Atlantique, Anti-Atlas, Atlas et riads des 1001 nuits
Excursion au village de Lahcen
Latifa a préparé une mallette d’osier avec toutes sortes de bonnes choses, des assiettes de faïence et des couverts. Nous reprenons la route de l’Anti-Atlas par laquelle nous sommes arrivées, traversons le lit de l’Oued Sousse asséché par les barrages et la sècheresse. Lahcen raconte que dans les années 60, il allait pêcher de petits poissons. Depuis, on n’a plus jamais revu d’eau.

Ali Baba
Sur une curieuse butte témoin allongée dans le sens du courant érodée à l’époque lointaine de crues énormes, le village de Freyja surveille la plaine. Panorama époustouflant sur la chaîne de l’Atlas. Le Riad Freyja transformé est en hôtel de luxe. On y a tourné le film Ali Baba et les 40 voleurs avec Fernandel. La réceptionniste nous fait volontiers visiter : beaux tapis, suites immenses, grandes pièces allongées très hautes de plafond, pas besoin de climatisation. Nous avons déjà visité des riads plus « authentiques » et moins restaurés. Aucune trace du tournage du film malheureusement.

Un milliard d’hectares irrigués
Pendant que nous traversons des parcelles irriguées, Lahcen nous explique que Hassan II a fait l’opération « Un milliard d’hectares » irrigués par les soins de l’Etat et distribués aux paysans. Les récoltes sont elles aussi achetées par l’Etat, garantissant un revenu aux agriculteurs. Des arroseuses tournent au dessus des blés déjà très hauts aux épis bien formés. Oliviers et agrumes poussent en abondance. Il faut puiser dans la nappe et parfois faire des forages profonds. On développe aujourd’hui la culture des bananes sous plastique.
Agadir
Au détour du chemin, Lahcen nous signale un ancien moulin à sucre des Almohades il y a plus de 800 ans. il nous montre les agadirs sur les contreforts de l’Anti-Atlas : greniers fortifiés perchés au sommet des collines, position imprenables dont la défense était assurée par tout un système de signaux avec les villages voisins. Construits en pierre ou en pisé, ils se confondent avec la montagne. J’ai bien du mal à les trouver malgré les indications de Lahcen. En dessous des agadirs, les vieux villages, dans la plaine, les nouveaux.

Le village abandonné
Nous quittons le goudron pour une piste fréquentée où l’on double le boulanger en mobylette. Les paniers des pains en toile blanche ressemblent aux paniers des ânes. Le long de cette piste, poussent les arganiers et encore ! On les a taillés pour leur donner un coup de fouet. Ils sont bien déplumés. Le troupeau de chèvres avance à notre rencontre gardé par 4 bergers, 2 enfants et deux adolescents. Lahcen leur demande quelque chose, ils nous font signe de reculer. Nous avons dépassé l’entrée de la piste indiquée par deux grosses pierres.
Elle monte jusqu’au village abandonné de Ouinzane (eau-pierre en berbère). Les dernières familles ont quitté le villa voilà une soixantaine d’années. La plupart vivent en émigration. Il sera beaucoup question d’émigration pendant cette journée avec Lahcen). Les enfants qui rentrent chaque année au bled, ont essayé de restaurer la mosquée. Lahcen n’est pas satisfait de leur travail : ils ont utilisé du ciment qui ne respecte pas l’architecture traditionnelle. Au moins, le village ne deviendra pas un tas de pierre anonyme en une génération ! Il insiste sur le passé glorieux de ce village. La mosquée a un palmier dans la cour, on peut encore tirer l’eau du puits dans sa cour. Les salles aux plafonds très bas sont prévues pour les ablutions. La mosquée a une assez grande salle, mais pas de minaret. Le muezzin monte sur la terrasse où une niche a été aménagée pour que les fidèles y montent pour la prière par grosses chaleurs.

Le village est très délabré. J’ai du mal à enjamber les blocs et surtout à suivre Lahcen dans les décombres. Il me conduit devant une porte monumentale à la décoration signée de petites pierres (ou de petites briques formant des dessins géométriques. C’est l’entrée de la demeure du Cheikh. Lahcen insiste encore sur la bravoure et la gloire des anciens habitants. Nous montons dans une autre maison. On devine les poutres de soutènement des plafonds. Chaque maison avait au moins trois étages. 7 familles demeuraient là. Du haut du village on voit des ruches : petites alcôves rectangulaires alignées dans le creux d’un mur. Nous terminons la visite par celle des citernes creusées dans la roche pour garder l’eau de pluie, seule eau dont on disposait au village. Les citernes sont très profondes, très vastes, chaulées à l’intérieur, couverte d’un toit arrondi de petites pierres assemblées en voûte sans maçonnerie ; Lahcen me fait remarquer l’habileté de ces constructeurs.
Dominique qui a fait de belles photos des chèvres grimpeuses. Lahcen explique que les sabots des chèvres peuvent pincer les branches pour leur permettre de s’accrocher.
Tinouainane est le village natal de Lahcen qui y a de nombreux cousins. Chaque fois que nous rencontrons quelqu’un, Lahcen sort – grandes embrassades. Il connaît tout le monde. Un de ses cousins, turban jaune, chemise rouge est en train de décharger du fumier à la sortie du village. Il nous invite à aller dans son « jardin », une orangeraie. Le village est construit à l’écart de l’oasis. Nous marchons entre les murets de moellons surmontés d’épines. Les petites parcelles sont soigneusement encloses. Les chèvres ne doivent pas y faire des ravages ! Elles sont partagées en rectangles bordés de rigoles et de petites digues. Les hommes que nous croisons, reviennent des champs portant de petites binettes à manche court. Pas besoin de gros outils pour ce travail qui ressemble plutôt au jardin qu’aux champs.
Très peu de palmiers, surtout des oliviers de très grande taille (je n’en ai jamais vus d’aussi hauts
« – Comment faire pour récolter les olives ? »
« – on grimpe avec des gaules, les femmes ramassent les olives dans les bâches »
Il y a des vergers d’agrumes et des caroubiers.
Irrigation

Deux rigoles parallèles correspondent l’une à l’eau de la source, l’autre à celle du bassin qui ne se mélangent pas. L’irrigation est très compliquée. Lahcen nous emmène au bassin rectangulaire rempli qu’au tiers et où prospèrent des algues vertes. Il se remplit la nuit quand on n’irrigue pas. L’eau de source n’est pas gaspillée et ne court pas inutilement. Lahcen nous montre la canne-jauge entaillée de nombreuses rainures. Chaque trait correspond à cinq minutes. Chaque famille a droit à une part d’eau que l’on marque d’un lien d’herbe verte coincée dans l’encoche. Les anciens tiennent colloque pour la répartition qui varie chaque jour en fonction de la durée de remplissage la nuit du bassin. La canne-jauge doit toujours être plongée au même endroit. Elle est sacrée.

L’eau est la condition de toute vie. Les parts se transmettent par héritage comme la terre ? La terre sans l’eau n’est rien. Certains vendent leur part d’irrigation. Leurs champs restent secs et rien n’y pousse.
Celui qui va recevoir sa part d’eau attend assis devant la petite vanne. Quand son tour arrivera, il ramassera une poignée d’herbe sèche qu’il lâchera dans le courant, avertissant ainsi son voisin que l’irrigation se termine. Il détournera ensuite le courant vers son champ. L’eau y coulera une demi-heure, une heure ou deux selon son quota.
Nous suivons les rigoles jusqu’à une très belle orangeraie qui embaume. Sous les orangers, des fèves en fleurs. Lahcen ramasse des cosses de caroubier pour que j’y goûte. Cela fait bien longtemps que je connais les caroubes mais je n’ai pas envie d’en parler. Autrefois, on les donnait au bétail. On leur a trouvé des propriétés pharmaceutiques si bien qu’il est plus rentable de les vendre. Sauf si la vache est malade, on lui donnera comme médicament.
Pique-nique sous un oranger

Pique-nique sous un bel oranger appartenant à un de ses cousins de Lahcen. Demain, c’est le souk hebdomadaire, on est donc occupé à cueillir les grosses oranges navel. Les filles ont rempli les pans de leurs jupes et les déposent en tas sous un arbre. Un kilo se vend 6 dirhams. C’est bien peu. Si les enfants, émigrés en Belgique, n’envoyait pas leur mandat ils pourraient à peine survivre du produit de leurs champs. Ils entretiennent l’oasis en culture et sont les gardiens de l’héritage. Mais l’argent vient d’ailleurs.
Ici, les femmes ne sont pas voilées. Elles portent un foulard, bien sûr. Leur visage est découvert. Elles nous sourient et ne se cachent pas. Certaines sont très belles avec des habits très colorés. Pour les photos, elles opposent un non catégorique.
Lahcen va chercher la selle de l’âne en toile pour Dominique. La table sera en paille tressée : les grands paniers du bourricot. Latifa a mis nos salades préférées : les carottes pour Dominique, les pommes de terre, tomates et poivrons et aubergines. Elle a aussi mis des keftas parfumées au persil et aux épices. Le dessert est cueilli sur place.
Lahcen a vécu en France 10 ans dans le Gard, il travaillait aux vignes, puis mécanicien à Paris, de 1970 à 1981 entre 20 et 30 ans. Il a donc du recul vis-à-vis des mirages de l’Europe. Il sait les « drôles de métiers » que ses compatriotes souvent diplômés et très qualifiés, doivent accepter chez nous. Il sait aussi la nécessité de cet argent venu du nord. Il viendrait bien en France où vit toute sa famille, sa mère, ses frères et sœurs. On lui refuse le visa. Il n’en tient pas rigueur à Jacques Chirac qui vient « au mois 12 » à Taroudannt à la Gazelle d’Or. Notre président est un personnage familier de Taroudant « c’est sa 2ème ville après Paris ». Pour louer son oasis, Lahcen chante Jean Ferrat « Que la montagne est belle, comment peut on imaginer… ». Il raille la Gazelle d’Or où il a eu l’occasion de dîner « c’est de la grande cuisine, on paie très cher et on n’a rien dans l’assiette, une seule olive, un peu de sauce pour décorer… »Je dessine les rigoles, les murettes et les oliviers que j’aime tant. En Italie, en Grèce, à Chypre… je ne peux pas m’empêcher de mettre un olivier dans mes dessins.
Au village de Tinouaïnane

Une nuée d’enfants nous accueille au village. Malgré notre guide nous entendons « Donne moi… » . Pour les dirhams, c’est non ! Et tous les adultes sont d’accord. Pour les bonbons, nous en avons un sac dans la voiture et c’est le bon moment pour rendre la politesse aux villageois qui nous accueillent si généreusement. La distribution tourne à l’émeute. Les enfants accourent de partout. Certains tendent la main plusieurs fois. On commence à se fâcher. Un adulte doit s’en mêler.
Les maisons du village sont très basses. Les longs murs ne s’ouvrent que par des portes métalliques peintes avec fantaisie. On a le souci de la décoration. Les tours des fenêtres, les coins, les arêtes sont soulignées de blanc sur crème ou de jaune sur blanc. Quelques uns ont peint des éclaboussures à la manière d’un feu d’artifice ou de palmier:
– « Pourquoi ?
– « pour décorer ! ».
Lahcen traduit des inscriptions calligraphiées à la peinture rose. Ce ne sont pas des slogans mais des mots de bienvenue aux visiteurs.
Pas de goudron, la poussière a la couleur des murs. Pas une voiture. A peine, un vélo – et encore ! – ses pneus sont à plat et il n’a pas de selle. Je demande à son propriétaire d’aller chercher D en voiture qui a été trop loin. Le vélo ne roule pas. Deux grands ados se chargent volontiers de la commission.
J’ai envie de photographier une porte bleu turquoise qui s’ouvre sur un couloir blanc. Cela tombe bien ! C’est justement dans cette maison que nous sommes invitées ! Nous entrons donc par ce fameux couloir l’arhgoumé qui est l’abri des femmes par grosses chaleurs, là où elle épluchent cassent et meulent les noix d’argan une fois les travaux de la maison et des champs terminés.
La maison de Mohamed est construite autour de plusieurs cours, c’est une version campagnarde et plate de notre riad. Les pièces s’ouvrent sur la cour, longues chambres comme au riad Freyja, « couisine » sommaire mais une belle salle d’eau toute carrelée avec des toilettes (ouf ! impossible de faire pipi dans la palmeraie, il y a du monde partout). Je dis à Lahcen que c’est le même plan qu’un riad il répond que c’est une tadouarit.

La salle de réception est couverte de nattes, on s’y déchausse. Au fond trône une télévision sur un support à deux étages avec magnétoscope et lecteur de DVD. La télécommande est soigneusement sous plastique. Ils ont une parabole sur le toit qui capte Arabsat. Fièrement, Mohamed l’allume sur une chaîne berbérophone et pose pour la photographie à côté de l’appareil. On enverra la photo par Internet au propriétaire qui la donnera, j’espère à Lahcen. L n’y a pas de cyber au village mais il y en a plein à Taroudant.
Une petite fille apporte un rince doigts en aluminium, elle nous verse de l’eau sur les mains puis on nous sert le thé (sans menthe) avec du pain cuit à la maison que nous trempons
dans l’huile d’argan. Après 3 verres, Mohamed poursuit la visite : nous passons dans une autre cour ornée d’un oranger et d’un basilic odorant dont il nous offre à chacune un rameau, encore une cour : c’est l’étable. Un petit veau noir né ce matin, un autre au front étoilé, a deux jours.
Nous visitons une autre maison, vide celle là, occupée seulement pour les vacances. Même plan : des courettes avec des orangers, un couloir qui mène à une ruelle. Assises sur le sol, deux femmes tapent sur des noix d’argan avec un galet de lave poli sur une grosse pierre. La première d’un coup sec ôte la pulpe séchée qui cède facilement ; la seconde case la noix qui ressemble à une noisette allongée. Elles me proposent d’essayer. Je réussis la première opération sans peine, je ne suis jamais arrivée à extraire l’amande : la noix roule.
Avant de quitter le village nous nous arrêtons à l’école : neuve, en ciment préfabriqué comme toutes les écoles rurales avec des fresques sur les murs. 7 classes. Lahcen connaît les instituteurs de la 6ème classe : 5 filles 11 garçons qui se lèvent en silence. Les filles récitent en chœur le compliment d’usage. Au tableau, des divisions à plusieurs chiffres derrière la virgule. Ils sont meilleurs en opérations que les nôtres. Ils n’ont pas de calculatrices.
Nous rentrons tranquillement par la route d’Agadir. Juste avant la ville : un vol de cigognes Certaines sont sédentaires et occupent un nid à la casbah de Taroudannt.
Passionnant !
C’est vrai que l’irrigation a beaucoup progressé et que par endroits, ça a tout changé…
J’ai vraiment apprécié de suivre cette exploration très enrichissante… Une vraie richesse toutes ces rencontres !
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Passionant! Lahcen est un membre de ma famille 😉 et Mohamed en question est mon oncle si c’est celui de la Maison donc vous Avez poster la photos! Ma famille du Maroc me manque et Je m’en vais leur rendrr visite ! Cette semaine Je me rejouis… Merci de votre compte rendus. Et j’espere que vous avez appreciez votre voyage …
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@karim : si vous rentrez passez leur le bonjour, je me souviens encore de leur accueil si chaleureux
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