Erasme -Grandeur et décadence d’une idée – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES 

Les Feuilles Allemandes marquent un rendez-vous avec Stefan Zweig dont l’œuvre est inépuisable. 

Courte biographie (185 pages) publiée en 1935, Zweig se trouve à Londres et ses allusions au fanatisme, à l’intolérance, aux forces obscures de l’Allemagne résonnent avec la situation politique de l’époque de Zweig. 

Erasme, champion de l’Humanisme, de la tolérance, intellectuel européen est cher au cœur de Zweig, j’y ai presque vu un double. 

Bosch : La nef des fous

Evidemment je connaissais Erasme de Rotterdam de nom et l’Eloge de la Folie citée à l’Exposition, Le Fou, au Louvre cet hiver.

Zweig me fait découvrir le personnage : enfant illégitime, confié au monastère des Augustins en 1487, ordonné prêtre en 1492. Latiniste hors pair, il trouve l’occasion de quitter le couvent pour servir de secrétaire à l’évêque de Cambrai. Il ne retournera pas à la vie monastique, étudie à Paris au triste collège du Montaigu « collège vinaigre », y conçoit une horreur incurable pour la scolastique et mènera une vie indépendante en donnant des leçons de latin à de riches étudiants allemands ou anglais, en rédigeant lettres et pamphlets, se contentant d’emploi de correcteur d’imprimerie à Bâle ou à Venise. Il voyage à travers l’Europe, se trouve très bien en Angleterre. A côté de l’Eloge de la folie, il rédige un Manuel du Chrétien militant, compile des citations latines et surtout traduit les Ecritures du grec en 1516. Ses écrits lui valent l’estime de toute l’Europe, il reçoit des propositions de nombreux souverains mais ne veut pas aliéner son indépendance. Zweig compare sa gloire à celle de Voltaire ou de Goethe, plus célèbre que Dürer ou Léonard de Vinci « doctor universalis » « Prince des sciences », lumière du monde ». 

A vrai dire, toute cette admiration, presque hagiographique m’ennuie un peu. Zweig ennuyeux? Impossible: le texte s’anime quand il évoque la Folie « Stultitia »  A la Folie, on peut prêter des propos séditieux, des critiques de l’Eglise, du luxe de Rome, du commerce des indulgences. Ces critiques préfigurent La Réforme mais elles sont bien reçues, écrites en latin raffiné, entre lettrés, avec toujours bienveillance. Erasme concilie la Sagesse antique, les philosophes et l’Evangile en un Humanisme de bon aloi. Il transcende les frontières, s’exprime en latin, imagine une Europe chrétienne pacifiée où fleurissent les arts de la Renaissance, où afflue déjà les richesses du Nouveau Monde. 

Le drame va éclater quand Luther placarde ses quatre vingt quinze propositions à la porte de la chapelle de Wittenberg. Tout oppose Luther et Erasme aussi bien le physique que le caractère. A la finesse, la diplomatie s’oppose la grossièreté, la brutalité et la colère. Luther est soutenu par les Allemands 

« esprit de conciliation contre fanatisme, raison contre passion, culture contre force primitive, internationalisme contre nationalisme, évolution contre révolution » (p.102)

La deuxième partie du livre va analyser cette opposition de plus en plus véhémente. On devine les prémisses des Guerres de Religion. Erasme  refuse de s’engager et évite à plusieurs reprises la confrontation. Il rejette l’offre d’alliance avec Luther. Il ne relève pas les occasions de réconciliation que les princes allemands tentent à la Diète de Worms.

le Chef de la Chrétienté et ses évêques, les maîtres du monde : Henri VII? Charles Quint et François1er, Ferdinand d’Autriche, le duc de Bourgogne, les chefs de la Réforme allemande, d’autre part, tous sont devant Erasme, comme autrefois les héros d’Homère devant la tente du bouillant Achille, le pressant, le suppliant de sortir de sa neutralité et d’entrer en lice.

La scène est grandiose ; rarement dans l’Histoire les puissants de ce monde se sont donné autant de peine pour obtenir un mot d’un intellectuel, rarement la puissance de l’esprit a affirmé une suprématie aussi éclatante. 

La fin de la vie d’Erasme sera une vie d’errance : il quitte Louvain, trop catholique, pour Bâle neutre mais qui deviendra protestante, puis Fribourg.

Et la lectrice ne s’ennuie plus du tout!

En conclusion : la publication du Prince de Machiavel signera la décadence de l’Humanisme et la défaite de l’Humanisme devant la force. 

Cicéron – Stefan Zweig

LETTRES ALLEMANDES

Le vieillard d’Otricoli coll. Torlonia- Louvre

« C’est notre homme qui est mort pour nos idées dans une époque qui ressemblait cruellement à la nôtre ».

Zweig est inépuisable. Je reviens à ses romans, ses biographies, le Monde d’hier. Aujourd’hui, quand la peste brune se répand, ressemble terriblement au monde dont il parle.

Cette courte biographie, moins de 100 pages, se concentre à la fin de la vie de Cicéron, autour de la mort de Jules César, qui est aussi la fin de la République romaine. Ce n’est plus l’avocat des procès douteux l’accusateur de Catilina dont la phrase apprise au lycée est restée fichée dans ma mémoire

« Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? »

C’est un homme aux cheveux gris qui appelle le peuple romain à se montrer digne de l’honneur de ses ancêtres. Il pressent la fin de la République :

Mais à présent, le coup d’État de César, qui l’écarte des affaires publiques (la res publica) lui donne enfin l’ occasion de faire croître et éclore sa vie personnelle (la res privata), qui constitue ce qu’il y a de plus important au monde ; Cicéron se résigne à abandonner le Forum, le Sénat et l’imperium à la dictature de Jules César.

Il fulmine contre Antoine dans les Philippiques. il choisit Octave, mais les trois bandits s’unissent dans le triumvirat. Octave, Lepide et Antoine se partagent le monde mais Antoine réclame la tête de Cicéron.

Pour sauver sa vie, Cicéron pourrait s’exiler en Grèce, au-delà des mers.

Mais Cicéron s’arrête toujours au dernier moment : celui qui a connu un jour la tristesse de l’exil ressent même en plein danger le bonheur que lui procure la terre familière, et l’indignité d’une vie passée à fuir. Une volonté mystérieuse, au-delà de la raison, et même contraire à la raison, l’oblige à faire face au destin qui l’attend.

Comment ne pas penser à Zweig, à ses exils jusqu’au Brésil où il se suicidera.

Merci à Dominiqueivredelivres qui m’a donné envie de le lire ICI

Le Lièvre aux yeux d’ambre – Edmund de Waal – ed. libres Champs

CHALLENGE MARCEL PROUST

Le Lièvre aux yeux d’ambre est un netsuke, une petite sculpture  japonaise qui était parfois portée à la ceinture du costume traditionnel japonais. Au temps du japonisme, quand le Japon s’ouvrit à l’Occident, estampes, soieries, laques,  éventails faisaient fureur chez les collectionneurs et les impressionnistes. Charles Ephrussi fit l’acquisition de 264 netsukes. Plus tard, il offrit la collection comme cadeau de mariage à ses cousins  Ephrussi de Vienne. 

Edmund de Waal retrace l’histoire de sa famille, les Ephrussi – famille de négociants et banquiers juifs originaires dOdessa qui essaimèrent à travers l’Europe. Son fil conducteur est la collection des netsukes. 

Le nom Ephrussi m’évoquait plutôt la villa Ephrussi au Cap Ferrat CLIC 

Cette saga s’étale sur 7 générations.  Le patriarche a fait fortune à Odessa avec l’exportation des blés ukrainiens. La banque Ephrussi installe des succursales à Vienne et à Paris, les cousins se retrouvent en Suisse ou en Slovaquie. Puis après la seconde guerre mondiale, ils sont dispersés en Amérique, au Mexique et même au Japon. Pendant deux ans Edmund de Waal nous fait partager son enquête. Je l’ai suivi bien volontiers et j’ai dévoré ce livre. 

La première partie : Paris 1871-1899.  Leon Ephrussi s’installa en 1871 Rue de Monceau, non loin des hôtels particuliers de Rothschild, Cernuschi, Camondo dans le quartier bâti dans les années 1860 par les frères Pereire. Charles, le troisième fils n’était pas destiné aux affaires. Il acquis une solide culture classique et était un fin connaisseur d’art. Il semble qu’il inspira Proust pour le personnage de Swann. Charles Ephrussi et Swann ont de nombreux points communs surtout du point de vue de l’art. Comme le héros de la Recherche, il est collectionneur, il a écrit une monographie sur Dürer (pas sur Vermeer), il est membre du Jockey reçu chez les grands du monde. Charles Ephrussi fut un mécène des peintres impressionnistes : il figure debout coiffé d’un haut de forme noir dans le Déjeuner des Canotiers, achète à Degas Le départ d’une course à Longchamp, à Monet des Pommier, les Glaçons, une vue de la Seine . Les asperges d’Elstir sont de Manet…Comme les impressionnistes, il est séduit par le japonisme et exposera même les laques qu’il collectionne. Propriétaire du journal La Gazette il fait paraître 64 reproductions de tableaux que Proust va citer dans La Recherche.. Même avant l’Affaire Dreyfus, La Banque Ephrussi est la cible de l’antisémitisme, la faillite d’une banque catholique liée à l’Eglise me rappelle plutôt Zola et l’Argent. Drumont distille son venin dans La France Juive. Quand se développe l’Affaire Dreyfus, certains peintres comme Degas et Renoir, pourtant aidés par Ephrussi manifestèrent une hostilité ouverte contre son « art juif ». Pour Charles, certaines portes se ferment. 

Deuxième partie : Vienne 1899-1938

Le Palais Ephrussi à l’angle du Ring et de la Schottengasse est encore plus impressionnant que la demeure parisienne. J’ai le plaisir d’imaginer Freud qui loge à 400 m de là. l’auteur évoque aussi les cafés viennois, institutions littéraires. Toute la littérature autrichienne se retrouve dans le livre Karl Kaus, Joseph Roth, Schnitzler, Wassermann. La communauté juive est nombreuse mais à la veille du XXème siècle l’antisémitisme est aussi répandu et utilisé politiquement. Viktor Ephrussicomme Charles à Paris n’était pas l’héritier direct de la Banque, il a préféré les études classiques et c’était un jeune érudit préférant collectionner livres rares et incunables. Mais au décès de son père, il se retrouve homme d’affaires. 

J’ai aussi aimé croiser au hasard des pages mon écrivain-voyageur préféré : Patrick Leigh Fermor qui séjourna dans la maison de campagne slovaque de Kövesces

Troisième partie : Vienne, Kövesces, Turnbridge Welles, Vienne 1938-1974

La suite de l’histoire est connue, avec pour point final l’Anschluss. Alors que la jeune génération s’est dispersée hors d’Autriche le banquier Viktor peine à abandonner le Palais Ephrussi et sa banque. En une journée, il perdent tout. Edmund de Waal raconte l’odieux saccage, la spoliation systématique des tableaux, livres précieux, meubles et porcelaines. par miracle, les netsukes seront sauvés.

Quatrième partie : Tokyo 1947-1991

Il fallait bien que les netsukes et le japonisme conduise  l’auteur à Tokyo!

Epilogue : Tokyo, Odessa, Londres 2001-2009

En plus de la visite d’Odessa, les références littéraires pointent : la famille Efrussi est citée dans les livres d‘Isaac Babel.

J’ai donc lu ce livre avec un plaisir décuplé par les lectures récentes de la Recherche du temps perdu, mais aussi des expositions impressionnistes cette année du 150 anniversaire de l’Impressionnisme couplée à Giverny et à Deauville à des expositions japonisantes. Les lettres allemandes ont été l’occasion de revenir à Joseph Roth, Zweig…

Malheureusement je n’ai pas trouvé les netsukes dans le deuxième étage du musée Guimet où se trouvent les collections japonaises.

Une- écriture bleu pâle – Franz Werfel – Livre de poche

FEUILLES ALLEMANDES

Franz Werfel est l’auteur des  40 Jours de Musa Dagh  dénonçant le génocide arménien. 

Né à Prague en 1890 où il a fréquenté Kafka et Max Brod. Poète, homme de théâtre, c’est le dernier mari d’Alma Mahler . Il se réfugie en France en 1938 puis aux Etats Unis en 1940,  et décède à Beverley Hills en 1945.

Une écriture bleu pâle est un très court roman, 124 pages qui se lit d’une traite avec un suspense qui va croissant. J’ai pensé à La Peur de  Stefan Zweig. 

« Il y avait onze lettres dont dix tapées à la machine. la onzième écrite à la main se distinguait du lot et réclamait l’attention. Une grande écriture féminine penchée, sévère. Léonidas baissa machinalement la tête car sil sentait qu’il avait blêmi.« 

Que lui réservera cette dernière lettre? L’intrigue est ramassée dans une journée de ce haut fonctionnaire, chef du Cabinet du Ministre.

Ce court texte, tout en finesse, restitue l’histoire du pauvre répétiteur qui a fait un très beau mariage et qui est arrivé au sommet de sa carrière. Analyse psychologique sensible et analyse sociale de la société de Vienne dans les années 30. En filigrane, la montée du nazisme et l’antisémitisme qui ne se cache pas. Une richesse d’analyse en si peu de pages.

Léonidas vit une journée de plus en plus tendue. Son mariage, sa carrière seront-ils compromis par cette lettre à l’encre bleu pâle?

Amok – Lettre d’une inconnue – la ruelle au clair de lune – Stefan Zweig

 

FEUILLES ALLEMANDES 2023

.

Novembre, Feuilles Allemandes, occasion d’explorer plus avant l’œuvre de Stefan Zweig qui me paraît inépuisable et qui ne me déçoit jamais.

« Les énigmes psychologiques ont sur moi une sorte de pouvoir inquiétant ; je brûle dans tout mon être de
découvrir le rapport des choses, et des individus singuliers peuvent par leur seule présence déchaîner en moi une passion de savoir qui n’est guère moins vive que le désir passionné de posséder une femme. »

Ce mince volume réunit trois nouvelles, deux longues,  les premières et une plus courte, toujours sous le signe de la passion, à la limite de la folie et du voyage.

« Savez-vous ce que c’est que l’amok ? – Amok ?… je crois me souvenir… c’est une espèce d’ivresse chez les
Malais… – C’est plus que de l’ivresse… c’est de la folie, une sorte de rage humaine… une crise de monomanie
meurtrière et insensée, à laquelle aucune intoxication alcoolique ne peut se comparer. »

Amok est le récit d’un médecin expatrié en Malaisie dans une station de campagne isolée à qui son isolement a fait perdre la raison. Coupé de toute vie sociale, il est profondément touché par l’arrivée d’une femme européenne. Passion, folie, il court littéralement à sa perte. Un voyageur, l’écrivain sans doute, recueille sa confession dans la chaleur de la nuit tropicale à bord d’un bateau qui rejoint l’Europe. 

« Alors, prends feu ! Seulement si tu t’enflammes, Tu connaîtras le monde au plus profond de toi ! Car au lieu seul où agit le secret, commence aussi la vie. »

Récit halluciné et nocturne qui plonge dans les ressorts psychologiques les plus profond d’un homme lucide et désespéré.

« Rien sur la terre ne ressemble à l’amour inaperçu d’une enfant retirée dans l’ombre ; cet amour est si
désintéressé, si humble, si soumis, si attentif et si passionné que jamais il ne pourra être égalé par l’amour fait de désir et malgré tout exigeant, d’une femme épanouie. Seuls les enfants solitaires peuvent garder pour eux toute leur passion : les autres dispersent leur sentiment »

la Lettre d’une inconnue relate une passion silencieuse, une sorte d’idée fixe.  Une toute jeune adolescente, fascinée par son voisin écrivain, lui dédie toute son existence. Sa confession – la Lettre –  fut écrite au chevet de son enfant mort, gage de sa sincérité. Folie, que cet amour secret non partagé! 

C’est la nouvelle qui m’a le plus émue du recueil.

La ruelle au clair de lune est un texte court, l’auteur est retenu une nuit dans un port. Il a raté le train qui le conduira chez lui. Pendant la soirée il traîne dans les ruelles d’un quartier chaud du port et fait une brève rencontre : encore une histoire de passion, passion d’un homme pour une femme qui l’humilie : double déchéance et folie…

Le Café sans Nom – Robert Seethaler -Sabine Wespeiser Ed.

FEUILLES ALLEMANDES 2023

Novembre, retour des feuilles allemandes et c’est avec grand plaisir que j’ai suivi la lecture commune avec Aifelle, Keisha, Eva, et d’autres….

C’est un véritable coup de cœur que ce court roman (246 p).

Vienne, 1966, Simon ouvre son café au coin du marché, sans nom, sans prétention, ce n’est pas un café littéraire ou mondain, de ceux qui sont une institution de Vienne comme ceux que Claudio Magris décrit dans Danube – Café Central -ou le Café Gluck du Bouquiniste Mendel de Zweig. 

Pas de journaux du jours emmanchés sur une baguette de bois, ni de Sachertorte. Seulement de la bière, du vin, du sirop de framboise, des tartines de saindoux et des cornichons. C’est un café populaire que fréquentent les habitués, marchands et clients du marché, ouvrières en route vers l’usine, dames d’un certain âge…

« Il s’agit de mon café au marché des Carmélites. Je dis que c’est un café, bien que personne à part moi ne l’appelle comme ça. Et je dis que c’est le mien, bien que sur le papier il ne m’ait jamais appartenu. Il y a dix ans c’était un trou poussiéreux, maintenant, tous les soirs sauf le mardi, il y vient des gens qui veulent oublier au moins quelques heures tout ce bazar autour d’eux. Il y fait chaud, l’hiver les fenêtres ferment bien, on peut boire quelque chose et surtout on peut parler quand on en a besoin et se taire quand on en a envie. Le monde tourne toujours plus vite, et parmi ceux dont la vie ne pèse pas assez lourd, il y en a parfois qui sont laissés sur le bord de la route. Alors n’est-ce pas une bonne chose qu’il y ait un endroit auquel se raccrocher ? Maintenant vous allez peut-être vous dire : ils n’ont qu’à aller ailleurs, ces pauvres bougres, le changement ça fait mal, rien n’est éternel, etc. Et bien sûr vous avez raison. Mais je connais des gens pour qui le bout de la rue, c’est déjà trop loin.

1966, l’Autriche a perdu son Empire depuis bien longtemps mais les patronymes yougoslaves, hongrois, tchèques ou italiens, les ouvriers turcs qui passent, rappellent que Vienne était aux portes de l’Orient. Allusions à un passé plus récent et plus douloureux. L’heure est à la reconstruction, au percement d’un métro. 

Il ne se passe pas grand-chose, des tranches de vie ordinaire, des gens ordinaires, le boucher, la crémière, un catcheur, la serveuse, deux femmes oisives… qu’on apprend à connaître. Une belle solidarité, entraide entre voisins. Et ce ton, attentif, précis, charmant.

Merci à ceux qui ont organisé la lecture commune!

 

 

 

 

la Peur – Stefan Zweig

 

 

Stefan Zweig ne déçoit jamais. Son œuvre est immense, chaque fois que je suis en peine de lecture, j’y reviens. Biographies, essais ou nouvelles.

La Peur est une nouvelle, presque un thriller, à lire d’un souffle. La lectrice est happée dans le récit. L’analyse psychologique est fouillée. Société viennoise bourgeoise. 

la chute m’a surprise, mais je préfère vous en laisser la surprise

Le Turbulent Destin de Jacob Obertin – Catalin Dorian Florescu – Le Seuil

LES FEUILLES ALLEMANDES

 Catalin Dorian Florescu, est un écrivain suisse, de langue allemande,  d’origine roumaine, né à Timişoara  (1957).

Le roman, 381 pages, est la saga de la famille Obertin (ou Aubertin) originaire de Lorraine et établie dans le Banat – région de Timişoara. Le  roman historique commence  en 1635 à  avec la Guerre de Trente ans  quand Caspar, mercenaire aussi bien du côté des Suédois que des Impériaux, rentre dans son village en Lorraine.

allaient dans une région dont Frédéric n’avait jamais entendu parler et où le Saint Empire avait énormément de terres mais trop peu de gens. Les nouveaux arrivants étaient donc exemptés d’impôts pendant trois ans. Ils
recevaient en bail une ferme et une terre, ainsi qu’une avance de bêtes et d’outils, afin de survivre aux premiers temps. 

Il se poursuit avec l’installation des colons dans le Banat à l’appel de Marie-Thérèse d’Autriche (1717 – 1780) désireuse de peupler les régions marécageuses et dépeuplées  non  loin des frontières de l’empire Ottoman. Embarqué sur le Danube à Ulm, Frederick Obertin tente sa chance de devenir paysan propriétaire. Intelligent, entreprenant, il prend la tête d’un groupe de colons et sera reconnu comme le fondateur du village de Treibwetter. 

Vous savez tous qui je suis. Vous avez trop souvent détourné le regard pour ne pas le savoir très exactement. Je suis celui qui est arrivé ici il y a un peu plus d’un an et demi par le plus grand orage que vous ayez jamais connu, et qui a d’abord trouvé refuge chez Neper. Je suis aussi celui qui travaille depuis tout ce temps chez les Obertin, et vous le savez sûrement aussi : vous avez trop souvent craché en nous voyant ensemble.

La famille Obertin va s’enrichir avec le voyage en Amérique d’Elsa  au début du XXème siècle. Ils deviendront donc de riches propriétaires jalousés de leurs voisins. Jakob, surgi de nulle part, hardi et entreprenant s’impose comme prétendant d’Elsa et consolide la fortune, employant de nombreux ouvriers, souvent des Tziganes, et devient un riche commerçant. Son fils Jacob de santé fragile ne peut pas prétendre à la succession de la ferme et des affaires….

Village saxon en Roumanie

Les Souabes  de Roumanie forment une population germanophone qui se laisse entraîner à la suite d’Hitler dans la Guerre mondiale. Le sort des Juifs est à peine abordé : une couturière et la boulangère juives disparaissent sans que l’auteur ne s’y attarde. En revanche, les Tziganes, nombreux  sont déportés, chassés par la population. Le curé dénonce la famille serbe, exécutée sur place.

L‘arrivée de l’Armée Russe donne lieu à une nouvelle déportation, celle de tous les jeunes germanophones en Sibérie. Puis l’installation des Communistes est la ruine de tous les propriétaires allemands. Certains Souabes se souviennent de leurs origines lorraines et tentent de retourner en Lorraine mais les Obertin ne sont pas du voyage.

Les diables alors mirent en place douze postes de douane. Pour aller voir Dieu, il fallait d’abord passer par ces postes et corrompre les diables : toute âme morte devait se présenter douze fois à eux et douze fois les convaincre, les séduire. L’âme devait faire douze fois ses preuves, sinon les diables la récupéraient. C’était leur vengeance contre Dieu.

Le Turbulent Destin de Jacob Obertin n’est pas seulement un passionnant roman historique, c’est aussi un roman d’aventures. L’écriture originale  entraîne le lecteur dans les tempêtes, orages et diableries des Tziganes avec  les récits de Ramina, la guérisseuse, un peu sorcière. Le lecteur est bousculé par une chronologie fantaisiste avec des retours en arrière inopinés, bousculé aussi par des invraisemblances et des mensonges. J’ai pris grand plaisir à lire ce roman parfois déjanté. 

Lire également l’avis du blog Si on bouquinait.

 

Le Joueur d’Echecs – Stefan Zweig

FEUILLES ALLEMANDES 

.

Quand revient Novembre et les feuilles allemandes je retourne à Zweig qui ne me déçoit jamais. Le Joueur d’Echecs, lu d’une traite m’a encore éblouie. Dernier œuvre romanesque de l’auteur exilé, écrite – selon la préface – au milieu des valises, publiée d’abord en américain (1941) en allemand à Buenos Aires plus tard. Le décor : un paquebot de New York à Buenos Aires, . La date :  après l’Anschluss et l’entrée des nazis en Tchécoslovaquie. Le narrateur : Zweig lui-même?

Les deux protagonistes : Czentovic, le champion d’échecs dont

« l’inculture atteignait la même universalité dans tous les domaines »  » fils d’un batelier yougoslave »

 « Il arriva ainsi que dans l’illustre galerie des maîtres des échecs, laquelle réunit les types d’esprits supérieurs les
plus variés – des philosophes, des mathématiciens, des gens au tempérament calculateur, imaginatif et souvent créatif – pénétra pour la première fois un outsider parfaitement étranger au monde de l’esprit, un jeune paysan lourdaud et taciturne »

« Toute ma vie, les diverses espèces de monomanies, les êtres passionnés par une seule idée m’ont fasciné, car
plus quelqu’un se limite, plus il s’approche en réalité de l’infini « 

Face au champion, un aristocrate autrichien, éduqué, avocat proche du parti clérical et de l’empire, secret, silencieux, cérébral le met au défi.

 Entre deux parties, le narrateur aborde l’Autrichien qui lui livre une longue confession. Interné par les nazis, l’isolement, utilisé comme torture pour qu’il livre ses secrets :

Or, même si elles semblent immatérielles, les pensées ont besoin d’un point d’appui, sinon elles se mettent à
tourner, à tourbillonner sans but sur elles-mêmes ; elles non plus ne supportent pas le néant. Du matin jusqu’au
soir on attendait quelque chose, et rien ne se passait. On recommençait à attendre. Il ne se passait rien. On
attendait, on attendait, on attendait ; on réfléchissait, on réfléchissait, on réfléchissait jusqu’à en avoir mal aux tempes. Rien ne se passait. On restait seul. Seul. Seul.

Les attentes entre les interrogatoires, interminables, sont une autre forme de torture. Mais au cours d’une de ces attentes, le prisonnier fait une découverte qui va changer sa détention

J’avais découvert que sur l’un des manteaux la poche latérale était légèrement boursouflée. Je m’approchai et
crus reconnaître à la forme rectangulaire de cette bosse ce que recelait cette poche un peu gonflée : un livre !
Mes genoux se mirent à trembler : un livre ! Pendant quatre mois, je n’en avais pas tenu un entre mes mains, et la simple idée d’un livre dans lequel on puisse voir une suite de mots, des lignes, des pages et des feuilles, un livre où l’on puisse lire des pensées différentes, nouvelles, inconnues, distrayantes, pour les suivre et se les mettre dans la tête, avait quelque chose de grisant et d’étourdissant à la fois.

Ni poésie,  ni roman, ni un essai mais un recueil de 150 parties d’échecs. Les échecs ont meublé  son existence. Partie cérébrale, à l’aveugle, le prisonnier ne disposait ni d’échiquier ni de pièces.

Leur affrontement tient le lecteur en haleine, même totalement ignorant en ce qui concerne les échecs.

Oskar Kokoschka – un fauve à Vienne -MAM

Exposition temporaire jusqu’au 23 février 2023

Oskar Kokoschka – Autoportrait 1917

Un enfant terrible à Vienne(1904-1916)

C’est ainsi que s’ouvre cette exposition sous-titrée « Un fauve à Vienne » qu’on associe volontiers aux acteurs de la Sécession viennoise (Klimt et Schiele) mais aussi aux expressionnistes par la crudité du dessin, l’expression des portraits où les mains  et le regard intense traduisent le caractère du sujet

Le joueur de Transe

Oskar Kokoschka excelle dans les portraits et l’exposition du MAM les a mis en valeur en choisissant un petit nombre et en accrochant sur un mur blanc ou noir. Il a aussi peint des paysages et comme ses contemporains a illustré des livres, fait des séries de gravure. Deux peintures aux sujets religieux m’ont étonné comme le Saint suaire et Véronique ou une étrange Annonciation. 

Véronique et le suaire

Original ce dessus de cheminée, image de mariage dans le style de la Renaissance

Hans et Erica Tieze portrait de mariage à la mode Renaissance

Ses portraits sont très intéressants

Carl Moll

Si les portraits dominent, l’œuvre viennoise est variée comme les séries de gravures et dessins très fins des cycles graphiques , ses collaborations avec la Presse Der Sturm d’Adolf Loos, ses illustrations et affiches, les éventails offerts à Alma Mahler avec qui il a entretenu une relation amoureuse et fait des voyages.

Träumenden Knaben (illustration)

Engagé militaire dans la Grande Guerre, il fut deux fois blessé. On le voit en photo avec son camarade le peintre hongrois Rippl Ronaï. Il a également fait des pastels et des dessins de guerre.

les années de Dresde (1916-1923)

Blessé, réformé il fait une dépression et il est soigné dans un centre de convalescence près de Dresde. 

Autoportrait au chevalet

Sa peinture devient plus colorée, moins empâtée avec plus d’à-plat

Diptyque Hans Mordersteig et Carl Georg

Voyages et séjour à Paris

Dans cette section sont accrochés des paysages colorés de Marseille, Annecy. Il voyage en Afrique du Nord : beau portrait Le Marabout de Temocine. Il exécute aussi des séries d’animaux : chevreuil, lion, tortues géantes ou Poissons sur une plage de Djerba

Poissons sur une plage de Djerba

Résistance à Prague 

mais sa peinture n’est pas appréciée, 5 de ses tableaux sont décrochés du Musée de Dresde et il s’exile à Prague. Sa peinture figurera dans une exposition nazie d’Art Dégénéré. En 1937 il se représente lui-même en artiste dégénéré dans une attitude en même temps de tristesse et de défi

Autoportrait en Artiste Dégénéré (1937)

Exil en Angleterre (1938-1946)

Les peintures que je retenues sont des allégories politiques comme L’Anschluss

Anschluss: Alice au pays des merveilles

ou le Crabe

le Crabe

Sur une plage britannique le crabe monstrueux cache une scène de noyade

L’oeuf rouge

tandis que dans l’oeuf rouge les accords de Munich sont mis en scène avec ma figure colossale de Mussolini, Hitler grimaçant, la France, un chat indolent et la Grande Bretagne détourne le regard.

un artiste européen (1946-1980)

Autoportrait 1969

Il s’établit en Suisse et reprendra sa nationalité autrichienne en 1975. Il continue à peindre et dessiner (suite lithographique de pan sur un thème de Hamsun

Cette très belle rétrospective m’a fait découvrir un peintre dont je ne connaissais que ses oeuvres viennoises de jeunesse.