le Dibbouk -Fantôme du monde disparu – au Musée d’art et d’Histoire du Judaïsme

Exposition temporaire jusqu’au 26 janvier 2025

Hanna Rovina dans le rôle de Lea – théâtre Habima

« Dans la culture populaire juive, un dibbouk désigne une âme errante qui prend possession d’un vivant »

texte de la pièce Le Dibbouk

L’écrivain An-Ski (1863-1920) s’empara du mythe du Dibbouk pour écrire une pièce de théâtre jouée à Varsovie en 1920. C’est l’histoire d’une jeune fille, Léa, possédée par l’esprit de son fiancé mort avant leurs noces.

Léa : L’homme vient au monde pour une belle, une longue vie. Mais s’il meurt avant l’heure qu’advient-il de sa vie inachevée, de ses pensées qu’il n’a pas eu le temps de mûrir. Des actions qu’il n’a pas eu le temps d’accomplir

Aux sources du Dibbouk, les expéditions  ethnographiques  de An-Ski pour la Société d’Histoire et d’Ethnographie fondée en 1908 à Saint Pétersbourg pour préserver la culture juive de l’Empire Russe. Altman effectua des relevés d’inscriptions, Salomon Youdovine rapporta de magnifiques clichés de Volhynie et Podolie (Ukraine actuelle). 

Chagall : la Noce (1911-1912)

La première version de la pièce fut écrite en Russe(1917), puis traduite en Hébreu (1918) et en Yiddish (1919). Elle fut adaptée au cinéma  par Michal Waszynski (1937) . C’est cette version projetée qui accueille le visiteur de l’exposition : La jeune fille danse avec son fiancé mort avec une tête de squelette  dans la « danse des mendiants » 

Chagall : David et Bethsabée (1956)

Le tableau de Chagall des deux amants et un seul visage illustre parfaitement la possession de la Léa par l’esprit de Hanan. 

Hanan et Lea

Le mysticisme juif et la kabbale sont illustrées par des vitrines montrant des amulettes et des ouvrages de la kabbale ainsi que par deux vidéos d’un film évoquant un exorcisme. Pour éloigner le Dibbouk de la créature vivante, on a recourt à l’exorcisme. Dans la pièce, la jeune fille ne veut pas être séparée de son fiancé et elle se rebelle.

Issachar Ber Ryback – synagogue

L’exposition présente des dessins et tableaux de contemporains de Chagall comme Nathan Altman ou Ryback dans une version cubiste. 

Costume Habima Nathan Altman

Le Dibbouk fut mis au répertoire de Habima et joué en hébreu à Tel Aviv dès 1922 avec les costumes de Nathan Altman. Habima se produisit lors de nombreuse tournées internationales . Les affiches et les programmes sont présentées ici. 

Habima

Le film de Waszynski est considéré comme l’apothéose du cinéma yiddish.

Des versions américaines ont été tournée : en 1960 Sidney Lumet l’adapte pour la télévision américaine. Bernstein et Robbins le montent en ballet (1974).

Romain Gary s’en inspire pour La Danse de Gengis Cohn (1967). 

En Pologne Andrzej Wajda (1988)choisit pour prologue le poème de Ernst Bryll pour qui les juifs assassinés dans la Shoah sont les dibboukim qui hantent les polonais. 2003 Krzysztof Witkowski l’associe à une nouvelle d’Hanna Krall. 2015 Maja Kleczewska adjoint l’alliance brisée entre Juifs et Polonais. le Dybbouk est un spectre qui hante le monde contemporain. 

Les frères Coen dans leur film A serious man présentent aussi le Dibbouk. C’est sur cette scène que se termine la visite.

Quand tu écouteras cette chanson – Lola Lafon

MA NUIT AU MUSEE

Un écrivain passe une nuit dans le musée de son choix et rédige un texte pour cette collection. J’ai découvert « ma nuit au musée » avec Leila Slimani et Le parfum des fleurs la nuit. 

Lola Lafon a choisi de passer une nuit à l’Annexe du Musée Anne Frank à Amsterdam, dans le grenier où sa famille était cachée pendant deux ans. Ce choix n’est pas fortuit.

« Lorsqu’il m’a été proposé de passer une nuit dans le musée de mon choix, à aucun moment je n’ai envisagé
de me rendre dans un musée d’art. Je les visite avec plaisir mais je ne me sens pas légitime à donner mon
avis sur ce qui y est exposé. »

Comme les collégiens ou lycéens, Lola Lafon, a lu Le Journal d’Anne Frank pendant son adolescence. Mais elle se sent personnellement concernée, comme enfant de survivants de la Shoah, elle se sent personnellement concernée. Sa grand-mère,

Ida Goldman m’a offert une médaille frappée du portrait d’Anne Frank.[…] Cette médaille m’expliqua ma grand-mère, il me faudrait toujours la conserver. N’oublie pas. 

Quand tu écouteras cette chanson nous parle d’Anne Frank, d’une petite jeune fille qui écrit son journal comme tant de filles, comme Lola Lafon, elle-même. Mais une universitaire qui l’a étudié nous apprend qu’Anne Frank avait prêté un soin particulier l’écriture, en tant que texte littéraire destiné à être lu (sinon publié). Miep Gies, une de ses bienfaitrices, connaissait son importance et a conservé avec soin le manuscrit.

Anne Frank entend, sur Radio Oranje, une annonce du ministre de l’Éducation des Pays-Bas en exil à
Londres. Il demande aux Hollandais de conserver leurs lettres, leurs journaux intimes : après guerre, ces
écrits seront autant de témoignages précieux. Cette déclaration la galvanise, elle s’enthousiasme, en parle
à son père : son journal pourrait être publié, un jour.

Lola Lafon nous parle aussi du Musée, des traces qui donnent à voir l’absence

Tout, ici, se veut plus vrai que vrai or tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement
obsédant, strident.

Lola Lafon nous parle d’elle, de ses grands parents qui ont choisi la France  des Droits de l’Homme, de Jaurès, mais qui subirent l’occupation nazie. Elle raconte son enfance en Roumanie et son arrivée à Paris à 12 ans, puis ses débuts en écriture.

Sa confrontation avec l’Annexe où étaient cachés les Frank n’était pas facile. L’écrivaine a attendu le dernier moment pour pénétrer dans la chambre d’Anne Frank. Et pour la lectrice, une surprise que je vous laisse découvrir.

J’ai tant aimé ce livre qu’à peine refermé, j’ai téléchargé La petite communiste qui ne souriait jamais et j’ai cherché un podcast sur l’appli.  RadioFrance https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-atelier/le-grand-atelier-du-dimanche-19-mai-2024-5658895

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/lola-lafon-dresse-un-etat-de-nos-vies-8642028

 

Anatomie de l’Affiche Rouge – Annette Wieviorka – SeuilLibelle

ENTRE HISTOIRE ET MYTHE

incipit 

« Le  février Missak Manouchian entre au Panthéon, avec son épouse Mélinée. L’histoire mérite d’être connue et reconnue. Missak, le militant, le résistant est une figure digne d’être honorée. Mais je suis saisie par un double sentiment, celui d’une injustice à l’égard des  autres résistants étrangers fusillés en même temps que lui par les nazis et d’Olga Bancic guillotinée ; celui d’un malaise devant un récit historique qui distord les faits pour construire une légende »

Ce court essai (46 pages) est une leçon d’histoire, rigoureuse.

La légende de l’Affiche Rouge a été construite à plusieurs reprises.

Par les nazis d’abord, qui ne firent pas figurer tous les résistants mais surtout les juifs, ce qui correspondait à la propagande de l’époque. Choisir parmi les résistants du FTP-MOI ceux qui étaient juifs quitte à qualifier Celestino Alfonso de « juif espagnol »de « ne pas mettre sur l’affiche » le français Rouxel. Attribuer un nombre fantaisiste d’attentat à chacun. Les mettre en scène….Sur les 23 condamnés seuls dix figurent sur l’affiche, 7 juifs sur les dix présents alors qu’ils étaient douze sur les vingt trois fusillés…

Tous étaient FTP-MOI . Missak Manouchian ne remplaça Boris Holban qu’en aout 1943. Officiellement, le « groupe Manouchian » n’a jamais existé sous ce nom, affirme l’auteur….

Annette Wieviorka étudie dans le détail les personnalités de ces combattants du FTP-MOI, loin de la légende ou de la propagande sans éluder la trahison .

Légende de l’Affiche Rouge entretenue par le poème d’Aragon publié dans l’Humanité en 1955 dont elle livre une première version. . En 1959 Léo Ferré le met en musique, reprise par de nombreux artistes jusqu’aux rappeurs  et Feu Chatterton.

Légende portée au cinéma  ici encore des libertés sont prises par rapport à l’histoire.

La panthéonisation a privilégié la légende à la vérité historique, privilégié deux héros à la reconnaissance du collectif

« Le « groupe » est donc devenu un couple, plutôt glamour, les « étrangers » les seuls Arméniens ; les Italiens, Espagnols, Juifs de toutes nationalités et les Français, compagnons de ce combat solidaire, passent au mieux au second plan, deviennent invisibles ou noyés dans la vaste catégorie des « étrangers » privés de noms. »

Saine lecture en temps de « réécritures de l’histoire » et de « vérités alternatives »

Eleftheria – Murielle Szac

LIRE POUR LA GRECE (CRETE)

les ruelles de la Chanée

Le titre seul m’aurait attirée : Eleftheria, liberté en Grec, qui résonne particulièrement en Crète quand je pense à Kazantzakis, La Liberté ou la mort.

Avec mes écouteurs dans les oreilles, en forêt, j’ai écouté Murielle Szac sur un podcast de Talmudiques dédié à Rosh Hachana. C’est par une  coutume crétoise de Roch Hachana : Tashlikh que s’ouvre le roman, avec les bougies sur de petits radeaux « Armée de lucioles surgie de la mer ». Jolie occasion pour faire la connaissance de Rebecca, de Judith Levi, du rabbin Elias et de la communauté juive de Chania vivant dans l’ancien ghetto vénitien de Evraïki.  Jeunes filles juives, et leurs camarades grecques avides de liberté qui n’acceptent pas la place qui leur est assignée :

« Comment choisir sans entrave sa vie quand tout vous désigne, vous assigne à une place ? Que peut décider de son destin une jeune Crétoise, comme elle, juive et pauvre, alors que les nuages noirs de la guerre se massent au-dessus de sa tête ? La flammèche coule soudain. Rien, pourtant, ne semble troubler la joie, les rires…« 

Le roman débute en  octobre 1940, à la veille du Ochi, le Non opposé à Mussolini par Metaxas qui et aussi le début de l’intervention nazie en Crète et qui se terminera en Mai 1944 par l’anéantissement de la communauté juive crétoise. 

Roman choral rassemble de nombreux personnages, le plus souvent très jeunes : jeunes filles juives, ou pas. Jeunes grecs, marins ou villageois attirés par les filles, certains s’engagent dans la résistance et prennent le maquis, d’autres pas collaborent avec l’occupant nazis. Histoire aussi de Petros, le photographe qui documente les massacres, fait des portraits, le témoin. Luigi, italien, des troupes d’occupation qui ne se soumettent pas aux Allemands éprouve plus de sympathie pour les Crétois. On croise même Patrick Leigh Fermor dans son rôle d’espion britannique (je connaissais ce rôle de mon écrivain-voyageur préféré). 

Et la Liberté? Elefthéria. Bien sûr dans la Résistance contre l’occupant, mais aussi la liberté d’aimer en dehors de sa communauté. La liberté de faire de la musique. De très belles évocations d’un Premier Mai fêté malgré l’occupant nazi dans un village rappelant le poème de Yannis Ritsos.

« Yannis Ritsos. L’enseignant traduisait en italien les poèmes qu’il trouvait et les faisait apprendre par cœur à ses élèves. Un jour de mai tu m’as abandonné… Ce cri de la mère d’un jeune ouvrier tué par la police au cours
d’une manifestation du 1er mai à Thessalonique, ce cri déchirant devenu un poème encore plus déchirant… Un
jour de mai je t’ai perdu… Ce texte, Epitaphios, avait bouleversé le jeune étudiant. Sans toi j’ai perdu le feu et la lumière, j’ai tout perdu… Luigi, est-ce donc si loin de toi ? »

Les histoires s’entremêlent. Grecs et juives vont s’aimer, se séduire, se marier ou se quitter et se retrouver  sur le Tanaïs pour la tragédie finale.

mon Dieu, je vous en conjure, changez les cieux Et alignez toutes les étoiles pour dessiner la forme de la Crète.Aussitôt un autre poursuit : Un printemps sans mois de mai j’aurais pu l’imaginer Mais jamais, au grand jamais,que mes amis trahiraient. Un troisième enchaîne : Il y en a qui sont pris de vertige en haut de la falaise Etd’autres qui, au bord du vide, dansent le pentozali.

Un véritable coup de cœur pour ce roman!

Et encore une fois merci à Claudialucia de m’avoir fait connaître ce livre!

Le Château des Rentiers – Agnès Desarthe

RENTREE LITTERAIRE 2023

Cité sur plusieurs blogs, Keisha, écouté l’auteure à la radio, c’était une occasion de faire connaissance avec Agnès Desarthe dont je n’avais rien lu. 

« Avaient-ils compris que la vieillesse est plus âpre quand elle est solitaire ? Avaient-ils anticipé, avaient-ils prévu qu’il serait beaucoup plus facile de se retrouver pour jouer aux cartes et échanger des recettes de cuisine quand on n’a qu’un couloir à traverser, un ou deux étages à descendre, à monter, grâce aux nombreux ascenseurs ? »

 

Le sujet me plaisait : faire une maison commune pour partager la vieillesse entre amis, une sorte de phalanstère, un béguinage, ou un kibboutz, alternative à la vieillesse solitaire ou pire à l’Éhpad. D’ailleurs, cela existe déjà : les Babayaga de Montreuil ont réalisé cette initiative depuis un moment.

Le contexte me plaisait bien aussi : ces juifs russes avec leur accent yiddish  à la Popeck, je les entends parler, ce sont les parents des copains de l’Hashomer hatzaïr, nostalgie!

A regarder mes grands-parents et leurs amis, on ne craignait pas de devenir vieux. Car vieux ne signifiait pas« bientôt mort ». Vieux signifiait « encore là ».

[…]
Ils avaient survécu. Ils sur-vivaient et conjuguaient ce verbe au pied de la lettre : vivant supérieurement, et
discrètement aussi, à la façon des superhéros, dont les superpouvoirs sont enivrants et doivent demeurer secrets.

De courts chapitres, un roman choral où se mêlent les voix de plusieurs générations, et des souvenirs personnels qu’elle égrène. réflexions sur la vieillesse, mais pas que, sur l’écriture, témoignage impossible ou fiction imagination.

Entreprise sympathique que cette anticipation de la vieillesse, non pas celle des survivants mais des boomers. Sauront-ils aussi bien vieillir ensemble?

« Je me dis que notre génération a vécu dans un confort tel que la vieillesse a cessé d’être un privilège – le privilège de ceux qui s’en sont sortis, qui ont échappé à la mort, dont la santé a permis qu’ils résistent à diverses
épidémies. La vieillesse, pour nous, n’est que déchéance. Notre génération a tout à perdre en vieillissant. J’ai
peur que mon phalanstère ne voie jamais le jour. »

 

Une lecture agréable dont j’attendais sans doute trop pour que ce soit un coup de cœur.

 

 

Le Dernier des Justes – André Schwarz-Bart –

HOLOCAUSTE

Chagall – Exode

A la suite de Nous n’avons pas vu passer les jours – de Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel, j’ai voulu retourner  au Dernier des Justes qui a valu à Schwarz-Bart le Prix Goncourt 1959. Lire  après 64 ans et une série de témoignages, essais et romans sur l’Holocauste. 

« Sommes-nous des Justes pour vivre avec le couteau devant les yeux ? Savez-vous quoi, cher monsieur
Grynspan, parlons plutôt de quelque chose de gai : quoi de neuf sur la guerre ? »

Le terme de Juste parmi les nations est usité aujourd’hui

Cette appellation désigne les non-Juifs qui ont risqué leur vie pour soustraire des Juifs aux persécutions des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

pour Schwarz-Bart , »Justes » est employé dans une autre acception : celle de la tradition talmudique des lamed vaf ou les 36 Justes cachés (Tzadikim nitzarim) dont l’existence garantit la survie du monde.

« l’antique tradition juive des Lamedwaf que certains talmudistes font remonter à la source des siècles, aux temps  mystérieux du prophète Isaïe. Des fleuves de sang ont coulé, des colonnes de fumée ont obscurci le ciel ; mais  franchissant tous ces abîmes, la tradition s’est maintenue intacte, jusqu’à nos jours. Selon elle, le monde  reposerait sur trente-six Justes, les Lamed-waf que rien ne distingue des simples mortels ; souvent, ils s’ignorent  eux-mêmes. Mais s’il venait à en manquer un seul, la souffrance des hommes empoisonnerait jusqu’à l’âme des  petits enfants, et l’humanité étoufferait dans un cri. « 

C’est une longue histoire qui commence en Angleterre, dans la ville de York le 11 mars 1185 quand le vieux rabbin Yom Tov Levy poignarda ses coreligionnaires assiégés dans une tour, plutôt que de se rendre. A chaque génération, un descendant de Yom Tov Levy poursuivit cette tradition : Salomon Levy, en 1240 à Troye fut brûlé sur le bûcher, son fils Manassé retourna en Angleterre poignardé… après l’expulsion des Juifs d’Angleterre, la famille Levy gagna le Portugal, puis Toulouse … En Espagne Matatias mourut sur le bûcher. Longue série d’expulsions, persécutions, avec la fin tragique d’un Lamed vav à chaque génération. Histoire des Juifs à travers l’Europe, histoire d’exils, de pogroms…Par la Bohème, la Pologne, la Russie, la dynastie des Levy maintient la tradition.

On les retrouve à Zémyock,  dans le Schtetl, nombreux, respectés

« les juifs de Zémyock s’obstinaient à croire que le temps des hommes s’était arrêté au Sinaï : ils vivaient non sans grâce le temps de Dieu, qui ne s’écoule en aucun sablier »

Vers la fin du XIX siècle, il fut question de Palestine, d’Amérique. L’auteur s’attache à une branche de la famille : Mardochée, le colporteur et sa femme Judith et leurs enfants voient leur univers bouleversé en 1915 quand les Juifs prirent l’uniforme des armées belligérantes

« les Juifs se tuent entre eux! Malédiction! »

Après la guerre, la révolution, l’Ukraine à feu et à sang, les Cosaques déferlent sur Zemiock.

Nouvel exil, Benjamin choisit l’Allemagne et fait venir ses parents Judith et Mardochée à Stillenstadt où naitront ses enfants, et parmi eux, Ernie, le dernier des Justes, qui voit monter l’antisémitisme et le pouvoir hitlérien. Fuite in-extremis en France.

Ernie aurait pu s’en sortir. Engagé dans l’armée française, il débarque en zone libre. Il préfère rejoindre ses parents à Paris, se fait admettre à Drancy pour suivre son amoureuse. Le Dernier des Justes sera gazé dès son arrivée à Auschwitz.

Fin de la légende? Fin d’un monde?

 

 

Nous n’avons pas vu passer les jours – Simone Schwartz-Bart et Yann Plougastel – Grasset

« L’histoire démarre donc de cette façon : Il était une fois une Noire farouche et un petit Juif solitaire, qui vécurent longtemps ensemble, eurent deux garçons et écrivirent une demi-douzaine de romans, sans voir le temps passer… » YANN

C’est l’histoire d’un couple d’écrivains qui ont su conjuguer leurs souvenirs, leurs talents pour bâtir une œuvre singulière. André Schwartz-Bart, survivant de l’Holocauste, résistant tout juste adolescent, lauréat du Prix Goncourt 1959 pour Le Dernier des Justes auteur de La Mulâtresse Solitude.

Simone Schwartz-Bart, Guadeloupéenne, riche de toute la tradition familiale, des contes de sa Grand-Mère, a rencontré l’écrivain toute jeune étudiante, à la veille du Goncourt. C’est une belle histoire d’amour. Histoire d’écriture aussi : elle co-signe Un plat de porc aux bananes vertes avec son mari puis construit une œuvre à part entière avec Pluie et vent sur Télumée Miracle et Ti-Jean L’Horizon que j’ai lu avant de partir pour la Guadeloupe. 

André et Simone Schwartz-Bart fréquentaient de nombreux écrivains, poètes, militants, anciens résistants à Paris que j’ai eu plaisir à retrouver. Ils ont aussi beaucoup voyagé : à Lausanne, Dakar, en Guadeloupe. Chez eux, ils ont ont des tableaux d’origines diverses. Une vie bien remplie!

Ce livre vient de la rencontre de Yann Plougastel avec Simone Schwartz-Bart qui a retrouvé des notes, manuscrits papiers qu’a laissé André après son décès. De belles citations proviennent de ces écrits. Elle dresse un portrait très émouvant de son mari. 

Cependant leur vie ne fut pas toujours facile. De nombreuses déconvenues et scandale ont suivi les publications : dès l’obtention du Goncourt, jalousies d’éditeurs qui voyaient couronner un auteur plus chevronné. Plus tard, il ne fut pas toujours compris :  certains juifs voyaient avec déplaisir un écrivain juif sortir Un plat de porc avec des bananes vertes. Inversement  certains Antillais voulaient attribuer la biographie de l’icone Solitude à Simone plutôt qu’à André. On comprend ces difficultés à la lumière des revendications identitaires actuelles. Serait-ce possible aujourd’hui?

 

« Il ne faut jamais oublier que la douleur juive provient de l’exil et de l’esclavage en Égypte. Nous avions cela en
commun, lui et moi, l’exil et l’esclavage. »

et je me disais : voilà des gens qui me ressemblent, car je viens du pays de la souffrance. Oui, je pense vraiment
que la souffrance est peut-être le secret le mieux gardé des humains, parce que le mieux partagé. « Les peuples
nés de l’esclavage et de l’exil n’oublient pas la souffrance, même quand ils l’oublient. »

Blessé, André a cessé de publier, pas d’écrire, il ne faisait que cela, mais il détruisait ses notes. Simone a diversifié ses activités, organisant une maison d’hôtes dans la maison familiale. 

J’ai beaucoup aimé ce livre que je n’arrivais pas à quitter, admirative pour l’ouverture d’esprit de ces deux écrivains, universalisme de la souffrance, holocauste ou esclavage et colonisation. Mémoire de l’humanité sans exclusive.

Grandeur nature – Erri de Luca

LITTERATURE ITALIENNE

Quand revient le mois de mai, revient le Mois de la littérature italienne/ Il Viaggio initié par Eimelle d’abord, puis administré par Martine, il a changé récemment de nom pour intégrer la cuisine et la culture italienne. J’attends chaque année ce rendez-vous qui est aussi celui de mes auteurs italiens préférés. Chaque année je lis un livre (ou plus) de Camilleri, d‘Erri de Luca, et j’en découvre d’autres sur les conseils des blogueuses.eurs. 

J’ai découvert Erri de Luca avec Montedidio qui m’a incité à partir illico pour Naples, j’ai fait confiance à l’auteur et ai rarement été déçue quoique ses romans napolitains sont mes préférés. Impossible et les textes écrits pendant le confinement Le Samedi de la Terre ont aussi trouvé un écho militant et écologique qui m’ont parlé. Récemment j’ai écouté sa voix dans des podcasts de Radio France : L’Heure Bleue. 

Grandeur nature est un recueil d’une vingtaine de nouvelles et textes courts  souvent autobiographiques, sur le thème du rapport père-fils. Erri de Luca même septuagénaire, se considère toujours un fils puisque qu’il n’a jamais eu d’enfant. 

Chagall – Portrait du Père

Le texte GRANDEUR NATURE s’ouvre sur le portrait du père de Chagall avec l’émancipation du fils qui s’exile, de sa ville et de sa langue, le yiddisch, mais il se mêle au texte biblique du sacrifice d’Abraham et de l’obéissance d’Isaac qui se laisse lier, attacher pour le sacrifice . Obéissance insensée.

N’existe-t-il pas de légitime défense contre son père, n’existe-t-il pas un droit de rébellion ? Est-ce bien moi qui ai écrit cette phrase, démenti de moi-même, des jeunes d’une génération qui s’est insurgée contre les pères ?

Je n’arrive pas à adhérer aux références au textes sacrés et surtout à l’hébreu bibliques. Pourquoi donc traduire lecaved en « donner du poids » et non pas en « honorer »? Quand on félicite quelqu’un « col hacavod » c’est un honneur et  non pas une charge! peut être mon hébreu moderne parasite la lecture religieuse. La recherche du sacré dans les textes m’est totalement étrangère et même m’agace un peu. Ironie de cette référence quand je lis plus avant dans le livre le chapitre sur Mai 68

Un court texte intitulé Note rappelle que Marc Chagall  et Stravinsky étaient détenteurs d’un passeport Nansen 

« Un apatride est quelqu’un qui perd sa nationalité par privation d’État. En Italie, les lois raciales de 1938 la retirèrent aux personnes d’origine juive.
Nansen reçut le prix Nobel de la paix en 1922 pour le passeport qu’il avait voulu et réalisé. »

Utile rappel dans l’Italie de Meloni!

Dans Notion d’Economie, Erri de Luca raconte son enfance, son éducation, les rapports à l’argent que lui ont transmis ses parents. 

le texte suivant raconte les enfants misérables de Naples. Erri de Luca n’est jamais meilleurs que quand il raconte sa ville.

le Tort du Soldat est une histoire plus longue, tirée d’une version théâtrale ancienne. la culpabilité peut-elle se transmettre à travers les générations? La fille doit-elle porter le lourd héritage du père (alors qu’on lui a caché le tort?). Ici aussi, j’ai calé aux références de la kabbale. Décidément je suis anticléricale totale! le nazi se penchant sur la kabbale, très tordu! 

MERCI est une histoire sur la relation mère/fille que j’ai bien aimé.

UNE EXPRESSION ARTISTIQUE  illustré par un pavé lancé : Qui chute Anvidalfarei  

1968 fut l’année académique du pavé extrait de sa base et projeté en l’air.

nous étions nombreux, enfants de l’après-guerre, de l’élan d’un peuple à se reproduire après les décimations. Nous étions aussi la première génération cultivée en masse. Les deux vertus réunies étaient incendiaires.

Continuons le combat ». De là aussi le nom de l’organisation révolutionnaire italienne qui a suivi : Lotta Continua

Expression artistique : il cite les artistes qui ont donné des oeuvres pour la lutte :

Beuys, Boetti, Castellani, Kounellis, Matta, Schifano.

et il termine :

On me demande parfois ce qu’il en a été de ce temps-là, ce qu’il a laissé. Je réponds : le vide, celui du trou des
parasols retirés à la fin de l’été, profond, même beau à voir, avant que le sable le recouvre sans laisser de trace.

Erri de Luca ancien militant soixante-huitard m’intéresse décidément plus que l’exégèste de la Bible. Et Impossible m’a plus accrochée. 

 

Struma 72 jours de drame pour 769 juifs au large d’Istanbul – Halit Kakinç – Turquoise

HOLOCAUSTE

MASSE CRITIQUE de Babélio

Un roman historique ou un « tombeau«  pour les 769 Juifs morts noyés le 24 février 1942 sur le Struma, épave transportant des Juifs roumains fuyant les persécutions en Roumanie qui devait les conduire de Constança en Palestine. Véritable épave flottante, au moteur en panne rafistolé, le Struma  est arrivé à rallier Istanbul où on lui a imposé une quarantaine. La Turquie – en principe neutre – a refusé le débarquement aux passagers sous les injonctions des Britannique, des Allemands et a laissé pourrir la situation pour enfin remorquer le navire en Mer Noire où il a été torpillé par la marine soviétique. 

Roman, parce que l’auteur, Halit Kakinç, journaliste et écrivain, a essayé de faire « revivre » un certain nombre de personnages. Roman historique écrit après de nombreuses recherches , préfacé par Esther Benbassa, historienne et directrice d’études à la Sorbonne, sénatrice EELV. 

Ce livre est de lecture facile et instructive fait revivre ces épisodes tragiques récurrents comme l’odyssée du Saint Louis (1939) qui a quitté Hambourg pour rejoindre La Havane contraint de retourner en Allemagne, celui du Patria coulé à Haïfa en 1940, Exodus (1947), et tant d’autres moins fameux, peut être…

«  Ce roman historique nous rappelle avec pudeur et dignité le sort des réfugiés en 1941. D’autres aujourd’hui, perdent la vie en route, sombrant avec leurs espoirs, sans que beaucoup s’en émeuvent vraiment »

Esther Benbassa

Je remercie les Editions Turquoise de l’envoi de ce joli livre . 

 

Le Pain perdu – Edith Bruck

LECTURE AUTOUR DE L’HOLOCAUSTE


Les livres des survivants ou survivantes de l’Holocauste révèlent des personnalités fortes et très diverses. Edith Bruck est une écrivaine originale. 

Le Pain perdu débute dans un village hongrois en 1943 . La petite fille Ditke a déjà très conscience de l’antisémitisme des villageois et des lois antisémites qui s’appliquent aussi à l’école et les brimades de la part des adultes et des enfants

« S’ils se rendaient à l’unique pompe d’eau potable, ils étaient repoussés en queue de la file d’attente et il n’était pas rare que l’on crache dans leurs seaux. Contre les Juifs, tout devenait légitime pour les villageois, et le plus petit d’entre eux se sentait puissant, en imitant les adultes. »

Le Pain perdu, c’est celui que la mère avait préparé avec la farine qu’une voisine avait offert, qui levait et qui devait être mis au four, quand les gendarmes sont venus en 1944 chercher la famille pour la déporter vers le ghetto. « le pain »,  » le pain », était la plainte de sa mère devant la catastrophe imminente.

Birkenau, Auschwitz, Landsberg, Dachau,  Bergen-Belsen…

Ditke et sa soeur Judit se soutiennent après avoir été séparées du reste de la famille

« Est-ce que c’étaient trois mois ou trois années qui étaient passés ? Chaque jour, à chaque heure, à chaque minute on mourait : l’une par sélection, une autre à l’appel, une autre de faim, une autre de maladie et une autre, comme Eva, suicidée, foudroyée par le courant du fil barbelé, restant longtemps accrochée comme le Christ en croix. Son image s’est imprimée en moi et en Judit, »

Quand la guerre se termine « une nouvelle vie » s’ouvre aux deux soeurs qui recherchent d’abord les survivants de leur famille à Budapest : Sara et Mirjam les soeurs ainées mariées,  David leur frère. Elles retournent au village où elles trouvent leur maison pillée et l’hostilité des voisins.

Judit persuade Ditke à la suivre en Palestine qui était le rêve de leur mère. Edith a une autre vocation : elle veut écrire. Elle pressent que la discipline qu’on exigera d’elle lui pèsera. Elle ne supportera pas « les dortoirs »

Pour suivre sa sœur et son frère Ditke essaye de s’installer à Haïfa, se trouve un mari, marin, un travail, rêve un moment d’une maison, et même d’un bébé. Fiasco, son mari est violent ; elle divorce.

« Fais ce que tu veux, de toute façon tu n’écoutes personne ! Attends, dès que tu auras dix-huit ans, tu pourras devenir une très jolie soldate et tu apprendras même la langue. — Je ne prendrai jamais une arme en main. — Tu préférerais te faire tuer ? — Je crois que oui. Je préfère avoir eu un père martyr plutôt qu’un père assassin. — Moi, par amour d’Israël, j’aurais été militaire. — Je sais. Pas moi. Les guerres entraînent des guerres. Moi, je désarmerais le monde entier. — Rêve donc tes rêves. Mais le réveil sera rude. — J’ai déjà vécu ce réveil »

 

Pour fuir le service militaire, elle se remarie, avec Bruck qui lui donnera son  nom d’écrivaine. Mariage blanc, elle s’enfuit devient danseuse à Athènes. D’Athènes à Istanbul, à Zurich suivant sa troupe , et enfin Naples et Rome

Pour la première fois, je me suis trouvée bien tout de suite, après mon long et triste pèlerinage. “Voilà, me disais-je, c’est mon pays.” Le mot “patrie”, je ne l’ai jamais prononcé : au nom de la patrie, les peuples commettent toutes sortes d’infamie. J’abolirais le mot “patrie”, comme tant d’autres mots et expressions : “mon”, “tais-toi”, “obéir”, “la loi est la même pour tous”, “nationalisme”, “racisme”, “guerre” et presque aussi le mot “amour”, privé de toute substance. Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle.

C’est donc en Italien qu’elle écrira comme elle l’avait toujours désiré. Coiffeuse des acteurs et actrices du cinéma italien, des critiques littéraires  des cinéastes, se marie avec le cinéaste Nisi. Toujours antifasciste, elle écrit :

« En fille adoptive de l’Italie, qui m’a donné beaucoup plus que le pain quotidien, et je ne peux que lui en être
reconnaissante, je suis aujourd’hui profondément troublée pour mon pays et pour l’Europe, où souffle un vent pollué par de nouveaux fascismes, racismes, nationalismes, antisémitismes, que je ressens doublement : des plantes vénéneuses qui n’ont jamais été éradiquées et où poussent de nouvelles branches, des feuilles que le peuple dupé mange, en écoutant les voix qui hurlent en son nom, affamé qu’il est d’identité forte, revendiquée à et à cri, italianité pure, blanche… Quelle tristesse, quel danger ! »

Une leçon de vie!

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