Les Oxenberg & les Bernstein – Catalin Mihuleac (Roumanie) Les éditions Noir sur Blanc

 LECTURE COMMUNE AUTOUR DE L’HOLOCAUSTE (Roumanie)

Comment évoquer le pogrom de Iasi le 29 Juin 1941, au cours duquel 15000 juifs furent assassinés?

 

Les voix de Iasi de Jil Silberstein est un essai historique très détaillé de 700 pages. Il  cherche les sources de l’antisémitisme en Roumanie dans le contexte historique, sociologique et intellectuel.

 

 

 

 

Eugenia de Lionel Duroy est un roman qui met en scène une jeune femme amie de l’écrivain Mihail Sebastian. Il se déroule principalement à Bucarest mais on y évoque le pogrom de Iasi.

 

 

Catalin Minhuelac, l’auteur, un journaliste roumain, a choisi de construire son roman autour de l’histoire de deux familles Les Oxenberg et les Bernestein.

Les Oxenberg sont de grands bourgeois.  Jacques Oxenberg est un gynécologue de renom recherché par toutes les femmes de la bonne société. Roza, sa femme traduit des nouvelles roumaines en allemand.  Leurs enfants ont une excellente éducation. Voyages à l’étranger, musique. Rien ne  laisse présager  de leur destin, même si depuis longtemps les étudiants en médecines subissent des tracasseries et le numérus clausus, même si les incidents antisémites se multiplient, les Oxenberg se croient protégés par leurs relations.

Ici repose pour l’éternité Joseph Bernstein, le rabbin des produits vintage. Si vous allez au Paradis, faites appel à
lui pour une paire d’ailes bonnes et pas chères, story included. Si vous vous retrouvez en Enfer, des cornes et des
sabots comme chez lui, vous n’en trouverez nulle part. »

La famille Bernstein vit à Washington. Ils ont bâti une confortable fortune sur la vente de vêtements et accessoires de seconde main. Les schmattes,  textiles récupérés par des organisations humanitaires sont triés et vendus dans le monde entier, soit dans les pays pauvres, soit relookés, conditionnés, vintage assortis d’une story ils peuvent être vendus à des snobs, américains ou même japonais.

Sache-le, Suzy, on n’emporte pas son pays à la semelle de ses souliers, mais on garde toujours un petit quelque
chose dans le talon.

Susie, la narratrice,  roumaine, suit Ben Bernstein, se convertit au judaïsme et participe activement au commerce de la famille. Elle invente des stories pour vendre cher des objets quelconques.  Elle s’implique dans l’histoire de la famille Bernstein racontée par son beau-frère Joe, elle veut transmettre à ses enfants leur histoire d’Europe de l’Est et découvre petit à petit l’histoire de Iasi, la ville dont elle vient, de l’exil.

Les chapitres Bernstein et Oxenberg, se mêlent, se répondent. Souvent humoristique – humour juif ou burlesque roumain – alternent avec le récit tragique des vexations, des brutalités et des horreurs. Peut-être est-ce la seule façon d’aborder une réalité insupportable – irracontable – celle des violences, des arrestations, de la déportations en trains… mais aussi celle plus cachée du viol des femmes.

« Sur les femmes violées, l’Histoire se tait. L’autocensure l’empêche d’accorder de l’importance à ces êtres marqués pour toute l’éternité, à la suite de l’assaut militaire le plus vieux au monde, au cours duquel les soldats, les sous-officiers et les officiers combattent au corps à corps la foule des femmes ennemies. Ils combattent en rugissant férocement, ils se battent jusqu’à l’apogée de la victoire en se servant sans gêne de leurs armes intimes. »

60 ans plus tard, Susie cherche dans les musées juifs, dans les anciennes photos, des témoignages. La vérité est difficile à mettre en évidence. les responsabilités ont été diluées, facile d’attribuer les crimes aux Allemands alors que des Roumains étaient impliqués.

« L’histoire brise des cristaux précieux de la vitrine nationale. Le patriotisme conçu pour garder un éclat éternel se transforme en fer-blanc. Des décennies durant, la responsabilité
de ce massacre a été malhonnêtement mise au compte des nazis.

[…]Mensonges. Le copyright du pogrom est la propriété des autorités roumaines. Militaires, policiers et gendarmes
se sont chargés de la mise en œuvre. Et les légionnaires qui guettaient cette occasion depuis longtemps.

[…]Les Allemands avaient participé aussi au massacre, mais de manière dispersée. »

Malgré la noirceur du thème, c’est une lecture agréable. On se prend de sympathie pour les personnages. Le thème du recyclage des objets usagers est aussi intéressant. 

 

 

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

16 réflexions sur « Les Oxenberg & les Bernstein – Catalin Mihuleac (Roumanie) Les éditions Noir sur Blanc »

  1. L’éternelle histoire de la collaboration des populations avec les nazis … difficile à reconnaître encore aujourd’hui. Aucun pays n’a été épargné.

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    1. @aifelle : certes, partout (presque, il y a heureusement des exceptions : Danemark, Bulgarie) de la collaboration mais l’horreur du pogrom de Iasi sort de la collaboration ordinaire. La responsabilité locale est bien antérieure à l’arrivée des Allemands.

      Aimé par 1 personne

  2. Je rejoins Aifelle dans son comment; les collaborations avec les nazis ont été multiples et en France nombre de personnes en sont coupables, mais le pogrom de Iasi était d’abord un acte criminel qui dans sa préparation et son déroulement entraina, hélas, des collabos. Moi, personnellement, j’ai du mal à lire ce genre de livre.

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  3. Apres 1990, chez nous on a le « new wave » des ecrivains et metteurs en scene(cinema). Ils ont tous ete present a l’etranger avec leur films et traductions de leur livres. Aucun mot, aucune traduction, par exemple, de l’oeuvre de notre poete national ou de nos ecrivains les plus fameux. Ils n’ont pas ete traduit (dans la meme mesure comme ceux qui appartient au nouveau vague).Le souci c’est que a l’etranger on connait rien sur la Roumanie, les roumains, l’histoire roumaine, les coutumes, traditions…Et presque tout le monde croit seulement la « verite » des reportages qu’on voit au tv…
    J’accepte le new wave des ecrivains et films, mais je sais tres bien que le plus important est, (avant tout film ou roman), d’avoir acces, de lire et de savoir la verite. On trouve la verite uniquement dans les archives,les documents , les images et les films de l’epoque, mais aussi dans les declarations de ceux qui suffered (En) a cause du pogrom et qui ont perdu tout…
    Pour nous et pour vous, l’access aux archives est tres difficile ou presque imposible…
    Je vous prie de lire aussi l’interview de Catalin Mihuleac au sujet de cette livre. Le vrai titre du roman est, en effet « L’Amerique sur le pogrom »(Ro: America de peste pogrom). J’ai traduit en francais et envoye par email, pour completer votre article…:-)

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  4. j’ai beaucoup aimé ce livre 🙂 je connaissais si peu de choses sur Iasi …
    « Eugenia »est une lecture qui m’a beaucoup marquée également
    j’ai noté « Les voix de Iasi »

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