CUBA – Vendredi 27 février 2004

Un carillon a sonné toute la nuit les quart d’heures et les heures !
Douglas nous explique comment arriver à la Maison d‘Hemingway à San Francisco de Paula – hors plan de La Havane- : trouver le Paséo tout proche, le remonter jusqu’à la Place de la Révolution, chercher la Cité Déportive puis la route de Dolores, enfin demander . La route est bien dégagée à huit heures du matin, peu de circulation à part les énormes autobus surchargés. Les enfants des écoles massés de part et d’autres de la chaussée, agitent des petits drapeaux de Cuba . Nous avons l’impression d’être reçues avec les honneurs d’un Chef d’Etat étranger.

San Francisco de Paula se trouve à la campagne . C’est une bourgade très fleurie sur une colline. La Maison d’Hemingway est précédée d’un beau parc avec des arbres immenses : casuarinas, bambous, palmiers royaux etc.. La maison blanche se trouve à l’arrière d’une terrasse avec une tonnelle fleurie ornée de céramique . Elle est de plain pied, ouverte sur le jardin. Tout est resté tel qu’Hemingway l’a laissé, ses livres, ses bouteilles, ses chaussures . Je l’imagine avec ses chats et ses chiens – on a vu les tombes des chiens dans le jardin – nous montons à la tour . Partout des livres. Ce que je n’avais pas imaginé, ce sont les affiches de corridas et beaucoup de trophées de chasse . Belle piscine, sur le bord, tout est prêt pour recevoir des invités ! Ce pèlerinage dans le décor quotidien de l’écrivain m’émeut. J’ai vécu un bon moment dans son intimité en lisant Iles à la Dérive, Pour qui sonne le Glas avait accompagné nos vacances en Espagne. En revanche, je n’ai pas pu lire ses livres sur les corridas . Là, je n’accroche vraiment pas . Nous rentrons sans encombre à la Havane dans laquelle nous nous orientons bien maintenant et rendons la voiture dans les temps .
Lire
Lire,
partir peut-être,
rêver toujours,
lire William Butler Yeats, partir à Byzantium,
et rêver No country for old men en titre de roman de Cormac McCarthy.
Puis dans la tempête avec Wynstan Hugh Auden en Islande, devant une mer rougie du même sang des baleines que celui que Le Clezio voit couler des mains de tous ceux à qui Charles Melville Scammon a ouvert la voie…
des complaintes dans une terre désolée avec Thomas Stearn Eliot chez le grand Jules Laforgue, puis lire Balthazar Gracian, le philosophe qui n’entend rien à la poésie dans la mémoire de Borges.
Victor Escousse aussi, grâce à Tristan Corbière.
Lire Hugo derrière l’épaule de Dario, Ruben, et Jeanne Hersch derrière celle de Milosz…Jeanne m’ a appris la philosophie de la liberté, à savoir que notre choix d’aujourd’hui, du présent, se projette en arrière et transforme nos actions passées.
Aussi celui qu’Eluard appelle le premier voyant, Baudelaire.
Découvrir Léon Damas avec René Depestre. Être le dernier lecteur après Drummond de Andrade de Cervantès.
Et lire avec vous tous ceux que j’ aime.
Lire sur vos reins les Ovidiens d’ amour…
Lire les digressions interminables de Tristram Shandy.
Walt Whitman avec Nicola Guillen.
En 1915 le 20 janvier j’aurais écrit dans mon journal de Kafka: ‘comme je lis mal… ‘
Pour oublier mon incapacité à bien lire je me plonge avec Alberto Manganelli dans la liste des livres interdits par le régime militaire d’Addis Abeba : l’évangile de St Marc, le livre de Tobie, Hamlet et la Divine Comédie.
Dans ce pays je lirai les livres rationnés de Ossip Mandelstam et les vers gardés si longtemps dans le support seul de la mémoire d’Anna Akhmatova.
Connaître le mystère d’iniquité dans le livre de Samuel: Melville me l’illustrera dans Billy Budd et sur sa tombe je lirai son obituaire, celui de Hart Crane.
Apprendre même le nom de Ernesto Cardenal chez Augusto Monterroso.
Rimbaud le perdant grandiose à l’instar de Phaedon qui avait grandement osé, je le retrouve chez Neftalí Ricardo Reyes; Jan Neruda quel est ton sentiment sur cet emprunt? Est-ce que j’aurais lu les contes de Maria Strana ou les tableaux parisiens sans cet autre toi ?
Et puis je lis toujours aussi mal,
J’envie tous ceux qui ont lu si bien
J’aurais aimé aussi devenir un livre comme le petit garçon Klausner pas encore Oz.
Lire Alberto Caeiro et garder les troupeaux dans un rade de Lisbonne avec Pessoa.
Pouvoir lire et moquer les Goncourt comme Marcel et retrouver Alexander Blok dans la mer de l’histoire de Derek Walcott; réécrire aussi les derniers sonnets inconnus de Shakespeare après que Voiculescu m’ entrouvre quelques portes.
Lire Eminescu avec Martin Sorescu pour comprendre la récurrence.
Je lis aussi Vicente Huidobro et Schopenhauer avec Robert Lowell, puis
dans mes lits vides de délices, je songe à Rilke, à Swedenborg dans les mots de Homero Aridjis.
John Berger m’a fait connaître la poétesse inuit Mary Panegoosho.
Tous ces mots, ceux qui n’essayaient même pas d’être beaux, seulement vrais, et ceux qui tournent le dos à la page de Joe Bousquet
En descendant du transsibérien ave Milosz je retrouve Cendrars à Anvers où seule l’épaisseur du petit volume qu’il a dans la poche (Les testaments de Villon) le sépare de son compagnon et l’empêche de devenir une parfaite canaille, comme lui
Comprendre Eschyle avec Platon et Lucien de Samosate, lire le Prométhée de Shelley,
Écouter Sophocle lire à haute voix le mort d’Antigone pour son père aveugle et pour moi, et puis lire encore,
les mots de Wislawa Szymborska dans la fumée du nuage humain qui passe au dessus de ces barbelés que le dieu gronchon de Jaroslav Seifert n’a pas entendus, jaloux de tous ces mots que je n’ai pas encore lus, que j’ ai si mal lus,
que je n ‘ai pas compris, comme l’a compris celui-ci….ou cet autre…
devenir la compréhension de ces mots pour tous les lecteurs….
Mermed
J’aimeJ’aime
J’ai lu plusieurs Hemingway dans ma jeunesse mais je n’ai pas persisté, ce n’est pas trop ce que j’aimais. Il vivait dans un décor superbe apparemment.
J’aimeJ’aime
j’ai un rapport ambivalent à Hemmingway, j’aime beaucoup certains de ses livres mais je n’aime pas du tout l’homme par contre je t’envie et je t’accompagne avec bonheur dans cette visite car j’aime côtoyer les écrivains à travers leurs demeures
J’aimeAimé par 1 personne
@dominique : Corrida, machisme….dans notre période metoo#, on a du mal à tolérer ce qui autrefois ne posait pas problème. Mais quel écrivain!
J’aimeJ’aime