LIRE POUR L’EGYPTE
J’ai couru vers le Nil. les grenades lacrymogène remplissaient l’atmosphère et moi je pleurais. Je ne sais pas si c’était à cause du gaz ou du jeune qui était mort, ou à cause de de moi, ou si c’était tout cela à la fois. En revenant j’ai vu de me propre yeux un grand nombre de morceaux humains laissés par le tank : de intestins, des cerveaux, de jambes des moitiés de corps. Tout cela je l’ai vu. Mais le plus dégoûtant, c’est que j’ai vu des gens qui couraient, terrorisés, et qui marchaient dessus. personne ne pense plus. La seule chose qui compte c’est de s’en sortir….. »
C’est le roman de la Révolution de 2011.
Le livre de Robert Solé : Le pharaon renversé, 18 jours qui ont changé l’Egypte, était le compte-rendu d’un journaliste, très bien documenté, de l’occupation de la place Tahrir et des manifestations qui ont obtenu la démission de Moubarak.
J’ai couru vers le Nil est un roman choral qui met en scène une galerie de personnages d’horizons très différents qui se croiseront (ou pas) au cours de la Révolution de 2011. L’auteur les présente dans leur quotidien.
Le livre s’ouvre sur le réveil du général Alouani, modèle de rectitude, de piété, qui s’avère être un tortionnaire des services de Sécurité.
Nous lirons la correspondance entre deux jeunes militants du mouvement Kifaya. Asma, une professeure d’anglais, refuse le modèle de femmes traditionnelle que lui propose sa famille et la corruption règnant dans un collège (je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse impliquer des enseignants dans la corruption!). Elle se confie à un jeune ingénieur syndicaliste dans une usine en grève.
Deux stars des médias très influents joueront un rôle pervers : une présentatrice de télévision adulée par le public et un prédicateur influent.
Il y a aussi une histoire d’amour sur fond d’occupation de la place Tahrir entre deux étudiants en médecine.
Une autre histoire d’amours’épanouit à la faveur de la Révolution : celle d’un riche copte, acteur de cinéma plutôt raté, et sa bonne. Relation qui aurait pu être dégradante sans un miracle (que je ne spoilerai pas)
Un chauffeur de maître, un ingénieur désabusé qui fut autrefois militant, cassé par la répression, complètent cet échantillon de la société égyptienne…
La force du roman est de montrer l’enthousiasme du mouvement révolutionnaire populaire, ses heures victorieuses quand le pouvoir a vacillé et, ensuite, la puissance de la réaction du pouvoir en place disposant de la force militaire, de la richesse des acteurs économiques menacée et défendue à tout prix, du pouvoir des médias et surtout de la télévision diffusant de fausses interviews, des mensonges pour accréditer un complot des américains et des sionistes (l’expression fake-news n’est pas encore à la mode, le procédé oui).
Puissance de la réaction, de l’alliance des militaires, des islamistes qui sont retournés et qui ont prêté à leur service, leur organisation d’abord alliée à la révolution. Puissance et cruauté inimaginable : des témoignages de jeunes filles aux mains des policiers sont déchirants.
Le livre de Solé se terminait sur l’optimisme né du départ de Moubarak. Celui d’ El Aswany est noir : retour de la dictature et de la corruption. Il est interdit au Caire et l’auteur exilé est sous la menace d’un procès.
J’avais beaucoup aimé l‘Immeuble Yacoubian qui décrivait la société cairote dans sa diversité selon le même procédé choral.
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