Dambisa Moyo – L’aide fatale – les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique

Le livre s’ouvre sur la préface de Niall Ferguson :

« Depuis longtemps, je trouve discutable, et même embarrassant que des Blancs, des non-Africains pilotent pour une large part le débat concernant les problèmes économiques de l’Afrique… »  « depuis les économistes,jusqu’aux stars du rock…. »

Il est donc intéressant de lire Dambisa Moyo, économiste zambienne qui va à contre-courant de la mode « humanitaire » qui a cours depuis des décennies.

Son propos est de démontrer que l’aide occidentale enfonce l’Afrique dans une culture d’assistance qui nourrit la corruption, stérilise les initiatives et agrave la pauvreté.

Elle commence donc par démonter le Mythe de l’aide, analysant dans une Brève histoire de l’Aide six décennies qui débutent par le plan Marshallpour la reconstruction de l’Europe – aide qui a bien fonctionné – tandis que l’aide à l’Afrique, inscrite d’abord dans le contexte de la guerre froide, puis dans les années 1990 dans la recherche d’une bonne gouvernance et enfin dans une aide de prestige où les gouvernements sont relayés par les rocks stars et où tout une armée de philantropes  où le débat est assourdi par des concerts et des manifestations à grand spectacle.

Moyo analyse pourquoi l’Aide ne marche pas corruption, mauvaise gouvernance, mais pas seulement . Après l’analyse macro-économique, elle prend un exemple simple : celui du petit fabriquant de moustiquaires ruiné par le cadeau humanitaire de 100 000 moustiquaires offertes par une star d’Hollywood croyant en toute bonne foi faire une bonne action. Les 150 personnes qui vivaient de la production locale des moustiquaires se retrouve au chomage et quand les moustiquaires seront gâtées personne n’en fournira en remplacement….

Moyo va encore plus loin, qualifiant l’Aide d‘Assassin silencieux de la croissance, l’accusant en plus de favoriser la corruption de réduire l’épargne et les investissements et  d’être inflationniste en étouffant les exportations.

Ce constat est sans appel.

Les solutions qu’elle propose m’ont moins convaincue : dans la deuxième partie du livre UN MONDE SANS AIDE elle affirme d’emblée la solution : le capital s’appuyant sans réserve sur les marchés prenant comme exemple de réussite les émissions d’obligations du Ghana et du Kenya. Elle affirme sans réserve Les chinois sont nos amis mais pas la Chine communiste qui s’est manifestée autrefois au Bénin ou dans d’autres pays ayant choisi le socialisme, la Chine qui a besoin des matières premières et du pétrole d’Afrique et qui est prète à construire des routes ou des voie ferrées pour faciliter l’acheminement des richesses africaines vers la mer.Ce n’est pas du pillage comme du temps de la colonisation, c’est du commerce. Place au commerce! écrit-elleen titre du chapitre suivant. Elle tremine l’inventaire des solutions par la proposition du micro-crédit dans Une Banque pour les exclus de la banque.

J’ai du mal à  la suivre.

Je pense à Aminata Traoré dont le discours est aussi très radical mais qui s’inscrit dans la démarche altermondialiste. Moyo est anglophone, elle est diplômée de Harvard  et a travaillé chez Goldman Sachs. Ses références sont tirées de l’Afrique anglophone, ceci explique peut être aussi la différence des deux approches.

Les marchés règleront-ils tous les problèmes?

Rhodes : lecture (Durrell )à la plage de Plimmiri

 


Nous sommes retournées à Plimmiri s.. Encore une fois nous nous sommes perdues à travers la campagne où on bottelle la paille après avoir moissonné le blé.

Sous le même parasol, la journée s’écoule tranquillement entre baignades et lectures. Je viens de commencer la Vénus de la Mer de L. Durrell. Je lis Durrell avec le même plaisir renouvelé. Son univers, l’empire britannique sur le déclin, a bien disparu. Les cartes ont été redistribuées. J’ai découvert récemment que son Alexandrie avait disparu. Son humour, son amour de la Grèce ne se démodent pas.

L’eau est fraîche. Je nage avec l’impression d’être entrée par effraction dans l’aquarium des poissons. Je n’ose pas les déranger, je nage en faisant le moins de gestes possible. Végétales ou animales ? ces touffes qui s’accrochent au rocher et que broutent avec application les bancs de poissons transparents. Les poissons de sable sont discrets, un mouvement de queue révèle une rascasse horrible. Je suis contente d’avoir mes sandalettes en plastique. Son épine est venimeuse.

lecture pour la Grèce -Lawrence DURRELL : Sappho –( Théâtre) NRF

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La grande poétesse d’Eresos ne ressemble pas à l’image qu’on se fait d’elle. Femme un peu fanée, mère, très courtisée, elle n’est pas entourée de disciples féminines comme on aurait pu l’imaginer.

 C’est une héroïne du théâtre antique comme Phèdre ou Andromaque. Mariée à Kréon, elle a pour amant le général victorieux Pittakos qui rentre, victorieux de campagne contre Athènes et qui se fait proclamer tyran. Le jumeau de Pittakos, Phaon, se trouve également à Eresos, philosophe, il préfère vivre la vie simple d’un pêcheur solitaire sur une île déserte de la mer Egée. Sappho se refuse au nouveau tyran et s’exile à Corinthe et fomente une coalition contre son ancien amant qui lui a pris ses enfants en otage….

Tragédie antique ? Pièce à rebondissements ? Cette Sappho m’a étonnée et je me suis amusée à lire cette pièce.

lectures pour la Grèce : Lawrence Durrell – La Vénus de la Mer et L’île de Prospero

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Deux livres à emporter dans les îles grecques

« Islomane » tel se qualifie Lawrence Durrell ainsi que sa tribu d’amis….

L’île de Prospero, c’est Corfou, Prospero de la Tempête de Shakespeare.

en 1935, Durrell achète une maison à Corfou et un bateau. Il raconte la vie solaire, simple sur Corfou encore préservée du tourisme de masse mais déjà connue des happy fews... Un livre délicieux décrivant un monde maintenant disparu

Dessaix dans Corfou, trente ans plus tard a loué une maison à Gastouri, et a retracé cette vie bohème.

Nous sommes allées à Gastouri et n’avons pas retrouvé leur description dans la cohue de Corfou au mois d’Août…


Vénus de la Mer est le plus charmant et le plus littéraire des guides qu’on peut emporter sur l’île de Rhodes (Livre de Poche mince 280p). peinture impressionisten histoire récente ou passée, mythes et croyances populaires…Ecrit en 1945 par Durrell, un peu agent secret, un peu journaliste, au service de sa Majesté britannique, à l’issue de la guerre quand les Britanniques occupaient l’île au départ des Allemands. vous pourrez rendre visite à la Vénus de la mer, sotie de l’onde – statue du musée de Rhodes- moins gracieuse que l’Aphrodite de Rhodes que j’ai photographiée mais plus mystérieuse

lecture pour la Grèce: L’Invention de la Vénus de Milo Takis Théodoropoulos

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lecture jubilatoire!

Le récit de l‘Invention de la Vénus de Milo est écrit sur un ton  d’ironie légère qui prête à sourire à presque toutes les pages.   L’usage d’incises, anodines mais opportunes, allège le roman historique. 1820, la veille des guerres d’indépendances grecques, en filigrane les rivalités franco-britanniques, les allégeances bonapartistes (ou napoléoniens) ou  à  loluis XVIII…

Des personnages variés défilent, l’Inventeur, le paysan Yorgos Kendrôtas et son apprenti qui trouva la statue sous un tas de pierre dans son champ, mais aussi le Consul de France Louis Brest et son épouse dépérissant d’ennui sur la petite île de Milos, l’enseigne Vautier dont Catherine s’amourache. Dumont d’Urville, l’explorateur est campé avec vivacité ainsi que le comte de  Marcellus en poste à l’ambassade de Constantinople. Sophocléous, médecin poète et surtout révolutionnaire grec, personnage burlesque, voue un culte presque payen à la statue de marbre tandis que le pope y voit une idole diabolique qu’il faut éloigner. Les dignitaires de l’île ne semblent pas saisir l’importance de la statue antique, juste une source de piastres difficilement quantifiables. Intervient aussi un moine entouré d’armatoles albanais enturbannés trafiquant les icones anciennes et les antiquités pour un prince ottoman Nikolaki Morusi d’origine grecque, collectionneur et drogman de la sublime Porte. Ne pas oublier l’agha de Milos entouré de ses chats….

L’auteur glisse dans ses propos d’instructives remarques concernant l’histoire de l’art, les icones du mont Athos, le poète Cavafy, le statut de l’oeuvre d’art, et sa reconnaissance dans les grands musées….

Une lecture délicieuse!

Lecture pour Venise :Loredan-les mystères de Venise – Leonora agent du doge – policier livre de poche

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Un policier historique agréable et facile à lire, et même très instructif

Prologue : Pucci, orpheline confiée au couvent des ursulines de Vicence résout l’énigme des reliques volées.

Premier Acte : Leonora Agnela Immacolata (surnommée Pucci) est retirée du couvent pour faire un beau mariage à Venise. L’incarcération du père de la fiancée  aux Plombs va contrarier  ce projet

Deuxième acte : Leonora ne se laisse pas abattre et cherche à savoir de quoi son récent « père » est accusé….

Je ne résumerai pas plus loin l’intrigue et ses nombreuses péripéties pour ne pas altérer le suspense d’une part, ensuite parce que ce serait beaucoup trop compliqué…Leonora ne manque ni d’astuce ni de courage et sa bourse est bien remplie pour acheter valets, barcarols, huissiers mais aussi tous ceux qui tenteraient de l’arrêter. Le courtisan qu’elle a recruté est également très bien renseigné.

Mais Leonora « ne connaît pas Venise ».

Nous non plus !

Cela tombe bien. Nous allons nous instruire  aux coutumes singulières de la Dominante et nous promener pour assister au curetage des canaux de Cannoregio, au commerce de contrebande de dentelle, aux rénovations interminables (déjà à cette époque) d’une église à l’élection d’un doge et aux intrigues qui la précède, à un jugement de la Quarantie et du conseil des Dix ; à la Sensa et au Carnaval…..

Lecture passionnante pour celle qui revient tout juste de Venise et qui a encore bien présents à l’esprit les décors.

Si les Mystères de Venise, et surtout la naissance de Leonora s’éclaircissent au 5ème acte, un dernier mystère reste irrésolu : qui est donc cet auteur qui signe Loredan, les mystères de Venise et dont trois volumes sont déjà parus ? Pas d’indication de traduction, ce Loredan écrit donc en Français ! Je googlise sans résultat : Loredan fut un doge de Venise, cela ne m’étonne pas : déjà dans le roman le doge était un Loredan. Loredan renvoie aussi à des ouvrages de science fiction ou de BD, lien avec Corto Maltèse…

Qui est donc Loredan ?

Ali Pacha – Alexandre Dumas – Phébus libretto

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Lire à Corfou

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Ce n’est pas un gros roman historique comme Le Comte de Monte-Cristo, d »ailleurs il est sous-titré chronique historique. Recueil d’articles que Dumas publia dans un journal napolitain l’Indipendente en 1862 il correspond à la collaboration de Dumas à l’épopée garibaldienne et à l’unité italienne. Dans la foulée, Dumas fut sollicité pour soutenir l’indépendance grecque et albanaise.

J’ai ouvert cet ouvrage juste après avoir lu des extraits du  Journal de Céphalonie de Byron et j’y ai trouvé  des réponses aux questions que je me posais : Qui étaient donc ces Souliotes que Byron avait enrôlés? Quel rapport entre l’Indépendance grecque et celle de l’Albanie? Comment les Ottomans gouvernaient-ils la Grèce?

Avec le brio du conteur, Dumas, le contexte s’anime, les caractères s’affirment. Ali-Tebelen, pacha de Janina, plus bandit qu’administrateur n’hésite pas à défier le pouvoir ottoman.

J’ai lu ce livre à Corfou devant les crêtes albanaises toutes proches qui barraient l’horizon, je me suis laissé emporter par ces aventures

Le Voyage en Grèce – H. Duchêne – Bouquins (iles ioniennes)

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Lectures ioniennes

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Le gros « Bouquins » m’a déjà accompagnée pendant de longues semaines au cours de nos vacances en Grèce continentale, dans le Dodécanèse et dans la Mer Egée. Pour un livre broché, sa couverture a drôlement bien résisté aux épreuves de l’empaquetage des valises, de la plage et de divers mauvais traitements. Lourd à emporter en voyage? Ses 1140 pages promettent de belles lectures, son index géographique, ses cartes, ses biographies et son glossaires sont tout aussi utiles!Le Voyage en Grèce et l’Odyssée ont presque suffi pour un mois!

Céphalonie, Ithaque, Corfou après Venise, j’étais partie avec des a-priori vénitiens, je pensais trouver des chevaliers, des Croisés, des Capitaines, la Bataille de Lépante….j’imaginais aussi des images antiques. Et bien pas du tout! la bibliographie m’a réservé une surprise : je me suis trouvée propulsée au début du 19ème siècle avec Chateaubriand, Lord Byron avec son Journal de Céphalonie et de fil en aiguille j’ai lu des auteurs que je ne connaissais pas comme Trelawny dans les Derniers jours de Shelley et Byron, Emerson…Et voilà que je découvre les guerres d’indépendance grecque dans un contexte géopolitique que j’ignorais. Je savais les îles ioniennes vénitiennes mais j’ignorais que cette domination ait pris fin avec l’épopèe napoléonienne et qu’ensuite elles furent l’enjeu de l’équilibre des puissances françaises, britanniques  mais aussi russe et turques… et cet éclairage m’a offert d’autres prespectives de lectures!

Ithaque avec Homère, certes mais aussi avec Schliemann , les passages de son journal sont extrêment pittoresques. Chance ou bluff? A sa descente de barque, Schliemann trouve un meunier qui lui loue son âne et qui lui raconte l’Odyssée à sa manière. Avec l’aide du meunier et d’autres habitants l’archéologue trouve le palais d’Ulysse, identifie le port de Phorkys et les divers lieux homérique. qaund on pense qu’un siècle et demi plus tard les spécialistes discutent encore pour identifier l’île actuelle d’Ithaque et l’Ithaque homérique?

Moins de surprise au 20ème siècle : Durrell, bien sûr, Lacarrière, Kazantzaki.

C’est l’Ithaque de Cavafy qui conclue le volume : ce poème m’a poursuivie, je le cherchais depuis si longtemps et il arrive juste à point, à Ithaque!

Scènes de vie villageoise d’Amos

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De ce roman – ou recueil de 8 nouvelles – se dégage un sentiment de nostalgie.

Tchékov? La Cerisaie, pourquoi pas?

Tel-Ilan, village fondé par des pionniers a perdu son dynamisme, ses habitants ont vieilli, les fermes sont délaissées et seule paraît active la spéculation immobilière, les magasins de bibelots, de meubles asiatiques destinés aux résidences secondaires des citadins. »La Provence en Israël!…la Toscane » s’enthousiasme l’homme d’affaire dans la nouvelle « les héritiers« .les enfants de spionniers ont bien vieilli, ils n’ont plus d’illusions. L’esprit pionnier s’est dilué. Seules restent les récriminations de Pessah, octogénaire,ex-député ; qui se souvient des querelles entre les différentes tendances du sionisme socialiste et marxiste? Amertume du vieil homme. Fatigue des femme. Pas d’enfants, seul l’agent immobilier a deux filles, mais elles sont en colonie de vacances. Kolbi, adolescent,est amoureux de la bibliothécaire qui accuse le double de son âge – amour sans espoir.

Qui est-ce qui sape les fondations de la vieille ferme, dans la nouvelle Creuser? Autre maison promise à la démolition dans Perdre

De l’esprit des pionniers il ne reste que les chansons anciennes qui réunissent périodiquement une trentaine de villageois…

Constat  de la fin d’un monde. Israël , que nous voyions comme le pays du kibboutz, du socialisme, a perdu son rêve, s’est urbanisé, le solcialisme s’est dissous, perdues les illusions et l’enthousiasme? La dernière nouvelle Ailleurs, dans un autre temps parle de moustiques, de marais à assécher comme dans les anciens temps, ailleurs? ou peut être du temps des premiers villageois.

La Femme à sa fenêtre d’Amos oz

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Invitation au Voyage et à la Lecture

Ce n’est pas le titre d’un livre. C’est un discours prononcé par l’auteur Israélien à la réception d’un prix littéraire à Madrid. Ce texte a circulé , à propos de la polémique autour du boycott des auteurs israéliens au salon du livre, il y a quelques mois.A propos d’un autre boycott, au cinéma cette fois-ci, je me suis souvenue de ce texte. Coïncidence je viens de lire les Scènes de vie villageoise qui est sorti récemment

Par ailleurs, je suis une fidèle lectrice d’Amos Oz.

La femme à sa fenêtre
Amos Oz
Traduction : Gérard pour La Paix Maintenant

« Si vous vous payez un billet d¹avion et vous rendez dans un autre pays, vous pourrez voir les montagnes, les palais et les places, les musées, les paysages et les sites historiques. Si la chance est de votre côté, vous aurez peut-être l¹occasion de discuter avec quelques habitants de là-bas.
Après quoi, vous rentrerez chez vous, avec une collection de photographies et cartes postales.
Mais si vous lisez un roman, vous vous payez en réalité un billet d¹entrée dans les labyrinthes les plus secrets d¹un autre pays et d¹un autre peuple.
Lire un roman, c’est s’inviter au domicile d¹autres gens et visiter tous ses recoins.
Touriste, peut-être aurez-vous l¹occasion de vous trouver dans une rue quelconque, de contempler une maison du vieux quartier de la ville et d¹apercevoir une femme qui regarde par la fenêtre. Puis, vous tournerez les talons et poursuivrez ton chemin.Lecteur, vous ne contemplerez pas seulement cette femme à sa fenêtre, vous serez avec elle, dans sa chambre, voire dans sa tête.Quand on lit un roman d¹un autre pays, on se trouve en réalité invité dans le salon d¹autres gens, dans la chambre de leurs enfants, dans la pièce où ils travaillent, et même dans leur chambre à coucher. On visite leurs douleurs secrètes, leurs réjouissances familiales, leurs rêves.C¹est pourquoi je crois que la littérature peut jouer le rôle de pont entre les peuples. Je crois que la curiosité est une valeur morale. Je crois que la capacité de se représenter l¹autre est un vaccin contre le fanatisme. La capacité de se représenter l¹autre ne fait pas seulement de vous un meilleur homme d¹affaires, un meilleur amant ; elle fait de vous un être humain encore plus humain.La tragédie israélo-palestinienne est, en partie, l¹incapacité de nombreux d¹entre nous, juifs comme arabes, de nous représenter l¹un l¹autre. Se le représenter vraiment : avec ses amours, ses angoisses, sa colère, ses passions. Il y a entre nous trop d¹hostilité et pas assez de curiosité.Les Juifs et les Arabes ont quelque chose en commun : tous deux, dans le passé, ont subi la violence de l¹Europe. Les Arabes ont été victimes de l¹impérialisme, du colonialisme, de l¹exploitation, de l¹humiliation. Les Juifs ont été victimes de la persécution, de la ségrégation, de l¹exil, et pour finir, de l¹assassinat d¹un tiers du peuple juif.On aurait pu se dire que deux victimes, de surcroît deux victimes du même persécuteur, auraient développé entre elles une sorte de solidarité. A notre grand regret, les choses ne se passent pas ainsi, ni dans les romans, ni dans la vie. Au contraire : les conflits les plus durs sont souvent ceux qui opposent deux victimes d¹un même persécuteur. Deux enfants d¹un père violent ne s¹aiment pas obligatoirement. Souvent, chacun voit en l¹autre l¹image du parent tortionnaire.Telle est la situation entre les Juifs et les Arabes au Proche-Orient. Les Arabes voient en les Juifs les nouveaux Croisés, un nouvel avatar de l¹Europe colonialiste. Les Juifs voient en les Arabes une réincarnation de leurs persécuteurs d¹hier : les auteurs des pogroms nazis.Cette situation fait porter à l¹Europe une responsabilité particulière dans la solution du conflit israélo-arabe. Au lieu de pointer un doigt accusateur en direction de l¹un ou l¹autre des côtés, les Européens feraient mieux d¹apporter sympathie, compréhension et aide à ces deux côtés. Vous n¹avez plus à choisir entre être pro-palestiniens ou pro-israéliens. Vous devez être pour la paix. La femme à sa fenêtre pourrait être une Palestinienne à Naplouse ou une Israélienne à Tel Aviv. Si vous souhaitez contribuer à faire advenir la paix entre ces deux femmes à leur fenêtre, vous feriez bien de lire davantage sur elles. Lisez des romans, mes amis. A travers eux, vous en apprendrez beaucoup. Il serait bien aussi que ces deux femmes se lisent l¹une l¹autre. Ne serait-ce que pour savoir ce qui, chez l¹autre femme à sa fenêtre, fait naître la peur, la colère ou l¹espoir.Je ne suis pas venu ici ce soir pour vous dire que la lecture des livres changera le monde. Mais je vous dis, et j¹y crois vraiment, que la littérature est l¹un des meilleurs moyens de comprendre qu¹au bout du compte, toutes les femmes à toutes les fenêtres ont un besoin urgent de paix.Je voudrais remercier les membres du jury qui m¹ont décerné ce magnifique Prix du Prince des Asturies. Merci, et que la paix soit sur vous. »Amos OzPar delà la dimension politique, je trouve que c’est une des plus belles invitations à la lecture pour les voyageurs.