie…les passagers deviennent otages, le navire change de destination. L’heure n’est plus aux discussions philosophiques ni aux concerts de violon. Suspens haletant. Ma foi, fort bien mené. Arriveront ils au Cap Vert? (on se doute que oui d’après le titre) et après….ils passeront par Synagoga, bien sûr!

Très bien documenté, mais la lecture de ces 391 pages est  un peu laborieuse. .

le Rayon Vert – Jules Verne

CHALLENGE AUTOUR DE JULES VERNE

Lu à la suite de Jules Verne contre Nemo de Céline Ghys qui avait lancé une allusion transparente :

« Disons que je prendrai un époux quand je verrai un rayon vert à la place du soleil couchant. « 

En effet, le personnage principal est – une fois n’est pas coutume – une jeune fille intrépide, Miss Campbell, jeune écossaise que ses oncles veulent marier à un jeune scientifique Aristobulus Ursiclos qui, outre son nom ridicule, est parfaitement ennuyeux.

Tu ne veux pas te marier ? dit le frère Sam. – A quoi bon ? – Jamais ? … dit le frère Sib. – Jamais, répondit Miss Campbell, en prenant un air sérieux, que démentait sa bouche souriante, jamais mes oncles… du moins tant que je n’aurais pas vu… – Quoi donc ? s’écrièrent le frère Sam et le frère Sib.   Tant que je n’aurai pas vu le Rayon-Vert. »

Et voilà Miss Campbell, ses deux oncles Sam et Sib, ainsi que leurs fidèles serviteurs, partis pour le littoral écossais, côte ouest bien sûr. Nous allons les suivre dans leur périple qui va les conduire dans la station balnéaire d’Oban, dans les îles de Mull, Kerrera, Seil, Staffa…îles Hébrides. Périple touristique sur des vapeurs puis sur un yacht loué. Vacances écossaises classiques.  Rien à voir avec les aventuriers de certains romans et encore moins  20.000 lieux sous les mers ou de la Terre à la Lune. Vacances tranquilles où ‘on s’occupe à de belles promenades ou au jeu de croquet. On surveille le baromètre qui promet (ou non) un beau coucher de soleil.

Du tourisme plutôt que de l’aventure! Mais avec beaucoup d’humour. On sourit beaucoup. Pas de technologie révolutionnaire, encore moins de science-fiction. D’ailleurs la science, en la personne d’Aristobulus Ursiclos, est ridiculisée.

C’était un « personnage » de vingt-huit ans, qui n’avait jamais été jeune et probablement ne serait jamais vieux. Il était évidemment né à l’âge qu’il devait paraître avoir toute sa vie.
Un collier de barbe encadrait ses joues et son menton – ce qui lui donnait une face quelque peu
simiesque. S’il avait été un singe, c’eût été un beau singe – peut-être celui qui manque à l’échelle des
Darwinistes pour raccorder l’animalité à l’humanité.
[…]
risible, mais peut-être s’en riait-on, parce qu’il était ridicule. Personne n’eût été moins digne que ce faux
jeune homme de s’approprier la devise des francs-maçons anglais : Audi, vide, tace. Il n’écoutait pas, il ne
voyait rien, il ne se taisait jamais.

Rayon vert ou pas, comment la pétillante Miss Campbell pourrait le prendre pour époux? Surtout qu’elle est très romantique. Etrangement, Jules Verne écrit  le Rayon Vert un roman d’amour romantique avec nombreuses allusions à Walter Scott, Ossian et les légendes folkloriques écossaises.

Romantisme du gouffre de Corryvrekan

« Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, »

Romantisme aussi de la Grotte de Fingal où ils vont bivouaquer.

Romantisme de la tempête qui s’y déchaînera….mais je m’arrête ici de peur de spoiler.

C’est une lecture facile, distrayante, différente des romans que Jules Verne a livré. Et en plus cela se lit vite!

Jules Verne contre Némo – Céline Ghys – Fayard

CHALLENGE AUTOUR DE JULES VERNE

J’ai rencontré l’autrice Céline Ghys à Créteil en poche et ce roman policier mettant en scène Jules Verne dans une enquête policière m’a semblé tout à fait à sa place dans le Challenge initié par Ta d loi du Ciné le squatteur du blog de Dasola CLIC

Evidemment, je ne vais pas divulgâcher en vous racontant l’intrigue!

Je ne déflorerai pas le suspense en précisant que l’action se déroule à Amiens en 1882. Jules Verne a donc 57 ans, et qu’il un personnage considérable à Amiens. Sa notoriété lui ouvrira des portes, facilitant ainsi l’enquête. Occasion de faire le portrait de l’écrivain. 

Elle l’examina et trouva qu’il avait vieilli depuis leur dernière rencontre. Ses cheveux avaient presque tous blanchi. Sa moustache poivre et sel, au-dessus d’une barbe immaculée, lui donnait l’allure d’un patriarche, bien qu’il ne fût âgé que de cinquante-cinq ans.  Cet air, il le devait aussi à son petit chapeau rond, un peu démodé, auquel il demeurait attaché. Claudine observa alors attentivement son oncle. Son œil gauche était légèrement fermé à cause d’une paralysie faciale qu’il avait contractée dans sa jeunesse, mais son regard restait toujours aussi bleu et intense.

Un tueur en série sévit dans la ville, ses meurtres sont organisés avec des mises en scène théâtrales. Il se joue de la police et de l’auteur prenant pour pseudonyme Némo. Némo est un personnage de 20.000 lieux sous les mers, c’est aussi sous ce nom qu’Ulysse berne le Cyclope. Némo c’est aussi personne. 

D’autres allusions à l’œuvre de Jules Verne sont dispersées dans le roman :

Disons que je prendrai un époux quand je verrai un rayon vert à la place du soleil couchant. — Un rayon
vert ? Mais quelle idée ? Où as-tu entendu cela ? — Nulle part, je viens de l’inventer ! Je trouve l’
expression plus jolie que « quand les poules auront des dents ».

Justement le Rayon Vert a été publié en 1882. Est-ce un hasard? Je ne l’ai pas encore lu. Je vais le télécharger! 

Cet aimable polar sans prétention est une agréable lecture que je vous recommande, occasion de mieux connaître le grand auteur et de vous promener dans Amiens.

Un drame en Livonie – Jules Verne

 

 

Escale dans les Pays Baltes : la Livonie regroupe l’Estonie et la Lettonie.

Comme souvent chez Jules Verne il y a une poursuite haletante dans la forêt russe, un fuyard tente de franchir la frontière, et  échapper à ses poursuivants, aux loups et à la débâcle des fleuves…comment va-t-il s’en sortir?

Autre voyage, en malle-poste de Riga à Pernau (actuellement Pärnu). Les voyages sont des aventures, la malle-poste est accidentée; les voyageurs sont contraints de passer la nuit dans une auberge isolée. L’un d’eux est assassiné. Le roman d’aventures devient roman policier

On était en 1876. Cette idée de russifier les provinces Baltiques datait déjà d’un siècle. Catherine II songeait à cette réforme toute nationale.

L’intrigue se joue dans le contexte de tension politiques entre les Allemands, nobles et grands  bourgeois qui détiennent le pouvoir et les Slaves (les Lettons et les Estes, populations autochtones, paysans), ne rentrent pas en ligne de compte dans ces luttes de pouvoir. Justement, des élections se profilent et le suspect est le prétendant slave aux élections.

Il porta sur l’état des esprits à Riga, le même, d’ailleurs, qui régnait dans les principales villes des
provinces Baltiques. Cette lutte des deux éléments germanique et slave passionnait les plus indifférents.
Avec l’accentuation des énergies politiques, on pouvait prévoir que la bataille serait chaude, 

Qui a donc tué Poch?

On ne s’ennuie pas avec Jules Verne.

Bien sûr, il faut compter avec les préjugés et le vocabulaire de l’époque, les mots « races » ou « aryen » ne sont pas acceptables au XXIème siècle, ils étaient courants à la fin du XIXème. De même, les fiancées parfaites et soumises ne sont plus de mise. Voyages dans l’espace mais aussi dans le temps;

la Sagouine – Crache à pic – Antonine Maillet

CANADA – ACADIE

Le pays de la Sagouine

Le décès d’Antonine Maillet, le 17 février 2025,m’a donné envie de la relire et de la faire lire aux blogueuses.eurs plus jeunes qui ne l’aurait pas connue. J’ai lancé une lecture commune ICI et réservé à la bibliothèque Pélagie-la- Charrette qui avait remporté le Goncourt en 1979.

J’ai ressorti mon petit volume de la Sagouine que j’ai découverte sur place « au Pays de la Sagouine », à Bouctouche au Nouveau Brunswick , reconstitution de l’ancien village avec acteurs-habitants en costume d’époque. La Sagouine – frotteuse de parquets, raconte en 16 monologues la vie du village. 

« C’est point d’avouère de quoi qui rend une persoune benaise, c’est de saouère qu’a va l’avouère »

La Sagouine

Crache à pic (317p.) est un roman d’aventure, roman du temps de la Prohibition (années 1930), roman de marins puisque l’héroïne Crache à pic, est capitaine d’une vieille goélette, roman acadien qui se déroule sur les côtes des Provinces maritimes et celles du Maine (pour la contrebande). C’est aussi un roman très drôle avec des scènes hilarantes qui se succèdent mais que je ne divulgâcherai pas pour vous en laisser la surprise. 

 – Au nom de la loi! qu’il réussit à crier. Arrêtez!

Et la goélette vint se cogner à la coque du bateau des garde-côtes, en laissant tomber les voiles au pied du mât… comme la plus innocente petite fille du monde qui a déjà avalé toute la confiture et n’a plus rien à cacher. […] Crache à pic avait aperçu, flottant autour de son embarcation, une douzaine de fanions rouge et noir tombés du ciel comme de petits pains bénits.

Sainte Mère de Jésus-Christ! qu’elle s’est écriée, les trappes à homards!

Et à coup de poings dans le dos, elle poussait ses hommes jusqu’à la proue.

jetez le homard à l’eau qu’avait commandé le capitaine. Tobie et Jimmy, allez me qu’ri les caisses de vin et enlignez-mes sur le pont….

 

Pour le dépaysement total, il vous faudra vous familiariser avec le Français d’Acadie différent de celui du Québec, et très différent de celui de France. A l’oral, j’ai été très surprise et j’ai mis quelques jours à tout comprendre.  Par écrit, cela le fait très bien. C’est une langue très savoureuse.

L’ombre d’Al Capone plane, Dieudonné riche bootlegger canadien dépouille les paysans naïf en achetant leurs terres et en spéculant sur les gramophones… je n’en dirai pas plus. Vous allez passer un bon moment.

 

Le Château des Carpathes – Jules Verne

CHALLENGE  120 ANS JULES VERNE

 

A l’occasion de cet anniversaire ta d loi du ciné a lancé ce challenge auquel je m’associe volontiers. Jules Verne m’accompagne dans nombreux voyages. Comme je n’ai pas de voyage lointain en perspectives je retourne, en livre, en Roumanie où j’ai de très bons souvenirs. 

Le Château des Carpathes , au premier abord est un roman gothique qui m’a fait penser à Walpole et son Château d’Otrante CLIC

Un château hanté, des villageois superstitieux, des légendes locales… et des assertions antisémites, il faut vraiment contextualiser et resituer l’œuvre dans l’époque où il a été publié (1892) où le lecteur friand de dépaysement était peut être moins susceptible. Ces paysans arriérés qui gobent les diableries ne sont plus de saison.

En revanche, au milieu du récit, un détour par Naples va dérouter le lecteur. Et nous allons retrouver le Jules Verne de science-fiction, entre diablerie et technique sophistiquée. Mais je divulgâche…, je n’en dirai pas plus. Et le roman qui était plutôt mal parti m’a bien accrochée. 

La danse de Gengis Cohn – Romain Gary

Lire ou Relire Romain Gary? 

Delphine Horvilleur m’y a fortement incité à plusieurs reprises dans Il n’y a pas d’Ajar et à plusieurs reprises dans d’autres livres. 

Chien blanc a été adapté au cinéma, récemment, par la réalisatrice canadienne Anaïs Barbeau-Lavalette CLIC   Adapté également au théâtre par Les Anges au plafond dans une mise en scène étonnante, marionnettes, papiers pliés, ombres chinoises. Et bien sûr j’ai lu le livre CLIC

La lecture de La danse de Gengis Cohn est la suite logique de ma visite au Musée du Judaïsme avec l’exposition Dibbouk CLIC

 

Mon nom est Cohn, Gengis Cohn. Naturellement, Gengis est un pseudonyme : mon vrai prénom était Moïché, mais Gengis allait mieux avec mon genre de drôlerie. Je suis un comique juif et j’étais très connu jadis, dans les cabarets yiddish : d’abord au Schwarze Schickse de Berlin, ensuite au Motke Ganeff de Varsovie, et enfin à Auschwitz.

Gengis Cohn est un Dibbouk : son fantôme est « collé » à un vivant; Gengis Cohn ne hante pas une jeune fille, sa fiancée, comme le Dibbouk d’Anski. Gengis Cohn s’est attaché à un nazi : Schatz, celui-là même qui a donné l’ordre de faire feu pour l’exécuter avec un groupe de Juifs évadés du camp. Cette cohabitation dure depuis une vingtaine d’années ; pour le libérer il faudrait un exorcisme. 

Schatz sait qu’il est habité par un dibbuk. C’est un mauvais esprit, un démon qui vous saisit, qui s’installe
en vous, et se met à régner en maître. Pour le chasser, il faut des prières, il faut dix Juifs pieux,
vénérables, connus pour leur sainteté, qui jettent leur poids dans la balance et font fuir le démon

La Danse de Gengis Cohn est une farce tragique. Farce parce que le nazi possédé profère au moment où on l’attend le moins des paroles suggérées par Cohn 

Mazltov. Félicitations. Vous avez une mémoire. – Zu gesundt. – Tiens, vous parlez yiddish ? –
Couramment. – Berlitz ? – Non. Treblinka. Nous rions tous les deux. – Je me suis toujours demandé ce que
c’est, au juste, l’humour juif, dit-il. Qu’est-ce que vous croyez ?

On rit beaucoup : Romain Gary livre toute une collection de blagues juives qui surgissent dans le récit aux moments les plus inattendus. Schatz se livre à des démonstrations grotesques.

Humour juif, humour très grinçant rappelant les épisodes les plus graves.

Au début, l’action se déroule au commissariat où Schatz est confronté à un crime. Un roman policier? Crimes étranges, les victimes sont dénudées mais leur physionomie est heureuse « des mines paradisiaques« . Les victimes se multiplient, aucun motif valable.

Schatz : « C’est la première fois, dans mon expérience, dit-il solennellement, que quelqu’un se livre à un massacre collectif sans trace de motif, sans l’ombre d’une raison… En voilà assez. Il n’est pas question de laisser passer une telle hutzpé, sans réagir. »

Cohn : « Lorsque je l’entends affirmer que c’est la première fois dans son expérience que quelqu’un se livre en Allemagne à un massacre collectif sans l’ombre d’une raison, je me sens personnellement visé. Je me
manifeste. »

Tandis que l’enquête piétine, deux personnages, un Comte et  un Baron, font irruption au commissariat pour déclarer la disparition d’une femme qui a déserté le domicile conjugal avec son amant, le jardinier.

Le roman policier se déplace dans la forêt de Geist où les protagonistes enquêtent et retrouvent le jardinier et la femme Lily. L’enquête policière laisse place à une série de scènes « érotiques » ou humoristiques sur le lieu-même des exécutions. Scènes grotesques bourrées de références culturelles 

« les sanglots longs des violons de l’automne – automne 1943 pour être précis »

poésie, mais aussi peinture ou sculpture, psychanalyse …C’est amusant de chercher les sources.

la réalité est déformée par des mains impies, comme si quelque affreux Chagall s’était emparé d’elle. Un
khassid du ghetto de Vitebsk, assis sur les classeurs, et qui a la tête de Gengis Cohn, joue du violon,
cependant qu’une vache, tous pis dehors, vole au-dessus du portrait officiel du président Luebke.
D’affreux Soutine se tordent sur les murs, des nus du Juif Modigliani crachent leur obscénité dans les
yeux de nos vierges aux tresses innocentes. Freud se glisse dans la cave et va réduire en ordure nos
trésors artistiques. Des masques nègres grimaçants s’engouffrent à sa suite, en même temps qu’une
salière et une bicyclette, et se composent déjà en un tableau cubiste dégénéré. Ils reviennent…

« Nous voulons des cadavres propres C’était la plus grande commande culturelle du siècle. « 

me renvoient à Prévert (l’Avènement d’Hitler et à Paul Morand. les recherches sur mon téléphone mobile qui coupent la lecture sont assez jouissives. 

Je m’égare, survient le Messie (ou Jésus qui s’exile en Polynésie à la manière de Gauguin), et puis le Général de Gaulle.

Certaines pages loufoques me font rire aux éclats. L’accumulation de nonsenses me lasse un peu. Il faut une belle trouvaille pour me dérider. Tant mieux, il y en a.

Mais que symbolise donc Lily, la plus belle des femmes? Une nymphomane? la Joconde? la Culture? l’Humanité?  Je me perds dans les conjectures.

L’imagination de Romain Gary est sans frontière. Il ne s’interdit rien. Il ne se limite pas à l’Holocauste. Nous nous retrouvons en pleine Guerre du Vietnam. Les crimes ne s’arrêtent pas en 1945. L’histoire n’est pas finie. les victimes deviennent bourreaux. J’en sors essorée.