CARNET DE CASAMANCE

Mlomp éloigné une dizaine de km d’Oussouye – traversons la campagne par plusieurs villages cachés dans la forêt. On croise des écoliers, dépasse une école, un poste de santé.
Mlomp est un village diffus. Nous avons à peine dépassé le panneau de signalisation routière que nous retournons dans la campagne. Mor s’arrête au pied de fromagers géants, où Gilbert, le guide local, tout de vert vêtu, nous attendait. Il présente la grande place royale. Un triangle n’a pas été ni balayé ni défriché: l’emplacement royal, intouché, donc plein de mauvaises herbes entoure le fétiche royal. Les trois fromagers sont considérés comme sacrés.
Leurs racines sont d’une taille considérable, pan vertical de plus de deux mètres, pour la plus haute. On coupe les racines des fromagers pour faire des portes, des volets ou des cercueils sans porter préjudice à l’arbre qui cicatrise, et se régénère. Mais on ne touche pas aux trois fromagers sacrés. Du tronc, on peut faire des pirogues. Les fromagers qui dépassent les autres arbres de la forêt, sont des repères pour les voyageurs qui seraient perdus. Les fromagers sont des arbres plantés par les villageois. Un fromager signale un village. Le nom de fromager ne fait nullement référence à un fromage quelconque. Le fromager est un kapokier, son fruit fournit le kapok qui garnit les oreillers. Son nom dérive de l’expression « l’arbre à la forme âgée ». Les arbres séculaires ont 4 ou 5 siècles. Jeune, le tronc est recouvert d’épines qui protègent le jeune plant. Ces dernières disparaissent à la maturité de l’arbre et reviennent sur les racines des vieux arbres (la forme âgée).

Une truie a mis bas dans le labyrinthe des racines, les porcelets roses ou tachetés ne tiennent pas sur leurs pattes. Je m’approche avec précaution pour la photo, parce que j’ai peur des réactions de la mère « elle va te gronder ». La place sert de lieu d’assemblée pour les hommes et d’arène pour les lutteurs.
La case à étage de maman Martine

Martine a près de 100 ans, elle a perdu la vue mais continue à monter son escalier pour rejoindre sa chambre à l’étage. Comme elle ne veut pas rester les bras croisés, il lui arrive de balayer sa cour plantée de beaux manguiers. Son mari, Etienne, a combattu pour la France pendant la seconde Guerre mondiale. C’est de cette guerre que datent les escaliers de la case à étage. Avant les Diolas ne connaissaient pas les escaliers. Leurs échelles étaient des perches à encoches (les mêmes que celles que nous avions vues chez les Tatas Sombas au Bénin). S’il y avait une guerre entre les villages, les femmes et enfants se réfugiaient à l’étage et n retirait les échelles. La case est construite en banco, la charpente en rônier. Les piquets de palétuviers soutiennent la dalle de l’étage. Toute les maisons sont bâties sans fondations ni coffrage, elles ont un ennemi implacable : les termites qui magnet le bois et creusent la terre. On cimente les endroits fragilisés, on remplace les traverses mais il n’y a rien à faire.

Ici aussi le riz est stocké en gerbes qui se conservent des années mais les diolas achètent aussi du riz importé. Dans les héritages, le riz est la part de la femme, les hommes, la terre.
Une case à impluvium est aménagée en petit musée de la culture diola. On y expose des armes anciennes, lances, vieux tromblons, arcs et flèches, boucliers en écaille de tortues, en ventre de rhinocéros, utilisées dans les guerres entre les villages. Plusieurs fétiches sont conservés. Intéressant, le fétiche-confesseur : celui qui a commis une faute apporte du riz et se confesse, il y a aussi des crânes de porc et un curieux instrument pour entraver les prisonniers qui étaient parfois sacrifiés. Il y a aussi un fétiche contre les voleurs. Si on trouvait un objet dont on ne connaissait pas le propriétaire on pouvait l’y déposer. En revanche, s’il se l’appropriait le voleur subirait des catastrophes en punition. Il y a également un fétiche contre la stérilité. Comme Conakry, Gilbert nus parle de la tradition du Cagnalen, il montre une calebasse ornée de perles multicolores, rouge, jaunes vertes que les femmes prises en charge dans le rituel devaient porter sur la tête et s’en servir de bol pour la nourriture, forcée d’ingérer même les saletés qui pouvaient tomber dedans.
Selon Gilbert, la case à impluvium n’est pas un moyen pour recueillir l’eau de pluie mais plutôt une forteresse imprenable en cas de guerre entre les villages. Femmes et enfants pouvaient s’y retrancher pendant que les hommes guerroyaient. On pouvait y cuisiner sans sortir, recueillir l’eau de pluie, s’y regrouper. J’ai demandé à Gilbert les causes de ces guerres cruelles où l’on prenait des otages. Sa réponse :
« les Diolas sont généreux, ils donnent tout ce qu’ils ont mais il ne faut pas toucher 1cm de leurs terres ».
Gilbert nous promène dans le village pour admirer des fromagers curieux : les deux qui ont mêlés lerus racines, les trois qui proviennent d’un même tronc formant un mur vertical d’où s’échappent les trois fûts.
Les femmes préparent une fête afin de lever des fonds pour la coopérative agricole. La fête n’a pas encore commencer mais de la musique sort de baffles XXL. On a abattu des animaux et les vautours planent.