Le quatrième mur – Sorj Chalandon

ANTIGONE EST MORTE A CHATILA

Jouer Antigone d’Anouilh à Beyrouth en guerre en 1982 avec des acteurs maronites, druzes, palestiniens, arméniens….offrir le temps des répétitions, d’une unique représentation, une trêve. C’était le rêve de Sam le Grec résistant aux colonels, juif de Salonique.

Démarche qui m’a fait penser aux chanteurs du film dUne seule voix.

Faire du théâtre un lieu de résistance. Et qui symbolise la résistance mieux qu’Antigone? Antigone qui dit non. Antigone d’Anouilh crée en février 1944 quelques jours avant l’exécution de ceux de l’Affiche Rouge. Antigone montée dans un  cinéma en ruine sur la ligne de démarcation dans les gravats et les décors ruinés montés pour Lysistrata encore une pièce de résistance.

Un roman sur le théâtre, sur la politique aussi.

En prologue, le narrateur, Georges, est un ancien mao de la Sorbonne. J’ai retrouvé avec amusement (et un certain agacement) les militants des années 1970. Les réunions à Jussieu à la tour 34, les interventions des féministes, les grandes causes que nous défendions dans la rue avec banderoles et slogans. L’irruption de Samuel Akounis, le metteur en scène grec plus vieux, plus mûr, plus conscient du poids des mots, va introduire le doute dans le militantisme aveugle.

Après la dissolution de la Cause du peuple, le théâtre va remplacer la politique et la violence.

La promesse faite à Sam, malade, de poursuivre son projet va conduire Georges au Liban. L’aviation israélienne, s’invitera pendant une répétition. La tragédie n’est plus sur scène mais dans la rue.

 

« Anouilh lui murmurait que la tragédie était reposante, commode. Dans le drame, avec ces innocents, ces traitres, ces vengeurs, cela devenait compliqué de mourir. On se débattait parce qu’on espérait s’en sortir, c’était utilitaire, c’était ignoble. Tandis que dans la tragédie c’était gratuit. C’était sans espoir. Ce sale espoir qui gâchait tout. C’était pour les rois, la tragédie. Deux fois, Georges est tombé. Il a heurté une poutre jetée en travers. Et puis il est arrivé à la porte du garage. Il a traversé le quatrième mur, celui qui protège les vivants. »

 

Une autre Antigone venue de Palestine:

 

 

 

Cesar doit mourir – film des frères Taviani

CHALLENGE SHAKESPEARE

Quel film!

Quel casting! Ces prisonniers de la prison de Rebbibia ont des gueules de Romains! Plus qu’à Shakespeare – dont je viens de télécharger le texte – je pense à la Rome antique. Cette Rome qui est finalement si proche après deux millénaires. Les acteurs s’étonnent de la proximité de l’intrigue, « comme chez moi » (à Naples, à Catane….). Ces hommes d’honneur pour qui un contrat se signe d’un regard, sont-il les conjurés des Ides de Mars ou les condamnés pour trafic de stupéfiant, ou association de malfaiteurs?

Brutus

Dans le making-of de la pièce, on assiste aux auditions. Les hommes ne doivent pas improviser je ne sais quelle scène, ils se présentent, en pleurant, en criant. On les découvre, cela suffit au metteur en scène pour trouver un César impérial, un devin génial, Cassius …Brutus qui a le rôle le plus complexe est un acteur professionnel, ancien taulard.

Ces hommes sont d’une sincérité troublante. Ils s’approprient le texte. Les répétitions filmées dans un  noir et blanc somptueux se déroulent dans les cellules, les couloirs, la cour de promenade. On hésite : s’agit-il de Shakespeare ou de la vie des acteurs?

Après le meurtre de César dans une cour, des clameurs, des cris « liberté!« ; sont ils fortuits ou prévus. Trois gardiens chargés de raccompagner les détenus laissent se dérouler le discours d’Antoine qu’ils prennent à la lettre(?).

 

 

Couleurs. Rouge et or de la représentation. La joie explose, d’avoir réussi quelque chose de grand, de beau, devant les familles, les spectateurs. Le retour en cellule en sera d’autant plus cruel pour celui qui est condamné à perpétuité.

 

Antigone de Sophocle – Theâtre national Palestinien à Ivry (bis)

Au risque de me répéter, je suis retournée à Ivry faire découvrir cette œuvre  à une amie helléniste. J’ai revu cette interprétation avec un plaisir renouvelé, écouté (et surtout lu le sur-titrage) avec une attention particulière.

 

Que m’apporterait de nouveau cette seconde vision?

Un poème de Mahmoud Darwich :

« Il y a sur cette terre » Mahmoud Darwich

Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :

les hésitations d’avril,

l’odeur du pain à l’aube,

les opinions d’une femme sur les hommes,

les écrits d’Eschyle,

les débuts d’un amour, de l’herbe sur des pierres,

des mères se tenant debout sur la ligne d’une flûte

et la peur qu’éprouvent les conquérants du souvenir.

Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :

la fin de septembre,

Mahmoud Darwich, le poète palestinien,  qui dit aussi:

« j’ai choisi d’être un poète troyen. je suis résolument du camp des perdants. les perdants qui ont été privés du droit de laisser quelque trace que ce soit de leur défaite, privés du droit de la proclamer. j’incline à dire cette défaite; mais il n’est pas question de reddition »…

(citation trouvée dans la plaquette du théâtre d’Ivry)

Et je pense à Polynice, le frère du camp des perdants, interdit même de sépulture

Au risque de radoter : la beauté de la musique du trio Joubran, cérémonie hypnotique qui s’accorde si bien avec Antigone. Je ne comprends pas l’arabe, j’espère que rien d’inacceptable n’est prononcé. Le minimum que je puisse faire, c’est écouter l’autre.

Une curiosité qui s’accorde bien à cette soirée : l’hommage du trio Joubran en Grec:

mon article précédent: ICI

Incendies de Wajdi Mouawad – Stanislas Nordey à Ivry – Antoine Vitez

j’avais été frappée, émue, par le beau film de Villeneuve sorti il y a un peu plus d’un an. j’en avais gardé un vif souvenir. C’est avec beaucoup d’impatience et de curiosité que j’ai abordé cette soirée théâtrale.

Comment l’incendie, clé de la tragédie, pourra-t-il être représenté au théâtre? Comment cette guerre civile libanaise sera-t-elle montrée?

Finalement, rien ne sera montré. La mise en scène est d’une sobriété exemplaire. Un décor blanc cassé, nu. Seulement des bidons, des objets métalliques, rappelleront un univers guerrier ou carcéral. Costumes en noir et blanc. Noirs, les fantômes. Blancs, les vivants. Seules couleurs: la veste bleue que Nawal lègue à sa fille et qui est plutôt un indice qu’un vêtement, rouge le cahier que Simon, le jumeau n’acceptera qu’à la fin.

Tragédie antique, sans les dieux, cependant. Eschyle, Sophocle. Si les dieux sont absents Chamseddine ou le guide Fahim, joués par le même acteur Frédéric Leidgens, m’évoquent Tiresias. Je pense à Antigone aussi. Incendies n’est plus la pièce d’une guerre civile, c’est une tragédie classique.

Fin  dramatique et combien émouvante, bravo à Véronique Nordey, qui joue Nawal 60 ans et qui nous a émus aux larmes.