CARNET IRLANDAIS

Le château de Kylmore se reflète dans le lac sous le soleil du matin. Deux cygnes glissent entre roseaux et nymphéas. Nous sommes presque les premières visiteuses. Le site est un enchantement. Redoublé par son reflet, le château gris tout en tours et en créneaux dans son écrin de verdure est merveilleux.
Château victorien, construit en 1867 par Mitchell Henry (1826-1910), » médecin, industriel, homme politique et pionnier, il eut une approche innovante et expérimentale créant la première ferme modèle de l’Ouest de l’Irlande [ …]le plus grand jardin victorien d’Irlande et produisant dès 1873 sa propre électricité avec une centrale hydro-électrique » (je traduis le dépliant) Il représente le comté de Galway à la chambre des communes partisan du Home Rule visant à donner l’autodétermination à l’Irlande. Philanthrope, il avait construit une école pour les enfants des travailleurs du domaine (qui pouvaient ainsi émigrer en Amérique sachant lire et écrire.

C’est surtout le jardin Victorien qui nous a enchantées. Pour y parvenir, une promenade d’1.6 mile longe le lac sous des arbres immenses. Sur le tronc de certains thuyas, des camélias et des houx se sont installés comme des épiphytes tropicaux. Des rhododendrons et des camélias atteignent des dimensions considérables. Pour qui ne veut, ou ne peut pas marcher, des navettes relient le jardin à la billetterie.

Ce « jardin entouré de murs » est exposé au sud dans un vallon abrité. Avec ses murs, il jouit d’un microclimat.Le jardin d’agrément a une pelouse ornée de massifs fleuris, ondulant en gracieuses virgules roses ou en volutes de capucines. Le long des murs de briques, des bordures colorées changent au gré des saisons. Selon la guide, au printemps elles sont les plus belles avec les jonquilles et les crocus, en ce moment, elles sont roses.
Sur la pente faisant face à la pelouse, on a construit un jardin d’hiver composé de 21 serres chauffées contenant une vigne, des arbres fruitiers, des fleurs et des primeurs pour les besoins des invités et du personnel. On pouvait passer d’une serre à l’autre sans craindre les rigueurs de l’hiver. Un portoir métallique de présentation était installé dans la dernière serre : on y suspendait des paniers de légumes, fruits ou fleurs correspondant à la production du moment. Les dames pouvaient choisir ce qu’elles préféraient.
Le chauffage des serres était fourni par le four à chaux dont on amendait les terres acides de tourbière.

Le « work garden », le potager doublait le jardin d’agrément. Deux triangles boisés séparaient ces deux parties. Un ruisseau courait entre les haies de fuchsia. Ces bosquets masquaient les installations, chassis, serres froides pour acclimater les jeunes plants, remises à outils, l a station de pompage, le Bothy (mot écossais désignant un petit cottage de montagne) où vivaient 6 ou 8 ouvriers.

En face du Bothy, bien en vue, le cottage du Chef-jardinier est très cossu. Nous avons déjà vu à Glengarriff l’importance d’un jardinier expert. Ce chef jardinier pouvait, de son bureau, dans une bow window , surveiller les travaux des employés. Il jouissait de tout le confort de l’époque, possédait un gramophone, un projecteur de films. Il y avait aussi une machine à coudre et une buanderie équipée. Dans la salle à manger, la table est dressée de porcelaine fine. Ce luxe contraste avec la modestie du Bothy.

La partie rocheuse est organisée en rocaille fleurie: une collection de petits géraniums (collection dont j’ai rêvé il y a un certain temps et que j’avais même commencée), conifères nains taillés.
Le long des murs du jardin, poiriers, pruniers, pommiers et même cerisiers sont plantés en espalier. Dans un creux, un figuier prospère, ses figues, encore dures sont déjà de bonne taille. Il y a même un pêcher, mais je ne lui ai pas vu de pêches ? Seuls les noisetiers sont plantés en un petit verger.

Le château avec au moins une douzaine d’occupants hiver comme été, ses dizaines de domestiques, jardiniers, et même pompiers, devait être auto-suffisant, tout du moins pour les fruits et légumes. Le potager devait être de bonne taille. Les carrés (rectangles) sont bordés de buis taillés et entourés de pelouses. Ceux des pommes de terre et des rhubarbes sont des dimensions d’un petit champ. Les choux sont plantés artistiquement alternant les violets, les verts les brocolis. On leur a adjoint des soucis (marygold) dont les fleurs oranges contrastent avec le vert des feuilles ; ils ne sont pas là uniquement pour la décoration, ce sont des « compagnons » qui éloignent les parasites et insectes indésirables.
Un carré d’un beau bleu est cultivé en Phacelia (green manura) qui joue un rôle double : attirer les abeilles et autres pollinisateurs et servir d’engrais vert. On l’utilise dans la rotation des cultures. L’ail et les œillets d’inde jouent aussi la double fonction de décoration et d’éloignement des indésirable. Il existe aussi une association concombres/œillets.

Au fond du jardin les herbes aromatiques et médicinales sont plantées dans de jolis rectangles divisés en 4 petits carrés autour d’un laurier taillé en boule. Au milieu du 19ème siècle, la pharmacopée était rudimentaire on faisait confiance dans les herbes médicinales. La conférencière insiste sur les préoccupations hygiénistes des Victoriens obsédés par l’hygiène : il y avait au château des bains turcs et les châtelains se baignaient jusqu’à trois fois par jour.

Autre obsession victorienne : la séparation entre les dames du château et les travailleurs. Les dames arrivaient en voiture à cheval du château. Sous la porte pendait une cloche qu’un jeune garçon actionnait. Les jardiniers allaient se cacher derrière les haies pour que leur vue n’offense pas les dames. C’est la raison d’être de la grande allée bordée de fleurs qui est le chef d’œuvre du jardin. Quatre plantes fleuries sont associées par ordre de taille. On les a repérées avec des numéros et des lettres et un carton avec les noms latins est disponible pur les identifier. Par exemple : à la colonne 18, 18A : la potentille(rampante), 18B hémérocalle, 18C Lobélia 18D Watsonia, la plus haute. De cette manière je suis arrivée à mettre un nom sur cette fleur que j’ai découverte à Baltimore et qui est très utilisée dans les jardins irlandais.

Quand le château a été transformé en abbaye bénédictine, le jardin d’agrément ne fut plus entretenu. Sa restauration est récente. On a recherché des variétés anciennes. Il est possible de commander ici des semences victoriennes.

A l’extérieur des murs, on a planté des chênes aux troncs tordus, blancs que j’avais pris pour des bouleaux. Il y a 10.000 ans, les chênes étaient l’essence la plus répandue. Le nom de Kylmore dériverait de Coill Mor signifiant le grand bois.

Deux promenades permettent d’atteindre le salon de thé construit au dessus du jardin victorien. C’est un self-service où on sert toutes sortes de gâteaux sucrés, apple-pie et crumbles, des fudges, des scones ou de belles quiches. Il y a aussi de savoureux sandwiches. Nous choisissons un sandwich au thon et un apple-pie à la crème fouettée (au choix, custard). La vue de la terrasse est merveilleuse sur le Mont Diamant qui doit son nom aux facettes rocheuses lisses et brillantes. Il se trouve dans le Parc National du Connemara et on peut y monter par une promenade facile.

Je pars découvrir la partie du parc située entre le Lac Pollacappul et l’Abbaye, promenade jalonnée de bancs, tables à pique-nique sous de beaux hêtres, des frênes, ou des chênes. L’église gothique fut construite à la mémoire de Margaret Henry décédée en Egypte quelques années après la construction du château. Voulant une chapelle « féminine », on a remplacé les gargouilles médiévales par des anges. Cette intention n’est pas exempte de la mièvrerie du 19ème siècle qui m’agace. Les marbres des colonnes gris, rose et verts plaquées sur la pierre de Caen font un ensemble de toute beauté.
Plus loin, le mausolée où reposent les époux est bien modeste. Dernière attraction, un rocher en forme de fer à repasser devant lequel je suis passée sans m’y arrêter.
Nous terminons la visite par l’Abbaye, comme nous avons raté le début de l’audiovisuel et que le dépliant offert est si bavard que je crains de ne rien y apprendre de nouveau, nous n’attendons pas la séance suivante. Ce château récent, caprice victorien transformé en école ne peut pas être comparé aux châteaux chargés d’histoire. Le vestibule, le hall d’entrée, le salon et la salle à manger se visitent. Je ne leur prête qu’un regard distrait.

Nous terminons cette journée ensoleillée sur la presqu’île en face de Letterfrack et qui se termine par la Pointe de Rynvile. Une petite route longe Ballynakill Harbour (nom donné au fjord) au sud de la pointe. Il fait assez chaud pour rester un bon moment à dessiner. Nous continuons la petite route qui ne figure pas sur la carte et qui grimpe au flanc de la colline. En dessous dans les prés vert fluo s’égaient des moutons. On découvre des maisons de pierre en ruine. Les buissons de fuchsias rouges contrastent avec le vert des prés et le bleu de la mer. A la Pointe de Rynvile, nous trouvons la plus jolie plage qu’on puisse imaginer. L’eau est limpide turquoise. Les vagues se brisent, d’abord transparentes, couleur menthe glaciale, puis en écume mousseuse. Je relève le pantacourt au dessus du genou pour mon plus grand plaisir.
