
James, c’est Jim, le compagnon de cavale de Huckleberry Finn, le narrateur du roman de Percival Everett. Il raconte leur périple sur le Mississipi. Esclave de Miss Watson, la bienfaitrice de Huck, il apprend qu’il doit être vendu à un planteur et donc séparé de son épouse et de sa fille et décide de s’enfuir vers les Etats du nord où il n’y a pas d’esclavage afin d’y gagner de quoi racheter la liberté de sa famille. Jim et Huck vont se rencontrer sur l’Ile Jackson, aménager un radeau et se laisser porter par le courant. Mark Twain, dans Huckleberry Finn raconte leur aventure et Everett ne s’éloigne pas du récit mais il ne s’attarde pas aux périls de la navigation. En effet, le point de vue de Huck et de Jim sont bien différents. Qui se soucie d’un gamin de douze ans, sans famille, petit vagabond assez aimable pour qu’on lui laisse un dollar, qu’on l’invite à dîner ? Jim est esclave en fuite, une prime importante sur sa tête pour qui le dénoncera. Personne ne prend au sérieux la version de Huck qui serait le maître de Jim. La couleur de sa peau désigne l’esclave dans les Etats du Sud. Le sujet du livre d’Everett n’est pas un roman d’aventures mais la dénonciation du racisme et de l’esclavage.
« ce serait perdre mon temps que de vouloir discuter avec Jim. On ne peut pas apprendre à un
nègre à raisonner. » pense Huck dans le roman de Mark Twain
Percival Everett prend à contrepied les clichés racistes qui dépeignent les Noirs comme naïfs, ignorants et crédules. Jim est instruit, même lettré. Dans la bibliothèque du Juge Thatcher, il a lu les philosophes, Voltaire et Locke. Ces deux derniers lui parlent dans ses rêves. Dans leurs naufrages du canoë ou submersion du canoë, il ne sauve que les livres qu’il fait soigneusement sécher. En plus de ses livres Jim possède deux trésors : un morceau de verre qui fait loupe pour allumer le feu et un crayon, très chèrement acquis.
Je m’étais introduit clandestinement dans la bibliothèque, je m’étais demandé ce que les Blancs feraient àun esclave qui avait appris à lire. Que feraient-ils à un esclave qui avait appris aux autres esclaves à lire ?
Jim sait aussi décoder les langues : l’anglais logique et correct des maîtres et des livres et le langage appauvri des esclaves. Il a même enseigné comme une langue étrangère ce parler-esclave aux enfants.
Essaie avec “sû’ que”, dis-je. Ce serait la version correcte de la grammaire incorrecte. – Ce pain de maïs,
sû’ que jamais j’ai mangé un aussi bon
Jim a une passion : l’écriture. Il veut témoigner par écrit de la condition des esclaves. Se procurer du papier, un crayon voler un carnet répondent à cette nécessité d’écriture.
Jim a aussi une très belle voix de ténor. Au hasard de leurs pérégrinations, il est acheté/embauché dans un orchestre de musiciens qui se produit en blackface. Episode grotesque qui serait risible s’il n’était pas tragique.
Aide-moi à comprendre, dis-je à Norman. Je dois avoir l’air d’un Noir authentique, mais il me faut du maquillage. – Ce n’est pas exactement ça. Tu es noir, mais on ne te laissera pas entrer dans l’auditorium
si ça se sait. Donc il faut que tu sois blanc sous le maquillage pour que tu puisses avoir l’air noir aux yeux
du public.
[…]
Jamais situation ne m’avait paru si absurde, surréaliste et ridicule. Et j’avais passé ma vie en esclavage.
Voilà que, tous les douze, nous descendions d’un pas martial la rue principale qui séparait la partie libre
de la ville de la partie esclavagiste, dix Blancs en blackface, un Noir se faisant passer pour blanc et grimé
de noir, et moi, un Noir à la peau claire grimé de noir de façon à donner l’impression d’être un Blanc
essayant de se faire passer pour noir.
Cet épisode de blackface fait aussi apparaître tout un camaïeu de nuances, le métis blanc de peau qui se veut noir, mais qui grâce à sa peau claire pourra passer pour un blanc et pour le maître …le chef d’orchestre antiesclavagiste déclaré qui achète Jim en insistant bien qu’il « l’embauche » amis qui ne le laissera plus partir…l’esclave qui se contente de sa servitude, celui qui fuit. La situation simpliste enfant blanc/esclave noir se complique encore quand une relation père/fils s’ébauche. Et Jim devient James . Il se découvre même un patronyme Faber, la marque du crayon.
Même si l’auteur respecte le canevas du livre de Mark Twain qui l’a inspiré, il a créé une œuvre originale plus complexe qu’on ne l’imagine d’entrée. Réécriture très réussie.




















