La Bibliothèque enchantée – Mohammad Rabie (Actes sud)

LIRE POUR L’EGYPTE

Vous aimez les livres et les bibliothèques?

A l’heure où les médiathèques s’informatisent, où la lecture se fait électronique, où les ordinateurs deviennent traducteurs (plus ou moins bien) … Voici une bibliothèque enchantée, mystérieuse, cachée dans une rue du Caire, invisible aux passants, au nom féminin de Kawkab Ambar!

 

 

Dans cette bibliothèque, nul fichier, nul classement, nulle carte de lecteur. Seuls quelques habitués la fréquentent. Et pourtant la quantité de livres est impressionnante.

 

Chaher, un fonctionnaire, est envoyé pour faire un rapport sur le fonctionnement de cet établissement. Il ne se fait pas d’illusions : la bibliothèque est condamnée, on va faire sur son emplacement une station de métro. On attend de Chaher le rapport qui confirmera la fermeture.

Ce dernier tombe sous le charme de cette bibliothèque mystérieuse, il fréquente les habitués. L’un d’eux l’initiera à la logique du rangement des livres puis à la particularité : la bibliothèque a « la baraka des traductions » . Un auteur qui dépose un exemplaire obtient la chance de voir son ouvrage traduit dans des langues étrangères. D’ailleurs, l’un des fidèles lecteurs est un traducteur réputé, même un Professeur de traduction.

Il sera question de Mahfouz, de Joyce et de Borges, je découvrirai le plus vieux roman arabe Hayy ibn Yazqzan écrit au 12ème siècle….je me suis demandée si le Codex Seraphinianus avait vraiment existé(oui me répond Wikipédia)…

Ironie, mystère, mystification ou délire, on nage dans l’invraisemblance, qu’importe? Il n’y a pas d’intrigue, ni d’histoire seulement une poétique déambulation dans l’univers des livres. ‘

 

Belles d’Alexandrie – Edouard Al-Kharrat

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Je suis toujours fascinée par Alexandrie des années 1930 à 1950, la ville de Durrell et du Quatuor, celle de Cavafy, Tsirkas,  Stefanakis, Solé, Moustaki….. Égyptienne, bien sûr, mais aussi francophone, italienne, grecque, levantine, britannique…..Ville littéraire mais aussi populaire. Ville qui a été noyée sous le béton d’une corniche-muraille. Sur place, au cours de nos deux séjours, j’ai cherché les traces de cette ville cosmopolite, sans trouver ces souvenirs. Pèlerinage au Cécil sur Saad Zagloul….

Edouard Al-Kharrat est copte. Il raconte des tableaux de sa vie d’enfant, étudiant révolutionnaire, ingénieur et restitue sa part de la ville d’antan, des baignades. Rencontres avec des femmes convoitées, rêvées…. j’ai bien aimé le suivre dans la ville.

Alexandrie 2010

Et, puis, je me suis lassée. Ses histoires lui reviennent sans ordre chronologique. Certains personnages sont récurrents, d’autres disparaissent. J’aurais eu besoin d’une intrigue, d’une histoire pour reconstruire le puzzle. Je me suis intéressée aux luttes contre les britanniques, aux manifestations de rue, mais j’ai besoin de plus de précisions, de dates, pour les suivre. J’ai donc lu, interrompu la lecture, repris, butiné…je me promène dans Alexandrie, puis je prends un polar, pour me laisser emporter par une enquête.

Ce pays qui te ressemble – Tobie Nathan

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« Ô Dieu! Ô dieux! Qui que vous soyez…Dieu des juifs ou des musulmans, des Coptes, des Grecs ou des Arméniens, dieux des Égyptiens, peut être si gracieux dans leurs fins dessins hiéroglyphes, Ô dieux, n’avez vous pas pitié des humains? » 

le Caire souks

C’est l’histoire de Zohar, un juif né dans la ‘Haret el Yahoud, la ruelle aux juifs, le ghetto du Caire. Fils d’Esther, que le quartier considère comme à moitié folle, et de Motty, l’aveugle qui chante si bien les textes saints, qui mémorise non seulement les textes religieux que les comptes des bijoutiers. C’est aussi l’histoire de l’Egypte entre 1925 et 1952, date de l’abdication de Farouk. Histoire racontée par trois amis, Zohar, juif pauvre et débrouillard, Joe  de Zamalek, Juif fils de famille sioniste et de Nino Cohen, étudiant en médecine famélique, l’intellectuel et politique qui choisira de rejoindre les Frères Musulmans.

Frères égyptiens, je pense aux Pyramides. On dit que nous, les Juifs, nous les avons bâties pour vous…Comme dans la formule des contes égyptiens, « cela fut, ou cela ne fut pas […]On dit que l’Egypte est la mère des mondes, oum el donia…C’est aussi la mienne! Je veux dire l’Egypte est ma mère ; c’est la matrice de toutes mes pensées…. »

Les trois amis profitent de la guerre pour monter une distillation de canne à sucre, leur commerce de l' »eau bleue » leur apporte la prospérité.

C’est aussi l’histoire de Masreya, soeur de lait de Zohar, fille d’une chanteuse, fille de fellahs du Delta. Masreya dont le nom veut dire l’Egyptienne. Masreya devenue danseuse à succès  séduira le roi Farouk jusqu’à lui imposer un mariage secret. Masreya est liée à Zohar par un lien magique, magie des sorcières qui ont permis la naissance de Zohar alors qu’Esther était stérile, amulette magique du rabbin. Bien que considéré comme incestueux l’amour de Zohar pour Masreya est indéfectible.

Il est beaucoup question de magie, des magiciennes musulmanes de Bab Zoueila,  les habitants du ghetto y ont recours malgré le rabbin qui les sermonne :

« Dieu vous a donné trois façons de comprendre : par la pensée, par le sentiment, par la raison; Je vous propose de vous servir de votre raison »

Il est aussi raconté Rommel et El Alamein, Farouk et les Anglais, et à la fin la Guerre d’indépendance d’Israel et les pogroms qui provoquèrent le départ de nombreux juifs.

J’ai beaucoup aimé ce livre foisonnant.

 » 

 

Les Normands en Egypte au château de Caen – sur les pas de Flaubert

BALLADE  NORMANDE 

Sous les remparts, des salles  hébergent les expositions temporaires : Actuellement

Voyages en Égypte

Des Normands au pays des pharaons au XIXe s.   23 juin 2017– 07 janvier 2018

Bonaparte Maurice Orange

La première salle est consacrée à l’Expédition de Bonaparte (1798) illustrée par les tableaux de Guérin, Cognet et des gravures de Vivant Denon ainsi que les aquarelles de Conté. Un tableau de très grand format de Maurice Orange (1865) occupe tout un mur.

 

La Description de l’Egypte : en 9 volumes de texte et ses illustrations est présentée sur le meuble construit exprès pour la loger.

Dans un couloir : présentation de  l’Egyptologie avec des photographies d’époque, j’ai remarqué celle des fouilles de Thanis d’Athanase de Banville.

En face de la salle des photographies de très jolis petits objets sont dans des vitrines.

marilhat : mosquée de Basse Egypte

Une dernière salle est occupée par de beaux tableaux de Marilhat : Mosquée de Basse Egypte, de Ziem : Crépuscule sur le Nil et Cabanes la Grande Porte de la Mosquée el-Hassan.

Ziem : crépuscule sur le Nil

Cette exposition est couplée à une autre  au Musée des Beaux Arts dans le Cabinet des estampes

L’EGYPTE PHOTOGRAPHIEE

Sur les pas de Flaubert et Maxime Du Camp en 1849-1850 comme le raconte le livre Un Hiver sur le Nil de  Anthony Sattin que j’ai lu récemment. Dans une vitrine, je découvre avec émotion les passeports des deux amis, le diplôme de récompense de l’académie des Arts et Métiers que Du camp a reçu pour ses photographies. Au début, les photographies du débutant sont sombres et un peu ratées puis Du Camp progresse. Il n’y a pratiquement pas de personnage, à l’époque les temps de pause était très long. Les photos d’Abou Simbel, toute une série de Philae sont commentées par les lettres de Flaubert.

aube

« je ne sais comment Maxime ne se fait pas crever avec la rage photographique qu’il déploie. Du reste, il réussit parfaitement ; Quant à moi, je ne fais que contempler la nature, fumer des chicheks et me promener au soleil, j’engraisse » lettre à sa mère 15 avril 1850

Enfin, à Beyrouth, Maxime Du Camp se sépare de son matériel et ne fera plus de photographie.

Le Mont Emeraude – Mansoura Ez-Eldin

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J’aime l’aventure, la découverte de livres que personne n’a chroniqués dans mon entourage, la littérature étrangère, les auteurs inconnus!

Mais l’aventure implique aussi certaines déconvenues.

J’aurais dû plutôt laisser sur l’étagère ce livre à couverture d’un jaune acide et à photo peu avenante plutôt que de me laisser embarquer par le 4ème de couverture qui promettait un conte des 1001 nuits perdus, une Shéhérazade de la place Tahrir 2011…féministe. Les 1001 nuits et le Printemps arabe, deux sujets qui m’intéressent.

Les premiers chapitres sont plutôt réussis. Je me suis intéressée à Boustan al-Bahr au nom de mer et de jardin, tantôt persane tantôt arabe. La conteuse?

« Ne pouvant gagner ta compagnie, j’accompagne la poussière des chemins » Farîd- al-Dîn Attâr »

Poésie ancienne ou récit actuel.

J’attendais aussi le récit de l’étudiante cairote, Hadîr, son témoignage sur la révolution. Rien de bien passionnant de son côté, une semaine de vacances dans un hôtel mexicain où elle tombe amoureuse d’un homme mûr. Le Caire vite parcouru…

Le conte perdu de la princesse Zomorroda sur le Mont Emeraude s’est avéré bien décevant. Peut être plaira-t-il aux lecteurs de Fantasy ou de SF? Le Mont Emeraude ou la Montagne Aimantée n’ont pas la poésie des palais de Shéhérazade. Des personnages se présentent et se perdent, je confonds les princesses et les héros. En bref, je m’ennuie.

Heureusement que le trajet en métro était long pour terminer ce livre.

Jours d’Alexandrie – Dimitris Stefanàkis

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jours-dalexandrie

 

J’aime évoquer le passé glorieux d’Alexandrie, non pas celui de Cléopâtre, mais celui de Durrell, de Solé ou  de Cavafy, un passé révolu mais encore vivant dans les mémoires. De passage à Alexandrie au début du 21ème siècle, je n’ai plus retrouvé grand chose de ces splendeurs, mais j’ai cherché ces fantômes….

Alexandrie 2010
Alexandrie 2010

Dimitris Stefanàkis raconte un demi siècle d’histoire entre la veille de la Première Guerre mondiale aux nationalisations de Nasser en 1956-1957 et le départ des derniers Européens. Saga de la famille Hàramis, industriels (père puis fils)  producteurs de cigarettes et personnalités marquantes de la Communauté Hellénique d’Alexandrie.

Alexandrie d’alors était cosmopolite, francophile, occupée par les Britanniques, avec une forte communauté italienne, de nombreux Syro-libanais, des Juifs, des Arméniens, et bien entendu des Arabes, musulmans ou coptes….C’est un roman grec et Stefanàkis a braqué le projecteur sur les Grecs d’Alexandrie tandis que Solé évoque plutôt les Syro-Libanais (du Caire et d’Alexandrie dans le Tarbouche et le Sémaphore d’Alexandrie et le regard de Durrell est essentiellement britanique. On peut aussi citer Paula Jacques pour la bourgeoisie  juive francophone….

 

Ces Jours d’Alexandrie nous racontent un demi- siècle d’histoire européenne, vécue par des Grecs mais pas uniquement à Alexandrie. L’auteur nous fait découvrir Istanbul (La Ville pour les Grecs) pendant l’été 1914, quand on peut encore prendre le bateau en Méditerranée Orientale. Antonis Haràmis – le père – exile ses deux fils en Allemagne juste à la fin de la Grande Guerre, l’un à Berlin, l’autre à Munich, occasion d’évoquer un Berlin interlope au moment de l’inflation, et les débuts du nazisme à Munich. l’un se liera aux communistes, l’autre aux nazis. De Berlin à Paris dans les années 3o… toute la grande Histoire est survolée. La Guerre d’Espagne aussi. Retour à Alexandrie pour la seconde Guerre Mondiale, El Alamein….Période 39-45 diversement vécue par les deux frères, l’un fournisseur en cigarettes des troupes britanniques, l’autre envoyé par les Grecs sous la botte allemande… Le roman se terminera par l’arrivée de Nasser au pouvoir dont nationalisation de l’usine familiale mettra le point final.

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C’est aussi une histoire de la Grèce. Les Grecs d’Alexandrie sont très attentifs à la politique grecque, divisés entre monarchistes et partisans de Venizelos qui fait une apparition dans l’usine des Haramis.  Une partie du roman se déroule à Athènes. Puis déchirés entre communistes du KKE et partisans des Allemands quoique, j’aurais aimé en savoir plus sur la guerre en Crète (mes références littéraires : Fermor). Très attachés à leur belle ville, ils le sont aussi à leurs origine. On sait toujours d’où vient tel ou tel personnage : Antonis Haramis était un gosse de Cavala, d’autres personnages, de Mytilène  ou de Symi, ou de Chios….

Des personnages non-grecs jouent aussi un rôle important : Yvette Santon, une française, ou Elias « le Libanais »… Dans les 540 pages on découvre des milieux très mélangés, des divas de l’opéra aux domestiques arabes….des pâtisseries très chics aux bordels sordides.

Mon regret, j’attendais Cavafy, il n’apparait que décédé (1933), quelques vers dont les célèbres barbares – arrêtés à El Alamein ? (1942).

Je suis entrée lentement dans ce pavé où il y a quand même des longueurs, surtout dans la première partie. J’ai trouvé un peu superficielle cette évocation de l’entre-deux guerres mais je me suis laissée séduire au fil des pages et j’ai refermé à regret le livre. Intéressant si on aime Alexandrie et la Grèce mais n’est pas Durrell qui veut!.

 

Winter on the Nile – Anthony Sattin

VOYAGE EN ORIENT

un hiver sur le nil

J’ai fait un beau voyage en Egypte, 1849,  en compagnie de Florence Nightingale et de Flaubert. Ou plutôt deux voyages légèrement décalés puisque ils ne se sont jamais rencontrés. Ils ont pourtant fait le trajet Alexandrie-Le Caire en novembre 1849 sur le même bateau, sans jamais se rencontrer, Gustave Flaubert, sur le pont avec les hommes, Florence Nightingale, dans la cale avec les femmes.

Même génération, Florence Nightingale 29 ans, Flaubert 27ans.  Chacun ayant quitté sa famille pour échapper à une dépression, Florence fuyant la pression de sa famille et une rupture de ses fiançailles, Gustave l’échec supposé de sa Tentation de Saint Antoine. Leur itinéraire était le même Le Caire-Luxor, Aswan et Abou Simbel. Florence Nightingale et ses amis sur une dahabiah, Flaubert et Maxime Le Camp à bord d’une cange. Ils se sont suivis. Flaubert a eu l’occasion de voir l’empreinte du pied d’une anglaise….

Sattin a eu l’idée de rapprocher leurs carnets de voyage. Un siècle et demi plus tard.

FlorenceNightingale

Occasion de rencontrer deux personnalités du 19ème siècle: un des écrivains les plus marquant et La dame à la Lampe l’héroïne de Crimée, qui a révolutionné le système hospitalier britannique. Sattin prend son temps pour nous les présenter. J’ai préféré la bio de Florence Nightingale à celle qu’il trace de Flaubert, ou peut être la personnalité de la première? Ces deux personnages sont à un tournant-clé de leur vie, à la veille de leur célébrité. Ils se cherchent. Flaubert cherche son style, l’Orient l’attire, mais doit-il écrire comme Chateaubriand ou comme Balzac? C’est sur le Nil que s’impose Emma Bovary, de il se souviendra peut être de son voyage pour Salambô. Tandis que Flaubert cherche son style florence Nightingale cherche un sens à sa vie de femme. Vouée au mariage comme toute femme de son époque et de sa condition, elle le refuse

 » Comment pourrait elle se marier quand le mariage voulait dire obéir à un mari? »

Elle a ressenti un appel divin, pour faire de sa vie autre chose, quelque chose d’utile, elle a déjà la vocation de soigner, d’être infirmière. Dans la bonne société anglaise, les infirmières ont mauvaise réputation. Ce voyage lui permettra de faire le point sur sa vocation et de s’éloigner des contraintes de sa famille.

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J’ai donc eu beaucoup de plaisir à visiter l’Egypte par leurs yeux. Voyage mystique de Florence qui voue un culte à Osiris qu’elle voit en figure christique. Voyage très différent dans les bordels, auprès des danseuses orientales de Flaubert, moins sensible au charme de l’Antiquité.

C’est aussi l’occasion d’imaginer le Nil sans le carcan des barrages ou des écluses. Abou Simbel avant le Lac Nasser, Philae sur son île d’origine et les cataractes après Aswan.

Cités à la Dérives – Stratis Tsirkas

JÉRUSALEM – LE CAIRE – ALEXANDRIE

le Caire
le Caire

Ce gros volume de près de 800 pages est une trilogie : Le Cercle, Ariane, La chauve-souris, trois romans écrits en 1960, 1962 et 1965. Gros pavé riche en personnages et en intrigues, personnages historiques ou personnages fictifs, que l’on retrouve dans les trois épisodes. Une liste des protagonistes est donnée en annexe, p 763 et il convient de s’y référer souvent pour éviter de se perdre, entre les noms, les prénoms, les surnoms et les pseudos pris pour la clandestinité…

Un café à Alexandrie
Un café à Alexandrie

Stratis Tsirkas donne une version hellénique du Moyen Orient. L’essentiel de l’action se déroule dans la communauté grecque, celle de la Diaspora grecque en Egypte et en Palestine mais aussi au sein de l’armée grecque qui a combattu Rommel et les fascistes aux côtés des britanniques ainsi que les électrons libres qui ont quitté la Grèce alors occupée par les Allemands pour prendre part à la lutte. Evidemment les Services de Sa Majesté sont très présents.

Cimetière britannique El Alamein
Cimetière britannique El Alamein

J’ai emprunté ce livre (désiré depuis de nombreuses années) à la suite de la lecture de L’Automobile Club d’Egypte d’Alaa El Aswanny  et du Colonel et de l’enfant-roi de Sinoué, une autre oeuvre comparable serait le Quatuor d’Alexandrie de Durrell qui se déroule dans le même décor mais qui est un peu antérieur. El Aswanny a un regard égyptien, tandis que le  point de vue de Durrell  est britannique.

 

« Jérusalem, cité à la dérive, Jérusalem cité des réfugiés » Juillet 1942

Deux vers du poète Seféris  donnent le titre de cet ouvrage.

Jérusalem, printemps  1941, Tobrouk a été prise par Rommel qui menace le Caire où les autorités brûlent les archives, Juifs et britanniques s’enfuient. La pension tenue par Frau Feldmann réunit cette population cosmopolite : un couple autrichien, une princesse roumaine, un couple de Juifs yéménites, une famille de Juifs polonais, une Tchèque, un commandant de la R.A.F, un Grec cohabitent dans cette maison à la salle de bain unique et sans téléphone.

Que fuit Caloyannis? Il a caché son uniforme et ne sort que la nuit. Déserteur? Espion? Qui sont ces « têtes coupées » ?

Jérusalem est un nid d’espions. Le ministre autrichien qui rêve de la monarchie des Habsbourg, doit rencontrer  Von Papen à Ankara est surveillé par l’Intelligence service ainsi que par les Américains, envoyé par les Anglais ou agent double? Tous ces diplomates et militaires sont cultivés, ils citent Hoelderlin, Eliot,  Cavafy ou Flaubert. Confidences sur l’oreiller, jeux de séductions ou même simples paris mondains, on boit, on couche beaucoup. Les couples se font et se défont.

Les « têtes coupées » sont les communistes grecs, à leur tête, Le Minus,  dogmatique stalinien. Entrés en clandestinité, ils souhaitent noyauter l’armée grecque dont les officiers ont une position ambiguë,  des sympathies fascistes ou une allégeance aux Anglais. Le rôle de Manos Caloyannis est de rédiger une gazette Le Combattant imprimant une ligne politique claire. l’urgence est de combattre Rommel.

Décembre 1942; Rommel a été repoussé à El-Alamein. Manos Simonidis,  en uniforme, rejoint la brigade grecque dans le désert lybique. Blessé lors d’un bombardement aérien, il est  hébergé dans une famille grecque du Caire chez Ariane dans le quartier du « Labyrinthe » où il renoue avec ses activités journalistiques. Le Minus n’est pas le seul dirigeant, d’autres permanents, Fanis, Foteros, Garélas forment un noyau très actif. Curieusement, ils restent presque uniquement dans la communauté grecque et ont peu/pas de relations avec les communistes égyptiens. Cloisonnement du mouvement internationaliste? Un chef du PCF venu de Moscou via Téhéran refuse d’entrer en relation avec les militants locaux et ne se réfère qu’au Minus. Clandestinité, autocritiques, discipline. C’est un véritable document quant au fonctionnement révolutionnaire à cette époque. L’objectif est bien sûr la lutte antifasciste aux côtés des anglais mais aussi le maintien d’une armée grecque révolutionnaire prête à conquérir le pouvoir en Grèce  après la libération du pays. Il convient donc de soutenir le moral des troupes tandis que les Anglais préféreraient leur laisser un rôle secondaire et mettre au pouvoir le roi et un gouvernement libéral à sa solde.

Le but des Anglais n’est-il pas de dissoudre l’armée de libération?Une étrange Anabase entraîne une brigade grecque dans une Marche pour l’Euphrate à travers le désert syrien, Alep, Racca..

Alexandrie, automne 1944, Simonidis doit relancer la gazette des marins. la flotte grecque est basée devant le port. L’action clandestine s’organise encore au sien de la communauté grecque. On a l’occasion de rencontrer des personnalités pittoresques, famille originaire de Chios réfugiés après le séisme de 1882. Alexandrie, grecque depuis l’Antiquité, avec ses Bains Cléopâtre, ce poète farfelu qui s’appelle lui-même Alexandre le jeune, où le marchand de légume arabe crie sa marchandise en grec!

Les antagonismes se précisent avec la fin de la guerre. Une ligne politique claire est nécessaire. Les communistes doivent-ils soutenir un gouvernement d’union nationale . la confrontation entre l’armée, la flotte grecque et les forces britanniques devient inévitable. Doit-on encourager les protestations contre les humiliations anglaises ou préserver à tout pris les armées pour la prise de pouvoir en Grèce. la guerre civile s’annonce déjà. La flotte subit l’attaque anglaise.

L’action clandestine devient de plus en plus risquée. les rivalités s’exacerbent : face à face intéressant entre le permanent et l’intellectuel.  Des agents anglais réactivent les provocations jusqu’au meurtre. Dans ce contexte difficile Simonidis retrouve une lady écossaise Nancy qui prendra part à l’action….

J’ai été happée dans le tourbillon de ce roman foisonnant, excitant. Difficile pour moi cependant de faire la part du réel, de l’histoire et du romanesque. Et une terrible envie de relire le Quatuor D’Alexandrie de Durrell!

 

Le colonel et l’enfant-roi, Mémoires d’Egypte – Sinoué

LIRE POUR L’EGYPTE

le colonel et l'enfant-roi

 

Le Colonel, c’est Nasser.

L’enfant-roi : Farouk.
Double -biographie croisée qui retrace le destin de l’Enfant-roi monté sur le trône à 16 ans et contraint à abdiquer en 1952 à la suite de la prise du pouvoir par les officiers en 1952.

Il raconte comment le fils d’un postier du Saïd est devenu le Raïs. Comment il s’est distingué en 1948 en Palestine, comment les officiers libres ont d’abord chassé le roi, porté Néguib à la première place avant de l’évincer.
Un troisième personnage, le narrateur, enfant, assiste à l’avènement d’une nouvelle Egypte, gouvernée par des Égyptiens, après des siècles de domination mamelouke, turque, anglaise…mais aussi l’effondrement de l’Egypte multi-ethnique, multiconfessionnelle, arabe et copte, mais aussi juive, grecque, syrienne, italienne. Fils du directeur d’un club, le Scarabée où Farouk et la bonne société venaient jouer, ce n’est pas ans rappeler le livre d’Alaa El Aswany Automobile Club d’Egypte.
Ce n’est pas un roman historique. C’est un vrai livre d’histoire très détaillé (parfois trop dans les intrigues entre les différents officiers).L’analyse de la décolonisation, départ des Anglais, mais aussi de la montée de l’emprise de l’armée sur l’Egypte, du glissement entre les sympathies pro-américaines à l’alliance avec l’URSS, sont passionnantes;
Un livre d’actualité après les printemps arabes. on comprend mieux les enjeux, déjà alors les forces en présence, Dès 1954, les Frères Musulmans et les officiers s’opposaient.

L’épilogue cite Cavafy : les barbares

 

 

 

 

 

 

Le colonel et l’enfant-roi

Automobile Club d’Egypte – Alaa El Aswany

LIRE POUR L’EGYPTE

Automobile club d'Egypte

Alaa El Aswany est l’auteur de l’Immeuble Yacoubian que j’ai beaucoup aimé.

Automobile Club d’Egypte est construit  sur le même plan : unité de lieu où de nombreux personnages se croisent (ou pas), où des histoires se déroulent en parallèle, dans divers milieu sociaux. Roman à tiroir, ou kaléidoscope de l’Egypte de la fin des années 40 sous le règne du roi Farouk et la domination anglaise.

farouk

 

 

 

Le roi, grand amateur d’automobiles, et joueur, fréquente assidûment cet établissement  où il peut s’affranchir du protocole. El-Kwo, le chambellan du roi, a aussi pour fonction de superviser le personnel égyptien du club. Malgré ce patronage royal, le Club est dirigé par un britannique Mr Wright, et quasiment fermé aux Égyptiens, pour en être membre, des conditions draconiennes sont imposées.

L’auteur s’attache à tout le personnel, domestiques,  serveurs, cuisiniers, portiers…. nubiens pour la plupart, recrutés par El-Kwo, et dressés avec dureté et tyrannie:

« je suis le serviteur le roi, et de Sa Seigneurerie et le serviteur des étrangers mais je suis votre maître et votre serviteur suprême ».

Abdelaziz Hamam, d’une famille noble de Haute Egypte, ruiné par sa trop grande générosité est venu avec ses trois fils et sa fille Saliha, au Caire pour donner une bonne éducation à ses enfants. Il travaille à la réserve. Sa famille et ses voisins seront les héros égyptiens du roman. Trois fils, trois destins très différents : Saïd, l’aîné, égoïste et arriviste, Kamel, le brillant étudiant, Mahmoud, le benjamin, simplet et naïf. Au décès du père les deux derniers seront embauchés, par charité à l’Automobile Club qui ne donne pas de retraite à la famille du personnel décédé.

Leur histoire s’entremêle avec celle de James Wright, dont la seule faiblesse est d’avoir pour maîtresse Odette Fattal, professeur au lycée français, anticonformiste qui lui impose son protégé Abdoune. Quand l’entremetteur du roi, Botticelli, qui est aussi mécanicien, remarque Mitsy Wright, pour la mettre dans le lit du roi, son père n’y voit qu’une occasion d’ascension sociale.

On croise aussi un Prince, photographe dilettante, qui s’avère être un nationaliste militant. Il réunit aussi bien wafdistes que communistes dans la lutte contre l’occupation britannique. Sous le vernis, des forces s’organisent. La prise de pouvoir par les militaires en 1952 et la déchéance du roi corrompu s’annoncent.  Les étudiants s’agitent. Même le personnel si stylé, si soumis de l’Automobile Club finira par se mettre en grève.

On peut faire une lecture politique de ce roman. Ce serait très réducteur de ne le lire qu’à travers la grille de la lutte sociale, la lutte pour la dignité des travailleurs qui ne veulent plus être battus comme des enfants ou comme des animaux. La vie quotidienne n’est pas oubliée, les journées rythmées par les prières de ces égyptiens très pieux, la cuisine. Étonnantes sont les visites sur la terrasse, des visiteurs de Haute-Egypte, des amants, des femmes qui étendent le linge…

Les femmes ne sont pas oubliées par le romancier. Saliha, jeune fille intelligente et instruite, raconte son histoire. Sa mère, Oum Saïd, est un modèle de courage et de force. Aïcha, la salace, mais la bonne voisine, Faïqa qui  prendra un mari dans ses filets….mais aussi les étrangères : Mitsy l’anglaise mais aussi les vieilles femmes riches recherchant un gigolo…Le récit de ces histoires de femmes me met  mal à l’aise. Les Égyptiens décidément ne sont pas à l’aise avec la sexualité.  Le chemin entre la fille modèle, la mère et la putain, est très étroit pour les jeunes hommes.

Un roman riche, complexe, foisonnant.