CARNET SICILIEN 2016

L’autoroute de Messine est impressionnante avec la succession des tunnels. On passe sous Cefalù dans la montagne pour trouver à la sortie de la galerie un viaduc sur une étroite vallée. Combien de temps sommes nous restées dans les tunnels mal éclairés ? Sans doute très peu mais le parcours a paru interminable. La route de Castelbuono s’élève dans une colline boisée de magnifiques chênes. Frênes aux folioles lancéolés. Vigne aussi, on voit des coopératives viticoles à l’entrée du village. Les oliviers en revanche sont grands mais à moitié desséchés.

Castelbuono est un village médiéval entouré d’une périphérie de quartiers modernes d’immeubles quelconques et une couronne de belles maisons dispersées dans la verdure. Le tut fait une petite ville plutôt qu’un village. Qu’est-ce qui distingue un village d’une petite ville ? Négligeant la ville moderne nous allons directement au Centre Historique – piétonnier, bien sûr -. Le problème est de trouver une place de parking pas trop bas. La police municipale veille et déloge la Fiat 500 d’une place « handicapé » disponible malgré la carte avec des explications vaseuses. « c’est une place pour le lundi, le mardi …mais pas le dimanche » s’il avait dit que c’était pour un handicapé-résident on aurait mieux compris.

Pendant que nous descendons la Via Sa Anna les cloches tintent d’un son aigrelet, presque une clochette pour appeler à la messe. Nous nous précipitons avant que l’office ne commence dans la Chiesa Madrice vecchia – belle église 15ème précédée d’une loggia Renaissance à belles arches en ogives. Deux jeunes filles avec des guitares et un groupe d’enfant forment une chorale ; Le temps qu’elles s’accordent que les voix s’échauffent et répètent, nous pouvons aller et venir. Je remarque d’abord un magnifique polyptique au dessus de l’autel, aux nombreux panneaux verticaux enchâssés dans des dorures. Sur les piliers ronds et lisses se trouvent des fresques ainsi que sur un mur. Dans une chapelle le retable sculpté est baroque mais en mauvais état. Un enfant de chœur tire sur une chaînette la clochette. La messe commence. Nous nous retirons discrètement non sans nous étonner de la proportion masculine de l’assistance.

La place de l’église est ornée d’une belle fontaine. En bas les touristes font la queue aux stands de dégustation des deux magasins Fiasconaro, pâtissier fameux qui a su adapter la recette milanaise du panettone au goût sicilien qui est tartiné d’une pâte à la noisette. C’est excellent mais je préfère acheter des minicanoli et minicassate.
La via Umberto 1 est bordée de boutiques pour touristes tandis que sur la Via Roma sont installés les notables (plaques de cuivre signalant des dentistes, médecins, avocats). Les restaurants ont installé des tables dans des ruelles. Par le climat frais d’avril, en altitude, la salle serait plus appropriée. Je regarde les menus : la plupart des plats sont garnis de champignons, dont l’air est parfumé. Plus haut, un magasin bio vend des paniers entiers de champignons géants blanc-beiges à lamelles(genre de grands pleurotes). Le musée d’histoire naturelle est fermé pour cause de conférence ;
Le château

Le château est une grosse bâtisse carrée où s’encastrent des tours latérales cassant l’aspect cubique par des ajouts irréguliers.

Au rez de chaussée une exposition temporaire « tra i sentieri dei Ventimiglia di Mimmo Cutichio » présente des marionnettes comme celles que nous avons vues à Palerme, chevaliers en armures et casque empanaché, belles dames, dragons, un paysan et son âne rappellent un environnement campagnard. Les Ventimiglie régnèrent sur les Madonie pendant des siècles. Les toiles naïves présentées dans les autres salles figurant une fête médiévale, un château fort ou la campagne sont probablement les décors de scène des marionnettes. Une salle « archéologique » raconte l’histoire du château ; il fut bâti au 13ème siècle sans fonction militaire. C’était plutôt une tour de guet et de contrôle, la colline entière était propriété d’Eglise. Fin 13ème/début 14ème on édifia des fortifications. Les murailles englobaient la piazza Castello jusqu’à l’arche qu’on peut encore voir. En 1439 ; le marquis de Geraci déménagea pour s’établir à Castelbuono emportant avec lui les relique sde Sta Anna. En prenant des notes j’avais omis ce détail – ce qui était une erreur. Si le château n’a pas d’histoire en tant que forteresse, les reliques, elles, ont suscité la construction de 17èm siècle a très belle chapelle décorée par Serpotta au 17ème siècle. Le déclin du château commença dès le 18ème siècle et deux séisme en 1818 et 1820 lui causèrent des dommages. Les vitrines n’offrent guère à voir si ce n’est une cruche vernissée.
Le 2ème étage est occupé par la Pinacothèque rassemblant des collections d’art moderne et contemporain mais rien n’a vraiment retenu mon attention en dehors de deux tableaux de paysans en armes avec drapeau italien et drapeau rouge, dominante jaune peut être des moissons. Au dessus se trouve le Trésor de la Chapelle Palatine. Ces trésors ne m’attirent pas vraiment, je traverse d’abord la salle distraite à pas pressés. Et j’ai bien tort ! Les vêtements sacerdotaux ou destinés à l’autel sont d’une grande beauté et d’une grande finesse surtout une très grande cape aux tons délicats d’orange et de jaune au décor floral et un « tapis » d’autel brodé de petites perles de corail rose(fin 17ème )formant un bouquet de pivoines. Je reviens donc sur mes pas pour regarder l’argenterie et découvre la curieuse masse d’argent, symbole du pouvoir dans les processions.
La chapelle Palatine Sa Anna est la plus belle surprise. Elle est entièrement recouverte de stucs, putti, feuilles d’acanthe, volutes, jeunes hommes dévêtus, femmes (vêtues). Au sommet de l’autel, un aigle bat des ailes curieusement. Les angelots font des acrobaties, l’in d’eux se cache les yeux dans un linge. cliquer ICI pour plus de détails
Dominique Fernandez consacre un chapitre à Serpotta et aux putti :
« Ce goût du mouvement, cette virtuosité pur rendre l’instable, le fugace, le précaire le désignent comme un surdoué de la famille baroque. Et expliquent sa prédilection pour les putti tout petits qui ne tiennent pas en place et ne savent que jouer »
Toujours ce monde blanc, blafard, sans couleurs dont la matité spectrale tranche avec l’animation et l’enjouement des petits galopins »
Hasard ? je tombe sur le chapitre « Les mystères du Rosaire » le lendemain de ma visite à la chapelle Palatine. Si j’avais lu Fernandez avant j’aurais été encore plus attentive. A chaque voyage en Sicile, à Rome, Fernandez est le meilleur des guides. J’aurais mieux été inspirée de relire le Radeau de la Gorgone avant le départ.