Hamlet le long du mur – Isabella Hammad – Gallimard

PALESTINE

Enter Ghost : le titre en VO, plus shakespearien que VF

Le Théâtre comme Résistance,  cérémonie politique, catharsis. C’est la vocation première du théâtre antique. Thème du Quatrième Mur de Sorj Chalandon où une troupe multicommunautaire répétait Antigone dans Beyrouth en guerre. Souvenir ancien d’une Antigone de Sophocle jouée par le Théâtre National Palestinien CLIC 

En ce lendemain de Reconnaissance de la Palestine par la France, par delà les débats stratégiques, diplomatiques, je suis avide de connaître les Palestiniens, côté culture, ou vie quotidienne. En passant, citons les Chroniques de Haïfa, film de Scandar Copti CLIC en salles actuellement. 

Isabella Hammad est une écrivaine Anglo-Palestinienne de langue anglaise. Elle maîtrise donc la pièce de Shakespeare qui est la trame du roman. Comme je ne suis pas familière du théâtre élisabéthain, j’ai dû télécharger le texte de la pièce pour m’y retrouver dans les personnages et la progression des actes et des scènes. 

« Tu veux dire que Hamlet est un martyr comme un martyr palestinien ?

waël : (Il hausse les épaules.) C’est ça.

mariam : OK. On en discute un peu.

waël  : Moi je dis ça dans l’idée d’Ibrahim.

mariam : Rien de ce que vous avez dit n’est faux. C’est même très intéressant, je trouve.

ibrahim :  Quelle vision optimiste de la libération nationale ! Tout le monde meurt à la fin.[…] Il libère quelle nation, Hamlet ? Pause. george : Le Danemark, non ? majed  : Mais tu es sûr que tuer Claudius libère le Danemark ? Est-ce que tuer Claudius ne donne pas le Danemark à Fortinbras, au contraire ?

mariam :  Alors…

majed : Et puis est-ce que le Danemark est la Palestine ? Ou bien Israël ? Ce temps « désarticulé », ce qui est pourri dans l’État, l’État d’Israël ? Je ne fais pas d’ironie, hein, ce sont de vraies questions. « 

Sonia Nasir, comme l’autrice, est Anglo-Palestinienne. Elle débarque à Haïfa munie d’un passeport britannique pour passer des vacances chez sa sœur, une universitaire. Elle est actrice, en attente du rôle de Gertrude dans Hamlet que doit monter Harold, son amant. Elle renoue avec sa famille, entre Haïfa dont elle est originaire et Ramallah. Le roman va se dérouler en Israël, Cisjordanie et Jérusalem. Isabella Hammad a commencé le roman en 2017  avec la fermeture de l’Esplanade des Mosquées et les évènements qui en ont découlé. Période de tension mais pas de guerre ouverte comme maintenant. La circulation entre ces différentes zones n’est pas impossible surtout avec les passeports britanniques ou israéliens, mais les checkpoints la compliquent sérieusement. 

Sonia fait la connaissance d’une metteuse en scène, Mariam, qui monte Hamlet en Cisjordanie. Sa troupe est presque complète mais il lui manque Ophélie et Gertrude. Mariam propose à Sonia de les dépanner pendant la première lecture en lisant les rôles des actrices manquantes. 

Le roman raconte le montage de la pièce, les répétitions. Tout le travail est décrit avec les tensions dans la troupe, jalousies, origines sociales différentes. Trouver des financements n’est pas évident, surtout dans cette période de tension. Les différents exercices préliminaires sont particulièrement intéressants. De même que les interprétations de la pièce.

« Je n’en peux plus, de ces symboles. Les clefs, les keffiehs, c’est vrai, quoi, c’est tout ce qu’on a ? Des
oliviers ? On n’a vraiment rien d’autre ? » Sa réaction me paraissait si outrée que j’allais lui demander si
elle allait bien, mais je me suis entendue lui dire : « Ah, allez, tu peux pas dire ça. C’est notre héritage.

On n’a qu’à mettre une ceinture d’explosifs à Ophélie, et ce sera parfait. »

Sonia est venue retrouver sa sœur, sa famille, ses origines. Ces retrouvailles avec ses racines sont parfois difficiles. Une histoire tragique. Des secrets qu’elle découvre.. Des souvenirs d’enfance qui surgissent. Roman très sensible.

« Je suis allée jusqu’à la maison. Je suis allée voir qui y habitait. » Je lui ai laissé le temps de répondre, mais il
n’a rien dit. « C’était un Juif, avec sa famille. Il n’a pas aimé nous voir traîner devant. — Tu lui as dit qui
tu étais ? — Bien sûr. — Très bien. » Il a émis un claquement de langue, et ri dans un souffle. « Il a eu peur
de toi. Tu es un spectre, pour lui. — C’est moi, le fantôme ? — Nous les hantons. Ils veulent nous tuer
mais nous refusons de mourir. Même aujourd’hui, alors que nous avons presque tout perdu.

Ce n’est pas une lecture facile par manque de références.  Une fois que j’ai téléchargé et relu Hamlet, et identifié les rôles et les différents acteurs (certains jouent plusieurs rôles) je me suis laissée entrainer dans le cours de ce roman touffu et je ne l’ai plus lâché. Lecture addictive. Et j’ai bien aimé!

 

Lire David Copperfield – Charles Dickens après Demon Copperhead de Barbara Kingsolver

UN CLASSIQUE  DE LA LITTERATURE ANGLAISE 

Je viens de terminer On m’appelle Demon Copperhead de Barbara Kingsolver avec grand bonheur mais un certain regret : je n’avais pas lu David Copperfield . Le podcast de France culture : Barbara Kingsolver , écrivaine : » Je voulais parler de ce nulle part que sont les Appalaches » CLIC raconte que l’écrivaine a eu l’inspiration dans la maison de Charles Dickens qu’elle a visitée, elle s’est assise au bureau du célèbre écrivain …

Il était  urgent de télécharger David Copperfield .  On se rend toute suite compte de l’épaisseur d’un livre, d’un fichier numérique, non .  David Copperfield peut figurer dans le Pavé de l’été et même dans les Epais (+ de 700 pages) .11 jours de lecture et pourtant je suis immobilisée par une sciatique! Lecture au long cours. 

Je n’ai pas l’ambition de faire une critique de ce classique de la littérature anglaise. J’ai commencé cette lecture-miroir David Copperfield/Demon Copperhead comme un jeu, en cherchant les clins d’œil de Kingsolver à Dickens, jeu des ressemblances et des différences. Les deux héros  n’ont jamais connu leur père et perdent leur mère très jeunes, les deux tombent aux mains de beaux-pères violents et autoritaires, battus, ils le mordent puis sont placés dans des institutions cruelles : David en pension, et Demon en famille d’accueil. 

« prenez garde, il mord »

« je vous demande bien pardon, monsieur, je cherche le chien?

-Le chien! dit-il quel chien?

Non, Copperfield, dit-il gravement, ce n’est pas un chien. C’est un petit garçon. J’ai pour instruction,
Copperfield, de vous attacher cet écriteau derrière le dos. Je suis fâché d’avoir à commencer par là avec
vous, mais il le faut. »

Les deux histoires racontent le lamentable calvaire de ces enfants maltraités puis utilisés comme des esclaves, forcés de gagner leur vie très jeunes. Tous les deux y croiseront les personnages secondaires qui vont jouer un rôle dans chacun des romans Steerforth, fils de bonne famille, doué et insolent, Fast-Forward, le champion, qui seront les protecteurs des enfants mais aussi leur « mauvais ange », dans les deux livres Tommy ou Thomas Traddles seront des copains fidèles…Les secourables voisins de Demon seront la famille Peggot tandis que Peggotty, la fidèle servante leur a sûrement prêté les noms. Il y aura dans les deux livres une Emmy, amie d’enfance, qui tournera mal. Les analogies sont nombreuses et je ne les relèverai pas toute. Les deux jeunes vont s’enfuir, vivre des expériences éprouvantes avant de retrouver leur tante qui deviendra leur bienfaitrice…

Si Barbara Kingsolver a calqué le canevas initial du déroulement du roman d’apprentissage, elle a placé l’action dans un milieu bien précis dans les Appalaches du XXIème siècle, tandis que le roman victorien se situe à Londres, Douvres, Cantorbery dans l’Angleterre victorienne  de la Révolution Industrielle. Chacun de ces livres s’ancre dans cette réalité sociale ou dans la géographie spécifique. Les cours de justice, les offices notariaux londoniens nous renvoient plus à Balzac avec la satire des procédures, des actes calligraphiés, grouillots ou procureurs…

Ma « lecture-miroir » m’a fait anticiper les drames à venir. Moins surprise par les évènements, j’ai été plus attentive aux détails. Au milieu du livre, je me suis laissée embarquer par Dickens et j’ai complètement lâché le jeu des ressemblances pour me noyer dans le roman-fleuve avec les nombreux personnages qui vont évoluer dans le temps. David Copperfield, jeune adulte, par amour pour Dora va chercher son indépendance et découvre l’écriture. David Copperfield devenu écrivain est-il inspiré de Charles Dickens

J’ai été impressionnée par la richesse, l’abondance des personnages qui ne sont jamais secondaires, jamais ébauchés mais analysés finement, caractères, décors, langage. Leur personnalité évolue pendant les années. Certains resteront positifs tout au long du roman. Finalement David Copperfield a croisé des vrais méchants mais beaucoup de bonnes personnes. Certains sont ambivalents comme les Micawber dont le héros doit se méfier mais qui se révèlent bien meilleurs que je ne l’imaginais. Certains, énigmatiques, comme Dick. 

J’avais des idées préconçues sur la place des femmes dans la société Victorienne, j’ai  été étonnée par la variété de personnages féminins avec la femme-enfant Dora, bien agaçante pour la lectrice du XXI ème siècle, mais aussi les fortes personnalités de la tante Betsy, les mégères terrifiantes, les servantes débrouillardes et voleuses…. et bien sûr, la vierge déshonorée. 

Une lecture au long cours qui a su m’emporter!

Winston Smith (1903-1984) UNE VIE – La biographie retrouvée Guillaume Martinez/Christian Périssin -Futuropolis

ROMAN GRAPHIQUE

Emprunté à la suite de l’écoute de podcasts consacrés à George Orwell : Adapter Orwell au cinéma et en BD  tiré de la série« Avoir raison avec George Orwell ». 

Winston Smith est le nom du héros de 1984 de George Orwell. Réservé par  Internet à la médiathèque, j’ai eu la surprise trouver 4 volumes d’une soixantaine de pages retraçant la vie de Winston Smith, un écrivain britannique qui aurait étudié à Eton en même temps que Eric Blair (George Orwell) et Aldous Huxley. Dover Winston Smith a-t-il vraiment existé? j’y ai cru ! 

Dover Winston Smith, boursier à Eton, ne fait pas partie de l’élite fortunée. Dans les deux premiers tomes, la vie de cette école réputée se déroule. Préjugés de classe, humanités classique, sports…et initiation sexuelle. Intrigue amoureuse tragique. L’ombre de la Première Guerre mondiale plane sur les étudiants trop jeunes pour être mobilisés .

Le troisième volume (mars 1925-avril 1926) A chinese year raconte le voyage en chine du héros qui a dû renoncer aux études à Cambridge ou Oxford, faute de fortune personnelle. Il s’engage dans une firme britannique de Tabac commerçant en Chine. Il revient avec un reportage contant  son  expédition rocambolesque en pleine guerre civile et obtient un  succès littéraire . Il croise encore Huxley et Blair. Ce dernier, policier en Birmanie, l’invite…

C’est aussi avec Blair (Orwell) que Dover W. Smith par pour l’Espagne rejoignant les rangs du POUM . En mai 1937, ils assistent aux affrontements entre les différentes composantes du mouvement antifasciste. Après la blessure de Blair à Huesca, Smith laisse Blair à l’hôpital de Lerida aux bons soins d’Eileen. 

La série Winston Smith  est composée de 5 volumes, le dernier n’était pas dans les bacs de la médiathèque. Il me faudra revenir. 

Je ne m’attendais pas à cette traversée du début du XXème siècle. Je pensais trouver la dystopie. J’ai été prise par surprise et je n’ai pas boudé mon plaisir – graphisme très plaisant – surtout dans le tome chinois. De l’aventure et des références littéraires!

1984 – George Orwell

L’année 1984 ne m’a pas laissé de souvenirs mémorables.

2024  l’élection de Trump, la promotion à large échelle de l’IA, les partis d’extrême droite qui gagnent du terrain, les guerres périphériques,   les gesticulations d’Elon Musk et son soutien à l’AFD, induisent un climat dystopique.  L’addiction aux écrans, les caméras partout et la reconnaissance faciale, nous rapprochent de l’ambiance de 1984.

Temps de relire 1984!

LA GUERRE C’EST LA PAIX

LA LIBERTÉ C’EST L’ESCLAVAGE

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE

Tels sont les slogans en vigueur dans l’Oceania de 1984 où la pensée est niée par l’emploi de la Novlangue et de la Doublepensée. Manipulations de la vérité, fake-news, manipulations de l’histoire : 

« Si tous les autres acceptaient le mensonge imposé par le Parti – si tous les rapports racontaient la même
chose –, le mensonge passait dans l’histoire et devenait vérité. « Celui qui a le contrôle du passé, disait le
slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. »

Société de surveillance grâce aux écrans omniprésents qui diffusent les slogans et captent même les pensées.

BIG BROTHER IS WATCHING YOU

Le héros Winston Smith a pour tâche d’effacer les preuves du passé, il corrige les anciens journaux, fait disparaître les photographies. Velléités de révolte. Sa révolte se vit doublement par des relations sexuelles interdites et par l’adhésion à une Fraternité autour de Goldstein -Trotski?- Avec son amante Julia, ils tentent de se soustraire à la surveillance.

Evidemment, ils seront arrêtés pour subir un lavage de cerveau au Ministère de l’Amour. Quelle ironie!

Différentes lectures sont possibles : la manipulation de la langue, la société de surveillance, les équilibres géostratégiques entre 3 blocs qui se font une guerre sans fin, une analyse de la société en 3 classes, les prolétaires, les militants du parti extérieur comme Winston Smith et les privilégiés du Parti intérieur…Et le but final : le Pouvoir pour le Pouvoir

Le pouvoir n’est pas un moyen, il est une fin. On n’établit pas une dictature pour sauvegarder une
révolution. On fait une révolution pour établir une dictature. La persécution a pour objet la persécution.
La torture a pour objet la torture. Le pouvoir a pour objet le pouvoir. Commencez-vous maintenant à me
comprendre

 

Un livre d’actualité qui n’a pas vieilli après 7 décennies! Et une lecture passionnante.

Orwell est un auteur controversé. J’ai copié mon post sur Babélio et des commentaires  agressifs  sont arrivés. Jamais je n’en avais lus de tels. Généralement, ils sont bienveillants et anodins. Orwell, revendiqué par l’Extrême Droite, d’abord, puis par un babéliote choqué, enfin,  un troisième  me dit que je n’ai rien compris.

A l’écoute des podcasts de RadioFrance « Avoir raison avec Orwell » j’avais entendu parler de cette captation par la Droite violemment anticommuniste sans y prêter plus d’attention. 

Toute la série Avoir raison avec Orwell est passionnante. Il existe aussi une lecture de 1984 par Guillaume Galienne (France Inter, Ca peut pas faire de mal)A vos écouteurs!

L’invisible Madame Orwell – Anna Funder

Depuis l’élection de Trump et les gesticulations d’Elon Musk j‘ai l’impression de vivre en pleine dystopie. Sans parler de  l’IA, ChatGPt, et de reconnaissance faciale : Big Brother is watching me!

Retour à Orwell et à 1984!

Justement sur le blog de Kathel et   celui de Patrice deux articles élogieux m’ont donné envie de m’intéresser à L’Invisible Madame Orwell. 

Il est toujours intéressant de compléter les biographies en contextualisant l’œuvre d’un auteur dans son entourage immédiat. Les « Femmes de. » jouent souvent un grand rôle dans l’élaboration des écrits. Madame Zola m’a beaucoup intéressée, Céleste Albaret (qui n’était pas la femme mais la domestique, la gouvernante, la secrétaire...de Proust) aussi!

Eileen O’Shaughnessy épouse en 1936 Eric Blair (George Orwell est son nom de plume). Anna Funder sort de l’oubli cette femme qu’Orwell a si peu citée dans son œuvre et effacée par les biographes de l’écrivain. 

« j’avais l’impression d’être Orphée descendant aux Enfers chercher Eurydice, surtout lorsque dans l’ obscurité je tombais sur l’incarnation de mes ennemis : un féroce chien à trois têtes. Le Cerbère qui m’ empêchait de passer s’appelait Omission-Insignifiance-Consentement.

 Après avoir fait sortir Eileen de la boîte, j’avais entre les mains les éléments d’une vie, une femme en pièces détachées. J’ai envisagé d’écrire un roman »

Cette héroïne, oubliée, négligée, est pourtant un personnage remarquable : boursière d’Oxford, diplômée de psychologie, elle a publié en 1934 un poème dystopique « End of the Century, 1984« . Prémonitoire?

« comment le pouvoir s’exerce sur les femmes : comment une épouse se fait d’abord enterrer sous les corvées domestiques, puis par l’Histoire »

Dès son mariage, elle se dévoue entièrement à son mari, laisse tomber ses recherches en psychologie, le confort d’une vie bourgeoise très aisée pour le suivre à la campagne dans une maison particulièrement inconfortable où elle assume toutes les corvées domestiques, y compris les soins aux animaux et le travail dans la petite épicerie de campagne. Et comme si le travail de maîtresse de maison ne suffisait pas, elle assure aussi le secrétariat, dactylographie, corrige, inspire les articles de son écrivain de mari. Tuberculeux, il doit aussi être soigné….et comme si cela ne suffisait pas, il entretient des liaisons avec de nombreuses femmes et sollicite l’approbation d’Eileen!

Drôle de bonhomme! Comment une femme aussi douée, vaillante tolère-t-elle cela?

Anna Funder mène une enquête très fouillée avec nombreuses notes et références. Enquête à charge. Et pourtant elle admire l’œuvre d‘Orwell. Enquête féministe. Anna Funder nous abreuve de ses analyses (fondées mais répétitives) du patriarcat. 

« Le patriarcat, c’est le doublepenser qui permet à un homme « décent » de mal se comporter avec les
femmes, de la même manière que le colonialisme et le racisme sont des systèmes qui autorisent des gens
en apparence « décents » à commettre des actes innommables contre les autres. « 

Ironiquement Anna Funder utilise les concepts orwelliens de « doublepenser » et de « Common Decency » qui se retournent contre leur créateur. Analyse féministe d’une spécialiste d’Orwell.

L’idée de départ m’a plu et même si la lecture du livre de Funder a été  une lecture laborieuse. Funder  s’est mise en scène coupant la fluidité de l’histoire. Beaucoup de répétitions, de théorie. L’ouvrage aurait gagné à être nettement allégé. 

Ce n’est qu’avec le départ d’Orwell d’abord, puis d’Eileen pour Barcelone que je me suis sentie entraînée dans l’action. J’ai noté Hommage à la Catalogne dans ma PAL par la même occasion. Le récit historique de la guerre en Angleterre, du blitz sur Londres m’a aussi intéressée.

Le livre ne s’achève pas avec la mort dramatique d’Eileen. Dans le dernier quart du livre,

Orwell reproduit le même schéma de recrutement d’une nouvelle compagne qui assurerait le ménage, la collaboration littéraire et même les soins de nounou pour le petit Richard qu’Eileen et lui avaient adopté. Toujours dans des conditions très précaires : une ferme dans l’île écossaise de Jura éloignée de tout. Et le plus étrange c’est que malgré sa santé vraiment très dégradée, son incapacité à assumer le quotidien, cela marche!

Séparer l’oeuvre de l’écrivain?

Le livre du feu – Christy Leftery – Seuil

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

le livre du feu

Christy Leftery est l’autrice de L’Apiculteur d’Alep et de Les Oiseaux chanteurs que j’ai lus avec intérêt. J’ai donc accueilli avec impatience ce livre offert par Babélio et les éditions du Seuil que je remercie vivement. Christy Leftery écrit en anglais mais ses origines chypriotes lui confèrent une bonne connaissance du monde hellène.

J’ai donc embarqué pour la Grèce par un été brûlant d’incendies meurtriers. Le roman est paru en Grande Bretagne en 2023 et 2023 a été l’année de feux particulièrement virulents dans le nord de la Grèce, à Rhodes, Eubée l’an passé… C’est donc un sujet d’une criante actualité. « La maison brûle et nous regardons ailleurs » (2002) avait prévenu Chirac. 

Et pourtant, malgré l’urgence, malgré la documentation de l’écrivaine, quelque chose n’a pas fonctionné dans la lecture. Les meilleurs sentiments ne font pas forcément la meilleure littérature. Le refrain « il était une fois un petit pois » qui donne le ton du conte m’a agacée.

J’aurais aimé un récit plus détaillé. Un charmant village? Où exactement, sur une île? Laquelle? Le kafeneon est bien conventionnel, interchangeable. Intéressante l’histoire de l’exil des Grecs Pontiques, on aimerait en savoir plus, les connaître mieux. Touchante l’insertion de ces exilés à Londres, j’aurais aimé les suivre. Diverses pistes s’ouvrent, et se ferment aussi vite. 

La forêt saccagée repoussera-t-elle?

La question des responsabilités de l’incendie n’est pas éludée, l’incendiaire démasqué, certes. La part du réchauffement climatique évoquée. L’incurie des autorités aussi. Les constructions illégales…Une enquête approfondie s’imposerait. Au lieu de cela, un non-lieu. Le responsable est mort. le dossier est clos.

je reste sur ma faim.

Bandes de Génies – Mémoires du Montparnasse des Années folles – Robert McAlmon – Séguier

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

Merci à Babélio et à l’éditeur pour cette aventure livresque dans les années folles!

J’avais coché avec enthousiasme la case dans la liste de la Masse Critique après ma récente visite au Petit Palais du Paris de la Modernité et plus ancienne des Pionnières au Luxembourg et de L’Ecole de Paris au Majh et de celle de Chana Orloff au Musée Zadkine. Il me semblait que je me trouverai un peu en pays de connaissance entre le Musée Bourdelle, la Maison de Giacometti. 

Robert McAlmon est un auteur américain. Marié à une richissime anglaise ce qui lui procure une grande aisance aussi bien pour mener une vie de dilettante que pour fréquenter le grand monde anglophone. C’est aussi l’éditeur de Gertrude Stein et d’Hemingway. Bande de Génies est le récit de 10 ans de vie de bohème dans le monde aisé (et alcoolisé) des intellectuels anglophones expatriés en Europe. De Londres à Barcelone, en passant par Berlin, Venise et la Côte d’Azur. 

Bande de Génies est une sorte de journal de bord, de compilation d’anecdotes, parfois très répétitives de rencontres autour d’un verre (plusieurs) de gens qui se prenaient pour des génies mais dont je n’avais jamais entendu parler. Il faut dire que je ne suis pas très au fait de la littérature anglophone. Des noms ont traversé ma mémoire, Sylvia Beach, Djuna Barnes, Natalie Barney sans que je ne les identifie comme génies…La marque de whiskies et la composition des cocktails m’importe peu et ces récits mondains m’ont paru bien ennuyeux. Que de gens riches et prétentieux qui n’ont pas laissé de trace dans l’Histoire! 

Des Génies, j’en ai identifié au moins deux : Joyce et Hemingway. Joyce ivre rentrant chez sa femme excédée n’est peut être pas montré sous son meilleur jour. En revanche ceux qui figurent à mon panthéon personnel : Picasso, Brancusi, Duchamp, Man Ray sont cités en passant, sans anecdote marquante, un détail Brancusi en paysan roumain portant des sabots m’a fait sourire mais on ne saura rien de Picasso, pourtant bien connu de Gertrude Stein. On croise Cocteau et Antheil à propos d’un spectacle musical  mais MacAlmon préfère s’installer près du bar plutôt qu’écouter la musique de Stravinsky ou de Satie. Même indifférence condescendante envers les dadaïstes qu’il cite en glissant rapidement. Il me faut feuilleter l’index pour trouver la page où l’on mentionne Zadkine. 

Pourtant, toutes  ces 450 pages ne sont pas insipides, certaines sont franchement distrayantes. Elle racontent surtout des voyages,  Berlin ruiné du début des années vingt, observations acérées des nouveaux usages au débuts des années fascistes en Italie. Certaines pages sont même « géniales » comme ce portrait de Gertrude Stein en éléphanteau, ou une corrida en compagnie d’Hemingway , une randonnée en Espagne avec Dos Passos où un paysan les prend pour des contrebandiers. Finalement, je me suis ennuyée à Montparnasse mais j’ai aimé ses excursions. 

Les folles années vont se terminer : la Grande Dépression va mettre fin à l’insouciance et les intellectuels vont trouver en Espagne une source d’inspiration autrement plus tragique que la corrida, mais ce n’est pas le sujet de cet ouvrage….

 

L’espion qui aimait les livres – John Le Carré

 

 

Au dernier recensement, les Proctor comptaient deux éminents juges, deux avocats-conseils de la reine, trois
médecins, un rédacteur en chef de grand quotidien national, aucun homme politique (Dieu merci !) et une
palanquée d’espions.

[…]
Comme toutes les familles de ce genre, les Proctor apprenaient dès le berceau que les services secrets constituent le sanctuaire spirituel des classes dirigeantes britanniques.

Roman posthume, John Le Carré nous a quitté le 12 décembre 2020, et L’Espion qui aimait les Livres est sorti en France en septembre 2022. je n’espérais plus lire de livre récent de l’auteur que je suis depuis mon adolescence avec toujours autant de plaisir.

Avec sa classe habituelle Le Carré nous entraîne dans les coulisses des Services secrets de Sa Majesté. Pas de voyage lointain, mais des coups tordus à souhaits. Comment vit un couple d’espions et leurs enfants? partagent-ils les secrets de Sa Majesté ou font-ils téléphone à part? 

« On est des espions, OK ? Maman est une espionne, Papa est un espion et moi je suis leur intermédiaire. »

déclare leur fille .

Comme on se trouve chez des gens très bien élevés on se soumets aux rites  les plus british et les plus raffinés. Des gens très bien élevés qui ont des connaissances littéraires plus pointues que celles du narrateur qui se pique de tenir une libraire. Au passage, une recommandation : Les Anneaux de Saturne de Sebald (que je note pour ma PAL). 

A la marge des mondanités, Proctor est en service commandé : il fait un dossier sur un de leurs agents dont ils doutent de la fiabilité. mais je ne trahirai pas le suspense.

Encore un bon Le Carré! heureusement il m’en reste à lire.

 

Le Secret d’Edwin Strafford – Robert Goddard

THRILLER ANGLAIS

Pour accompagner notre prochain voyage à Madère, on m’a conseillé ce titre qui se déroule en partie à Madère.  1977, Martin, 30 ans historien au chômage est invité par un de ses condisciples à Madère. Un riche hôtelier, propriétaire d’une Quinta, l’embauche pour faire des recherches sur l’ancien propriétaire de la quinta.

Edwin Stafford, ancien consul britannique à Madère,  élu député du Parti Libéral en 1906,  membre du gouvernement britannique Asquith, il  a démissionné pour une raison inexpliquée en 1910. Strafford a laissé dans le bureau de la Quinta, son journal assez mystérieux laissant imaginer une conjuration politique. Sa fiancée était une suffragette. Tout un mystère pour un historien!

suffragettes

Roman historique dans les temps d’Edward VII et George V, guerre des Boers, Première Guerre mondiale. Des figures connues : Churchill, Asquith, LLoyd George, Balfour… Révision de la vie politique britannique : remise en cause du veto de la Chambre des Lords, Home Rule et revendications d’indépendance des irlandais, actions des Suffragettes. Toute un volet de l’histoire à réviser!

Martin se passionne pour ce dossier, pour le personnage de Stafford. Il découvre des morts suspects. Le roman historique se transforme en polar. Il cherche à Cambridge des spécialistes de l’époque edwardienne et des suffragettes. La spécialiste est très séduisante. une idylle va peut être se nouer. Ne pas divulgâcher l’intrigue pleine de rebondissements!

A défaut d’un voyage à Madère, je découvre la campagne anglaise, ses manoirs ou ses cottages, le pub où l’on joue aux fléchettes. Porto millésimé ou cidre campagnard? Une partie d’aviron à Cambridge. So british!

C’est un  gros pavé de 750 pages qu’on dévore facilement (à part les longues pages politiques autour de 1910 qui parlent plus aux Anglais qu’aux ignorants comme moi). La fin est tout à fait haletante.

 

 

 

Livre d’Ebenezer Le Page – Gerald Basil Edwards

CARNET DE GUERNESEY

L’île Lihou où Ebenezer et Jim, encore gamins, pris par la marée ont été forcés de passer la nuit

J’aurais aimé que la tempête empêche le ferry d’appareiller pour rester encore quelques jours à Guernesey.  Le gros Livre d’Ebenezer Le Page (608 p.) m’a permis de flâner un long moment encore dans la campagne, de revoir avec enchantement les criques, les roches. Peut- être ne suis-je pas objective? L’auteur ne fournit que peu de descriptions précises du décor, et que je m’y suis promenée plus par mes proches souvenirs que par les évocations du livre. Je ne sais pas si un lecteur qui ne connait pas Guernesey aurait une impression aussi vive que la mienne. En revanche, c’est LE  livre à emporter si vous préparez un voyage à Guernesey.

cottage

Ebenezer Le Page est né à Guernesey à la toute fin du XIXème siècle, dans une famille où l’on parle encore le patois guernesiais, ancien patois normand, dont certaines expressions donnent une coloration exotique au texte (en VO en anglais, je ne sais pas, sûrement). Pêcheurs, maraîchers, ils pratiquent déjà la culture en serres, tomates, raisin, pommes de terre de pleine terre. Poules et cochons. Il y avait aussi des carriers

Dans ce temps-là, le Nord tout entier résonnait du bourdonnement des casse-pierres et du grondement provoqué par les roues métalliques des lourds chariots, sur les routes.

Ils y faisaient encore pousser du raisin, mais essayaient de cultiver des tomates sous les vignes. Je trouvais que
les tomates étaient un drôle de fruit. Je n’en appréciais pas beaucoup le goût. Mais j’aimais bien le raisin, en
revanche. Il s’est avéré que les tomates se vendaient mieux

Les familles guernesiaises ont des patronymes à consonnance françaises comme la toponymie mais Guernesey est sous la domination de la couronne anglaise depuis des siècles. Le père d’Ebenezer est mort pendant la Guerre des Boers (1899-1902) . Si Ebenezer n’a quitté son île qu’une seule fois pour aller à Jersey, son père avait voyagé dans le monde entier comme marin, et ses cousins sont partis en Australie, en Amérique. L’île est petite, mais le monde entier arrive à Saint Pierre-Port et les séismes que furent les Guerres mondiales n’ont pas épargné ses habitants. 

Ebenezer raconte les changements qui ont affecté la vie tranquille de sa famille proche et de ses cousins lointains, parce qu’à Guernesey, tout le monde est plus ou moins apparenté. Ses chroniques de l’île sont pleines de saveur et d’humour.

« …des tas d’aristos avaient rappliqué le mois précédent et prononcé des discours sur l’Entente cordiale, et Saint-Pierre-Port était décoré en bleu, blanc et rouge. En réalité, on avait donné comme prétexte à leur venue l’inauguration de la statue de Victor Hugo. C’était un Français célèbre qui avait vécu dans une grande maison à Hauteville, mais c’était avant mon époque. Il écrivait des romans et des poèmes en français ; je n’en ai lu aucun.
Dans le temps, je voyais ses livres en vente dans la vitrine de Boots en haut de Smith Street, mais il n’y en a plus maintenant. La statue avait été élevée à Candie Grounds et elle engendrait bien des commentaires. Jusqu’à la dernière minute, certains disaient que ça n’aurait pas dû être autorisé.

Victor Hugo jardin Candie

Personnellement, j’aime bien cette statue. Il se dresse en haut d’un rocher avec la queue de sa redingote qui
volette au vent. Il paraît presque vivant. L’ennui, c’est qu’au sommet des Jardins, il y avait une statue de la reine Victoria, et tout ce qu’elle pouvait voir de Victor Hugo, c’était son derrière…

Le livre est composé de  trois parties :

La première raconte l’enfance et la jeunesse du héros, ses amitiés très fortes, ses premiers émois amoureux.  la guerre de 14 éclate, beaucoup se portent volontaires.

La seconde commence avec la démobilisation des soldats de la Grande Guerre, tous ceux qui ne sont pas revenus…Ayant perdu son grand ami Jim, il se rapproche de son cousin Raymond qui se destine au sacerdoce. Il est beaucoup question de religion : Ebenezer est anglican mais sa mère très pieuse est méthodiste. Curieusement les catholiques qui sont aussi nombreux sur Guernesey sont très peu présents. J’ai eu un peu de mal avec les nuances entre les différents courants méthodistes et anglicans et pas trop compris les prêches.

Les jeunes d’aujourd’hui n’ont aucune idée de l’importance qu’avait la religion sur l’île il y a soixante ou soixante-dix ans. Il n’y avait aucun endroit où aller, à part l’église.

Mariages se font et se défont, des enfants naissent. Puis vient le drame de l’occupation allemande qui a laissé des blockhaus, tours en béton, rationnements et sous-alimentation, marché noir, délation aussi….

La Troisième partie montre la modernisation de l’île, les voitures se répandent, les touristes arrivent  . Nombreuses exploitations agricoles se convertissent en pensions de famille ou gîtes touristiques. Avec l’extension de l’urbanisme, le caractère agricole se dilue.

Je me suis attachée à Ebenezer . Dans cette  petite île, l’auteur a su faire vivre tout un monde. J’ai refermé à regret le Livre et je l’ai offert autour de moi. J’espère qu’il plaira autant qu’à moi.