Vidal et les siens – Edgar Morin – identité salonicienne

« J’ai vu confusément naître le XXème siècle, dit Vidal. le siècle nait à  Salonique comme un lever de soleil. la Salonique séfarade s’épanouit[….] les idées éclairantes se répandent en même temps que l’éclairage électrique et les tramway à trolley….. »

« les Lumières arrivèrent à Salonique par trois voies séparées, dans les trois mondes juxtaposés des séfarades, des Grecs et des Turcs. Dans les trois cas, il se forme une intelligentsia formée à l’occidentale[…..] la seule différence, capitale du point de vue des idées, est que chez les Grecs et les turcs, le modernisme et la laïcité sont étroitement liés à l’affirmation et au développement du nationalisme, alors que les séfarades non seulement seront insensibles à tout nationalisme, mais feront tout pour éviter d’être intégrés à l’État-Nation. »

Vidal, le  père d’Edgar Morin était salonicien. Identité remarquable. Juif du Levant, séfarade. Né dans la Salonique ottomane, contemporain de la Révolution des Jeunes-turcs, des guerres balkaniques qui donnèrent Salonique à la Grèce. Protégé  de l’Italie, statut hérité des capitulations qui donnaient aux sujets des puissances une juridiction à part. Les juifs fuyant l’Espagne, furent invités par le Sultan de la Porte, minorité dans l’Empire Ottoman, conservant le vif attachement à l’Espagne, la langue aussi. A Salonique, les juifs n’étaient pas une minorité tolérée mais au contraire formaient la population majoritaire d’un port ouvert sur le monde méditerranéen, ouvert aux idées des Lumières, puis libérales.

A Salonique, lieu de naissance de Mustapha Kemal,  le nationalisme Turc s’exprima avec la Révolution Jeunes-Turcs.  Proche des guerres balkaniques qui opposèrent les nationalismes grecs, bulgares, macédoniens. Non loin des Dardanelles, où la Première Guerre Mondiale fait rage, Vidal évite l’engagement au sein  des troupes italiennes malgré ses papiers italiens, ou grecques alors que Salonique est devenue grecque…

« De toute façon, aussi bien que sa nationalité citadine de salonicien que par l’infranationalité floue d’israélite du Levant, Vidal échappa à l’Etat-Nation qui voulait dire armée, guerre, mort. »

L’identité salonicienne se s’accompagne pas de patriotisme belliqueux. Face à l’écroulement des empires, une autre attitude est possible que le nationalisme. Attachement à une ville, à une culture, et non  pas à un état. Loyauté à une langue, l’espagnol du 15ème siècle, la francophonie des Lumières. Peu d’animosité vis à vis des Empires Centraux.

Mais Salonique brûle en 1917. La communauté juive s’exile en une nouvelle diaspora. Thessalonique, la grecque, accueille les réfugiés grecs de Turquie. La ville cosmopolite s’hellénise. Et la déportation nazie de 1943 mettra fin à Salonique séfarade, séculaire. Se souvient-on des rêves messianiques de Shabbatai Tsvi?

Vidal et les siens s’installent en France, fidélité à la famille et à la tribu. Adaptation à la vie parisienne. A l’import/export de rigueur dans un port, il substituera la bonneterie. les réseaux saloniciens  se reconstitueront dans le Sentier mais aussi à Paris, Marseille ou Bruxelles. Ils deviendront Français à part entière. Vidal sera même mobilisé pendant la seconde guerre mondiale. J’ai aimé suivre les tribulations de la famille dans l’exode des années 40, optimisme devant la barbarie.

Puis je me suis un peu lassée c’est pour Salonique que j’avais emprunté le livre à la bibliothèque…. .

 

ATHINA – Alexandre Najjar

LIRE POUR LA GRECE

 

 

Athina est née en Crète. Des Crétois elle tient cette résistance. Élevée comme un garçon, elle est instruite par un pope qui lui enseigne le Français, l’anglais et la révolte. Elle se fait accepter des jeunes kapitans.

 

 

 

 

 « …..- La révolte, c’est le sentiment le plus grand qui existe. La révolte, c’est comme quand le vent souffle et que rien ne l’arrête ; c’est comme les vagues lorsqu’elles se déchaînent et qu’elles fouettent les rochers…
     –  Qu’est-ce qui la provoque, papas ?
     –  Elle naît de l’injustice. L’injustice est pareille à l’eau qu’on chauffe dans une marmite. Quand elle bout trop longtemps, elle déborde : c’est cela la révolte.
     –  Ce que je n’arrive pas à m’imaginer, c’est ce qu’on ressent vraiment à ce moment-là… Est-ce quelque chose de physique, un peu comme la faim ou la soif ?
     –  Oui, répondit-il. On éprouve une sorte d’illumination, d’extase. On ressent le besoin de renverser l’ordre établi. On a la conviction de pouvoir changer les choses et, aussi, l’impression de ne pas avoir tort parce qu’on est dans le camp de Dieu.
     –  Vous voulez dire que Dieu est toujours dans le camp des révoltés ?
     –  Oui, affirma le pope en hochant la tête. Dieu prend toujours le parti de la Liberté. »

« Le pope, se servant de son encensoir comme un fléau d’arme« , tue un Turc. Athina entre en résistance pour le libérer et doit fuir à Chios,  où elle est témoin des massacres (l’enfant grec de Victor Hugo).

J’ai plaisir à retrouver des lieux que j’aime, Ierapetra, Chios ou Rhodes.

Ce roman historique  fait réviser toute l’histoire des luttes pour l’Indépendance de la Grèce. Roman historique pédagogique : Athina rencontre les chefs de guerre. Kanaris devant Chios, l’envoie à Athènes puis elle se bat avec Botsaris. A Missonlonghi elle assiste à la mort de Lord Byron, combat avec les Souliotes, et tombe amoureuse d’un Français, officier de Napoléon qui a préféré épouser la cause hellène plutôt que de faire allégeance à Louis XVIII. Siège de l’Acropole.  Retour à Chios. l’auteur en profite pour détailler les alliances (et les félonies). Chios ne sera pas libérée. Escale à Rhodes – visite guidée de la vieille ville – pour Lamartine!Enfin, la Crète et pour finir le sacrifice du monastère d’Arkadi.

En 300pages, une histoire amoureuse avec un français philhellène s’est terminée. Les Crétois étaient vêtus de braies et de bottes avec leur foulard noir à pompons. On a cueilli les olives, dégusté des mezzés…. visité l’Acropole…. le must du tourisme et l’essentiel de l’histoire. Les combattants on dit souvent « la Liberté ou la Mort« ! Rien d’original!

Évidemment, rien de comparables aux écrits  de Kazantzaki  ou de Byron, Châteaubriant, et Lamartine. Mais un digest bien écrit et bien fait. Tout le monde n’a pas le temps de lire des centaines de pages!

Antigone de Sophocle – Theâtre national Palestinien à Ivry (bis)

Au risque de me répéter, je suis retournée à Ivry faire découvrir cette œuvre  à une amie helléniste. J’ai revu cette interprétation avec un plaisir renouvelé, écouté (et surtout lu le sur-titrage) avec une attention particulière.

 

Que m’apporterait de nouveau cette seconde vision?

Un poème de Mahmoud Darwich :

« Il y a sur cette terre » Mahmoud Darwich

Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :

les hésitations d’avril,

l’odeur du pain à l’aube,

les opinions d’une femme sur les hommes,

les écrits d’Eschyle,

les débuts d’un amour, de l’herbe sur des pierres,

des mères se tenant debout sur la ligne d’une flûte

et la peur qu’éprouvent les conquérants du souvenir.

Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :

la fin de septembre,

Mahmoud Darwich, le poète palestinien,  qui dit aussi:

« j’ai choisi d’être un poète troyen. je suis résolument du camp des perdants. les perdants qui ont été privés du droit de laisser quelque trace que ce soit de leur défaite, privés du droit de la proclamer. j’incline à dire cette défaite; mais il n’est pas question de reddition »…

(citation trouvée dans la plaquette du théâtre d’Ivry)

Et je pense à Polynice, le frère du camp des perdants, interdit même de sépulture

Au risque de radoter : la beauté de la musique du trio Joubran, cérémonie hypnotique qui s’accorde si bien avec Antigone. Je ne comprends pas l’arabe, j’espère que rien d’inacceptable n’est prononcé. Le minimum que je puisse faire, c’est écouter l’autre.

Une curiosité qui s’accorde bien à cette soirée : l’hommage du trio Joubran en Grec:

mon article précédent: ICI

Les romantiques et le voyage en Orient(2) : Itinéraire de Paris à Jérusalem – Chateaubriand en Grèce

CHALLENGE ROMANTIQUE

Chataeaubriand de mes années lycée

Encore mille mercis à Claudialucia qui m’a entrainée dans l’aventure romantique sur les pas de Chateaubriand. D’abord à Saint Malo et Combourg, maintenant sur l’Itinéraire. Des années du lycée, j’avais gardé une image rebutante de Chateaubriand. Avec la suffisance de l’adolescence j’avais décidé, sans lire plus loin que Lagarde et Michard, que l’auteur de Mémoires d’Outre-tombe, du Génie du Christianisme ou des Martyrs ne pouvait être qu’un infâme raseur. Nous étions une classe dissipée, Polyeucte en avait fait les frais : lue avec l’accent pied noir, la pièce avait acquis un pouvoir comique délirant.

Il a fallu attendre des décennies pour que je me décide à suivre Chateaubriand et je ne l’ai pas regretté. En 1806, trois ans avant Byron, 9 ans après que les Iles Ioniennes ne deviennent français par la paix de Campoformio, il entreprend seul le Pèlerinage aux Lieux saints, le voyage en Orient, embarque à Trieste sur un vaisseau qui le mène à Modon(Methoni) et à Coron au sud du Péloponnèse qu’on appelait alors la Morée.

 

Au large d’Otrante

«… j’étais là sur les frontières de l’antiquité grecque, et aux confins de l’antiquité latine. Pythagore, Alcibiade, Scipion, césar, Pompée, Auguste, Horace, Virgile avaient traversé cette mer…. »

L’érudit se double d’un aventurier. Il traverse la Morée, évitant le Magne en révolte contre le Sultan, accompagné de Joseph à son service, d’un janissaire pour la sécurité, d’un guide grec, il chevauche dans des contrées sauvages. Le pacha de Morée installé à Tripolizza le reçoit, lui accorde les firmans qui lui donneront le droit de voyager – même au frais du sultan , ce dont il n’abusera pas. Entrevue pittoresque, épisode comique du refoulement de Joseph qui avait cru bon de s’enturbanner. Le Pacha veut savoir si Chateaubriand a combattu en Egypte, lui-même a été fait prisonnier des Français à Aboukir ! L’étape suivante est Mystra où il cherche Sparte et le tombeau de Leonidas, s’essaie à l’épigraphie : a-t-il retrouvé le socle de cet autel du Rire ?

« …L’autel du rire subsistant seul au milieu de Sparte ensevelie offrirait un beau sujet de triomphe à la philosophie de Démocrite… »

Quel plaisir de chevaucher avec un poète érudit  qui se promène avec émotion sur les bords de l’Eurotas, visite Mycène où il retrouve le tombeau de Clytemnestre et d’Egisthe, et Corinthe. Poursuivant les antiquités, c’est aussi un observateur de ses contemporains. Un épisode symbolise la tyrannie des agas et des pachas sur les pauvres grecs :

« le commandant (le pacha)se leva avec effort, prit sa carabine, ajusta longtemps entre les sapins et lâcha son coup de fusil. Le Turc revint après son expédition,  se rasseoir sur sa natte aussi tranquille t bonhomme qu’auparavant. Le paysan descendit à la garde, blessé en toute apparence car il pleurait et montrait son sang. On lui donna cinquante coups de bâtons pour le guérir…. »

Un carton, pour montrer son habileté de tireur et la valeur de sa carabine !

Il visite Athènes accompagné par un antiquaire  –on dirait archéologue aujourd’hui – Monsieur Fauvel. Athènes n’est plus qu’une pauvre bourgade :

« O Solon ! o Thémistocle ! Le chef des eunuques noirs propriétaire d’Athènes et toutes les autres villes de la Grèce envient cet insigne bonheur aux Athéniens… »

Le capitaine autrichien qui devait le reprendre au Cap Sounion ne l’a pas attendu. Il traversera l’Archipel – les Cyclades – sur les petites embarcations grecques,  jusqu’à Tinos puis sur une felouque hydriote jusqu’à Smyrne ayant pour équipage une famille. Quel plaisir de naviguer avec lui, passer près de Scyros où Achille passa son enfance,  Délos célèbre par la naissance de Diane et d’Apollon, par son palmier : Naxos qui me rappelait Ariadne, Thésée Bacchus….Scio…la felouque était lavée, soignée et parée comme une maison chérie…. »

Les romantiques et le voyage en Orient(1) : Byron

CHALLENGE ROMANTIQUE

Byron en tenue albanaise (wiki)

Je me suis inscrite au challenge de Claudialucia pour le Voyage en Orient. N’étant guère romantique,  mais voyageuse, j’ai saisi cette opportunité pour un voyage dans le temps.

J’ai commencé avec Byron et Childe Harold, et j’avoue que l’embarquement a été laborieux. D’abord, j’ai téléchargé le poème sur mon ordinateur et cette lecture  électronique n’était pas une bonne idée : un court poème qui tient entier sur l’écran, accompagné ou non d’un tableau, comme sur le blog de Claudialucia, c’est un enchantement. Des centaines de vers défilent, sans le repère de la page, c’est très fatigant et peu satisfaisant. Je cherchais le combattant de  l’indépendance grecque et les envolées lyriques d’une Grèce antique imaginaire m’ont un peu déçue.

 

J’avais découvert Byron dans l’anthologie de Duchêne : LE VOYAGE EN GRECE (coll. BOUQUINS) que j’emporte régulièrement. Son  journal de Céphalonie, ses lettres d’Athènes et de Missolonghi – où il est mort – m’avaient enchantée. Sa rencontre avec Ali Pacha à Tépelen – le Bonaparte mahométan – les costumes pittoresques des Albanais – les paysages de montagne:

Ali pacha de Ioannina (via blog de Thierry Jamard)Ali pacha (blog de Thierry Jamard)

… »Je n’oublierai jamais l’étrange spectacle de Tépelen à notre arrivée ; il était cinq heures du soir, le soleil déclinait ; cela m’a fiat penser (avec néanmoins quelque modification de costume) à la description que fait Scott du château de Branksome dans son lai et au système féodal/ Les albanais dans leur costume( le plus magnifique du monde : long kilt blanc, manteau brodé d’or, veste et gilet en velours cramoisi à brandebourgs dorés, pistolets et poignards incrustés d’argent), les Tartares en bonnets pointus, les turcs vêtus de pelisses et enturbannés…. »

Dans une lettre de Patras, malade, il ironise sur son sort. En vers, c’est léger et drôle

le siège de tripolizza par Zografos Makriyannis (via Wiki)

Byron raconte aussi les guerres d’indépendances auxquelles il s’est associé, fait ses comptes quand il engage ses Souliotes.  Le personnage est fascinant. Dans  le même ouvrage par Edward John Trelawny, cite les intrigues entre les factions, Hydriotes, Maniotes, Klephtes…des luttes de la toute jeune Grèce.

 

 

Byron en Grèce – Childe Harold

CHALLENGE ROMANTISME

ULYSSE ET CALYPSO

Ulysse et Calypso - Arnold Böklin - Wiki trouvé dans http://art-magique.blogspot.fr/2011/05/lodyssee-la-nymphe-calypso.html

Des îles Calypso saluons les délices:

 Au sein de l ‘Océan, le groupe fraternel

Au voyageur encore offre des bois propices;

 Mais là n’est plus la nymphe à pleurer un mortel;

 Ces rochers ne sont plus témoins de son attente,

Quand ,pour une autre épouse  ,il put la délaisser;

 Ici ,le fils d’Ulysse échappe à cette amante,

C’est de là que Mentor à fuir vint le presser:

 L a nymphe-reine ,aux pleurs dut encor s’abaisser

Odessa Transfer – Chroniques de la mer Noire – Collectif ed. Noir sur Blanc

BALKANS/

Le soir de notre retour de Crète, sur Arte nous avons visionné le documentaire :Seuthès, le roi Thrace, et c’est ainsi que notre voyage en Bulgarie s’est décidé! Depuis je n’ai pas quitté les Balkans (tout en restant dans ma chambre). Premier voyage cinématographique, onirique et envoûtant Le Regard D’Ulysse d’Angelopoulos qui m’a emporté par taxi, train et même péniche à travers la Grèce,  l’Albanie, la Macédoine, la Bulgarie et la  Roumanie pour arriver à Sarajevo en pleine guerre. Second voyage sur les mêmes itinéraires avec Maspéro dans Balkans-Transit illustré par Klavdij Sluban.

Odessa transfer m’offre un périple autour de la Mer Noire dans le même registre. Cet ouvrage rassemble 14 textes écrits par 14 auteurs différents, rangés dans l’ordre des aiguilles d’une montre.

Le voyage commence en Géorgie à Batoumi « BATOUMI: UNE VILLE A L’ODEUR DE FUITE » d‘Aka Morchildazé. Reportage? texte poétique?Pas plus que les autres textes, j’arrive à le définir.

EAU AMERE (Istanbul et la rive turque de la mer Noire) d’Eminé Sevgi Özdamar est une sorte de méditation à la suite de l’assassinat de Hirant Dink à Istanbul. » Mer Noire, Mer Noire, Ta mer est devenue Noire«  Ece Ayhan. Méditation poétique, souvenirs anciens d’une mer hospitalière, dispensatrice de bonheur alors qu’Arméniens, Grecs, Turcs se parlaient : « Dans le fond de mon sein , tout au fond de moi, entre les algues il y a une vieille femme morte qui s’appelle Kiriaki Sergianadou. Écoutez vous trois cette vieille Grecque du Pont chanter une chanson populaire en turc. … » Elle m’appelle (dit la Mer Noire) Efksinos Pontos . Efksinos signifie qui donne le bonheur…..Eminé, la Turque, retrouve le langage de la Mer Noire à Thessalonique, la Grecque et pleure l’Arménien assassiné.

SUR LA ROUTE D’ISTANBUL  est une sorte de carnet de route d’un journaliste polonais, Andrzej Staziuk, qui se souvient qu’autrefois Pologne et Lituanie s’étendaient jusqu’à la Mer Noire combattant les Ottomans. Toujours à cheval, dans les steppes... »pas des chevaux de mer : des chevaux cosaques, tatars, turcs, sarmates, scythes ou mongols »..…,mélangeant le Baroque et le byzantin…

L’ÎlE DES BIENHEUREUX racontée par Sybille Lewitscharoff, au large de la Bulgarie entre Burgas et Varna existe-t-elle vraiment? « elle a surgi de la mer une nuit, alors que les mortels ordinaires ignoraient tout du malheur et de la haine que les Bulgares attireraient bientôt sur leurs têtes ». Qui est donc Haralampi Oroschakoff? le texte se termine avec de déroutants Macédoniens…..

Takis Theodoropoulos raconte LA CONQUÊTE DU PONT EUXIN, je me retrouve en pays de connaissance : Jason, les Argonautes, Médée sont des personnages familiers. 

« Pour quelle espèce de raison la poésie grecque, et ce depuis ses tout  premiers pas, a-t-elle à ce point surestimé la figure d’Ulysse, et n’a-t-elle fini par s’intéresser à celle de Jason que des siècles plus tard? »

Euxeinos (hospitalier) ou Axeinos la Mer Noire?La mer familière aux Grecs est la Méditerranée, l’Égée avec toutes ses îles.

Theodoropoulos raconte aussi l’Anabase (le seul texte que j’aie déchiffré en VO) ….

PONTOS AXEINOS est le titre du texte de Mircea Catarescu, écrivain roumain qui, de Constanta  évoque la figure d’Ovide exilé là. Ovidiu, prénom si répandu en Roumanie, ….devant une Mer Noire prise dans les glaces. Écrivain des métamorphoses.

Justement, MÉTAMORPHOSES est le titre de la nouvelle suivante d’Attila Bartis, Roumain d’expression hongroise, ou Hongrois(?) (Le canal du Danube et la péninsule Balkanique) en est le sous-titre, évoquant Kafka dès les premières lignes. Kafkaïenne est l’entreprise de travail forcé comparée à la tectonique des plaques censée engloutir la péninsule balkanique. Griffonnages sur la relégation d’Ovide, griffonnages sur l’empire ottoman, griffonnages sur divers centres d’intérêt, griffonnages qualifie-t-il ses écrits qui auront pour titre Métamorphoses et non pas La Métamorphose, clins d’œil à Ovide et à Kafka.

L’ÉTÉ DES SCARABÉES DE 2 MAI (le littoral roumain de la Mer Noire) de Katja lange-Müller est une nouvelle plutôt pessimiste.

Nicoleta Esinencu est Moldave et écrit en vers 7km(de Chisinau au septième kilomètre) raconte les mécomptes des Moldaves qui ont vu leur vie se compliquer, les tracasseries administratives les empêchant de rejoindre la Mer, les divers trafics…

Karl-Markus Gauss, écrivain autrichien, évoque Odessa dans L’INCESSANTE MIGRATION

« Décision fut prise en 1794de faire jaillir de terre une ville où l’on attirerait des représentants de nombreuses nationalités grâce à de multiples privilèges – liberté religieuse… »

Habitée par des Russes, des Juifs, des Arméniens, des Grecs, des Ukrainiens, des Bulgares, des Allemands, classique pour la Mer Noire, mais aussi des Levantins, des cubains, des Africains, Coréens et Malais…. cosmopolite ,berceau des génies de la musique son marché aux légumes est tout aussi coloré!

LE PASSEPORT DE MARIN (la côte de la Crimée) de Serhiy Zhadan est une nouvelle mettant en scène des jeunes perdus entre trafics et  beuveries, des ouvriers moldaves abandonnés dans un chantier arrêté. Assez désespéré ce futur post-soviétique!

Soviétique ou Post-soviétique, LES ENFANTS D’ORLIONOK  de Katia Petrovskaïa? Un camp de jeunes pionniers dans la grande tradition pédagogique de Nadejda Kroupskaïa avec ses spoutniks, ses enfants-garde-frontière les « Guetteurs« , le « camp des Komsomols » et pourtant les éducateurs sont des soutiens de Poutine et le texte est contemporain.

Enfin, un dernier reportage sur l’Abkhazie referme le tour de la Mer Noire. UNE CHANCE DE REJOINDRE LE MONDE  de Neal Ascherson analyse la situation de ce micro-pays entre Géorgie et Russie. J’aurais été bien incapable de situer l’Abkhazie avant de lire ce livre.

Dans mon résumé j’ai oublié de signaler les très belles photos en Noir et Blanc – c’est aussi le nom des éditions – panoramiques pris sur les plages de la Mer Noire. Elles ne correspondent  pas toujours au pays des textes où elles sont intercalées. Qu’importe si les parasols et les baigneurs bulgares se trouvent entre la Crimée et la Moldavie?

C’est un livre que je rendrai à regrets à la bibliothèque. Un livre que j’aurais aimé garder, relire au retour de  notre visite à la Mer Noire. Extraordinaire diversité et en même temps parfaite cohérence dans la construction. Chaque texte est à sa place et la lecture n’est jamais décousue. Poésie et reportage, reportage et roman, imaginaire et réalité.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Vampire d’après Lord Byron – Le Giaour de Lord Byron

CHALLENGE ROMANTISME

Eugène Delacroix jeune fille dans un cimetière

1816, Villa Diodati, sur les bords du Léman, quelques amis se proposèrent une gageure: écrire en une journée une histoire de fantômes. Parmi eux, Mary Shelley qui écrivit Frankenstein et Lord Byron qui ébaucha une nouvelle : Le Vampire.

Polidori, le secrétaire particulier de Byron termina la nouvelle que ce dernier avait abandonnée.

Ce court texte d’une trentaine de pages est, à double titre, une curiosité. Le fantastique n’est pas un genre que j’apprécie particulièrement mais cette lecture a excité mon imagination. Quelle est la part de Byron? quelle est celle de Polidori?

Mais surtout la ressemblance entre Lord Ruthven et Lord Byron est étonnante. Polidori détestait son maître. Comme l’écrivain, Lord Ruthven  est reçu dans la meilleure société, il voyage, il s’arrête en Italie et poursuit vers la Grèce. C’est d’ailleurs en Grèce que le vampirisme se déclare.En prologue, l’odieux Ruthven  se contente de séduire des femmes vertueuses qu’il entraine dans le vice. Son regard est étrange mais rien ne permet de supposer que le séducteur serait autre chose qu’un Don Juan et un pique-assiette.C’est donc dans un décor de ruines antiques qu’Aubrey découvre Ianthe, la jeune vierge grecque dont il est amoureux, le « ...cou et le sein couverts de sang et sa gorge présentait des marques de dents qui avaient ouvert sa veine… »

Delacroix combat entre le Giaour et le Pacha

C’est dans le Giaour (1813) que j’ai trouvé les prémisses du Vampire. Ce poème d’après un Conte Turc contient les ingrédients du Vampire. Grèce ou Turquie?  en 1813, c’était toujours l’Empire Ottoman sauf dans les 7 Iles qui furent vénitiennes jusqu’à ce que Napoléon les fasse françaises et révolutionnaires. Dans le Giaour on trouve encore une jeune fille pure au destin tragique, un jeune homme amoureux malheureux et des allusions au vampirisme.

Frémis! Nouveau vampire envoyé sur Terre

En vain, lorsque la mort fermera la paupière

A pourrir dans la tombe, on t’aura condamné

tu quittera la nuit cet asile étonné

Alors pour ranimer ton cadavre livide

C’est du sang des vivants que ta bouche est avide.

Souvent d’un pas furtif, à l’heure de minuit

Vers ton ancien manoir tu retournes sans bruit

Du logis à la main déjà cède la grille

Et tu viens t’abreuver du sang de ta famille

L’enfer m^me, à goûter de cet horrible mets

Malgré la répugnance oblige ton palais

Tes victimes sauront à leur heure dernière

Qu’elles ont pour bourreau leur époux et leur père

Et pleurant une vie éteinte avant le temps

Maudiront à jamais l’auteur de leurs tourments

mais non, l’une plus douce, et plus jeune et plus belle

De l’apour filial, le plus parfait modèle

Celle de tes enfants que tu chéris le mieux

quand tu t’abreuveras de son sang précieux

reconnaîtra son père au sein de l’agonie…..

Le Giaour est un précurseur du vampire, c’est pour cela que j’ai choisi cet extrait. J’y ai trouvé d’autres analogies,  le poignard, le décor…Mais pas seulement! C’est aussi un joli conte oriental .

(A Fragment

Romantiques philhellènes : l’Enfant grec – Victor Hugo

CHALLENGE ROMANTIQUES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le massacre de Chios (avril 1822) a horrifié l’opinion européenne et a été à l’origine du poème de Victor Hugo et de la toile de Delacroix

L’Enfant

Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.

Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.

8-10 juillet 1828

     Victor Hugo – Les Orientales


La Bouboulina, celle de Zorba et l’héroïne de l’Indépendance grecque

LIRE POUR LA GRECE

La Bouboulina attaquant Nauplie

La Bouboulina de Zorba

La lecture de Kazantzaki peut être une épreuve pour une lectrice féministe. La société qu’il décrit vivait alors sous un machisme indéniable : le lynchage de la veuve dans Alexis Zorba en est le paroxysme. Alors, refermer le livre?

Zorba est un homme de son temps qui considère les femmes comme des êtres faibles qui ont  besoin d’amour. Inutile de se voiler la face. Et de l’amour, il en a à revendre! Mais il ne faut pas se méprendre sur le petit nom de Bouboulina qu’il donne à la dame Hortense. Ce surnom affectueux n’a rien de condescendant comme la consonnance française pourrait le suggérer. Au contraire, c’est le nom le plus prestigieux qu’un Grec puisse connaître pour une femme. La Bouboulina fut une Kapetanissa, une femme-amiral, héroïne de l’Indépendance grecque.

Hortense, dans le temps de sa jeunesse fut une artiste renommée et assista à l’une des batailles fameuses de l’Indépendance de la Crète : le siège de La Canée (1897) par les navires des Puissances:

-....La Crète était en pleine révolution et les flottes des grandes puissances avaient jeté l’ancre dans le port de Souda. Quelques jours après, j’y jetais l’ancre aussi. A quelle magnificence! vous auriez dû voir les quatre amiraux: l’Anglais, le Français l’Italien et le Russe….

…..Souvent on se réunissait sur le vaisseau-amiral et on parlait de révolution,….. des conversations sérieuses et moi n’attrapais leurs barbes et je les suppliais de ne pas bombarder les pauvres chers Crétois. On les voyait, tout petits comme des fourmis, avec des braies bleues et des bottes jaunes. Et ils criaient , criaient, et ils avaient un drapeau…. » (c’est à cet épisode qu’est érigée la statue auprès du tombeau de Venizelos

« Combien de fois, moi qui vous parle, j’ai sauvé les Crétois de la mort! Combien de fois les canons étaient prêts à tirer et moi, je tenais la barbe de l’amiral »  « Mon Canavaro – c’était son nom – pas faire boum boum!… »

Héroïne dérisoire, héroïne d’opérette, ou de café-concert…Canavaro devint le nom du perroquet. Mais Zorba a été capable de lui rendre son hommage.

Laskarina Bouboulina (1771-1825)

Les Carnets de Bérénice consacrent un article à cette héroïne de l’Indépendance grecque. Un autre blog consacre un billet illustré à la maison-musée de la Bouboulina à Spetses

L’excellent roman historique de Michel de Grèce est une biographie romancée de La Bouboulina.

Quelle vie romanesque  que celle de Laskarina!

Née dans une prison sinistre de Constantinople, orpheline méprisée dans la maison patricienne de Hydra, exilée à Spetses alors dévastée par les Turcs. Adolescente, son  beau-père lui offre un caïque, à l’âge où les jeunes filles étaient confinées dans le gynécée dans l’attente d’un mari. Deux fois mariée à des armateurs, elle accompagne son premier mari dans des expéditions à la limite de la piraterie mais  devra attendre d’être veuve du second, Bouboulis, pour prendre sa mesure et devenir la Kapetanissa. Armateur-femme d’affaire, mais aussi conjurée de la Filikí Etería, elle conduit ses bateaux contre Nauplie en 1821 dans la guerre d’Indépendance grecque. Elle combattit aussi sur terre avec Kolokotronis….

« macédoine » balkanique: Héroïne grecque, Laskarina, comme les habitants de Spetses, parlait Arvanitika, une langue albanaise, et se disait Arvanite. Je remarque aussi le voile de Laskarina – comment aller en mer tête nue? – mais une femme turque aurait noué le même. Cherchant des renseignements sur la  Filikí Etería  sur Internet, j’arrive à Odessa et même en Roumanie. Toutes ces composantes, métissages ou interférences, s’opposent aux crispations actuelles, sur le voile chez nous, sur la pureté ethnique ailleurs et l’arrivée De Byron et des différents combattants étrangers philhéllènes  rajoutera des pièces encore au puzzle.