François Maspero : Balkans- Transit

VOYAGER POUR LIRE/LIRE POUR VOYAGER

 

D’emblée, l’auteur se présente « Portrait de l’auteur en Européen » , puzzle d’une Europe rencontrée en un temps où existait encore la Prusse orientale, bien différente de la Communauté des 27 états actuels. Aujourd’hui, quand l’idée européenne vacille sous les buttoirs des financiers, triples A et dettes, et sous les discours souverainistes, lire le livre d’un Européen me fait chaud au cœur.

En compagnie du photographe dromomane, polyglotte et slovène Klavdij Sluban, il a parcouru les Balkans, de Durrës en Albanie à Sofia et Bucarest jusqu’à la Mer Noire. Balkans-Transit n’est pas le carnet d’un voyage, plutôt la somme de cinq ans de périples, de retours, de rencontres, de lectures aussi dans des Balkans secoués par l’implosion de la Yougoslavie et la chute du communisme.

Cet ouvrage fait découvrir des pays méconnus, l’Albanie, Pays des Aigles, et la Macédoine, pays dont même le nom est sujet de conflit. Très loin du voyage touristique, l’auteur ne s’attarde pas sur la description des ruines antiques. En revanche il plonge dans l’histoire de toutes les nations qui composent la mosaïques balkanique.

En Albanie, il raconte Skanderbeg, le héros national contre la progression ottomane (1443-1478),  le roi Zog(1924-1939) mais aussi Byron 1823 et ses fidèles Souliotes, palikares et armatoles qui le suivirent dans la guerre d’Indépendance Grecque. Sur la route de Gjirokaster, ville de Kadaré, ils passeront près du Mont Grammos, frontière entre l’Albanie, la Grèce et la Macédoine où se déroulèrent les batailles de l’ELAS (1949), entre les andartes partisans communistes et les troupes gouvernementales soutenues par les Britanniques évocation de la dictature de Metaxas et du commandant Markos. histoire récente de la Grèce que j’avais oubliée. Dans ces territoires toutes les histoires se chevauchent comme toutes les littératures. Je ne connaissais pas Faik Konika, ami d’Apollinaire…Palimpseste de poésie, de batailles, d’histoire….

Balkans-Transit se lit aussi comme un roman d’aventure quand leur autobus branlant prend en chasse un automobiliste « psychopathe » ou quand les chauffeurs de taxi grecs refusent de les charger…

C’est surtout un récit de rencontres. Rencontres avec des chauffeurs de taxi, des universitaires, des gens ordinaires dans des cafés qui livrent des histoires extraordinaires. Est-il grec ou macédonien le chauffeur de taxi de Florina? Les gens ne livrent pas forcément leurs origines. Origines souvent mêlées. Hellinisations forcées d’Albanais ou de Macédoniens, purification ethniques, serbes ou bosniaques. le choix d’une langue pour communiquer va induire des rapports différents. Le photographe slovène polyglotte maîtrise le Serbo-croate que tous comprennent mais qui peut aussi être source de conflits…

En Macédonie, le puzzle se complique encore. qui sont donc ces Macédoniens qui ont volé le soleil d’Alexandre aux Grecs? Grecs, Slaves, Turcs, Bulgares, Aroumains, Albanais, Roms, Juifs ont coexisté ou vivent encore ensemble. Baïram à Skopje, ou rencontre avec les moines de Prilep. Au hasard d’un carrefour de Prilep, le bust de Zamenhof « Autor dus Esperanto 1859-1919″….

la Bulgarie est qualifiée de Pays Sans Sourire et pourtant toute la partie du livre qui lui est consacrée contredit ce titre péremptoire, rencontres chaleureuses à Sofia avec une Arménienne (encore une autre ethnie) . L’histoire raconté est un peu différente, guerre de Crimée, insurrection contre les Turcs de 1877, Alliance balkanique 1912, les combattants prennent nom de comitadjis. Alliances hasardeuses du petit Tsar Boris III rencontré par Albert Londres….Et, bien sûr la période communiste Dimitrov, homme lige de Staline. Il passe aussi à Ruse, le Roustchouk d‘Elias Canetti où l’on parlait espagnol depuis le 15ème siècle…

Passant le Pont de l’Amitié sur le Danube il termine le voyage en Roumanie, commençant le chapitre par une citation de Panaït Istrati. Bucarest, ville Lumière de l’Est mais aussi celle de Ceauscescu..

Je ne veux pas raconter ici tout le livre, seulement donner un aperçu de la richesse des références et de la mosaïque des populations balkaniques.

Maspero raconte son expérience dans Sarajevo assiégée, il fait l’impasse sur le Kosovo, où il n’a pu se rendre

« La guerre, elle a hanté mes voyages, elle hante ce livre. Les guerres du passé, avec la résurgence des obsessions nationalistes que le désespoir et la misère alimentent toujours »

écrit-il dans la postface de 1999.

« De ces voyages, je suis sorti, moi qui aime profondément ma patrie, renforcé dans un sentiment : la haine des nationalismes« 

Est la dernière phrase du livre.

Depuis que je l’ai refermé, un mot me vient, fraternité.

 

Balkans-Transit – François Maspero – Le pari du voyage (citation)

INVITATION AU VOYAGE

le ferry s'éloigne de Bari

. » La plus belle récompense d’un voyage extraordinaire est bien de rencontrer des gens ordinaires, disons, comme vous et moi. Des gens qui ont traversé comme ils l’ont pu, sans faire d’histoires et sans forcément faire l’histoire, des évènements pas ordinaires. Qui nous rappellent que ces évènements-là auraient pu aussi bien arriver à nous, en leur lieu et place. Et, vraiment, avant toute chose, on ferait bien de se demander ce qu’on aurait fait en leur lieu et place. Le sentiment de se retrouver partout au milieu de la grande famille de l’espèce humaine n’a pas de prix – ne serait-ce que parce qu’il confirme que celle-ci existe. Ce n’est pas toujours évident.

C’est peut-être cela, le pari du voyage : au-delà de tous les dépaysements, des émerveillements ou des angoisses de l’inconnu, au-delà de toutes les différences, retrouver soudain, chez certains, le sentiment d’être de la même famille. D’être les uns et les autres des êtres humains. parfois, ça rate. parfois même, ça tourne mal. mais le pari vaut d’être fait, non?… »

 

Alexandre Papadiamantis : L’Amour dans la Neige

LIRE POUR LA GRECE

ravine sauvage

Recueil de 12 nouvelles qui s’ouvre sur L’Amour dans la Neige, un peu après le jour des rois et se referme à Noël  par L’Américain , deux histoires d’amour très différentes. j’ai voulu y voir un cycle, 12 mois pour une année? Non! Chacune de ces nouvelles a été écrite à une date différente de 1894 à 1902.

En revanche ce qui les caractérise toutes c’est la nostalgie, la douceur, la simplicité d’une Grèce rêvée. Grèce des îles, Papadiamantis est de Skiathos et 11 des nouvelles semblent s’y dérouler(sauf le Moine à Athènes que j’ai moins aimé). Ses personnages sont des enfants, des bergers, des pêcheurs ou des marins. L’auteur décrit son île avec ses ravines escarpées et ses  grottes où se perdent les enfants, hantées par des démons sylvestres ou le souvenirs de pieux ermites, il sait nommer les rochers du rivage, les sources à l’eau froide. Histoires de noyades, imprudence d’enfants ou naufrages, sauvetages où la solidarité des gens de mer n’est pas en défaut. Histoires d’îles, se déroulant en monde clos où les médisances peuvent aussi anéantir une vie. Histoires de femmes de marins, celles qui attendent ou celles qui n’ont peut être pas attendu….

Papadiamantis ((1851-1911) est un classique dans son pays. Certains lui ont  reproché son conservatisme (il a écrit dans la langue savante) et » sa peinture édifiante et apologétique des mœurs populaires supposés authentiques ».  préface de Bouchet le traducteur.

Touriste, peut être, j’ai beaucoup aimé cette ambiance agreste et marine.

 

La Liberté ou la Mort Nikos Kazantzaki

CARNET CRÉTOIS

drapeau exposé au Musée historique d'Héraklion

La Liberté ou la mort est le mot d’ordre des révolutionnaires Crétois, brodé sur le drapeau de Capétan Michel, le héros du livre, mais aussi d’un drapeau visible au Musée Historique d’Héraklion. 

Avant l’Autonomie de la Crète en 1897, des révolutions secouèrent l’île au 19ème siècle : 1821, 1866 avec le massacre du monastère d’Arkadi, furent les plus connues, mais les capétans du livre de Kazantzaki  énumèrent en 1821, 1834, 1841, 1878..

C’est en 1889 que se déroule l’épopée du Capétan Michel. Le roman se compose de deux parties. Dans la première, le drame se noue. L’auteur présente les nombreux protagonistes dans la ville de Candie où cohabitent Chrétiens et Turcs, mais aussi Juifs et Arméniens. Le pacha, plutôt débonnaire, ne jouit pas d’une grande autorité et les notables s’affrontent, provocations et forfanteries,  mesquineries et intrigues, mariages et histoires d’amour, affaires et beuveries. Le champion des Grecs est le Capitan Michel, sombre et ténébreux, craint de tous, celui des Turcs Nouri Bey. Plutôt que de s’entretuer, ces nobles personnages ont mêlé leur sang en un pacte fraternel. On se prend à imaginer l’entente entre les communautés quand le pauvre Ali Aga est nourri par les femmes grecques ou quand Effendine est invité à se saouler chez Michel. Les rancœurs sont bien présentes, les provocations s’accumulent. Quand le frère du Capétan Michel charge un âne sur son dos pour l’emporter à la mosquée « dire ses prières » l’offense se lavera dans le sang.

combattant crétois (musée d'Arkadi)

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt cette chronique où les personnages sont nombreux, tous divers. Nikos Kazantzakis décrit aussi le quotidien des femmes. Femmes soumises à eurs héros de maris, ou mégères, jeunes mariées comme vieilles filles.

De provocations en meurtres, de meurtres en vengeances, le pacha ne peut contenir la colère des agas et laisse faire le massacre, pire, il obtient des renforts que le sultan lui envoie. Les Grecs mettent à l’abri femmes et enfants dans les villages et prennent le maquis pour une guerre sans merci.

 

 

Cette deuxième partie du livre sent la sueur, la poudre et le bouc. Les capétans reprennent du service et le théâtre des opérations se déplace de la ville à la campagne. Entrent en scène les héros de 1821, centenaires mais encore très verts. Le héros n’est plus Michel mais son père le vieux Sifakas qui règne sur ses fils, ses petits fils, mais aussi sur les bergers. Occasion de raconter la vie rurale, ainsi que les faits d’armes anciens. Les héros morts à Arkadi hantent les consciences. 

J’ai eu plus de mal avec cette tonalité virile. Déjà, en ville les femmes jouissaient d’un statut de second plan. Michel refusait même de voir sa fille devenue pubère qui se cachait à son retour mais à la campagne elles n’ont plus de rôle du tout. Les égorgements, les coups de feu, les oreilles coupées… ne sont guère de mon goût.

Monastère d'Arkadi

Et pourtant il s’agit bien d’une épopée vécue, d’une histoire qui s’est vraiment déroulée. Avec les exploits militaires se déroule, en coulisse, la grande politique, celle des grandes puissances, qui refusent de voir la Crète rattachée à la Grèce. De la Grande Bretagne et des autres puissances qui préfèrent un sultan entravé à une entrée de la Russie en Méditerranée, le port de Souda, convoité par les puissances navales…Et tout cela est diablement passionnant.

Évidemment, la féministe du 21ème siècle ne peut pas suivre à la lettre tous ces exploits sans agacement. Le magicien Kazantzaki m’a encore entraînée dans cet univers par son talent de conteur. Sous la geste épique, on sent l’humaniste qui ne peut souscrire à la simplification. C’est encore Zorba qui montre la barbarie de la guerre.

Le Musée Nikos Kazantzakis à Myrtia

CARNET CRÉTOIS

le Musée Kazantzakis

Le Musée de Nikos Kazantzakide Myrtia est bien fléché. Il est installé dans la maison familiale de son grand père.

Myrtia, autrefois, s’appelait Barbari.Dans la Lettre au Gréco p.22 :

« La famille de mon père descend d’un village à deux heures de Megalo Kastro (Héraklion) qui s’appelle Les Barbares. Quand l’empereur de Byzance Nicéphore Phocas eut repris  au Xème siècle, la Crète aux Arabes, il parqua dans quelques villages tous les Arabes qui avaient échappé au massacre, et ces villages furent appelés les Barbares. C’est dans un de ces village qu’ont pris racine mes ancêtres paternels, et ils ont tous les traits de caractères arabes : fiers, têtus, parlant peu, écrivant peu, tout d’une pièce[….] le bien suprême n’est pas pour eu la vie, mais la passion »

Le village est  très tranquille mais encombré de voitures en stationnement. En faisant  le tour,  nous découvrons une petite place avec un puits, deux églises. Sur la place Principale est installé Le Musée de la Littérature Crétoise. La maison est rénovée, un parement de bois très contemporain masque la façade grise. Les vitrines poussiéreuses ont été remplacées par des installations modernes sérigraphiées avec des écrans tactiles. Un film en français raconte la vie de l’écrivain. On voit son père, le Kapetan Michelis(titre grec du livre La Liberté ou la Mort), le vrai Zorba ( 1867 -1942) ressemble étonnamment à Anthony Quinn dans le film, et les portraits de Kazantzakis au cours de sa vie. Malheureusement la diction pompeuse gâche un peu le plaisir. Au mur sont affichés des lettres, des cartes postales, de sa main. L’une d’elle souhaite justement Joyeuses Pâques à un ami Français – coïncidence du calendrier –  je la recopie toute émue, comme si elle m’était aussi destinée.

XPICTOC ANECTHI !

Cher M. et ami !

Bonnes Pâques !

Que la pauvre Grèce aussi, héroïque et martyre, que toute l’humanité  crucifiée se ressuscitent !

Que le symbole du phénix devienne enfin réalité !

J’attends toujours très bonnes nouvelles.

Soyez heureux.

Dans une autre salle, les voyages de Kazantzakis sont figurés par 3 valises contenant ses passeports et documents officiels, des certificats de vaccination…et encore des photos.

Les maquettes des décors,  les costumes, les aquarelles  des pièces de théâtre occupent une pièce. Une salle au rez de chaussée est consacrée à l’Odyssée .

Kazantzaki est Crétois mais aussi un esprit universel. Pas un grand personnage qui n’ait retenu son attention : Bouddha, Christophe Colomb, Dante, Lénine,  Nietzsche, Saint François d’Assise, Nicéphore Phokas….

Je suis un peu déçue de cette modernisation. J’avais découvert le personnage dans ce Musée autrefois et le côté désuet de l’installation me plaisait bien.

Retour à Cnossos et Dans le Palais de Minos

CARNET CRETOIS

le megaron du roi et la frise des griffons

–          « tu n’as pas renoncé à ton Cnossos ? »

(nous avons visité le site autrefois)

Non ! Je tiens ferme à Cnossos, à ses mythes, au labyrinthe et à Evans !

 

Aujourd’hui, Cnossos est gratuit. Pourquoi ? On l’ignore. Le patron du bar du site ironise :

–           « Nous autres, Grecs, sommes trop riches et n’avons pas besoin de votre argent ! »

Des guides hèlent les visiteurs qui ont fait l’économie du ticket d’entrée (6€). Ils  proposent une visite guidée à 5€.

Les averses intermittentes interdisent une visite systématique avec nos livres que je n’ose pas exposer aux gouttes.

Je préfère lire les nouveaux panneaux qui détaillent les restaurations récentes.  Les archéologues ne peuvent pas protéger le site comme si Evans ne l’avait pas cimenté et bétonné. Les constructions d’Evans font donc partie de Cnossos même si des découvertes postérieures pourraient infirmer les affirmations de l’Anglais.

singe bleu dans les jardins de Cnossos

Nous avions vu les fresques originales au Musée Archéologique d’Héraklion et je n’avais que peu de souvenir des copies ornant le palais. Cette année, le Musée d’Héraklion est fermé. Je redécouvre avec beaucoup de plaisir les tableaux floraux avec les singes bleus, les lys, les griffons …. Deux petites fresques m’ont étonnée : l’une d’elle montre le Palais avec ses couleurs, l’autre trois arbres bleus qui se détachent sur un fond blanc peuplé de toute une foule tandis qu’une grande tache rouge fait une sorte de vague. De dessous de gracieuses danseuses aux toilettes élégantes avec des jupes à volants sont sur un fond bleu. Elles ressemblent à la déesse aux serpents du musée d’Héraklion don je garde un souvenir très vif.

trois arbres bleus Cnossos

Le taureau, Minotaure (?), est très présent.

Dans le Palais de Minos de Nikos Kazantzaki inclus dans le recueil de l’énorme Omnibus (1150p) » La Crète – Les romans du Labyrinthe » qui pèse lourd dans la valise, je lis la description du Mégaron du roi . Kazantzakis a visité le Cnossos d’Evans!

« Le vieux roi était assis sur son trône. C’était un siège en albâtre ciselé avec art, juste fait pour le corps d’un seul homme. De chaque coté se déployaient d’immenses fresques :  au milieu des lys une étrange bête était allongée, une sorte de grand lion dont la crinière était faite e plumes de paon. Il dressait sa queue roulée en volute et tendait vers le trône du roi sa tête pointue. Trois piliers trapus fait en bois de cyprès soutenaient le plafond, rouges avec des chapiteaux noirs »

Dans ce roman je rencontre aussi Thésée et Ariane . Voici la danse d’Ariane peut être inspirée par la petite fresque ci-dessus :

« La danse de l’Homme et du Taureau

Ariane tendit son pied sur les grandes dalles de la cour comme si elle cherchait sur le sol où le poser, comme si, elle tâtait la terre avec précaution pour ne pas tomber. Elle baissait la tette comme le taureau prêt à donner de la corne et par une brusque secousse du corps, elle se mit à danser »

Bien sûr, Icare et Dédale, préparent les ailes qui leur permettront de s’enfuir….

Le rouge et le noir me semblaient les couleurs de Cnossos le bleu éclatant m’étonne.

Mégaron du Roi, Mégaron de la Reine. Je retrouve avec plaisir les Griffons du roi et son trône. Où sont passés les dauphins de la Reine ? Le palais est moins accessible qu’autrefois. Des plaques en plexiglas protègent les murs des intempéries. Je dois me hausser sur la pointe des pieds pour trouver les oursins empilés.

les dauphins du mégaron de la reine

Je déambule dans le Palais, imaginant le labyrinthe, et découvre les magasins et les énormes pithoïs, le théâtre avec ses  gradins à angle droit.  Il est stupéfiant que le gypse, roche soluble, ait traversé plus de trois millénaires. J’observe les figures de dissolution et recristallisation. Les fouilles récentes sont maintenant protégées par des toitures et la pierre est nue, sans ciment.

sur le culte du taureau d’excellents billets de Claudialucia ICI

 

Les pins embaument dans l’air vif.

Pour piqueniquer nous trouverons un magnifique pont près d’Agia Irini enjambe un ruisseau : 5 arches de toutes tailles, deux grandes en ogive superposées (aqueduc) trois petites sur le côté. Un chemin passe sous l’une de ces arche dans la verdure ; nous pique-niquons au bord de l’eau sous un platane dont les feuilles sont nouvellement écloses : feuilletés, yaourt grec et miel ; un menu grec !

 

 

A l’hôtel, je relis Cnossos,  L’Archéologie d’un Rêve d’Alexandre Farnoux dans l’excellente collection DÉCOUVERTES GALLIMARD Le rapprochement entre les figurations des végétaux minoens et ceux de l’Art Nouveau  est très intéressant.  Évidence d’une coïncidence des goûts.

 

 

 

 

Relire Kazantzakis : Lettre au Gréco et Alexis Zorba

LIRE POUR LA GRECE

plage de Stavros - Crète

Il m’a plu que le ferry qui m’a transporté autrefois en Crète soit nommé Kazantzakis et que l’aéroport où j’ai débarqué soit aussi au nom de l’écrivain.

J’aime prendre un écrivain pour guide en voyage, lui laissant le soin  de me décrire avec des mots choisis les paysages et les villes que je visite , remplir de personnages les rues ou les campagnes alors que je n’oserais pas aborder les inconnus.

La Lettre au Gréco est une autobiographie qui s’attache plutôt au parcours intellectuel et spirituel de l’auteur qu’à des anecdotes précises. l’ayant découverte récemment – il y a plus d’une dizaine d’années quand même – mon opinion n’a pas varié – j’ai retrouvé avec plaisir les paysages de son enfance et de sa jeunesse. Certains épisodes que j’avais lus distraitement m’ont plus intéressés : sa rencontre avec Panaït Istrati et leur voyage en Russie : j’ai trouvé récemment sur la Toile un travail universitaire de l’Université de Salonique racontant leurs rapports . J’avais oublié sa visite au Monastère Sainte Catherine du Sinaï – coïncidence : au Musée Historique d’Héraklion se trouve le petit tableau du Gréco représentant ce monastère et j’ai eu le plaisir de voir le tableau alors que le matin même je lisais le texte.

Si je m’étais attachée alors,   à Kazantzakis, grand voyageur, à ses rencontres, à son parcours spirituel, je n’avais pas souvenir des passages où il aborde la création littéraire, l’écriture d’Alexis Zorba, dans le chapitre intitulé:

LA SEMENCE GERME EN MOI

« Le mythe de Zorba a commencé de cristalliser en moi. Au début c’est un bouleversement musical, comme si mon sang s’était mis à battre plus vite dans mes artères. je sentais en moi une fièvre et un étourdissement, un mélange indéfinissable de plaisir et de dégoût, comme si un corps étranger, indésirable était entré dans mon corps….. »

Cette rédaction fut un processus long, difficile. Plus loin il écrit:

« je m’efforçais en vain de trouver le langage simple sans ornements,  chatoyants qui ne surchargerait pas de trop de richesses et qui ne défigurerait pas mon émotion. »

[….] je me suis interrompu: j’ai compris que le moment n’était pas encore venu. La métamorphose secrète de la semence n’était pas encore achevée…. »

Son ami disparu lui a inspiré des lignes qui ont dû lui paraître essentielles puisque je les ai retrouvées presque mot à mot dans le second ouvrage:

« Je me suis rappelé que j’avais un jour arraché du tronc d’un olivier, une chrysalide et que je l’avais posée dans le creux de ma main. Sous sa peau diaphane j’avais senti une chose vivante qui remuait ; le travail secret devait toucher à sa fin et le future papillon encore prisonnier  attendait en tremblant doucement que vienne l’heure sainte d’apparaître au soleil. Il ne se pressait pas, il avait confiance dans la lumière, dans l’air tiède, dans la loi éternelle de Dieu, il attendait;

Mais moi n’étais pressé. je voulais  voir éclore un peu plus tôt le miracle : la chair surgir de son tombeau et de son linceul et devenir âme, papillon. je m’étais mis )à souffler sur elle mon haleine chaude. Et voilà que bientôt une déchirure s’était faite sur le dos de la chrysalide, que peu à peu le linceul s’était fendu jusqu’en bas et que j’ai vu apparaître étroitement ligoté, les ailes repliées, les pattes collées au ventre, encore imparfait, un papillon tout vert. Il frémissait légèrement et prenait vie sous mon haleine. une aile s’était détachée du corps […] Et moi avec l’impudence de l’homme, penché sur elles, je soufflais mon haleine chaude, mais les ailes avortées s’étaient immobilisées, et étaient retombées flétries.

L’angoisse m’avait saisi : dans ma hâte, en osant violer une loi éternelle, j’avais tué le papillon; ce que je tenais dans ma main n’était plus qu’un cadavre. Des années et des années ont passé, mais depuis le petit cadavre pèse sur ma conscience. »

Il m’a semblé urgent de relire Alexis Zorba!

J’ai ouvert avec appréhension Zorba dont j’avais un souvenir ébloui. La magie allait-elle opérer à nouveau?
J’ai douté, Ce vieux lubrique, Cette vie patriarcale où les femmes sont oubliées au mieux,si ce n’est pas méprisées, ou pire, comme la belle veuve, est-ce que je vais laisser passer cela?
C’est un hymne à l’amitié, à la Crète, à la Grèce et à la vie toute entière. L’humanité de Zorba est tellement magnifique et généreuse, qu’il est impossible de mégoter. Jamais de mesquinerie. La faiblesse humaine,de ce ver, de cette limace, il la reconnait, il en rit, il l’efface avec le vin, la danse et la musique.
La beauté de la mer, du printemps, du parfum de la fleur d’oranger, il l’exalte, ouvre ses yeux comme s’il la découvrait chaque jour.

 

 

 

 

Elytis : Petite mer verte

HERAKLION/BUCAREST/PARIS

Petite mer verte
Joli brin de mer si verte à treize ans
Je voudrais de toi faire mon enfant
T’envoyer à l’école en Ionie
Approfondir absinthe et mandarine
Joli brin de mer si verte à treize ans
À la tourelle du phare à midi tapant
Tu ferais tourner le soleil en sorte d’entendre
Comment le destin s’agence et comment
Savent encor l’art d’entre eux se comprendre
De crête en crête nos lointains parents
Qui telles des statues résistent au vent
Joli brin de mer si verte à treize ans
Avec ton col blanc et tes longs rubans
Tu rentrerais par la fenêtre à Smyrne
Me calquer au plafond ce qui l’enlumine
Reflets de Glorias Kyrie Matines
Puis un peu la Bise un peu le Levant
Vague à vague retournant au loin
Joli brin de mer si verte à treize ans
Nous irions dormir hors la loi tous deux
Pour que je découvre au fond de ton sein
Éclats de granite les propos des Dieux
Éclats de granit les fragments d’Héraclite

Odysseus Elytis
L’arbre lucide et la quatorzième beauté
traduction Xavier Bordes et Robert Longueville, Poésie-Gallimard
La traduction en Roumain envoyée par George
Mică mare verde

Mică mare verde de treisprezece ani
De mult aş fi vrut să te înfiez
Să te trimit la şcoală în Ionia
Să-nveţi mandarina şi absintul
Mică mare verde de treisprezece ani
În turnuleţul farului de la amiază
Să-nconjuri soarele şi să auzi
Cun soarta se dezleagă şi cum
Din deal în deal se înţeleg
Rudele noastre îndepărtate
Care opresc vântul precum statuile
Mică mare verde de treisprezece ani
Cu guler alb şi cu panglică
Să intri pe fereastră la Smirna
Să-mi copiezi reflexele bolţii
De Kyrielesion şi Slavă Ţie
Cu puţin Boreas şi cu Levantul
Val cu val să te-ntorci iarăşi
Mică mare verde de treisprezece ani
Ca nelegiuit să te culc
Să aflu adânc în braţele tale
Bucăţi de piatră cuvintele Zeilor
Bucăţi de piatră fragmentele lui Heraclit.

Partie à Héraklion à la recherche d’un écrivain Kazantzakis, j’y trouve un poète : Elytis

J’étais partie à Heraklion avec la Lettre au Gréco de Kazantzaki décidée à le pour guide.

Le matin du retour, je lui devais encore une visite au Musée Historique qui a reconstitué son bureau et sa bibliothèque.

Et voilà qu’il y avait une exposition pour le centenaire d’Elytis ( 2011, natif d’Heraklion). A la poursuite d’un écrivain, je découvre un poète (prix Nobel 1979, quand même!).

Elytis ne m’était pas tout à fait inconnu. Merci à Amartia qui m’avait fait connaître ce poème quelques jours avant notre départ. J’avais écouté en boucle Delaras pour être un peu en Grèce.

 

« Omorphi ke paraxeni patrida ». 1971
Belle mais étrange patrie
 Que celle qui m’a été donnée
Elle jette les filets pour prendre des poissons
 Et c’est des oiseaux qu’elle attrape
 Elle construit des bateaux sur terre
 Et des jardins sur l’eau
Belle mais étrange patrie
 Que celle qui m’a été donnée
Elle baise le sol en pleurant
 et puis elle s’exile
 aux cinq chemins elle s’épuise
 puis toute sa vigueur reprend
Elle menace de prendre une pierre
 Elle renonce aussitôt
 Elle fait mine de la tailler
 Et des miracles naissent
Belle mais étrange patrie
 Que celle qui m’a été donnée
Avec une petite barque
 Elle atteint des océans
 Elle cherche la révolte
 Et s’offre des tyrans
Elle enfante cinq grands hommes
 et puis elle leur brise l’échine
 quand ils ne sont plus
 elle chante leurs louanges
Belle mais étrange patrie… Traduction : Angelica Ionatos

A la poursuite d’Elytis, j’ai navigué sur Internet et j’ai trouvé un article passionnant sur l’exposition d’Heraklion.

Et cet autre blog très complet sur la poésie grecque : Elytis mais aussi Cavafy, Seferis...et sur d’autres aspects de la culture et de la vie en Grèce

Et avec la permission de l’auteur, un emprunt sur ce blog

Le jardin était dans la merLe jardin était dans la mer
Œillets d’écume cap profond
Ta main s’en allait avec l’eau
Comme une traîne nuptiale
Ta main libérait tout le ciel

Des anges à onze épées
Flottaient à côté de ton nom
Coupeurs de vagues à leurs crêtes
Et les voiles blanches penchaient
Aux courtes rafales du vent

Avec des épines de roses
Tu cousais les rubans de l’attente
Aux cheveux des collines de ton amour
Et disais ; celle qui peigne la lumière
Est une cascade ici qui s’amuse

Flèche voleuse scandale du rire
O petite enfant du jour qui n’en finit pas
Dans les arbres rayonnants tu jouais avec les racines
Tu ouvrais les cornets de l’eau
Gaulant les jujubes de l’oubli

Et quand venait la nuit aux prodigues violons
Dans les moulins à demi-détruits tu parlais
Tout bas avec une magicienne
Dans tes seins tu cachais un cadeau
Qui était la lune elle-même

Lune de-ci lune de-là
Énigme que lisait la mer
Sans aucun mal et pour ton seul plaisir
Œillets d’écume cap profond
Le jardin était dans la mer.

 

(Soleil Premier)

Ο κήπος έμπαινε στη θάλασσαΟ κήπος έμπαινε στη θάλασσα
Βαθύ γαρίφαλο ακρωτήρι
Το χέρι σου έφευγε με το νερό
Να στρώσει νυφικό το πέλαγος
Το χέρι σου άνοιγε τον ουρανό.Άγγελοι μ’ έντεκα σπαθιά
Πλέανε πλάι στ’ όνομά σου
Σκίζοντας τ’ ανθισμένα κύματα
Κάτω μπατέρναν τα λευκά πανιά
Σ’ απανωτές σπιλιάδες γραίγου.Μ’ άσπρα τριανταφυλλαγκάθια
Έραβες φιόγκους προσμονής
Για τα μαλλιά των λόφων της αγάπης σου
Έλεγες: Η χτενίστρα του φωτός
Είναι πηγή στη γη που διασκεδάζει.

Κλέφτρα σαΐτα σκάνταλο του γέλιου
Ώ εγγονούλα της γρια-λιακάδας
Μέσ’ απ’ τα δέντρα πείραζες τις ρίζες
Άνοιγες τα χωνάκια του νερού
Ραβδίζοντας της λησμονιάς τα τζίτζιφα.

Ή πάλι νύχτα μ’ άσωτα βιολιά
Μέσα στους μισοχαλασμένους μύλους
Κρυφομιλούσες με μια μάγισσα
Στους κόρφους σου έκρυβες μια χάρη
Που ήταν το ίδιο το φεγγάρι.

Φεγγάρι εδώ φεγγάρι εκεί
Αίνιγμα διαβασμένο από τη θάλασσα
Για το δικό σου το χατήρι
Ο κήπος έμπαινε στη θάλασσα
Βαθύ γαρίφαλο ακρωτήρι.

(Ο Ήλιος ο Πρώτος)

Traduction de Dominique Grandmont
in 37 poètes grecs de l’Indépendance à nos jours,
Oswald éditeurs, 1972.

 

Je reviendrai à Elytis, mais savourons d’abord ces deux poèmes.

Et merci aux blogueurs!

 

Pourquoi les livres de Nikos Kazantzaki en français sont-ils épuisés, indisponibles?

GROSSE COLÈRE!

image venant du blog de claudialucia

A la préparation de notre dernier voyage en Crète, je vais confiante à la Bibliothèque  et cherche sur les rayons à la lettre K, pas de Kazantzaki! « Il est sans doute dans les réserves. » me dit-on. Le fond est informatisé : après recherche je finis par dénicher Zorba qui n’est pas celui que je cherche puisque je l’ai quelque part à la campagne. Zorba (DVD) lui est sorti!

En librairie, Zorba est en rayon mais rien d’autre, épuisés me dit-on.

Pourquoi ne pas le télécharger? Je n’ai pas trouvé!

Je cherche la Liberté ou la Mort puisque je me prépare à visite le Monastère d’Arkadi où s’est déroulé le massacre de 1866 dont il est question dans le livre.

A Mirtia – musée Nikos Kazantzaki (Crète) et au Musée Historique d’Héraklion où j’espérais acheter ces livres, des traductions allemandes, anglaises en français : Zorba, c’est tout!

Au retour,  Amazon il m’a fallu plusieurs navigations pour trouver La Liberté ou la Mort état « bon, acceptable » un exemplaire d’occasion livrable sous 3 semaines…Même recherche pour les Frères ennemis, même délai.

Il me semblait que Kazantzaki était un des plus grands auteurs de la Grèce moderne, un classique. Pourquoi ne le réédite-t-on pas? Je sais qu’on va m’objecter la demande, le stock, l’impossibilité de conserver des livres invendus, la place….que sais-je? mais comment le lecteur peut-il demander au libraire un livre qui n’existe pas?